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BIOLOGIE n. f. (du grec : bios vie, et logos discours)

Comme toutes les autres sciences, et encore davantage qu'elles, la biologie n'a commencé à faire de réels progrès que depuis le moment où, devenue anarchiste, elle ne reconnut plus ni Dieu, ni maître, ni prêtres, ni philosophes.

L'explication théologique de la vie, présentée comme une émanation immatérielle de la puissance divine, suffit longtemps aux esprits paresseux asservis aux disciplines ecclésiastiques et fut imposée aux penseurs libres par la force coercitive de l'Église, appuyée sur les deux institutions types d'autorité ; l'Inquisition et l'État. Elle satisfaisait les premiers en les dispensant de recherches difficiles et dangereuses ; elle bâillonnait les seconds en les réduisant à des cogitations secrètes et à un enseignement ésotérique. Chaque tentative d'un exposé rationnel des choses se heurta à une répression, de cruauté décroissante avec les âges, mais toujours immuable dans ses desseins de refoulement mental ; la cigüe de Socrate, le bûcher de Giordano Bruno, l'abjuration solennelle de Galilée, la rétractation de Buffon. Et c'est pourquoi, pendant des milliers d'années, la vérité échappa à la majorité des hommes, malgré le nombre et la vivacité d'intelligences au moins égales à celles des temps contemporains. Elle se révéla et triompha lorsque, sous l'action de la vie elle-même se développant d'une façon tacite et imperceptible le long des siècles, elle s'épanouit enfin brusquement et, en une splendide révolution intellectuelle, renversa les idoles et ruina les temples.

Prêtres laïques, les philosophes voulurent voir dans la vie autre chose qu'elle-même. Ils insufflèrent des abstractions dans lesquelles ils cachèrent du vide. Pour les vitalistes, les êtres et le monde en général étaient soumis à l'action d'une ou de plusieurs « forces vitales », indépendantes de l'âme, principe distinct immatériel, et des phénomènes mécaniques, chimiques, physiques de la matière. Cette force vitale, on ne la saisissait pas, ne la mesurait pas, ne l'expérimentait pas, ne cherchait pas à la modifier, on l'affirmait et y ajoutait foi. Les animistes identifiaient cette force vitale avec l'âme, manifestation purement spirituelle, jouant dans les organismes terrestres et le cosmos, mais sans s'y confondre, un rôle d'impulsion, de développement, de direction vers un but défini selon un plan harmonieux et préétabli. Tout cela n'était que répétition, piétinement. Chassé par la grande porte, Dieu tentait de rentrer dans le temple par les vitraux percés.

Les hommes de science s'y opposèrent. La doctrine scolastique et autoritaire veut justifier la vie par un créateur, hypothèse gratuite et stérile, ou par des idéologies verbales et sans contenu réel ; elle prétend ainsi expliquer le connu par l'inconnu. Rompant avec cette méthode surannée, cessant de méditer et de rêver, le savant moderne ouvre les yeux, contemple les manifestations présentes de la vie ; observe, expérimente, suppose, vérifie, conclut s'il le peut, doute toujours, forge des hypothèses qu'il retrempe constamment par les épreuves de l'expérimentation. Il tente d'aller du connu à l'inconnu, d'arriver à celui-ci par des approximations successives de plus en plus précises ; il tend à la vérité sans jamais se vanter de l'atteindre. De ces études, de ces expériences, de ces conjectures, de ces vérifications sortit la conviction que la vie est un ensemble d'actions et de réactions physicochimiques d'une extrême complexité, d'origine primordiale inconnue et peut-être inconnaissable, de devenir ultime incertain, mais d'un déterminisme actuel rigoureux.

En effet la chimie, dont l'essor date de la fin de ce prestigieux XVIIIe siècle, appliqua sa méthode d'analyse à toutes les substances, tant minérales qu'organiques, rencontrées dans la nature et y découvrit une composition élémentaire absolument identique ; les êtres vivants, animaux et végétaux, comme les corps bruts renferment toujours du carbone et de l'hydrogène, très souvent de l'oxygène et de l'azote, en combinaisons diverses ; puis du phosphore, soufre, manganèse, fer, calcium, potassium, sodium, chlore, iode, arsenic, etc. Le fait devint indéniable, corroboré par des réactions connues, indéfiniment renouvelables par tous les chercheurs se plaçant dans les mêmes conditions de manipulation. Bien plus, l'étude comparée du spectre solaire et du spectre des divers métaux a prouvé d'une manière péremptoire l'existence, dans le soleil et dans les planètes, de ces mêmes corps simples isolés dans les substances terrestres. Magnifique témoignage de l'unité et de là continuité de la vie dans l'immense univers dont notre globe n'est qu'une parcelle infime !

