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AGRICULTURE n. f. 

C'est l'art de produire dans cette usine qu'on appelle la terre, le sol, non seulement tout ce qui est nécessaire à l'alimentation de l'être humain et, au surplus, du règne animal, depuis le plus colossal éléphant jusqu'au plus petit des insectes, mais encore de fournir aux industries les matières premières pour la fabrication du vêtement, de la chaussure, des outillages et machines diverses de toutes sortes, employées tant dans l'agriculture elle-même que dans les diverses industries, le sous-sol nous fournissant tous les métaux, le charbon, le pétrole, etc. L'agriculture est un art, disons-nous, et qui, par ce fait même, nécessite un outillage pour l'exécution des travaux qui constituent les façons culturales qu'il faut préalablement donner au sol avant de lui confier semences ou plantations, si on ne veut pas avoir un insuccès complet. Cet art nécessite en outre des connaissances techniques et scientifiques étendues, variées et solides, que doivent posséder à un très haut degré nos professeurs d'agriculture et nos ingénieurs agronomes. L'agriculture est donc et surtout la mère nourricière de l'espèce humaine ; elle nous fournit le blé dont nous faisons le pain, et tous les autres céréales que nous employons à la nourriture de nos divers animaux domestiques ; elle nous fournit les produits de la vigne, avec les raisins de laquelle nous faisons de si bons desserts, des vins exquis, des eaux-de-vie délicieuses, cognacs et armagnacs, et des alcools avec lesquels nous fabriquons de si excellentes liqueurs ; elle nous donne des légumes de toutes les espèces, des viandes de toute sorte, des fruits des goûts les plus divers ; elle nous permet de fabriquer des conserves alimentaires de tout genre avec ces fruits, viandes ou légumes ; elle nous donne encore les sucres, thés, cafés, chocolats, les parfums les plus exquis, comme la vanille, et les remèdes les plus précieux qu'emploie la médecine humaine et vétérinaire pour la guérison des maladies ; en un mot, grâce aux produits si variés que nous fournit l'agriculture, les tables des gourmets les plus exigeants et les plus délicats sont toujours chargées de mets ou de desserts qui leur donnent pleine et entière satisfaction. Mais pour que les diverses plantes, herbes, arbres ou arbustes, dont nous recouvrons la surface de la terre en vue d'en récolter les divers produits dont nous venons de parler puissent croître normalement et atteindre leur développement intégral, il est absolument indispensable que leurs racines trouvent dans le sol une abondante nourriture pour fournir aux besoins de leur luxuriante végétation, tout comme les hommes et les animaux ont besoin d'être nourris pour vivre. On appelle engrais ces matières qui, mélangées au sol par les travaux des façons culturales, fournissent aux végétaux, par l'intermédiaire de leurs racines, qui sont leurs bouches absorbantes, la nourriture abondante qui permet leur développement normal. La nature qui fournit ces engrais, ce sont tous les débris et déchets du règne végétal et du règne animal qui, atteints par la mort et tombant en décomposition, sont mélangés au sol dans le sein duquel, sous l'influence des acides qu'il contient, s'en réalise la nitrification qui les rend propres à être assimilés par les végétaux. Ces engrais ce sont les engrais humifères, ils sont indispensables au développement des végétaux.

