CÉLIBAT
n. m.
Est considérée de par la loi comme célibataire toute personne d’âge
nubile et qui n’a pas été mariée légalement, alors même qu’elle vivrait
en ménage depuis des années sous le régime de l’union libre, et
posséderait une nombreuse progéniture.
Pour ceux qui n’attachent point à la célébration du mariage officiel
une importance capitale, et ne la considèrent que comme une concession
à certaines nécessités de la vie sociale présente, le célibat est
l’état des hommes, ou des femmes, qui, soit volontairement, soit par
suite de circonstances fâcheuses, vivent dans l’isolement sexuel, au
lieu de faire association, avec une ou plusieurs personnes de leur
choix, dans une existence commune durable, en vue de l’amour et de la
procréation.
Dans les sociétés antiques le célibat était flétri par l’opinion
publique comme une situation anormale, non sans quelque raison
d’ailleurs. Car ceux qui, ayant reçu la vie, refusent de la donner, et
répugnent à l’union conjugale, sont, du point de vue de l’espèce,
comparables à des fruits secs ou à des arbres morts.
Mais la tendance naturelle de persistance et d’accroissement de
l’espèce n’est pas seule à considérer en cette matière. Non soumise au
contrôle du savoir et de la raison, elle aboutit au surnombre et à son
élimination inévitable par la famine ou le massacre. Elle donne lieu
aussi à d’imparfaites sélections, par le moyen barbare de compétitions
brutales.
Le rôle des humains éclairés est, en matière de reproduction, de
prévenir à toute époque, par la procréation limitée aux moyens de
subsistance acquis, les luttes meurtrières résultant du surnombre.
C’est aussi de substituer, à l’insuffisance et à la cruauté de la
sélection établie sur le triomphe des plus aptes, les procédés non
douloureux de la sélection rationnelle, basée sur l’observation
scientifique, et qui consistent, tant en un choix judicieux des types
humains les plus capables de contribuer à l’embellissement de l’espèce,
qu’en une mise à l’écart, par la stérilité volontaire, des éléments
disgracieux, morbides ou gravement tarés.
Le célibat, considéré comme renoncement à l’union sexuelle en vue de la
procréation, ne peut donc être apprécié comme une, faute vis-à-vis du
genre humain que lorsqu’il s’agit d’êtres qui, par leur beauté et leur
santé, leurs brillantes qualités morales ou intellectuelles, auraient
pu donner au monde une heureuse descendance, et s’y refusent, pour le
plus grand profit de la multiplication des médiocres ou des infirmes.
Le célibat ainsi considéré, lorsqu’il est dicté par la conscience de
l’inaptitude à une saine procréation, est un sacrifice à l’intérêt
social, d’autant plus digne de louange, qu’il peut être à certains fort
pénible de s’y résoudre.
Il est des circonstances où le célibat ainsi compris trouve encore et
tout autant sa justification. Lorsqu’il s’agit de personnes dont le
caractère est impropre à l’existence permanente en commun, et qui ne
pourraient que s’y trouver malheureuses, tout en rendant pénible à
autrui leur présence. Lorsqu’il s’agit, en outre, d’hommes ou de femmes
qui se proposent un apostolat rendu dangereux par les conditions de la
vie sociale actuelle.
On peut, en effet, être doué de très sérieuses qualités mais, pour
l’étude, la méditation, ou le travail, avoir besoin d’un isolement tel
qu’il est peu compatible avec les nécessaires concessions, et les
petits tracas journaliers de l’existence en famille. C’est le cas de
beaucoup de savants, d’artistes et d’écrivains, aventureux et instables
par tempérament, ou bien hypnotisés par leur labeur.
Il est à considérer, d’autre part, que notre conduite, à l’égard de
ceux que nous aimons, doit s’inspirer logiquement de la situation dans
laquelle ils se trouvent, et non de celle qui pourrait leur être faite
dans : une toute autre organisation sociale.
Or, il est présentement impossible de compter sur la société pour
élever de façon convenable des enfants, en l’absence de leur père et
surtout de leur mère. Et, pour ce qui est des jeunes filles et des
femmes, elles sont, pour la plupart, dans l’incapacité de se suffire à
elles-mêmes par leur travail. Qu’elles aiment avec sincérité, ou
qu’elles n’aiment point, presque toutes sont dans la nécessité de
compter, pour vivre sans trop de misères, sur l’appui de l’homme qui
les invite à partager son foyer, légalement ou non.
