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CAPITALISTE (la classe)

Fraction de la collectivité qui détient toute la richesse sociale. Minorité qui possède tout le capital. Je ne connais dans l'État que trois classes d'homme: les salariés, les mendiants et les voleurs. (MIRABEAU.)

En réalité, la société peut se partager en deux camps : d'un côté, ceux qui peinent, qui souffrent, pour arracher à la matière brute ce qui est indispensable à la vie de l'homme ; et, de l'autre, ceux gui prélèvent sur ce travail, sans avoir dépensé aucune énergie utile, la plus grande partie de la richesse produite. Ces derniers composent la classe capitaliste.

De même que le capitalisme a pris la place occupée antérieurement par la féodalité ; les capitalistes ont remplacé, dans l'ordre économique et politique, les seigneurs d'antan. Ils représentent la nouvelle noblesse : la noblesse d'argent. S'ils ne peuvent se réclamer de leurs ascendants et se réclamer de leurs titres nobiliaires, par la transmission même des richesses acquises, par le jeu de l'héritage, ils forment une noblesse héréditaire qui se perpétue et donne naissance à un esprit de caste, de race, de classe.

Les économistes bourgeois présentent comme un axiome que chacun, par le travail et l'économie, peut, dans nos sociétés démocratiques, sortir de sa situation inférieure et acquérir non seulement le bien-être, mais la fortune. Il serait presque inutile de souligner cette erreur intéressée. S'il est vrai que, de nos jours, aucune loi n'interdit à quiconque de faire fortune, la classe capitaliste est, en fait, aussi impénétrable pour le plébéien, le travailleur, que ne l'était l'ancienne noblesse, du fait même que la richesse ne fut et ne sera jamais la conséquence du travail, de l'honnêteté et de la sobriété, mais le produit de l'exploitation et du vol.

Les capitalistes forment donc bien une classe, à la tête de laquelle se trouve une aristocratie qui dirige, en leur nom, tous les rouages économiques, administratifs et politiques de la Société.

La ploutocratie exerce une telle ascendance sur le monde moderne, que, dans les pays où l'esprit du peuple est encore subjugué par les mots et les titres ronflants ― telle l'Angleterre ― le monarque ne manque jamais d'ennoblir un capitaliste influent. En France, déjà au XVIe et XVIIe siècle, les gros commerçants étaient considérés comme étant d'essence supérieure, et Louis XIV, le roi Soleil, déclara les marchands en gros capables d'être revêtus des charges de secrétaire du roi « ce qui donnait la noblesse ».

Maîtresse absolue des moyens de production, la classe capitaliste subordonne toute la population du globe. Seule détentrice de la fortune publique, seule, elle a la possibilité d'instruire et d'éduquer les enfants issus de sa classe, et c'est ce qui explique que tous les hommes occupant un poste élevé sur l'échelle sociale, travaillent à son profit : à leurs profits.

Malgré l'illusion démocratique (voir Démocratie), elle gère, à sa guise, à sa fantaisie et selon ses intérêts momentanés, tout ce qui a trait à l'économie et à la politique. Les gouvernants sont des pantins à sa solde et les parlements sont à plat ventre devant-elle, et toutes les lois sont élaborées à son avantage. En plus de son argent et des stocks de marchandises accumulées, qui peuvent lui permettre, dans une certaine mesure, d'attendre et de résister durant les périodes de trouble ou de révolte prolétarienne, elle a, pour se défendre, toutes les organisations policières, militaires, juridiques, pénitentiaires, dont la seule raison d'être est de faire respecter la propriété et les privilèges accaparés par le capitalisme. La grande Presse, ce poison quotidien qui déverse lentement, le mensonge et l'erreur dans le cerveau humain, est une arme terrible dont elle se sert à merveille pour étouffer tout sentiment de libéralisme ou de fraternité ; et le savant, le philosophe, le penseur, qui refusent de se prostituer à la cause de la classe capitaliste, sont impitoyablement écrasés et acculés à la misère la plus atroce.

Tout appartient à la classe capitaliste, rien ne lui échappe. Elle est un centre d'attraction pour tout ce qui peut être une source de bien-être moral et matériel et détruit ou tente de détruire tout ce qui peut présenter à ses yeux une menace immédiate ou future.

Si Louis XIV disait : « L'État, c'est moi ». La classe capitaliste peut dire : « Le Monde, c'est moi ».

Devant cette puissance colossale, établie sur des siècles et des siècles d'ignorance, de servilité et de servitude, certains se demandent s'il sera un jour possible d'en ébranler les assises et d'en finir, une fois pour toutes, avec la cupidité et l'impudence de cette minorité qui entrave l'évolution et arrête la marche en avant de l'humanité.

C'est un lieu commun de dire, que la classe capitaliste n'est forte que de la faiblesse de la classe ouvrière ; c'est cependant la vérité la plus simple.

Par la vitesse acquise, la classe capitaliste se main tient encore, mais elle chancelle sur ses bases. Une poussée et le château féodal s'écroule. Sa vie est subordonnée à la volonté et au courage des opprimés. De l'énergie des exploités et des opprimés dépend tout l'avenir des exploiteurs et des oppresseurs.

La faiblesse de la classe capitaliste est que son unité n'est qu'apparente, et qu'en réalité elle est divisée. La classe ouvrière peut, elle, trouver son unité, car ses intérêts sont « uniques ».

Il est difficile de tracer une ligne de démarcation entre les diverses catégories de la classe capitaliste, il est cependant évident que l'esprit qui anime le petit commerçant est différent de celui du gros industriel et que, si leurs intérêts de classe sont solidaires, leurs intérêts individuels sont en concurrence.

À mesure que le Capital se centralise, il se crée une lutte intérieure dans la classe capitaliste, et cela nuit à la bonne harmonie indispensable à sa vie ; nous sentons déjà qu'elle est menacée en raison des divergences et des intérêts contraires qui se heurtent.

De même que tout ce qui est né doit mourir, la classe capitaliste doit disparaître. Elle a vécu plus qu'elle ne vivra. Elle se désagrège petit à petit, mais cherche à se raccrocher au radeau, comme un malheureux perdu dans l'océan. Elle ne peut cependant échapper au tourbillon qui l'engloutira.

Le capitalisme a parcouru sa route à pas de géant, il a gravi la montagne, mais il n'échappe à personne que sa maison est bâtie sur des neiges et que sa philosophie est basée sur une erreur. Or, l'humanité veut et cherche la vérité. Aveugle parfois, elle s'égare ; elle tâtonne comme un enfant qui hésite à faire son premier pas ; mais une fois qu'elle a conquis l'assurance, que la lumière éblouissante est venue l'éclairer, alors elle retrouve une énergie indomptable ; elle pénètre partout pour y écraser le mensonge, arrache le masque de tous les fantoches, de tous les pantins et termine la comédie qui a duré parfois des siècles.

La classe capitaliste moribonde se défend contre l'ouragan. Elle élève des digues puissantes pour échapper à la tempête ; elle torture son cerveau pour inventer les monstres géants, mécaniques et scientifiques qui lui permettront de retarder l'échéance fatale. Tout lui échappera cependant, car la vérité est en marche et la vérité doit vaincre l'erreur.

― J. CHAZOFF