L'homme ne se contenta pas de cette dislocation de la matière organique ou de ses composants simples. Il reprit les produits de cette analyse et par des artifices divers en réussit la synthèse, parvint à créer de toutes pièces les substances bien définies normalement élaborées par les actions vitales. Ainsi furent successivement réalisées la synthèse de l'urée par Wobler, celle de l'acétylène par Berthelot. Cette dernière engendra de nombreuses et très importantes conséquences théoriques et pratiques. En partant de l'acétylène, on arriva à former de la benzine ; des alcools, des éthers, des aldéhydes ; des corps ternaires (hydrogène, oxygène, carbone) ; des corps quaternaires (hydrogène, oxygène, carbone, azote) très voisins de l'albumine dont est principalement composée la matière vivante.

La physicochimie découvrit que les corps en apparence homogènes, se décomposent en particules très petites, spécifiquement différenciées pour chacun d'eux, ayant leurs caractères propres, pouvant entrer en combinaison plus ou moins stable avec les autres espèces chimiques, mais reprenant leur état originel lors de la séparation des constituants du complexe. Ces particules portent le nom de molécules, visibles au microscope mais invisibles à l'œil nu. Leur existence se présume aussi par les phénomènes de dissolution du sucre dans de l'eau, par exemple : le liquide formé est une substance nouvelle où l'on ne distingue plus nettement ni le sucre ni l'eau, mais où les deux éléments se trouvent mêlés, juxtaposés mais présents et identiques à eux-mêmes puisque l'évaporation permet de les isoler et de les restituer en leur nature antérieure : ce qui persiste immuable dans la solution sucrée et dans le sucre recristallisé, ce sont, sous des structures dissemblables, des molécules de sucre et d'eau, dont seul le mode d'agrégation diffère pour donner tantôt un solide, tantôt un liquide.

Un mouvement incessant agite ces molécules, comme le prouve la diffusion spontanée et réciproque d'un liquide plus léger dans un liquide plus dense, par exemple celle de l'alcool surnageant d'abord l'eau d'un vase, puis se mélangeant peu à peu à elle jusqu'à dissolution parfaite sous l'influence évidente d'un actif déplacement moléculaire. Il n'y a donc pas pour les particules élémentaires d'état d'équilibre stable. D'ailleurs, « comme l'homogénéité, l'équilibre n'est qu'une apparence qui disparaît si l'on change le grossissement sous lequel on observe la matière. Plus exactement cet équilibre correspond à un certain régime permanent d'agitation désordonnée. À l'échelle ordinaire de nos observations, nous ne devinons pas l'agitation intérieure des fluides, parce que chaque petit élément de volume gagne à chaque instant autant de molécules qu'il en perd, et conserve le même état moyen de mouvement désordonné. (J. Perrin, « les Atomes », page 8.)

Ces molécules mobiles ne constituent pas le dernier terme de l'analyse physicochimique. On y a décelé un ou plusieurs éléments appartenant chacun à une sorte déterminée, de fonction irréductible, appelés « atomes », doués d'un mouvement de gravitation extrêmement rapide. Ces atomes présentent une masse centrale, véritable « électron positif » autour duquel tourbillonnent un certain nombre d' « électrons négatifs ». « Ces électrons ne sont pas matériels, au sens ordinaire du mot : la matière n'est que l'apparence que prend pour nos sens l'énergie qu'ils représentent, énergie colossale dont la valeur a pu être calculée : elle se chiffre, pour un seul gramme, par des millions de kilogrammètres. Les vitesses de rotation des électrons négatifs sont, elles aussi, prodigieuses et, fait singulier, elles sont de même grandeur que les fréquences vibratoires de la lumière, soit des centaines de trillions par seconde. (J. Anglas, « Depuis Darwin »). » Ce qui revient à dire que les corps électrisés, électrons positifs et négatifs, constituent des centres réciproques d'attraction ou de répulsion, susceptibles de déterminer du mouvement par l'action du mouvement dont ils sont eux-mêmes animés. (Edmond Perrier.)