Il existe encore des engrais minéraux, dont nous aurons l'occasion de parler à la fin de cette étude. Ces explications sur les principes fondamentaux qui servent de base à l'agriculture, n'ont pour but que de donner au néophyte étranger à ces questions et aux habitants des villes, une idée, aussi simple que possible, de ce qu'est la production agricole et de son immense importance dans la vie de l'humanité, et non de faire un cours d'agronomie. Cette étude a pour but : 1° de montrer clairement ce qu'ont été et ce que sont encore présentement et l'agriculture et l'ouvrier agricole, la terre appartenant à quelques-uns constitués en classe ; et 2° ce que seront demain l'agriculture et le travailleur agricole, la terre appartenant à tous, à la collectivité, les classes ayant disparu. Sous l'époque romaine, les propriétaires faisaient travailler leurs terres par leurs esclaves ; pendant le moyen-âge, les nobles seigneurs et l'église, qui possédaient toute la terre, la faisaient travailler par leurs serfs, qui, comme un vil bétail, étaient vendus et achetés avec la terre elle-même. L'outillage agricole était tout à fait rudimentaire, il n'y avait aucune espèce de machines, tous les travaux étaient manuels et nécessitaient beaucoup de temps et énormément de peine pour leur exécution. On ne disposait que de très peu d'engrais et, par ce fait même, les récoltes étaient très réduites et ne pouvaient suffire à nourrir tout le monde ; la disette régnait en permanence, et la famine arrivait tous les trois ou quatre ans, quelquefois plus souvent. Rien ne saurait nous donner une idée plus exacte de la condition de vie misérable du travailleur agricole, du paysan, en ces temps maudits, que le portrait fidèle que nous en a laissé La Bruyère : « Il est, dans nos campagnes, des animaux mâles et femelles ; ils sont noirs, livides, courbés vers la terre qu'ils fouillent continuellement ; quand ils se dressent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine et, en effet, ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières. Ils épargnent aux autres hommes la peine de semer et de récolter pour vivre, ils ne devraient donc pas manquer de ce pain noir qu'ils ont semé. Et ils en manquent le plus souvent », Lors de la grande révolution de 1789, la terre changea de maîtres. La bourgeoisie d'alors s'empara de tous les biens de la noblesse et du clergé, qui étaient immenses et se les appropria, ne laissant au peuple, auquel on avait promis bien-être et liberté, que celle de crever de faim comme devant et d'aller travailler chez ses nouveaux maîtres avec un salaire de 4 sous par jour, et, pour nourriture, du pain de maïs, souvent moisi, avec nes oignons et des gousses d'ail, et pour toute boisson, de la mauvaise piquette ou de l'eau ; et, avec cela, des journées de 16 à 18 heures en été, d'un travail exténuant, parce qu'exécuté sans machines et absolument manuel.

Le machinisme agricole n'existait pas encore et les propriétaires faisaient labourer leurs terres avec des araires de bois traînés par un attelage de bœufs dans le Sud-Ouest, et de chevaux dans le Nord et le Centre de la France. La petite et la moyenne propriété s'instaurèrent, dans certaines contrées de la France, après la Révolution. Cette accession à la petite et la moyenne propriété a dû être favorisée par les gouvernements qui se sont succédés depuis, pour des raisons d'ordre gouvernemental, en vue de faciliter l'exploitation du peuple et de mettre tous les grands propriétaires terriens à l'abri de tout semblant de révolte capable de succès de la part des exploités ; car la mentalité du petit et du moyen propriétaire, grâce à l'ignorance cruelle dans laquelle on les a soigneusement maintenus, lui a fait croire qu'il est seigneur et roi dans son petit domaine ; pauvre roi brimé, taillable à miséricorde et à merci, livré sans défense par son isolement à toutes les exploitaüons, de l'Etat d'abord, des mercantis de toute sorte, et de tous ces écumeurs qui parcourent les campagnes ; marchands d'engrais sans valeur et de toutes sortes d'autres produits de même acabit, qui font de très bonnes affaires à son détriment. En outre de cela, le principe de la propriété individuelle a engendré dans son cerveau et dans son cœur toutes les tares, tous les vices qui sont la résultante néfaste de ce nocif principe : cupidité, égoïsme, annihilation de tout sentiment de solidarité et d'union. Une telle mentalité rend à peu près impossible toute tentative d'émancipation. La petite et la moyenne propriété, en donnant à leurs tenanciers une mentalité de bourgeois rivent solidement leurs chaînes et les condamnent à être les victimes de toutes les exploitations, tout en consolidant dans la plus large mesure tous les privilèges de la société capitaliste en fournissant à celle-ci l'appui inconscient de ces millions de propriétaires prolétariens. La petite et la moyenne propriété sont encore un grand obstacle au progrès agricole, en ce sens qu'elles rendent à peu près impossible l'emploi du machinisme par la double raison que l'emploi des machines est impossible dans les parcelles de petite contenance dont elles disposent, notamment pour les labours mécaniques, et en outre que l'amortissement du capital outillage mécanique grèverait le prix de revient du produit dans de trop grandes proportions. Dans les pays à grande exploitation, l'outillage mécanique fut employé à peu près aussitôt son apparition et cela par nécessité, en vue de réduire le prix de revient. Mais cet emploi de la machine, dans les mains du capitalisme, n'améliora pas le sort du travailleur agricole, mal payé, mal nourri, très mal nourri et travaillant beaucoup et longtemps, sous la pluie et le soleil. Tel fut et tel est encore son destin ; l'emploi du machinisme augmenta les bénéfiees du propriétaire, mais n'améliora nullement le sort de l'ouvrier agricole. Dans les pays de petite et moyenne culture, les propriétaires se souciaient très peu même de l'emploi des machines qui auraient pu servir dans leurs exploitations : la main-d'œuvre était abondante et à très bon marché, l'ouvrier travaillait, surtout en été, de 16 à 18 heures par jour, et était très mal nourri ; les propriétaires faisaient de bonnes affaires, et cela dura jusqu'en 1914. Cette date fait époque dans la vie de l'humanité et clôture la vieille période de l'organisation de la production agricole par le travail manuel, c'est-à-dire sans machinisme. La grande guerre envoya dans les tranchées tous les travailleurs agricoles, d'où bien peu revinrent, sinon mutilés ou portant les germes de maladies, tubèrculose ou autres, qui les ont décimés rapidement. D'un autre côté, l'exode intense des travailleurs agricoles dans les villes, où ils trouvent des conditions de travail meilleures et une existence moins pénible, ont encore aggravé cette situation, de sorte qu'à l'heure actuelle, la pénurie de main-d'œuvre agricole est des plus intenses. Dans les pays à grandes exploitations, cela se passera comme par le passé : un petit personnel, armé de toutes les machines perfectionnées que nous possédons déjà, fera énormément de bonne besogne en très peu de temps ; mais dans toutes les contrées où existent en masse la petite et la moyenne propriété, c'est la décadence absolue qui attend l'agriculture. Le petit propriétaire qui cultive lui-même sa terre vivotera tant bien que mal en travaillant beaucoup, mais le moyen propriétaire, obligé d'employer de la main-d'œuvre étrangère, ne la trouvera pas, ou ne pourra plus la payer, faute de pouvoir la faire travailler à la machine, et il en sera réduit à abandonner la culture du blé et autres céréales, des légumes, des vergers, d'arbres fruitiers, voire même de la vigne, qui exige pas mal de personnel ; il faudra qu'il fasse des prairies et qu'il s'adonne exclusivement à l'élevage du gros bétail ou des moutons, suivant les cas. Cela ne fera qu'aggraver les conditions d'existence que la vie chère crée aux malheureux travailleurs de la ville et des champs, car les salaires, malgré tout, sont très rarement en rapport avec le coût de la vie : car, si la viande devient un peu plus abondante et un peu meilleur marché, par contre les légumes et le pain deviennent plus rares et, partant, plus chers.

