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AME n. f. (du lat. anima, souffle, vie)

C'est un terme vague, imprécis, indéterminé dont la définition varie selon les doctrines philosophiques qui, toutes, s'y sont plus ou moins intéressées. Le mot Ame exprime le principe inconnu auquel on attribue les effets connus et observés que nous sentons en nous. Dans le sens propre et littéral de la langue latine et de celles qui en sont dérivées, l'âme signifie ce qui anime. C'est pourquoi l'on dit « l'âme des hommes, des animaux, quelquefois des plantes » pour signifier leur principe de vie, de végétation, de développement. L'âme est, alors, prise en général pour l'origine et la cause de la vie, pour la vie elle-même.

Dans un sens plus restreint on dit que l'âme est l'ensemble des facultés qui représentent la vie intellectuelle et morale, et le siège, le foyer et la source de la sensibilité, de l'intelligence et de la volonté. Cette définition admise, il s'agit de préciser la nature, la substance de l'âme. Est-elle inhérente au corps et inséparable de ce dernier? Naît-elle, se développe-t-elle, meurt-elle avec le corps? Ou bien possède-t-elle une existence propre, autonome, indépendante du corps qui, dans ce cas, ne serait que son enveloppe mortelle? Si l'on suppose que l'âme vit avant le corps dans lequel elle se loge et survit à ce corps, on se demande où elle se trouvait avant, où elle se trouvera après ; de quelle façon, à quel moment et dans quelles conditions elle pénètre dans le corps et, enfin, de quelle façon, à quel moment et dans quelles conditions elle en sort. On se demande encore si l'âme possède une existence limitée ou sans limites ; si elle commence : où, quand, comment et, si elle prend fin : où, quand, comment?

De plus, si elle ne se confond pas avec la matière qui compose le corps vivant, il y a lieu d'étudier les rapports de toute nature qui existent entre le corps et l'âme, de mesurer l'influence que l'un exerce sur l'autre et inversement ; s'il y a entente étroite et constante entre eux ou, au contraire, conflit incessant, il convient de préciser les conditions de cette association ou de ce dualisme et d'en spécifier les origines et les conséquences.

Ce mot « Ame» et la signification qu'on lui donne ont provoqué - il est aisé de le concevoir et le contraire serait surprenant - les controverses les plus ardentes, les polémiques les plus âpres, les discussions les plus passionnées. Ces discussions ont donné lieu à des systèmes philosophiques variés et contradictoires d'où sont sorties, abstraction faite de certaines écoles dont l'enseignement reste imprécis, deux grandes écoles : l'Ecole Spiritualiste et l'Ecole Matérialiste.

Aux mots : Matérialisme et Spiritualisme, nous nous réservons d'approfondir, autant que faire se peut, dans l'état actuel des connaissances humaines, la doctrine générale de ces deux écoles philosophiques qui se flattent d'interpréter et d'expliquer pour ainsi dire scientifiquement les origines et les manifestations de l'Univers et de toutes les parties qui le composent, l'homme compris.

Dans ces lignes consacrées au mot Ame, nous nous bornerons à citer un passage intéressant du Dictionnaire Encyclopédique de Voltaire, et un extrait du Dictionnaire La Châtre.

Voici le passage du dictionnaire philosophique de Voltaire : « Nous devons mettre en question si l'âme intelligente est esprit ou matière ; si elle est créée avant nous ; si elle sort du néant dans notre naissance ; si, après nous avoir animés un jour sur la terre, elle vit après nous dans l'éternité. Ces questions paraissent sublimes. Que sont-elles? Des questions d'aveugles qui disent à d'autres aveugles : « Qu'est-ce que la lumière? »

« Quand nous voulons connaître grossièrement un morceau de métal, nous le mettons au feu dans un creuset. Mais avons-nous un creuset pour y mettre l'âme? Elle est esprit, dit l'un. Mais qu'est-ce qu'Esprit? Personne assurément n'en sait rien. C'est un mot si vide de sens, qu'on est obligé de dire ce que l'esprit n'est pas, ne pouvant dire ce qu'il est. L'âme est matière, dit l'autre. Mais, qu'est-ce que matière? Nous n'en connaissons que quelques apparences et quelques propriétés ; et nulle de ces propriétés, nulle de ces apparences ne paraît avoir le moindre rapport avec la pensée.