Sous des influences diverses, les atomes subissent des changements dans leur architecture, dont la dislocation engendre des groupements particuliers d'électrons tous de même charge électrique, positive ou négative ; cette métamorphose dans l'état électronique des atomes s'appelle « ionisation » ; et un « ion » se définit comme une partie d'atome isolée de son groupement originel, ou comme une réunion de parties d'atome séparées de leur centre primitif. À l'inverse des atomes composés à la fois d'électrons de charge positive et négative, les ions ne renferment que des électrons de même signe négatif ou positif ; ils sont mutuellement et temporairement indépendants et prêts à de nouvelles combinaisons atomiques. La Libération des ions et leur regroupement constituent les phénomènes primordiaux de la chimie organique et biologique.

Les substances naturelles se présentent sous deux états distincts : cristalloïde et colloïde. Les cristalloïdes, comme le sel, se dissolvent dans l'eau par une sorte d'explosion de leurs molécules qui se séparent violemment en exerçant une forte pression sur les parois membraneuses, qu'elles traversent facilement (phénomène de l'osmose). Les colloïdes, tels que la gélatine, absorbent de l'eau, fondent mais sans dispersion de leurs molécules qui, au contraire, restent agglomérées et ne pénètrent pas les membranes. Ils se composent de particules microscopiques mouvantes appelées « micelles », Plus volumineuses que les molécules des cristalloïdes, les micelles ont une organisation plus complexe, semblable à celle des atomes matsa une échelle plus grande : masse centrale électronique, autour de laquelle gravitent des ions libres de signe électrique contraire et en état permanent d'équilibre instable. La micelle perd des ions, en acquiert d'autres en incessante agitation. Quand, sous une influence quelconque, elle perd sa charge électrique, elle se coagule (phénomène de la floculation). L'état colloïdal s'obtient expérimentalement par divers procédés chimiques ou physiques. « Ainsi un arc électrique puissant, qui jaillit dans l'eau entre deux électrodes de platine, produit une pulvérisation tellement ténue du métal, que celui-ci prend l'état colloïdal, véritable suspension micellaire. Par ce moyen et par d'autres, beaucoup de corps simples, métaux ou métalloïdes, ont été obtenus sous forme colloïdale : or, argent, soufre, mercure, etc. (J. Anglas, loco citato, p. 78.) », Ces métaux colloïdaux possèdent le pouvoir de « catalyse », c'est-à-dire de déterminer par leur présence des combinaisons chimiques, de véritables synthèses organiques.

L'étude de la matière vivante a montré en elle un véritable colloïde très instable, à micelles électroniques de charge variable, en état successif mais constant soit de dispersion soit de floculation. Quelques micelles très ténues, appelées « diastases », jouent le rôle des métaux catalyseurs et provoquent des synthèses, obtenues d'ailleurs indifféremment par l'action des diastases ou des catalyseurs : soufre, phosphore, manganèse, zinc, calcium, contenus dans les albuminoïdes. Les produits de ces synthèses constituent les « sécrétions » que la cellule, ou colloïde organique, déverse dans les glandes, dans la circulation générale ou à l'extérieur. Qu'elle appartienne à un colloïde organique ou à la matière vivante, une micelle subit des modifications incessantes ; « par ses échanges continuels d'ions et de charges électriques avec le milieu, elle n'est identique à aucune autre, ni à elle­ même à deux moments différents ; cependant on peut dire qu'elle continue à exister malgré ces modifications. Mais cette expérience ne se maintient que dans une certaine zone d'équilibre qui ne doit pas être dépassée sous peine de dislocation totale et de mort. Le passage d'un état d'équilibre à un autre correspond à ce que l'on nomme, pour l'ensemble d'un être vivant, l'adaptation, la variation ou la mutation. On a même constaté chez les micelles une véritable accoutumance ; elles peuvent supporter peu à peu des doses croissantes d'un électrolyte qui, de prime abord, les auraient démolies brutalement. (J. Anglas). »

À ce moment de la science biologique, et malgré que celle-ci en soit seulement à ses premières acquisitions définitives, il demeure établi que la vie est un ensemble d'actions et de réactions physicochimiques dont le mouvement constitue le processus initial. Dans les minéraux, les végétaux, les animaux, l'analyse découvre les mêmes corps simples, de structure moléculaire et atomique identique, mus par de semblables manifestations électroniques, subissant d'analogues excitations catalytiques et diastasiques pour se transformer ou produire des substances nouvelles. Mais combien innombrables, variées, complexes, les formes des choses et des êtres issus des modes multiples d'agrégation de ces molécules primitives ! Et l'ingéniosité des hommes parvint à recréer de toutes pièces quelques-unes de ces formes, à dissocier puis à regrouper les éléments primordiaux en de remarquables synthèses.