Le remède à cette situation serait, pour ces contrées, dans l'établissement de vastes propriétés collectives avec abolition du salariat ; la rémunération du travail assurée, déduction faite de tous les frais de culture, par le partage du bénéfice global net entre toutes les journées de travail fournies par les divers individus qui auraient collaboré à sa production. Mais la mentalité arriérée de nos petits et moyens propriétaires, imbus de tous les principes de la société capitaliste, ne leur permettra jamais d'employer cette dernière planche de salut, tant pis pour eux! Nous venons de voir ce qu'a été et ce que sont encore présentement l'agriculture et le travailleur agricole, la terre étant la propriété de quelques-uns, constitués en classe. Nous allons examiner maintenant ce que seront demain l'agriculture et le travailleur agricole, la terre appartenant également à tous, à la collectivité, les classes ayant disparu. Le peuple des travailleurs, tant agricoles qu'industriels, enfin parvenu à l'usage de la raison et las de n'être qu'un troupeau de misérables esclaves, guidé par son simple bon sens, a eu la sagesse et le courage de chasser ses exploiteurs ; le prolétariat a pris possession de tous les moyens de production et de transport, du sol et du sous-sol qui désormais appartiennent à la collectivité. Immédiatement, les cultivateurs se sont mis à organiser leur vie dans le sens du mieux-être, de la justice, de la solidarité et de la fraternité. La révolution économique est maintenant un fait accompli, et notre agriculture va voir naître l'ère de la plus grande prospérité que non seulement elle ait jamais connue, mais qu'il soit possible de concevoir, et cela pour le plus grand bien de I'humanité tout entière. Désormais, plus de privilèges, ni de parasites, qui consomment sans rien produire, plus de riches ni de pauvres, plus d'argent ni d'or, pour la possession desquels se sont perpétrés tant de crimes, mais seulement des producteurs qui seront consommateurs, tous les valides à la production, dans la mesure de leurs forces et à la consommation selon leurs besoins. Les invalides, les vieillards et les enfants vivent sur le travail de la collectivité. Le travail est collectif, c'est­ à-dire exécuté en commun et la consommation est familiale, en particulier, chacun chez soi. Chaque commune comprend un ou plusieurs groupes agricoles, ou soviets, peu importe le nom, suivant son étendue territoriale. Chaque groupe agricole comprend un nombre suffisant d'habitants pour que soit toujours assurée en temps opportun l'exécution de tous les divers travaux agricoles et en même temps tous les travaux d'intérieur de ferme : soins à donner aux divers animaux domestiques, etc., etc., et les travaux de ménage dans chaque famille du groupe, de manière que tous les travailleurs dont il se compose aient constamment à leur disposition : bonne table, bon gîte et travail rationnel, c'est-à-dire ne nécessitant que peu d'efforts et d'une durée relativement courte, permettant tout le repos nécessaire et les récréations dont tout le monde a besoin, le travailleur agricole n'étant pas un illettré comme le furent ses malheureux ancêtres, mais un homme instruit, vivant sa vie intellectuelle, sa vie du cerveau. Chaque groupe agricole s'adonnera à la culture de ce qui vient le mieux sur son sol et y donne les meilleurs résultats.