C'est quelque chose de distinct de la matière, dites-vous? Mais quelle preuve en avez-vous? Est-ce parce que la matière est divisible et figurable et que la pensée ne l'est pas? Mais qui vous dit que les premiers principes de la matière sont divisibles et figurables? Il est très vraisemblable qu'ils ne le sont point ; des sectes entières de philosophes prétendent que les éléments de la matière n'ont ni figure ni étendue. Vous criez d'un air triomphant : « la pensée n'est ni du bois, ni de la pierre, ni du sable, ni du métal ; donc, la pensée n'appartient pas à la matière. » Faibles et hardis raisonneurs! La gravitation n'est ni bois, ni sable, ni métal, ni pierre ; le mouvement, la végétation, la vie ne sont rien, non plus, de tout cela ; et cependant la vie, la végétation, le mouvement, la gravitation sont données à la matière. Qu'importe tout ce qu'on a dit et tout ce qu'on dira sur l'Ame ; qu'importe qu'on l'ait appelée entéléchie, quintessence, flamme, éther ; qu'on l'ait crue universelle, incréée, transmigrante ?... Comment donc sommes-nous assez hardis pour affirmer ce que c'est que l'âme. Nons savons certainement que nous existons, qne nous pensons. Voulons-nous faire un pas au delà? Nons tombons dans un abîme de ténèbres et, dans cet abîme, nons avons encore la folle témérité de disputer si cette âme, dont nous n'avons pas la moindre idée, est faite avant nous ou avec nous, si , elle est périssable ou immortelle! »

Un peu plus loin, toujours dans son dictionnaire philosophique, au mot « Ame », Voltaire ajoute: « il faut que je l'avoue : lorsque j'ai examiné l'infaillible Aristote, le docteur évangélique ; le divin Platon, j'ai pris toutes ces épitètes pour des sobriquets. Je n'ai vu, dans tous les philosophes qui ont parlé de l'âme humaine, que des aveugles pleins de témérité et de babil, qui s'efforcent de persuader qu'ils ont une vue d'aigle, et d'autres, curieux et fous, qui les croient sur parole et s'imaginent enfin de voir quelque chose.

Je ne craindrai point de mettre au rang de ces maîtres d'erreurs Descartes et Malebranche. Le premier nous assure que l'âme de l'homme est une substance dont l'essence est de penser, qui pense toujours et qui s'occupe, dans le ventre de la mère, de belles idées métaphysiques et de beaux axiomes généraux qu'elle oublie ensuite.

Pour le père Malebranche, il est bien persuadé que nous voyons tout en Dieu ; il a trouvé des partisans, parce que les fables les plus hardies sont celles qui sont le mieux reçues de la faible imagination des hommes. Plusieurs philosophes ont donc fait le roman de l'âme ; enfin, c'est un sage qui en a écrit modestement l'histoire. Je vais faire l'abrégé de cette histoire, selon que je l'ai conçue. Je sais fort bien que tout le monde ne conviendra pas des idées de Locke ; il se pourrait fort bien que Locke eût raison contre Descartes et Malebranche et qu'il eût tort contre la Sorbonne, je parle selon les lumières de la philosophie, non selon les révélations de la Foi.

Il ne m'appartient que de penser humainement ; les théologiens décident divinement ; c'est tout autre chose ; la raison et la foi sont de nature contraire. En un mot, voici un petit précis de Locke que je censurerais si j'étais théologien et que j'adopte, pour un moment, comme hypothèse, comme conjecture de simple philosophie. Humainement parlant, il s'agit de savoir ce que c'est que l'âme.