Nul, objecte-t-on, ne réussit à fabriquer dans son laboratoire la moindre parcelle végétale ou animale vivante capable d'assimilation et de reproduction. Il est vrai, pas encore. Mais qui oserait en décréter l'Impossibilité, alors que le génie humain, jusqu'ici stupéfié par les dogmes religieux, commence à peine ses libres investigations ? Il y a quelques années, le phénomène de l'assimilation chlorophyllienne apparaissait mystérieux, quasi-miraculeux. Sous les radiations solaires, la plante aspirait dans le sol de l'eau chargée de sels minéraux, captait par ses feuilles l'acide carbonique de l'air, exhalait de l'oxygène, et, au niveau de ces mêmes feuilles, réalisait le prodige de la création de matières organiques, d'hydrates de carbone, fabriquait du sucre et de l'amidon. Elle absorbait de l'énergie cosmique, c'est-à-dire du mouvement, prenait des ions, en libérait d'autres, transformait les charges électroniques et engendrait un nouvel équilibre moléculaire. La plante créait ainsi une forme supérieure ou plus développée de vie minérale, la vie végétale, dont va s'emparer et se nourrir un autre assemblage moléculaire encore plus élevé et plus complexe : l'animal ; l'homme, élabore à son tour et à son choix les deux autres états, brut et organique, de la matière. Pourquoi ce primate intelligent n'arriverait-il pas à reproduire le troisième, qui est le sien propre ?

Ainsi donc, de nos jours, sous nos yeux, nous voyons se former, se développer, se transformer, puis disparaître des groupements moléculaires minéraux, végétaux et animaux, les uns très simples, infiniment petits, composés d'un seul cristal ou d'une seule cellule, les autres immenses et merveilleusement compliqués. Nous assistons au passage successif du même atome de l'état cristalloïde dans la terre à l'état colloïdal dans les plantes et les bêtes. Dès lors la logique scientifique impose de confronter aujourd'hui avec autrefois ; d'aller du connu à l'inconnu ; de rechercher l'origine de la vie ailleurs que dans une thaumaturgie puérile ou une introspection illusoire, stérile, et de l'étudier dans ses manifestations actuelles pleines d'enseignement.

Il y a des millions d'années, comme aujourd'hui, les substances minérales en solution aqueuse à la surface de la terre subirent l'action des forces électrogènes et électrolytiques de l'ambiance et se transformèrent en matière organique par un mécanisme analogue à celui qui réalise la synthèse du sucre et de l'amidon dans la plante, la synthèse de l'acide azotique et du chlorure de calcium dans les laboratoires et les usines. Les colloïdes ainsi constitués continuent à recevoir l'appoint des particules métalliques (attraction, absorption), qui par leur action de présence (catalyse) renforcent les réactions internes ; celles-ci atteignent alors une intensité telle qu'elle exige une décharge partielle (répulsion, sécrétion) et la libération d'un fragment élémentaire (reproduction) devenant un centre nouveau d'agitation moléculaire. Les colloïdes sont devenus des cellules, ne cessent pas d'éprouver des impulsions indéfinies de la part des catalyseurs et des diastases, s'agrègent en des organismes de plus en plus complexes, dont le mouvement, processus interne et général, devient une fonction différenciée et extrinsèque. La vie intégrale et riche se manifeste, issue du minéral pour se parfaire en l'homme.

