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ARGENT n. m. (du latin argentum)

Métal blanc, brillant et très ductile, sonore, tenace, d'une pesanteur spécifique de 10.44, fusible à la température du rouge blanc (1.000 degrés), malléable, inaltérable à l'air pur. La nature contient une assez grande quantité de ce métal ; quelquefois il se rencontre en masses d'un volume assez considérable, ou dissimulé en particules imperceptibles dans des argiles ou dans des dépôts ferrugineux. L'argent natif contient souvent des traces d'antimoine, d'arsenic, de fer, de cuivre ; les gangues pierreuses de l'argent sont ordinairement le calcaire, le quartz et la barytine. L'argent forme avec l'or et le cuivre des alliages qui constituent les objets d'orfèvrerie et les monnaies. L'alliage d'argent a plus de dureté que le métal pur et conserve mieux que lui les empreintes et les formes qu'on lui a données. On appelle titre de l'argent la quantité d'alliage que la loi permet d'y faire entrer. Le nitrate d'argent est l'argent pur dissous dans l'acide nitrique ou azotique. Le nitrate d'argent est un poison très énergique dont l'antidote est le sel de cuisine délayé dans l'eau.

On trouve des minerais d'argent dans le nord de l'Europe : en Suède, en Norvège, en Russie ; mais les plus riches du monde sont ceux du Mexique et du Pérou. Le bromure et azotate d'argent ont une importance capitale en photographie. Ces notions élémentaires sur l'argent considéré comme faisant partie, en chimie, du groupe des métaux suffisent à nos lecteurs. Elles expliquent en partie pourquoi ce métal a pris place parmi ceux qui sont utilisés comme monnaie d'échange et comme signe représentatif de la valeur des marchandises et de tous objets destinés à la vente et à l'achat.

Dans son sens le plus général, le mot « Argent » est synonyme de numéraire, de valeurs quelconques : or, actions, obligations, billets de banque, etc. « L'argent du Trésor, de la Banque, avoir de l'argent chez soi, de l'argent en caisse, de l'argent placé. Recevoir, toucher de l'argent. Avancer, prêter de l'argent. Attendre après son argent. Dépenser de l'argent. Perdre ou gagner de l'argent dans une affaire. Ne rien faire que pour de l'argent. Payer argent comptant. Faire argent de tout. Etre à court d'argent. Courir après son argent. N'avoir pas besoin d'argent. Dépenser un argent fou. Etre un bourreau d'argent. Y aller bon jeu, bon argent. Semer l'argent. Plaindre son argent. On voit que le mot argent entre dans une foule de locutions courantes. Il entre aussi dans nombre de proverbes, dictons et sentences : point d'argent, point de Suisse. L'argent n'a point d'odeur. L'argent ne fait pas le bonheur. L'argent est le Maitre du Monde. Notre siècle est le siècle d'argent. Tout s'incline devant Sa Majesté l'Argent. L'argent est le nerf de la guerre.

L'usage extrêmement fréquent qui est fait de ce terme : « Argent » proclame hautement la place énorme qu'il occupe dans les relations de toutes sortes et dans toutes les circonstances de la vie. Dans une société dont la structure économique repose sur le profit, l'argent - nous le prenons ici dans son acception la plus large qui est en même temps la plus courante - confère à ceux qui le détiennent, en réalité ou en apparence, toutes les prérogatives, tous les avantages, toutes les vertus, toutes les supériorités. Il donne de l'intelligence aux niais, de la jeunesse aux vieux, de la beauté aux laids, de la délicatesse aux brutes, de la vertu aux pervers. Il plaide avec succès les causes les moins défendables et les fait triompher. Il se glisse dans toutes les relations humaines et y introduit la bassesse, le calcul, l'intrigue, la convoitise et la haine. Dans les rapports sexuels, il oppose la vente au don, la prostitution à l'amour. Dès que la question d'argent surgit entre amis, l'amitié se dissout. Dans les pourparlers qui aboutissent, par le mariage, à la fondation d'un foyer, à la constitution d'un ménage, à la formation d'une famille, les considérations d'argent prévalent sur toutes les autres et, dans la comédie qui se joue entre conjoints, le notaire qui dresse le contrat est souvent un personnage plus important que les époux eux-mêmes. Qui dira le nombre des familles qui ont été désunies, disloquées par de misérables questions d'argent? Qui calculera la foule d'enfants et de petits-enfants, de neveux et de cousins qui ont ardemment désiré, fébrilement attendu, ou hypocritement hâté la mort du père, de la mère, de l'oncle ou du cousin dont ils guettaient impatiemment l'héritage? Qui dressera l'inventaire des jugements rendus sous l'influence ou la pression de l'argent? Qui établira la statistique des consciences que l'argent a achetées? Qui supputera l'ignominie des trafics auxquels l'argent a présidé et des contrats conclus par l'unique apport de l'argent? Qui écrira comme il conviendrait le drame lugubre des mensonges, des fraudes, des trahisons, des infamies et des crimes dont le torrent a eu pour source l'argent?