Nous avons dit tout à l'heure que la révolution économique réalisée (et il ne peut y en avoir une autre qui mérite réellement ce qualificatif, toutes celles que nous avons vues se glorifier effrontément de ce nom n'ont été qu'un ôte-toi de là que je m'y mette telles celle de 1789 et la malheureuse révolution de Russie, en 1917) il n'y aurait plus ni parasites ni privilèges, nous devons dire aussi qu'il n'y aurait plus de gouvernants, les mains armées d'une autorité coercitive néfaste ; le principe d'autorité est expulsé de la société nouvelle au même titre que l'or et l'argent et la propriété individuelle. Dans cette société de demain, le nocif principe d'autorité sera remplacé par le bienfaisant devoir d'enseigner à ses semblables tout ce que l'on sait pouvoir leur être utile pour accroître leur bien-être matériel et moral, leur bonheur.

La première préoccupation de la population de chaque groupe agricole sera de pourvoir à tous les besoins matériels de la vie et de mettre leur production agricole en mesure de faire face à tous ces besoins.

Pour cela, aidés des conseils des professeurs d'agriculture et des ingénieurs agronomes, secondés par l'expérience des meilleurs techniciens et praticiens que compte leur population, sans négliger le concours des amis des autres groupes voisins, ils organiseront leur production selon les données scientifiques acquises et profiteront de toutes les découvertes de la science pour augmenter les rendements, tout en diminuant l'effort personnel, et cela indéfiniment. S'ils sont dans des pays où existait précédemment la petite ou la moyenne culture, ils s'arrangeront à disposer leur sol en parcelles assez vastes pour l'emploi de tous les outils et machines que comprend actuellement notre matériel mécanique agricole, déjà bien perfectionné, mais qui le deviendra toujours de plus en plus, grâce aux découvertes de jour en jour plus merveilleuses de la science en vue d'augmenter le rendement tout en diminuant l'effort personnel, ce qui se traduit par ce résultat : augmentation du bien-être pour l'humanité. Chaque groupe agricole sera muni de tout le matériel mécanique nécessaire et spécialement propre à satisfaire à tous les besoins du genre de culture auquel il se livre et tous les travaux seront faits en commun sous la direction des ingénieurs agronomes comme nous l'avons dit ci-dessus. Par ce moyen, il se fera une énorme quantité de travail en très peu de temps, l'exécution de ce travail ne nécessitera que très peu d'effort personnel, les heures de labeur pourront être réduites dans une énorme proportion : 4 à 5 heures par journée suffiront à faire toute la besogne.