Mais vit-on jamais sortir du cabinet du plus grand savant le moindre petit homme, ni même la plus infime cellule ? Non, sans doute, « mais on se rend compte que les conditions naturelles où la vie s'est élaborée sont probablement impossibles à réaliser au laboratoire ; car le laboratoire de la nature fut la planète elle-même avec toutes ses circonstances de temps, de masse, d'actions multiples dont nous ne sommes pas les maîtres. En tous cas si l'on arrivait à fabriquer un protoplasma indéniablement vivant, il différerait forcément de tous ceux qui existent : il ne serait ni celui d'une algue, ni d'une bactérie, ni d'un protozoaire déjà connu. Donnerait-il, en évoluant, naissance à des êtres vivants plus complexes, ceux-ci constitueraient à coup sûr un nouveau groupe, un nouveau sous-règne bien distinct des végétaux ou des animaux de notre globe, qui ont leur histoire ancestrale particulière. (J. Anglas, loc. citato, p. 69). »

Ces forces, créatrices de la vie, d'où viennent-elles, que représentent-elles ? Elles ne viennent pas, elles sont, et ne représentent qu'elles-mêmes. Dans tout l'univers accessible à l'investigation, on les retrouve identiques et immuables. Ainsi, la fréquence de rotation des électrons atomiques est du même ordre de grandeur que celle des vibrations de l'éther. D'autre part, « les phénomènes qui se produisent dans les tubes de Crookes d'où s'échappent les rayons X, démontrent jusqu'à l'évidence que les atomes matériels ne sont pas quelque chose de simple. Parmi les hypothèses qui ont été présentées sur leur constitution, on peut accepter qu'ils sont formés de petites masses matérielles infimes, chargées d'électricité positive, autour desquelles tournent, comme des satellites autour d'une planète, un très grand nombre de corpuscules énormément plus petits, dont les masses sont de mille à deux mille fois plus faibles que celle de l'atome d'hydrogène, qui est la plus petite quantité de matière connue (Edmond Perrier). » Enfin l'éther, dans lequel baignent les planètes, est formé de ces mêmes particules infinitésimales constitutives de l'atome matériel. Et en dernière analyse et première synthèse, la vie s'avère une manifestation hautement différenciée du mouvement qui anime le cosmos.

Des esprits, plus systématiques que vraiment curieux, demandent : qui ou qu'est-ce qui déclencha le mouvement initial promoteur de la gravitation universelle ? Quand on leur répond : nous ne savons, ils déclarent insatisfait le principe de causalité, pas d'effet sans cause, se disent affamés de logique pure et affirment Dieu ! Dès lors, puisque rien n'est à soi-même sa propre cause, qui ou qu'est-ce qui créa Dieu ? Ignorant le commencement, connaissons-nous la fin ? Où va ce monde incommensurable, constellé d'astres lumineux, parcouru par un soleil flamboyant contre lequel se blottit une terre frileuse et frémissante ? Mais va-t-il quelque part ? Ne lui suffit-il pas d'exister beau, puissant, formidable, énigmatique ? Causalité et finalité ne sont-ils pas les reliquats de l'infirmité mentale où l'ignorance condamnait les ancêtres ?

La science n'explique pas ; elle travaille, observe, enregistre, expérimente, réfléchit, modifie et augmente. Elle étudie et provoque des actions, prévoit et influence des réactions, suit des enchaînements, établit le déterminisme des choses, en renouvelle souvent la formation dans des conditions et en un temps donnés. La science, manifestation de mouvement, est de la vie.

Après avoir agi, chacun peut rêver devant l'infini, le peupler des créations de son imagination, y voir des fantasmagories célestes ou infernales. En anarchie, comme dans la vie, tout songe est mensonge.

Dr ELOSU.


BIBLIOGRAPHIE. J. ANGLAS. Les grandes questions biologiques depuis Darwin jusqu'à nos jours, in-16, 128 p. Stock. (1924).

Edmond PERRIER. La terre avant l'histoire, in-8°, 414 p. Collection L'Évolution de l'Humanité, La Renaissance du Livre, 1920.

BERTHELOT. Article Vie, de La Grande Encyclopédie.

Rémy PERIER. Cours élémentaire de Zoologie, In-8°, 900 p. Masson et c-, 1925.

Jean PERRIN. Les Atomes, in-18, 296 p. Alcan, 1913.

G. MATISSE. Les Sciences Naturelles, in-16, 160 p. Payot, 1921.

Félix LE DANTEC. Éléments de Philosophie Biologique, in-18, 297 p. F. Alcan, 1908.

Félix LE DANTEC. Traité de Biologie, in-8°, 553 p. F. Alcan, 1906.

H.-G. WELLS. Esquisse de l'Histoire Universelle, traduction française de Ed. Guyot, in-8°, 580 p. Payot, 1925.


