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ANTHROPOMORPHISME n. m. (du grec anthrôpos, homme, et morphê, forme)

Le sens de ce mot diffère selon qu'on le considère du point de vue religieux ou du point de vue philosophique.

Dans le premier cas, qui est le plus particulier, il exprime ce fait historique que l'une des premières manifestations de l'instinct religieux chez l'homme, après l'animisme et le naturisme, fut de créer des dieux à son image, en d'autres termes, d'anthropomorphiser la divinité.

Sorti de la période barbare où il faisait grossièrement ses dieux, avec toutes les choses vivantes ou non vivantes qui l'entouraient, ou qu'il voyait au firmament, il accomplissait un grand progrès, en les tirant de sa propre personne. Ce progrès produisit de véritables miracles en Grèce, car, par lui, par le polythéisme qu'il inspira, naquit et se développa l'art hellénique, c'est-à-dire l'expression la plus parfaite de la Beauté plastique. Au point de vue philosophique, on peut dire que toute la civilisation grecque fut, dans sa courte mais inégalable évolution, le fruit de l'anthropomorphisme.

Les Grecs lui durent non seulement les chefs-d'œuvre de Phidias et de Praxitèle, mais aussi l'Illiade, l'Odyssée, et les plus grands de leurs tragiques... Que serait l'œuvre d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, et même d'Aristophane sans les dieux créés par l'homme qui à la fois dominent, dirigent et partagent sa destinée, et qu'il n'a différencié de lui-même qu'en leur accordant généreusement l'immortalité.

Malheureusement pour l'évolution et l'émancipation de l'esprit humain, les religions, qui se disent les plus épurées, malgré tout le spiritualisme et l'idéalisme affichés par elles, sont restées à l'état anthropomorphique. Témoin la religion catholique qui, fermée à tout progrès scientifique, en est encore à un dieu fait homme dont les fidèles anthropophages mangent le corps et boivent le sang. Aucune hypostase, en effet, ne peut effacer le réalisme de l'Eucharistie, et de la religion catholique tout entière.

« Dieu a fait l'homme à son image », proclame-t-elle. Il est vrai que Voltaire ajoute: « L'Homme le lui a bien rendu ».

Mais s'il est vrai que l'homme est l'image de Dieu, en le mangeant il dévore son semblable.

Du reste, tous les philosophes ont constaté depuis bien longtemps cette tendance de l'homme à anthropomorphiser même les concepts les plus abstraits : celui de « temps » par exemple. Pour la masse, c'est un vieillard à longue barbe armé d'une faux. Et nous­ mêmes, ne disons-nous pas communément, quand il pleut, quand il neige ou quand il vente : « Ce cochon de Temps ! » comme Guy de Maupassant disait : « Ce cochon de Morin! »

P. VIGNÉ-D'OCTON