1° Le mot d'âme est de ces mots que chacun prononce sans les entendre ; nous n'entendons que les choses dont nous avons une idée ; nous n'avons point d'idée d'âme, d'esprit ; donc, nous ne l'entendons point.

2° Il nous a donc plu d'appeler « âme » la faculté de sentir et de penser, comme nous appelons « vie » la faculté de vivre et « volonté » la faculté de vouloir.

Des raisonneurs sont venus ensuite et ont dit: « L'homme est composé de matière et d'esprit ; la matière est étendue et divisible ; l'esprit n'est ni étendu ni divisible ; donc il est, disent-ils, d'une autre nature. Nous voyons peu le corps, nous ne voyons point l'âme ; elle n'a point de parties, donc elle est éternelle ; elle a des idées pures et spirituelles, donc elle ne les reçoit point de la matière ; elle ne les reçoit point non plus d'elle-même, donc Dieu les lui donne. Donc, elle apporte en naissant les idées de Dieu, de l'infini et toutes les idées générales. »

Toujours humainement parlant, je réponds à ces Messieurs qu'ils sont bien savants. Ils nous disent d'abord qu'il y a une âme et puis ce que ça doit être. Ils prononcent le mot de matière et décident ensuite nettement ce qu'elle est. Et même, je leur dis: « Vous ne connaissez ni l'esprit ni la matière. Par esprit, vous ne pouvez imaginer que la faculté de penser ; par la matière, vous ne pouvez entendre qu'un certain assemblage de qualités, de couleurs, d'étendue, de solidité ; et il nous a plu d'appeler cela matière et vous avez assigné les limites de la matière et de l'âme, avant d'être sûrs seulement de l'existence de l'une et de l'autre.

Quant à la matière, vous affirmez gravement qu'il n'y a en elle que l'étendue et la solidité ; et moi, je vous dis modestement qu'il y a en elle mille propriétés que vous et moi ne connaissons pas. Vous dites que l'âme est indivisible et éternelle ; et vous supposez ce qui est en question. Vous êtes à peu près comme un régent de collège qui, n'ayant vu d'horloge de sa vie, aurait tout d'un coup entre ses mains une montre d'Angleterre à répétition. Cet homme, bon péripatéticien, est frappé de la justesse avec laquelle les aiguilles divisent et marquent les temps, et encore plus étonné qu'un bouton, poussé par le doigt, sonne précisément l'heure que l'aiguille marque. Mon philosophe ne manque pas de prouver qu'il y a dans cette machine une âme qui la gouverne et qui en mène les ressorts. Il démontre savamment son opinion par la comparaison des Anges qui font marcher les sphères célestes et il fait soutenir dans la classe de belles thèses sur l'âme des montres. Un de ses écoliers ouvre la montre; on n'y voit que des ressorts et, cependant, on soutient toujours le système de l'âme des montres, qui passe pour démontré. Je suis cet écolier ouvrant la montre qu'on appelle homme et qui, au lieu de définir hardiment ce que nous n'entendons point, tâche d'examiner par degré ce que nous voulons connaître.

Prenons un enfant à l'instant de sa naissance et suivons pas à pas les progrès de son entendement. Vous me faites l'honneur de m'apprendre que Dieu a pris la peine de créer une âme pour aller loger dans ce corps lorsqu'il a environ six semaines ; que cette âme, à son arrivée, est pourvue des idées métaphysiques, donc connaissant l'esprit, les idées abstraites, l'infini fort clairement ; étant, en un mot, une très savante personne. Mais, malheureusement, elle sort de l'utérus avec une ignorance crasse ; elle a passé dix-huit mois à ne connaître que le téton de sa nourrice ; et lorsque, à l'âge de vingt ans, on veut faire ressouvenir cette âme de toutes les idées scientifiques qu'elle possédait quand elle s'est unie à son corps, elle est souvent si bouchée, qu'elle n'en peut concevoir aucune. En vérité, à quoi pensait l'âme de Descartes et de Malebranche quand elle imagina de telles rèveries? Suivons donc l'idée du petit enfant sans nous arrêter aux imaginations des philosophes.

