Accueil


APPEL (Cour d') n. f. 

Tribunal dont la fonction est d'examiner en deuxième instance tous les procès correctionnels ou civils dont l'issue a été contestée soit par le condamné, soit par le plaignant ou le procureur de la République.

Cette institution est une des plus grandes hypocrisies des régimes étatiques.

Si l'on veut uniquement s'en tenir à la lettre, on peut croire que c'est un maximum de garantie de liberté qui fut accordé au citoyen en dotant le système judiciaire d'une Cour d'Appel au siège de chaque ressort juridique.

En effet, que dit le Code d'Instruction Civile et Criminelle?

Ceci : « Chaque fois qu'un citoyen aura comparu devant un tribunal de première instance et qu'il croira avoir été condamné à tort, il pourra faire appel de ce jugement auprès du procureur de la République, lequel sera tenu de communiquer le dossier à une chambre d'appel qui, en une audience contradictoire, aura à statuer sur le bien fondé de l'appel.

« L'appelant aura toute faculté pour apporter au cours de cette audience, les arguments en faveur de sa non-culpabilité. La chambre d'appel se prononcera donc en toute indépendance et ayant en mains tous les éléments de la cause.

« Elle pourra annuler, diminuer, maintenir ou aggraver, s'il y a lieu, le premier jugement. »

Or, du commencement à la fin, il y a dans l'application de ce texte, la plus noire hypocrisie.

D'abord, l'avocat-général, au nom de l'Etat, demandera toujours le maintien ou l'aggravation de la peine.

Ensuite, la composition même de la Cour d'Appel est un défi au bon sens.

Car tous les conseillers à la Cour sont d'anciens présidents de correctionnelle ou juges d'instruction. Et l'on sait que la solidarité professionnelle - qui est en grand honneur dans la. magistrature - oblige les conseillers à maintenir les jugements de leurs confrères.

Chaque conseiller se souvient alors, qu'il fut, avant d'occuper cette charge, un juge plus modeste - il se rappelle que, s'il avança en grade, c'est parce que les conseillers à la Cour n'annulèrent jamais ses sanctions - car chaque fois qu'un jugement est annulé, c'est un retard dans l'avancement pour le juge désavoué. Et alors, il fait pour ses successeurs de correctionnelle ce qu'il fut heureux qu'on fasse pour lui-même.

Et puis, pour un procès d'opinion, quelle infecte comédie!

Le militant est poursuivi par le Gouvernement, condamné en correctionnelle par ordre du Gouvernement - il est donc obligé d'être maintenu en prison par les conseillers dont l'avancement dépend du Gouvernement.

Aussi ne voit-on jamais de militant acquitté par la Cour d'Appel. Chaque fois, la sentence est confirmée - ou aggravée.

L'institution même de la Cour d'Appel est un non-sens qui nous donne raison, à nous, anarchistes, quant à notre critique de toutes les magistratures. 

Nous disons, en effet, que nul ne peut juger son semblable, parce que son jugement peut être entaché d'erreur, car nul être ne peut se prétendre infailliblement équitable.

Or, la magistrature de l'aveu même du système judiciaire, n'est pas apte à juger puisqu'elle est reconnue faillible, sujette à erreurs - puisqu'on dit au justiciable :

« Nous allons vous donner des juges, mais ceux-ci peuvent se tromper - et pour réparer leurs erreurs (au cas où ils en commettraient), nous vous donnons la faculté de vous pourvoir devant d'autres juges moins sujets à erreur que les premiers : les conseillers à la Cour. »

Et qui sont ces conseillers, plus sûrs que les simples juges? D'anciens juges eux-mêmes. Quelle est donc la qualité qui fait d'eux des juges plus sûrs maintenant qu'il y a seulement six mois, alors qu'ils n'étaient que de simples présidents de correctionnelle? L'avancement, dû aux intrigues, au favoritisme et à l'âge.

On voit que la sûreté de jugement tient à bien peu de chose.

Et encore, on ne dit pas que ces conseillers sont infaillibles - on les reconnaît, eux aussi, capables d'erreurs, puisqu'on a mis au-dessus d'eux la Cour de Cassation.

En vérité, la farce judiciaire est toujours jouée aux dépens du malheureux qui a maille à partir avec les chats-fourrés. Innocent ou coupable, le pauvre diable qui est condamné en correctionnelle ne peut espérer qu'une issue en interjetant appel : de nouveaux frais de justice, l'augmentation de l'amende et l'aggravation de sa condamnation.

On dit que les loups ne se mangent pas entre eux.

Les chats-fourrés non plus.

Tous ceux qui furent assez naïfs pour espérer en la Cour d'Appel ont pu le constater amèrement.

Louis LORÉAL