Dans les temps de fortes chaleurs, au dos du siège de chaque machine sera adapté un parasol qui servira à protéger le conducteur contre les rayons trop brûlants du soleil. A l'heure où nous écrivons, la plupart de nos machines agricoles sont traînées par des attelages de bœufs ou de chevaux ; dans un temps donné relativement court, elles auront comme force motrice des moteurs à essence, et un pas de plus, toutes ces machines seront actionnées par la force électrique. Oui, avant bien longtemps, grâce au secours de la science, la force motrice électrique remplacera toutes les autres, et l'électricité servira encore à nous éclairer, à chauffer nos maisons et à cuire nos aliments. Nous avons dit tout à l'heure que notre outillage mécanique se perfectionnerait toujours de plus en plus, grâce au secours de la science ; cela est incontestable et notre vieille charrue brabant elle-même sera abandonnée et remplacée par des outils qui feront un meilleur travail et nécessiteront beaucoup moins de force de traction. Les rotatives qui n'existent pas encore ne tarderont pas à voir le jour. Les labours en brabants et autres charrues plus légères nécessitent pour l'ameublissement du sol une aération de plusieurs semaines, quelquefois de plusieurs mois, ce qui est un grave inconvénient parce qu'elles découpent et soulèvent la terre en tranches trop épaises, et c'est pour obvier à cet inconvénient qu'on ne tardera pas à construire les charrues rotatives : défonceuse, laboureuse et bineuse.

Imaginez-vous un appareil muni d'un rouleau, d'un cylindre en fer ou en bois, tournant avec rapidité et armé de petites piochettes, plus ou moins puissantes selon la profondeur du labour, qui découpent la terre en tranches de 4 à 5 centimètres d'épaisseur et la rejettent derrière l'appareil. La défonceuse attaque le sol à 40 centimètres de profondeur, la laboureuse de 10 à 20 centimètres, suivant les cas et la bineuse rotative ne faisant qu'égratigner la surface du sol à 4 ou 5 centimètres de profondeur, tout en le débarrassant de toutes les mauvaises herbes qui le couvrent. La défonceuse et la laboureuse rotatives auront le grand avantage de permettre l'ensemencement ou la plantation sur le sol, immédiatement après le passage de l'instrument, qui le laissera dans un état d'ameublissement complet, tout en enfouissant dans son sein tous les engrais dont on l'aura recouvert à l'avance. Et c'est ainsi qu'avec l'outillage mécanique, on ne saurait trop le répéter, nous pouvons faire énormément de besogne dans très peu de temps et avec peu d'effort personnel. Mais tous les travaux ne peuvent pas se faire à la machine, notamment la cueillette du raisin et de la plupart des fruits, la taille de la vigne et des arbres fruitiers ; mais, comme tous ces travaux sont légers, peu pénibles, tout le monde accepte de les faire avec plaisir, il faut seulement plus de personnel.

Et maintenant, nous allons nous occuper des engrais minéraux, dits engrais chimiques. Nous avons parlé au début de cette étude des engrais provenant de tous les déchets du règne végétal et animal qui, une fois décomposés, constituent les engrais dits humifères, indispensables au développement des végétaux ; mais l'analyse nous démontre que dans la structurc des végétaux il entre une certaine dose d'acide phosphorique, de potasse, d'azote et de chaux. La science a trouvé le moyen de nous fournir en aussi grandes quantités qu'il est nécessaire ces matières qui entrent dans la composition des plantes, et c'est le sous-sol qui va nous en donner trois : l'acide phosphorique, la potasse et la chaux.

Nous trouvons en France des gisements importants de phosphates qui, moulus et traités par l'acide sulfurique, nous donnent les superphosphates, fournissant l'acide phosphorique aux plantes ; les gisements des phosphates d'Algérie sont immenses. Les gisements des potasses d'Alsace sont aussi infiniment importants ; quant à la chaux, on la trouve partout ; les roches calcaires abondent. Il reste l'azote ; il ne se trouve guère que dans les déchets du règne animal et végétal, mais la science est déjà arrivée à puiser cet élément, pour faire l'engrais azoté, à sa source la plus abondante : dans l'atmosphère même dont est entouré notre globe, l'azote de l'air.

Ainsi, grâce à la science, nous sommes pourvus en abondance de tous les éléments de fertilisation de nos sols, sans lesquels, malgré toutes les façons culturales les mieux appropriées, nous n'obtiendrions que très maigres récoltes. Pour l'élément azoté, nous aurions encore une autre ressource : la culture de certaines légumineuses. On sait que les légumineuses puisent leur azote dans l'air, et l'enfouissement en vert de ces légumineuses enrichit le sol de tout l'azote qu'elles contiennent : c'est ce qu'on appelle les engrais verts. En dehors de tous ces engrais, il y a encore ce qu'on appelle les stimulants de la végétation dont l'étude n'est encore qu'ébauchée : la magnésie, le soufre, dans certaines conditions, activent la végétation et la rendent plus luxuriante. Bientôt, les expériences scientifiques allongeront cette liste des stimulants, tout en faisant connaître les moyens pratiques de les employer. D'autres essais ou expériences ont été tentés, en soumettant la végétation à l'influence des courants électriques ; dans certaines circonstances, on a obtenu des résultats merveilleux, une végétation abondante : Des carottes sont devenues comme de grosses betteraves dans d'autres circonstances, le résultat a été une dépression de la végétation.