Le jour que sa mère est accouchée de lui, il est né, dans la maison, un chien, un chat et un serin. Au bout de dix-huit mois, je fais du chien un excellent chasseur ; à un an, le serin siffle un air ; le chat, au bout de six semaines, fait déjà tous ses tours ; et l'enfant, au bout de quatre ans, ne sait rien. Moi, homme grossier, témoin de cette prodigieuse différence et qui n'ai jamais eu d'enfant, je crois d'abord que le chat, le chien et le serin sont des créatures très intelligentes et que le petit enfant est un automate. Cependant, petit à petit, je m'aperçois que cet enfant a des idées, de la mémoire, qu'il a les mêmes passions que ces animaux et, alors, j'avoue qu'il est, comme eux, une créature raisonnable. Il me communique différentes idées par quelques paroles qu'il a apprises et retenues, de même que mon chien, par des cris diversifiés, me fait exactement connaître ses divers besoins. J'aperçois que, à l'âge de six ans ou sept ans, l'enfant combine dans son petit cerveau presque autant d'idées que mon chien de chasse dans le sien ; enfin, il atteint, avec l'âge, un nombre infini de connaissances. Alors, que dois-je penser de lui? irai-je croire qu'il est d'une nature tout à fait différente? Non, sans doute ; car vous voyez d'un côté un imbécile et de l'autre un Newton ; vous prétendez qu'ils sont pourtant d'une même nature et qu'il n'y a de la différence que du plus au moins. Pour mieux m'assurer de la vraisemblance de mon opinion probable, j'examine mon chien et mon enfant pendant leur veille et leur sommeil. Je les fais saigner l'un et l'autre outre mesure ; alors, leurs idées semblent s'écouler avec le sang. Dans cet état, je les appelle ; ils ne me répondent plus ; et, si je leur tire encore quelques palettes, mes deux machines, qui avaient auparavant des idées en très grand nombre et des passions de toutes espèces, n'ont plus aucun sentiment. J'examine ensuite mes deux animaux pendant qu'ils dorment. Je m'aperçois que le chien, après avoir trop mangé, a des rêves : il chasse, il crie après la proie. Mon jeune homme, étant dans le même état, parle à sa maîtresse et fait l'amour en songe. Si l'un et l'autre ont mangé modérément, ni l'un ni l'autre ne rêvent ; enfin je constate que leur faculté de sentir, d'apercevoir, d'exprimer leurs idées s'est développée en eux petit à petit et s'affaiblit enfin par degrés. J'aperçois en eux plus de rapports cent fois que je n'en trouve entre tel sot et tel homme d'esprit. Quelle est donc l'opinion que j'aurai de leur nature? Celle que tous les peuples ont imaginée d'abord, avant que la politique Egyptienne imaginât la spiritualité, l'immortalité de l'âme. Je soupçonnerai même, avec bien de l'apparence, qu'Archimède et une taupe sont de la même espèce, quoique d'un genre différent, de même qu'un chêne et un grain de moutarde sont formés par les mêmes principes, quoique l'un soit un grand arbre et l'autre une petite plante. Je croirai que la matière a des sensations à proportion de la finesse et du nombre de ses sens, que ce sont eux qui les proportionnent à la mesure de nos idées; je croirai que l'huître à l'écaille a moins de sensations et de sens, parce que, ayant l'âme attachée à son écaille, cinq sens lui seraient inutiles.