BIOLOGIE

Je voudrais faire ressortir l'énorme importance que la biologie, cette science relativement jeune, mais ouvrant des perspectives splendides, devra certainement acquérir pour les sciences et les problèmes théoriques et pratiques d'ordre social et sociologique.

La Biologie (bios signifiait vie chez les anciens grecs), est la science de la vie. Elle scrute les plus grandes profondeurs, les origines mêmes de ce grand mystère : la vie ! Elle cherche à le dévoiler jusque dans ses derniers éléments, à saisir son essence, à comprendre son mécanisme compliqué. Elle analyse les phénomènes et les processus de la vie, dans leurs détails et dans leur ensemble.

Or, l'homme lui-même, sa vie individuelle, son existence sociale, ne sont que des parcelles de la vie générale : multiples manifestations des mêmes grands phénomènes et processus, Il est donc évident que les faits généraux, fondamentaux, inhérents à la vie comme telle, s'appliquent aussi à l'homme, à sa vie individuelle, à son existence sociale.

Une fois établis, ces faits pourront, enfin ! projeter une lumière claire, précise, sur plusieurs problèmes sociaux essentiels, mais restant toujours encore obscurs et vagues.

Le côté faible de la sociologie, comme science, ainsi que de toutes les conceptions et théories sociales, y compris le marxisme et l'anarchisme, est justement, ce fait qu'elles ne peuvent pas encore s'appuyer solidement sur une base biologique générale, définitivement acquise, scientifiquement établie.

Le marxisme a substitué à une telle base la conception économique de l'évolution et de l'histoire humaines. (Au temps de Marx, la biologie, comme science, n'existait, pour ainsi dire, pas encore). Mais cette prétendue « base économique », est loin d'être la véritable base profonde, fondamentale, de l'existence et de l'évolution humaines. Elle n'est, elle-même, qu'un élément dérivé, secondaire, dont les sources profondes gisent dans les faits d'ordre biologique.

L'homme étant, tout d'abord, un phénomène biologique, sa vie et son évolution ayant pour base fondamentale des faits et des « lois » d'ordre biologique, c'est dans la biologie générale et dans la biologie de l'homme qu'il faut chercher les premiers éléments, la véritable solution des problèmes d'ordre social.

Telle est la vérité importante, aujourd'hui indubitable, que nous devons constater avec la plus grande netteté et fermeté.

Quelques illustrations, à titre de précision.

Depuis longtemps, les sociologues sont conscients de l'importance capitale de l'hérédité et de ses lois pour la vie et pour les problèmes sociaux. Jusqu'à ces derniers temps, les multiples auteurs sociaux qui s'occupèrent de la question, la traitèrent presque exclusivement au point de vue sociologique. C'était d'ailleurs fort excusable, car les biologues eux-mêmes n'y voyaient pas clair. Mais actuellement, à la lumière des expériences et des découvertes commencées dans les années soixante du siècle passé, par G. Mendel (Autriche), reprises et continuées par Correns (Allemagne) et les autres, il est évident que le problème de l'hérédité est avant tout un problème biologique, et que toute œuvre qui n'en tiendrait pas compte, ne serait que balbutiement enfantin.

Le grand problème d'éducation sociale, ne pourrait être traité de nos jours quelque peu sérieusement, sans tenir rigoureusement compte de certains faits biologiques acquis.

En général, il est aujourd'hui absolument clair, pour quiconque est au courant des faits, que toute conception ou construction sociale n'ayant pas ses racines et ses sources vives dans la biologie, serait édifiée sur du sable.

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Les sciences sociologiques (Voir : Sociologie) en général et, partant, les conceptions sociales, se trouvant encore dans un état assez primitif, ― les deux principales d'entre ces conceptions : le marxisme et l'anarchisme, ne pourraient être considérées à l'heure actuelle autrement que comme hypothèses, c'est-à-dire des thèses qui ne sont pas encore scientifiquement et définitivement établies.

Le marxisme, se basant sur l'économie et se prétendant, de ce fait, scientifiquement satisfait (il s'appelle même : socialisme « scientifique »), ne prête pas suffisamment attention aux faits ni aux sciences biologiques. C'est son grand tort. C'est sa plus grande faiblesse.