Si donc nous conservons tous, à chaque moment, le droit d’encourir,
pour une noble cause, l’extrême dénuement, la prison et la mort, ceci
devient beaucoup plus contestable lorsqu’il est question d’entraîner à
notre suite, dans de terribles épreuves, des êtres qui , dépendent de
nous, que nous avons appelés à la vie, ou auxquels nous avons promis le
bonheur, et qui n’ont peut-être ni la ferveur de notre vocation, ni la
force de notre résistance.
Avant de se résoudre à quelque héroïque sacrifice, un homme
consciencieux et bon, une mère au cœur tendre, songeront toujours à
assurer pour le moins la sécurité de ceux qui, demain peut-être, seront
à l’abandon. On ne s’appartient plus entièrement lorsqu’on a pris
charge d’âmes. Et c’est pourquoi ceux qui rêvent à de grandes actions
pleines de périls feraient-ils bien de se résigner à la solitude, et à
n’avoir que de stériles amours.
Jean MARESTAN.
* * *
CÉLIBAT
S’il était une « Vérité », elle serait
anarchiste ; et l’on pourrait affirmer a priori que, ce qui nuit à
l’État favorisant l’anarchie, l’idéal, résiderait dans le célibat,
c’est-à-dire le défaut d’union légale ou non, entre l’homme et la
femme. Mais les libertaires n’admettent rien sans discussion et
confrontent sans cesse les faits avec les principes.
Dans tous les temps et dans maints pays, les gouvernements ont sévi
contre le célibat et infligé des amendes aux réfractaires au joug
conjugal. Autrefois les Grecs et les Romains considéraient que
l’absence de famille et de progéniture portait atteinte au culte des
aïeux, menacé de s’éteindre faute de postérité déférente, et à la
prospérité de l’État, compromise par la diminution des effectifs
militaires et de la masse taillable et corvéable à merci.
Les monarchies et républiques contemporaines, la France entre autres,
suivent la même ligne de conduite et frappent d’une peine pécuniaire
leurs ressortissants non mariés. Cependant les motifs ne sont pas tout
à fait les mêmes ; le culte des dieux lares, la nécessité de perpétuer
le foyer ancestral n’inquiètent guère le législateur moderne, plus
prosaïque, surtout soucieux de remplir son coffre-fort et de pourvoir
les casernes de chair à canon. L’État n’exige ni encens, ni prières,
mais de l’argent pour alimenter ses privilèges et des soldats pour les
défendre.
A la réflexion, la loi contre le célibat se montre arbitraire et
particulièrement odieuse de nos jours. Car, maintenant, bien des gens
ne se marient pas par impossibilité de fait et non par aversion pour le
mariage ; ils voudraient, ne trouvent pas, ne peuvent pas. Depuis que,
dans une crise de stupide fureur anti-populaire, les gouvernements ont
volontairement déchaîné la guerre et fusillé par millions leurs sujets
mâles, beaucoup de femmes soupirent en vain après une union légale. Les
maîtres perçoivent un impôt sur les défaillants à un hymen impossible,
mais oublient hypocritement d’autoriser la polygamie et de l’encourager
par des exonérations fiscales. Ils veulent des enfants légitimes ou
illégitimes, mais sans les payer.
Suivant en apparence une autre voie que les puissances temporelles, le
christianisme, à son origine, marqua à ses adeptes son éloignement pour
le mariage où il voyait une atteinte dangereuse au culte exclusif de
Dieu. « Celui qui n’est point marié s’occupe des choses du Seigneur,
cherchant à plaire au Seigneur , mais celui qui est marié s’occupe des
choses du monde, cherchant à plaire à sa femme (St-Paul, « lre Epître
aux Corinthiens ») ». C’est que, au début, la religion nouvelle était
surtout une morale, une discipline de perfectionnement intérieur, ne
visait pas à la domination matérielle, ne prévoyait ni finances ni
armée. Malgré les séductions de la vertu, les premiers catéchumènes ne
purent se résoudre à la continence ; les prêtres et évêques eux-mêmes
continuèrent à vivre en union légitime ou en concubinage jusqu’au XIe
siècle, où, par la force, le pape Grégoire VII imposa, le célibat aux
ecclésiastiques, en invoquant que « l’Église ne peut se libérer de la
domination des laïques si les clercs ne se délivrent pas de leurs
épouses ». L’humble christianisme primitif, devenu le catholicisme
triomphant, ambitionnait le pouvoir intégral, la primauté universelle.