Il me paraît que voilà la manière la plus naturelle d'en raisonner, c'est-à-dire de deviner et de soupçonner. Certainement, il s'est écoulé bien du temps avant que les hommes aient été assez ingénieux pour imaginer un être inconnu qui est en nous, qui faît tout en nous, qui n'est pas tout à fait nous, qui vit après nous. Aussi n'est-on venu que par degrés à concevoir une opinion si hardie. D'abord, ce mot « âme » a signifié la vie et a été commun pour nous et pour les autres ani­ mau x; ensuite, notre orgueil nous a fait une âme à part et nous a fait imaginer une forme substantielle pour les autres créatures. Cet orgueil humain demande ce que c'est donc que ce pouvoir d'apercevoir et de sentir qu'il appelle âme dans l'homme et instinct dans la brute. Je satisferai à cette question quand les physiciens m'auront appris ce que c'est que le son, la lumière, l'espace, le corps, le temps. Je dirai, dans l'esprit du sage Locke : « La philosophie consiste à s'arrêter quand le flambeau de la physique nous manque. J'observe les effets de la nature ; mais je vous avoue que je n'en conçois pas plus que vous les premiers principes. Tout ce que je sais, c'est que je ne dois pas attribuer à plusieurs causes, surtout à des causes inconnues, ce que je puis attribuer à une cause connue ; or, je puis attribuer à mon corps la faculté de penser et de sentir ; donc, je ne dois pas chercher cette faculté de penser et de sentir dans une autre substance appelée âme ou esprit, dont je ne puis avoir la moindre idée. »

Ainsi s'exprime Voltaire.

Dans le dictionnaire La Châtre, sous la plume d'André Girard, nous trouvons toute une série d'indications et de renseignements qui relèvent moins de la discussion que de la documentation historique. C'est pour cette raison que nous jugeons utile de reproduire ici cette étude.

« La définition de l'âme varie selon les doctrines philosophiques. Ces doctrines peuvent se classifier en quatre catégories, ce qui porte au même nombre les définitions de l'âme.

D'après les doctrines spiritualistes, l'âme serait une substance immatérielle distincte du corps et le siège de la sensibilité, de la volonté et de l'intelligence. Suivant une doctrine dite vitaliste, l'âme serait le principe de la vie chez tout être organisé et vivant. Pour les panthéistes, l'âme est une émanation de la Divinité, une part du grand Tout, distincte ou non du corps. Enfin, la doctrine matérialiste considère l'âme comme une formule, un terme général exprimant l'ensemble des faits de la pensée et du sentiment.

On a prétendu que la notion de l'âme était universelle et que, de tous temps, tous les hommes ont cru à l'existence de leur âme. Rien n'est moins certain. Quelques peuplades sauvages, encore actuellement existantes, n'ont aucune notion non seulement de la Divinité, mais même de l'âme. Il est très vraisemblable que cette notion fut le résultat d'une série de réflexions que provoqua, chez les hommes primitifs, le désir de connaître les causes des phénomènes dont ils étaient témoins. En raison de leur absence de connaissances scientifiques, un grand nombre de phénomènes leur parurent inexplicables. Force leur fut de suppléer par l'imagination à l'insuffisance de leur science. En ce qui concerne l'âme, ils avaient observé que, au moment de la mort, la respiration s'interrompt ; que, en même temps que le dernier souffle s'exhale, disparaissent à jamais toutes les manifestations de la vie ; ils êtablirent entre le souffle et la vie une corrélation étroite puis ils admirent que le souffle était la cause, le principe même de la vie.

La théorie animiste est la première théorie qui ait été formulée sur l'âme. Elle procède d'une erreur de causalité consistant à prendre l'effet pour la cause. Le souffle s'arrête parce que la vie s'éteint ; son arrêt est une conséquence de celui de la vie ; il n'en est pas la cause. Issue de ce faux principe, la théorie animiste se développa, se modifia peu à peu, cherchant à préciser de plus en plus la nature de l'âme admise.

C'est là que les doctrines se séparèrent, cherchant chacune leur voie, aboutissant à des conclusions contradictoires, bien que parties d'un même point. De plus en plus, la notion de l'âme tendit vers l'abstraction. On imagina d'abord que le souffle, représentant l'âme, était un air subtil, d'une matière plus affinée que celle du corps. Telle fut la doctrine des premiers Grecs.

Puis, sa préexistence et sa survivance au corps fut enseignée. La philosophie orientale, la doctrine pythagoricienne admirent la métempsycose, c'est-à-dire la migration des âmes et leur passage successif dans divers corps d'êtres différents. D'autres, comme Héraclite, virent dans l'âme une étincelle du feu divin.