Dans un avenir prochain, l'expérience scientifique­ éclairera toutes ces questions. Maintenant, tous nos groupes agricoles sont organisés et ont entre les mains tous les éléments nécessaires machines et engrais, pour produire abondamment tout ce qui est nécessaire à l'alimentation de la population et des animaux domestiques.

C'est le moment de dire que dans chaque groupe on a organisé la préparation de conserves alimentaires de toute sorte ; viandes, légumes et fruits divers, marmelades et confitures de tous genres, en sorte que pendant la saison hivernale, les légumes verts : pois, haricots, fèves, lentilles, etc., ne manqueront jamais à la bonne cuisine, et alors les travailleurs agricoles, de même que leurs frères de l'industrie, jouiront d'un bien­ être matériel allant toujours s'élargissant et que n'auraient jamais pu soupçonner leurs ancêtres, les vieux parias de l'ancienne société capitaliste. A la Révolution, les prolétaires ayant pris possession de tous les moyens de transport, les échanges de produits d'un groupe à l'autre, d'une contrée à l'autre, et jusqu'au bout du monde, sont faciles et rapides, de telle sorte que chacun dans l'ensemble a toujours à sa disposition tout ce qui est nécessaire à assurer son bien-être et son bonheur. Liberté et bien-être seront désormais le partage de l'humanité jusqu'à la consommation des siècles. ­

P. MAUGÉ, aîné (Petit Agriculteur)

AGRICULTURE

Le mot agriculture désigne, d'une façon générale, tout ce qui a trait à la technique du travail du sol, dans toutes les branches de la culture et de l'élevage des animaux domestiques. Il est employé pour la partie pratique de cette immense fraction du travail humain, le mot agronomie étant plutôt réservé pour désigner la science théorique et expérimentale s'occupant des questions agricoles. L'agriculture se subdivise en spécialités et catégories différentes, de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que les connaissance exigées pour amener les différentes sortes de culture et d'élevage à un rendement toujours plus intensif, avec des moyens toujours plus perfectionnés, nécessitent une spécialisation du travail. L'agriculture proprement dite ou la grande culture s'occupe principalement des céréales, plantes alimentaires ou industrielles cultivées sur une grande échelle et de l'élevage. La sylviculture est la partie relative aux forêts, à la reproduction et à l'entretien des arbres et arbustes. L'arboriculture a principalement trait aux arbres fruitiers. L'horticulture est le terme indiquant la culture intensive ou maraîchère. L' élevage est une autre importante fraction de l'agriculture avec ses sous-produits : lait, beurre, fromages, etc. Il y a encore des parties spécialisées se rattachant de près à l'agriculture : la pisciculture, élevage des poissons : l'apiculture, élevage des abeilles, etc. C'est une erreur trop généralement ancrée dans les cerveaux superficiels que l'agriculture ne nécessite pas, pour être pratiquée, de grandes connaissances techniques, et que le " paysan " est intellectuellement un homme inférieur à ce point de vue. Cette branche du travail humain, la plus importante et la plus nécessaire, celle qui sert de base à presque toutes les autres en leur fournissant des matières premières ; celle de qui dépend la vie physiologique de l'humanité par l'alimentation, doit être considérée comme une industrie et la plus indispensables des industries. L'agriculture fabrique des plantes alimentaires ou industrielles et des animaux, comme la métallurgie fabrique des objets métalliques ou l'industrie du bâtiment construit des maisons. Le développement de certaines industries textiles, fabrication du sucre, etc., a poussé à la culture de certains produits de la terre. D'autre part, les besoins de la civilisation et une population augmentant sans cesse ont contraint l'agriculture à intensifier le rendement, à faire produire un sol beaucoup plus en quantité qu'en qualité et en variété qu'il ne le ferait naturellement.