L'anarchisme, lui, est-il conscient de l'importance fondamentale des phénomènes biologiques pour le grand problème social ? En tient-il compte ? Peut-être, pas suffisamment encore. Mais ce qui importe et ce qui est certain, c'est que l'anarchisme perçoit bien la voie de recherches juste, l'indique, l'ouvre, l'a même en partie atteinte.

L'un des plus grands services que Kropotkine ait rendus à la science et au mouvement social, est peut-être précisément d'avoir maintes fois constaté et souligné l'importance, la nécessité même, de la méthode des sciences naturelles pour les sciences sociales (contrairement à la méthode dialectique du marxisme), d'avoir désigné la biologie comme base naturelle et féconde des recherches et des conceptions sociales, d'avoir même conçu et exposé une étude très intéressante destinée à faire reposer la conception anarchiste sur une certaine base biologique (dans son œuvre : « L'entraide comme facteur de l'évolution »). Il n'a pas eu le temps ou, peut-être, le désir de continuer et d'approfondir ses études dans ce domaine. Mais il a indiqué la route exacte.

D'autres théoriciens et écrivains anarchistes ont également manifesté un vif intérêt pour les faits biologiques, ont tenu compte de l'importance de la biologie pour les études sociales.

Plus cette tendance s'accentuera, plus l'anarchisme s'engagera dans cette voie et y continuera ses principales recherches, plus il deviendra une conception vraiment scientifique, plus il approchera de la vraie solution du problème social. Établissant ses bases dans le domaine de la biologie, il les établira d'une façon incomparablement plus profonde et plus solide que le marxisme avec son économisme et sa dialectique.

Mais aujourd'hui déjà, l'anarchisme ayant adopté l'Idée de la prépondérance des méthodes et des faits biologiques et son hypothèse cherchant de plus en plus à s'y appuyer, cette hypothèse est beaucoup plus scientifique et, par conséquent, plus près de la vérité que le marxisme. C'est donc, devant l'anarchisme que la grande voie des recherches et des efforts effectivement féconds, la voie de la vérité est ouverte. C'est l'anarchisme qui cherche juste.

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Peut-on espérer qu'une hypothèse vraisemblable : l'anarchisme devienne à bref échéance une vérité éclatante ?

Peut-être pas de sitôt.

Quel est, en effet, le problème biologique essentiel dont la solution pourrait confirmer scientifiquement et définitivement l'anarchisme ? C'est le problème même de l'évolution, et de la vie comme de l'une de ses manifestations principales : de leurs facteurs primordiaux, de leurs forces mouvantes, de leur essence. La biologie, est-elle actuellement ou sera-t-elle bientôt en mesure de résoudre ce problème ? Elle ne l'est pas encore et il est fort douteux qu'elle le soit d'ici au lendemain. Comme science, la biologie est encore très jeune. C'est un domaine tout à explorer. Il faut, donc, certainement pas mal de temps pour que nous y arrivions à des résultats de cette importance.

Le problème de l'origine, de l'essence et des forces mouvantes de la vie et de l'évolution, reste encore grand ouvert. Il attend toujours sa solution.

Or, je suis d'avis qu'avant que ce mystère de la nature celui de l'évolution générale ne soit dévoilé, toutes nos théories de l'évolution sociale et de ses facteurs, toutes nos conceptions sociales, y compris l'anarchisme, resteront des hypothèses.

L'anarchisme reste encore une hypothèse car la biologie, et quelques autres sciences aussi, ne sont pas encore suffisamment avancées. Mais cette hypothèse a de l'avenir devant soi. Elle a des chances considérables de devenir vérité, car elle est vivante, sensible, imbue d'esprit chercheur et créateur surtout, et, qu'elle a heureusement la tendance de puiser de plus en plus dans la biologie, grande source véritablement scientifique et féconde des recherches modernes, seule en mesure de nous amener à la solution vraiment scientifique du problème social. 

VOLINE.

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE. Il est vraiment à regretter qu'il n'existe, jusqu'à présent, qu'une seule œuvre, en langue allemande, celle-ci, traitant historiquement le développement des sciences et des théories biologiques à travers les siècles passés, jusqu'à nos jours. Nous indiquons ici, pour les lecteurs pouvant lire en allemand, cette œuvre classique, permettant de se faire une idée très précise sur l'évolution consécutive de la biologie, comme science :

Dr Em. Radl. Geschichte der biologischen Theorien in der Neuzeit. Deux volumes parus chez Wilhelm Engelmann, Leipzig.

V.