Anaxagore en fait un esprit. Platon admet, lui aussi, l'existence d'une âme distincte du corps. Pour Aristote, elle n'est que la forme du corps, la force qui donne à l'organisme sa vie organique, sensible et intellectuelle ; elle n'a d'existence qu'en lui.

Avec la propagation du Christianisme, on assiste à une renaissance de la doctrine spiritualiste : l'âme immatérielle, distincte du corps et lui survivant. Durant le moyen-âge, chose étrange, ce fut la doctrine aristotélique qui prévalut, bien que le christianisme semble plutôt être issu de la doctrine platonicienne. On ne discute plus d'après des faits, des observations, mais avec des arguments puisés dans l'imagination et disciplinés seulement suivant une formule logique convenue. Les hypothèses les plus fantaisistes furent admises pour expliquer l'âme, son existence, ses propriétés, pour concilier les contradictions découvertes peu à peu par la science grandissante entre les hypothèses reçues et les faits observés. Pourvu qu'elles fussent présentées en un syllogisme en bonne et due forme, leur invraisemblance, leur absurdité même n'étaient d'aucun poids dans leur admission ou leur rejet. L'ingéniosité seule importait, prévalant sur la raison et les faits.

Mais si la notion de l'âme naquit de l'ignorance des faits scientifiques et de leurs causes, si cette ignorance entraîne comme conséquence l'hypothèse d'un principe, d'une substance destinée à les expliquer, par contre, au fur et à mesure des progrès de la science, expliquant un nombre de plus en plus grand de phénomènes jusqu'alors incompréhensibles, la nécessité de cette hypothèse parut de moins en moins évidente. On peut dire qu'aujourd'hui la physiologie est arrivée à une somme de connaissances suffisantes pour que cette hypothèse soit écartée.

De même que Laplace déclarait pouvoir se passer de l'hypothèse Dieu pour expliquer sa conception de l'Univers, de même, aujourd'hui, l'hypothèse âme n'est plus indispensable pour expliquer les phénomènes d'ordre psychique. Déjà, au IVème siècle avant J.-C., Démocrite, le plus grand, le plus puissant génie de l'antiquité, eût l'intuition de la théorie matérialiste moderne. Il en formula les principes fondamentaux, admettant un nombre infini d'atomes se combinant diversement au gré des mouvements multiples qui les animent et de la combinaison desquels résulte l'innombrable diversité des êtres. Les phénomènes psychiques sont les résultats de combinaisons spéciales des atomes les plus déliés, les plus subtils.

La conception matérialiste de l'âme était assez répandue dans les derniers temps du paganisme. Le christianisme survint, qui apporta les idées spiritualistes des religions hindoues. Puis, l'invasion des Barbares, en faisant subir à la civilisation romaine un recul de plusieurs siècles, ramena la philosophie à l'époque de ses plus grossières conceptions. La longue période de brigandages, de guerres continuelles qui suivit arrêta tout essai de la pensée et tout ce qui concernait l'art ou les sciences se réfugia dans les couvents. Là tout l'effort de la pensée se perdit en luttes stériles, sur des questions de dogme, querelles byzantines qui ne firent faire aucun progrès à la philosophie.

Cependant, quelques esprits indépendants, bravant le despotisme et l'intolérance religieuse, posèrent les problèmes généraux de la philosophie. Malgré les persécutions, les supplices de toutes sortes, grâce aux progrès de la science, la pensée philosophique commença à se dégager des doctrines de pure imagination où elle avait sa place. Le philosophe anglais Hobbes ose, en plein XVIIème siècle, formuler la théorie matérialiste ; mais les conséquences qu'il en tire au point de vue social portent l'empreinte de la barbarie de l'époque.