Afin de l’obtenir, il décrétait la chasteté pour son clergé militant
auquel la pureté assurerait vigueur physique et force morale ; mais il
préconisait les conjonctions prolifiques pour les simples fidèles dont
la masse grandissante apporterait un copieux tribut. Et aujourd’hui on
voit les prêtres de toutes les confessions se faire les complices des
gouvernements meurtriers et pousser leurs ouailles à repeupler à
outrance les champs de bataille.
A la fin de sa pièce « L’Ennemi du Peuple », Ibsen, conclut : « L’homme
vraiment puissant est l’homme seul ». Il signifiait par là que société,
parents, amis, influencent et diminuent la personnalité de l’individu,
l’entravent dans son développement propre ; la vie sociale et familiale
oblige à des concessions constantes, souvent si étendues qu’elles
entraînent le caractère le plus droit à s’exprimer et à agir contre son
sentiment, contre sa volonté. Le grand dramaturge voyait juste ; chaque
jour permet de vérifier comment le souci de ménager l’opinion publique,
la crainte de nuire aux intérêts des siens, le désir d’éviter de la
douleur aux êtres aimés, amènent le militant le mieux doué à de
puériles capitulations, à de tristes renoncements, à de funestes
défaillances, parfois à l’avilissement et la trahison. L’homme
réellement libre, l’homme véritablement fort, c’est l’homme seul. Mais
à quoi lui servirait sa liberté s’il ne pouvait l’aliéner au service
des esclaves incapables de se libérer seuls ? Quel usage ferait-i1 de
sa puissance, s’il ne l’exerçait pour le bonheur de ceux à qui leur
faiblesse ne permet pas de vivre seuls ? Au contact de la société, dans
la famille, ce surhomme devient un être humain, simplement. Que le plus
pur des anarchistes lui jette la première pierre, s’il l’ose !
Il n’y a pas sur un arbre deux feuilles pareilles, ni dans le monde
deux personnes identiques. Pure chimère que la recherche d’un autre
soi-même pensant et agissant dans une étroite communion, sous une
impulsion analogue. Néanmoins cette recherche devient passionnante
parce qu’elle conduit à d’étonnantes découvertes. En un perpétuel et
stérile narcissisme, l’homme se poursuit en vain dans le regard de ses
semblables ; il saisit dans le miroir des yeux une vivante et
singulière lueur et non un pâle reflet, une fière solitude et non une
banale sujétion. Nul ne rencontre l’âme-sœur, ni la femme faite à son
image. Chaque être reste seul, éternellement. Unir deux solitudes,
c’est créer de la douleur, et aussi des joies. La souffrance, plus que
l’amour, anime l’esprit, élève la pensée, exalte le poète ; ou plutôt
l’amour est souffrance. Et l’homme ne peut échapper à l’amour.
Comment le solitaire, l’anarchiste aura-t-il l’amour ? Tout dans la
nature, végétaux et animaux, se pare pour la recherche sexuelle,
fleurit, embaume, roucoule, fait la roue, courtise. La véritable
possession ne réside pas en un viol,, mais en un choix, parfois rapide,
parfois différé, toujours consenti. Il y a consentement, il y a union :
passagère, temporaire, durable ou définitive. L’amour n’existe pas sans
union. Peut-être dans la vie des troupeaux, la fécondation se fait-elle
d’autorité, sans dilection ? Apparence ; l’union devient plurale,
persiste sous la superficielle passivité. D’ailleurs le libertaire se
targue de ne pas vivre selon le monde grégaire. Ni chef, ni sujet. En
amour, il ne prend, ni n’impose ; n’achète, ni ne se vend ; ne
débauche, ni ne se prostitue. Il demande et il s’offre. Il ne fornique
pas, il aime. Aimer c’est unir deux corps, deux tendresses, deux
souffles, deux existences. Union d’un jour, union d’un ,an, union à vie
? Nul ne sait dès l’abord combien resteront unis ceux qui se sont
joints une fois ; ni si leurs affinités et leurs dissemblances ne les
sépareront pas, ou si elles les fixeront.
Pour échapper à l’étreinte de deux bras blancs, à l’emprise d’un regard
énigmatique et charmeur, pour s’assurer un destin libre de toute
contrainte morale et affermi contre la moindre compromission,
l’anarchiste, le militant, l’apôtre se dévouera au célibat absolu, à la
continence complète. Il ne connaîtra ni épouse, ni compagne, ni
camarade, ni passante, nulle femme. Ses nuits seront sans caresses, ses
jours sans abandons. Il ira beau, puissant, sublime, mais seul. Bien
peu changeront la faiblesse de leur union contre la force de cette
solitude.
Dr ELOSU.