C'est par l'argent que, presque toujours, les sentiments les plus nobles sont avilis, les contacts les plus purs souillés, les actions les plus hautes abaissées! C'est par l'argent, que, presque toujours, les volontés les plus fermes sont amollies et les intelligences les plus lumineuses obscurcies!

« L'argent, l'argent, dit-on, sans lui tout est stérile ;

La vertu sans argent est un meuble inutile ;

L'argent seul au Palais peut faire un magistrat ; 

L'argent en honnête homme érige un scélérat. »

BOILEAU.

« A Paris! dans nul pays l'axiome de Vespasien (L'argent n'a pas d'odeur) n'est mieux compris ; là, les écus tachés de sang ou de boue ne trahissent rien et représentent tout. Pourvu que la société sache le chiffre de votre fortune, personne ne demande à voir vos parchemins. » 

BALZAC.

« La voracité du porc est insatiable comme la cupidité de l'avare. Il ne craint pas de se vautrer dans la fange ; il s'engraisse des plus immondes substances ; tout fait ventre pour lui. » 

TOUSSENEL.

Il appartenait au régime capitaliste, parvenu de nos jours au point culminant de son développement, d'élever la puissance de l'Argent à un niveau qui n'avait pas, encore été atteint et qui ne peut être dépassé. Aucune époque n'a mérité autant que la nôtre d'être appelée le siècle de l'Argent. A aucun moment de l'histoire, la souveraineté de l'Argent n'a été aussi indiscutable. Plus vile dans ses origines et plus affameuse et oppressive dans les moyens dont-elle dispose et les méthodes qu'elle emploie que toutes les autres féodalités, celle de l'Argent domine présentement le monde. La fortune de certains milliardaires : rois du rail, du blé, du pétrole, du fer, de l'acier, est un aimant d'une incalculable surface, dont la puissance d'attraction absorbe tout le travail humain. Les ressources que possède la finance internationale mettent celle-ci en mesure d'accaparer toute la production mondiale et d'en monopoliser tous les profits. Tous les Etats sont à la merci de ces formidables puissances d'Argent dont, par ricochet, tous les particuliers sont les tributalres et les esclaves. (Voir : Accaparement, Accumulation des richesses, Capitalisme, Bourses du Commerce et des Valeurs). Les quelques milliers d'individus richissimes, qui ont un pied dans toutes les grandes entreprises, tiennent sous leur dépendance absolue les chefs d'Etat, les Parlements, les Ministres, les Diplomates, les chefs militaires, les représentants de la grande Presse et, par le truchement de ceux-ci, ils mènent, dirigent et gouvernent les peuples. Calme ou tempête, abondance ou disette, travail ou chômage, paix ou guerre, la vie des collectivités humaines dépend de la volonté de ces manieurs d'argent, de leur entente ou de leur rivalité.

L'Argent est le symbole de la société bourgeoise. « En­ richissez-vous! » a conseillé l'historien et ministre Guizot ; et ce conseil est plus suivi que tout autre à notre époque d'agio et de spéculation où tout est à vendre et où presque tout le monde ne vit et ne travaille que pour gagner de l'argent, beaucoup d'argent.

L'argent crée un privilège extraordinaire : celui qui possède de l'argent en certaine quantité n'est pas dans l'obligation, pour suffire à ses besoins, de produire quoi que ce soit. Il lui suffit de placer son argent avec adresse et prudence, pour que, fécondé par le travail des autres, celui-ci fructifie. L'enfant qui trouve dans son berceau « cent mille francs de rente » a la faculté, sans jamais rien produire, sans se livrer à un travail quelconque, de dépenser chaque année, en objets de consommation et produits de toutes sortes, jusqu'à concurrence de cette somme de cent mille francs. Il est évident que, ne produisant rien lui-même, il vit de la production des autres. C'est, à proprement parler, un vol caractérisé et il est scandaleux que la Loi consacre et que la force publique protège cette spoliation.