De nos jours, l'agriculture est devenue une technique qui ne le cède en rien aux autres industries. L'agriculteur doit être doublé d'un agronome. Des connaissances sur la physique, la chimie, la météorologie, la biologie, la physiologie végétale et animale sont indispensables à la bonne administration d'une entreprise agricole. De nombreuses écoles, des établissements d'expérimentation et de démonstration, des journaux et revues ont été créées sous la pression des besoins. Toutes proportions gardées, l'on trouverait autant, sinon plus, de techniciens qualifiés dans l'agriculture que dans les diverses industries. L'obscurantisme qui a longtemps régné sur les campagnes est en voie d'élimination lente. Certes, le curé est encore tout puissant dans beaucoup de nations. Mais, de moins en moins, l'homme des champs croit aux intercessions divines. Les processions et prières pour éloigner la grêle, la sécheresse, etc., sont des anachronismes devenus excessivement rares. Le cultivateur a appris à compter sur le travail et sur la science, et les connaissances ainsi acquises ont lancé l'agriculture et les populations agricoles dans la grande et rapide évolution de la civilisation. L'agriculture est, sinon la plus ancienne, tout au moins une des plus vieilles industries humaine. L'époque où les hommes se mirent à cultiver la terre se perd dans la nuit de la période préhistorique. On a des preuves d'un certain développement de la culture du blé, en Chine, 28 siècles avant l'ère chrétienne. L'Egypte, dans le temps de sa splendeur, avait reposé sa puissance sur une agriculture très perfectionnée, allant même à la culture intensive. Rome aussi s'intéressa à l'agriculture. On y cultivait les champs une année sur deux. Une des causes profondes de sa décadence est certainement l'abandon de l'agriculture par les Romains pour la guerre ; à tel point que le trésor public devait acheter des grains pour nourrir les Romains. L'insécurité des temps, puis ensuite l'obscurantisme religieux qui arrêta tout progrès technique pendant plus de dix siècles, ne permirent à l'agriculture que des progrès très lents. On en resta longtemps au travail purement musculaire avec un outillage rudimentaire. La traction des charrues par les animaux avait déjà été utilisée par les Grecs. De même la pratique de laisser le sol se reposer resta l'usage. L'utilisation des engrais naturels - que la Chine a tant perfectionnée - restait peu développée. On ignorait totalement l'irrigation que des peuples antiques - ­ Egyptiens, Chaldéens, Chinois - pratiquaient assez systématiquement, La culture maraîchère, presque inconnue dans l'Europe chrétienne, était assez répandue chez certains peuples orientaux. Il a fallu les secousses révolutionnaires de la fin du XVIIème siècle, qui ont eu, entre autres résultats, celui de permettre au cultivateur une certaine garantie sur la propriété de ses produits et surtout le développement du machinisme au XIXème siècle, pour ébranler les vieilles pratiques et méthodes routinières de l'agriculture européenne et des colonies européennes en Amérique, Australie et divers autres pays. Ce fut d'abord l'introduction de la mécanique : charrues à vapeur et autres instruments qui permirent de développer la culture extensive, de conquérir de vastes régions, de défricher des domaines immenses. Et puis, la chimie est venue apporter sa quote-part de progrès à la technique agricole, surtout, par l'emploi rationnel des engrais entretenant la fertilité du sol, le nourrissant, ce qui a permis d'abandonner peu à peu la vieille pratique de l'assolement par le repos de la terre. Les prairies artificielles ont été développées. L'étude de la technique se poursuivant, la physique a été mise à contribution : la culture sous châssis ou en serres s'est développée ; l'horticulture est arrivée de nos temps à des résultats merveilleux, bravant à la fois et la nature du sol et le climat.

La physiologie et la biologie elles-mêmes appliquées à l'agriculture, ont développé la méthode de sélection des graines et des meilleures conditions d'élevage et de reproduction des espèces domestiques. La culture intensive, aidée par les derniers perfectionnements de la technique agrieole, tend à prendre le pas sur la culture extensive. Partout, on cherche à faire rendre au sol le maximum de rendement, dans le minimum d'espace et avec le moindre travail possible. La glèbe se transforme, et le travail agricole tend à se mettre au niveau du travail industriel.

La vieille ferme, c'était la charrue traînée par des chevaux de labour ou des bœufs, la herse, le rouleau, le tonneau à purin, quelques outils : la faux, le fléau pour battre le blé, etc... Dans la cour de la ferme, purin et fumier s'accumulent, c'est là tout l'engrais. Vieilles méthodes ne pouvant aboutir à un certain rendement que par le travail acharné du prolétaire paysan, peinant de l'aurore au crépuscule, vivant misérablement, éloigné de toute civilisation.