Les doctrines spiritualiste et panthéiste sont formulées par Descartes et Spinoza. Locke, en Angleterre, fait dériver les idées des sensations et pose les bases du « Sensualisme » que Condillac et la plupart des philosophes du XVIIIème siècle développèrent avec tant d'autorité. L'avènement de la doctrine sensualiste concorde avec l'essor que Vésale, Ambroise Paré, Harwez, etc., venaient de donner à la science physiologique.

On le voit : il mesure que la science positive augmente le nombre de ses données, l'hypothèse spiritualiste perd du terrain et la doctrine matérialiste assied plus solidement ses bases. Les grands philosophes du XVIIIème siècle : Voltaire, Helvétius, d'Alembert, quoique n'étant pas rigoureusement matérialistes, contribuent, par leur esprit positif, leur méthode scientifique, aux progrès du matérialisme que développent d'Holbach, Diderot, La Mettrie. En Allemagne, Kant porte à la dialectique un coup fatal et pose, lui aussi, la sensation comme origine des idées, tout en admettant l'existence et l'immortalité de l'âme.

Ce n'est qu'au XIXème siècle, en même temps que les sciences physiologique, biologique et anthropologique acquièrent un développement inouï jusqu'alors, que la doctrine matérialiste, niant l'âme, s'assied sur des bases positives. Auguste Comte, Cabanis, Broussais, Büchner, fondent définitivement le matérialisme, pendant que la doctrine spiritualiste décline avec les philosophes de second ordre : Victor Cousin, Royer Collard, Jouffroy, etc.

Se basant sur la théorie transformiste formulée par Lamarck et développée par Darwin, le matérialisme moderne explique les phénomènes physiques les plus embarrassants jadis, tels que les idées innées, la mémoire, les aptitudes natives, etc., sans avoir recours à l'hypothèse d'une âme spirituelle. Dès lors, que devient la valeur de cette hypothèse, si sa nécessité est nulle pour expliquer les phénomènes de tout ordre? La notion de l'âme spirituelle ira fatalement rejoindre au néant les « entités logiques du moyen-âge. » »

Longues sont ces citations empruntées au dictionnaire philosophique de Voltaire et au dictionnaire La Châtre. Mais l'une et l'autre sont d'un grand intérêt, non seulement par elles-mêmes, mais encore et surtout par rapport aux deux doctrines importantes que nous aurons à étudier aux mots « Matérialisme et Spiritualisme ».

Il se peut que certains esprits ne saisissent pas ou ne conçoivent que confusément les conséquences qui découlent, sur le plan social, de l'adoption de l'une ou de l'autre de ces deux thèses qui se prononcent en sens contraire sur les problèmes les plus considérables de la science et de la philosophie.

C'est pourquoi, nous prions le lecteur de se reporter aux mots « Matérialisme et Spiritualisme ». Ils y trouveront une étude complète qui ne manquera pas de les éclairer et de leur faire toucher du doigt la puissance des liens qui, scientifiquement et socialement, unissent l'Anarchisme à la thèse matérialiste.

Sébastien FAURE.

AME n. f. (du latin anima, souffle, vie)

Le mot âme a toujours eu de nombreuses acceptions. Il sert en général à désigner l'ensemble des facultés morales et intellectuelles, la sensibilité, la conscience, la pensée intime, le sentiment et en somme tout ce qui, chez l'être humain, ne se rattache pas directement à l'enveloppe charnelle. Nous sentons, nous pensons, nous voulons. On désigne sous le nom d'âme ce qui en nous sent, pense et veut. Diversement dénommée, niée par certaines écoles philosophiques, l'activité spirituelle reste irréductible jusqu'ici à toute explication mécanique ou physiologique. L'école spiritualiste voit en tout de la pensée, de l'âme ; pour l'école matérialiste, la pensée est un produit du cerveau. Les religions sont venues compliquer à leur tour ce problème déjà bien assez complexe par lui-même. La croyance en l'immortalité de l'âme est un des dogmes fondamentaux du christianisme. Malgré tous les efforts des philosophes la question semble devoir rester longtemps encore insoluble. (Voir Matérialisme, Spiritualisme, etc ... )