Il en est pourtant ainsi. Il y a pis : après avoir vécu dans le bien-être et l'oisiveté, cet homme, en possession d'un revenu de cent mille francs meurt. Gardez-vous de croire que son argent revient à ceux dont le travail a assuré son bien-être. Devenu père, il transmet à ses enfants son argent, et ceux-ci bénéficient à leur tour du même régime que leur père. Il y a pis encore : si ces parasites, père et enfants, dépensent moins de cent mille francs l'an, ils ont soin de « placer » la différence ; celle-ci vient s'ajouter à l'argent mis antérieurement en réserve ; ce nouveau tas d'argent vient augmenter le revenu familial ; il fait - comme dit le populaire - des petits et, après quelques générations, il se produit ce fait qui serait incroyable si de multiples exemples n'en attestaient pas l'exactitude : de père en fils, cette famille double, triple, décuple sa fortune, sans jamais rien faire, par la puissance de fructification de l'argent qu'elle détient. Il est, cependant, hors de doute que, abandonné à lui-même, cet argent serait frappé de stérilité organique et qu'il ne fructifie que dans la mesure où il est fécondé par le travail d'autrui. Cette simple observation fait comprendre mieux que les démonstrations les plus savantes, l'immoralité de la rente, du revenu, de l'intérêt de l'Argent et, partant, celle de l'Argent lui-même et du Régime Social qui lui assure pleins pouvoirs.

Abusant de l'ignorance des pauvres en matière de placement (les « sans-argent » n'ont rien à placer et ne perçoivent pas le mécanisme de la rente, de l'intérêt et du revenu), les juristes et économistes bourgeois ne manquent pas de prétendre que « les cent mille francs de rente », que l'enfant dont il est parlé plus haut a trouvés dans son berceau, sont le fruit et la récompense du travail accompli et des économies réalisées par ses ascendants.

Nous répliquons : « C'est un mensonge. Il n'y a jamais eu, il n'y a pas de producteur qui, sur son travail personnel, sur son salaire, ait eu, ait la possibilité de vivre, d'élever sa famille et d'épargner une telle fortune. Il n'a pu amasser cet argent que par le vol ou l'exploitation. Celui qui travaille aux champs ou à l'usine et qui vit de sa production a déjà grand mal à équilibrer le maigre budget de sa famille ; voulût-il épargner et s'y appliquât-il opiniâtrement, il ne pourrait économiser que fort peu d'argent et encore faudrait-il qu'il ne fût jamais malade ou sans travail et qu'il s'imposât, au détriment de sa santé et de celle des siens, les plus dures privations. Au surplus, dans l'hypothèse que l'argent mis de côté par lui ait été réellement le fruit de son travail personnel et le résultat de ses économies, il n'en reste pas moins que du jour où ses héritiers mis en possession de cet argent ont grassement vécu dans la fainéantise, ils n'ont pu le faire qu'en prélevant sur le travail productif des autres de quoi faire face à leurs dépenses. Et ce prélèvement est proprement un vol. »

En réalité et au fond, toutes les personnes avisées et réfléchies se rendent compte des méfaits et des forfaits dont l'Argent porte la responsabilité. La plupart approuvent le réquisitoire que les révolutionnaires prononcent contre l'Argent et les conséquences scélérates qu'entraîne sa souveraineté. Plus âpre est notre critique, plus violentes et amères sont nos diatribes et plus elles sont approuvées. Mais infime encore est la minorité qui nous suit jusque dans nos conclusions. Celles-ci sont toujours les mêmes : l'Argent, en tant que valeur représenttaive et d'échange, doit-être aboli. Il est absurde de faire le procès des lâchetés, des bassesses, des vilenies, de la corruption et des crimes dont il est la cause et de reculer devant la nécessité de supprimer cette cause.

Il tombe sous le sens que, en Anarchie, l'argent ainsi que l'or, les billets de banque, les titres et valeurs de toute nature, n'auront plus de raison d'être. Le Communisme libertaire n'aurait, sur le terrain des réalités, aucun sens positif, si, l'opposition entre le tien et le mien ayant disparu, il demeurait possible, à l'aide d'un papier, d'un titre ou d'une monnaie quelconque, d'acheter, de trafiquer, de thésauriser.

En Anarchie, l'Argent, qui signifie aujourd'hui : Fortune, Richesse, Avoir, Capital, Propriété, sera aboli. (Voir ces mots.) 

- SÉBASTIEN FAURE