L'agriculture maintenant utilise la charrue polysoc à double effet, mue par une force mécanique dans la grande culture ; la faucheuse-lieuse qui fait le travail de dix hommes, la défonceuse, la trieuse, la semeuse, le concasseur, la batteuse, etc. Il n'est pas jusqu'aux tondeuses mécaniques pour les moutons, et la couveuse artificielle pour la volaille qui n'aient fait un peu partout leur apparition. Les engrais chimiques sont largement utilisés. Méfiants au début par routine et aussi parce que le commerce malhonnête les trompait, les cultivateurs, surtout depuis qu'ils sont entrés dans la voie des syndicats et coopératives agricoles permettant l'achat en commun et en gros, et avec garantie, pratiquent aujourd'hui de plus en plus une politique de fertilisation intensive et méthodique du sol. Marchant parallèlement, toutes les catégories techniques de l'agriculture vont vers le progrès, l'industrialisation des méthodes de travail. L'électricité surtout, pénétrant dans les campagnes, change les conditions de la vie au village.

Il est à noter que la densité de la population, son développement intellectuel, la division des propriétés en pays de grands, moyens ou petits établissements a une répercussion sensible sur la marche du progrès. Les pays à population dense, à moyenne ou même petite propriété (quoiqu'en pensent les marxistes) ont développé beaucoup la culture intensive et sont parvenus à tirer de leur sol de quoi nourrir aussi bien leur population que les pays à population éparse, et à gigantesques établissements (exception faite de l'Angleterre où les terres sont laissées en friche pour l'amusement des riches, mais où néanmoins ce qui reste de sol utilisé est bien cultivé). Les statistiques officielles pour le rendement à l'hectare de la production du froment donnent pour 1924 : Danemark, 26,6 hectolitres ; Belgique, 25 ; Pays-Bas, 24,4 ; Grande-Bretagne, 22,3 ; Allemagne, 16,3 ; Suède, 15,2 ; France, 13,9 ; Russie (pour 1922), 7,3 ; Hongrie, 9,7 ; Roumanie, 6,4 ; Etats­ Unis, 10,8 ; Argentine, 9,7 ; Australie, 10,2. On voit que ces derniers pays, considérés comme les greniers de blé de la planète, ont en réalité un rendement beaucoup moindre que les pays surpeuplés, nommés les premiers.

Il est certain que si tous les progrès techniques étaient appliqués partout à l'agriculture, le rendement du sol serait multiplié dans des proportions encore insoupçonnées. La crainte du manque de vivres pour l'humanité est chimérique et tendancieuse. Ceux qui veulent priver la grande majorité des hommes du bien-être, sous prétexte que les produits feraient défaut s'il fallait satisfaire tout le monde, sont des imposteurs ; voulant masquer, derrière un mensonge que la réalité condamne, leurs désirs de conserver leurs privilèges.

La terre, mère et nourricière de l'humanité, est loin d'être épuisée. Par le travail rendu facile grâce au machinisme, par la science pratique humaine, le sol peut donner le confort le plus suffisant à tous. Mais la routine d'une part, et de l'autre l'imbécillité du régime de la propriété individuelle, de la recherche du profit comme seul but au travail plutôt que la satisfaction des besoins, constituent des entraves à l'agriculture aussi bien et même beaucoup plus qu'à l'industrie.

Quand l'association aura remplacé la concurrence étroite, donnant les bienfaits du travail en commun, sans tomber dans les inconvénients du centralisme et de l'autorité ; quand l'agriculture sera considérée au même niveau que les autres branches de l'activité productrice ; quand la solidarité la plus étroite unira la production agricole à la production industrielle, ce qui a marqué jusqu'à présent l'infériorité, sociale mais non naturelle, de l'agriculture aura disparu.

Une erreur a fait considérer trop longtemps la culture­ comme vouée à la routine, et ses travailleurs destinés à rester à l'arrière-plan de la civilisation. Un renouveau d'idées, très significatif, tend à lui redonner la place que son importance de tout premier ordre lui destine dans les préoccupations sociales. Née des premières nécessités humaines, l'agriculture est et restera l'industrie de base, la fondation de toute société.

Georges BASTIEN.