CENTRALISME n. m.
Deux méthodes ont toujours lutté l’une
contre l’autre, au sein des sociétés ; c’est la méthode autoritaire,
qui veut tout rassembler sous la direction d’une personne, d’une
coterie ou d’une caste, laquelle inévitablement s’en sert pour ses
intérêts particuliers contre l’intérêt général ; et c’est la méthode
libertaire, qui veut au contraire que chaque être humain soit son
propre maître, s’associe ou se sépare librement de sorte que, aucune
contrainte n’existant, l’exploitation et la tyrannie disparaissent.
Autorité et liberté sont les deux pôles d’attraction opposés : autorité
préconisée par les maîtres du jour ou les maîtres de demain (en état
d’opposition provisoire seulement) ; liberté, préconisée par les
exploités désireux de s’émanciper, les révoltés de toutes les époques
et de toutes les régions.
A ces deux mots d’autorité et de liberté correspondent exactement ceux
de centralisme et de décentralisme : fédéralisme ou
libre-associationnisme. Indistinctement, et quelle que soient leur
étiquette ou leur couleur, tous les partisans du pouvoir sont pour la
centralisation. Tout centraliser, tout ramener à un centre directeur,
est la théorie chère à ceux qui sont ou veulent être les maîtres. Les
théories centralistes sont toutes basées sur la même affirmation : «
l’incapacité du peuple à s’administrer librement, autrement dit sa
bêtise, donc la nécessité de le faire diriger par des hommes
supérieurs. » Et elles aboutissent toutes au même résultat : la
constitution d’une caste, d’une aristocratie ; hier, les nobles,
aujourd’hui les bourgeois, demain peut-être les soi-disant
intellectuels et les fonctionnaires, qui commencent à s’assurer une
existence confortable par la consolidation des privilèges acquis ou
l’instauration des privilèges nouveaux. Le centralisme aboutit
inévitablement au parasitisme, à la contrainte, à l’inégalité, à
l’injustice. D’ailleurs, en enlevant aux intéressés, aux dirigés, les
moyens de s’administrer par eux-mêmes, il entretient soigneusement
l’infériorité apparente ou réelle des administrés. Ceux que la
centralisation place à la tête des organismes sociaux sont d’ailleurs
des humains comme les autres, ni plus ni moins compétents et moraux.
L’exercice de l’autorité leur crée une mentalité spéciale et des désirs
de jouissance vaniteuse qui sont des maux redoutables dans une
organisation sociale.
Le centralisme n’a jamais résolu aucun des problèmes posés devant
l’espèce humaine, ou, s’il les a résolus, ce fut toujours au détriment
des masses, au profit des détenteurs du pouvoir. La seule utilité
arguée en faveur du centralisme est celle des bienfaits de la
coordination dans les efforts humains. Mais par le fait qu’il aboutit à
l’autorité, il provoque presque toujours le contraire ; l’ambition, la
haine, la division, les déchirements entre les aspirants au gouvernail,
et l’écrasement des couches sociales inférieures. Or, cette
coordination peut s’obtenir, aisément et sans risques de tels maux, par
la libre fédération des individus et des groupements. Le fédéralisme
s’oppose pratiquement au centralisme. En laissant à chacun la liberté
dans sa propre association, et la liberté des groupements au sein de
fédérations plus vastes, il parvient à l’équilibre raisonné, à
l’harmonie, sans laisser prise aux méfaits et aux conséquences néfastes
du centralisme autoritaire. Il laisse la faculté aux initiatives
isolées ou groupées de se développer ; et par là les stimule ; il ne
permet point la contrainte ni l’exploitation ; il est donc l’expression
même, du point de vue pratique, de la lutte pour l’émancipation. Le
centralisme politique a conduit à des tyrannies abominables et à des
guerres sanglantes. Le centralisme économique, qui a son expression
dans les cartels et trusts capitalistes, vise à asservir matériellement
l’humanité. Quant aux doctrines socialistes ou communistes, rêvant d’un
centralisme intégral, d’une dictature, elles sont condamnées par
l’expérience que les milliers d’observations ont consommée ; elles ne
peuvent aboutir qu’à une tyrannie nouvelle, valant l’ancienne. Les
peuples révoltés et conscients se débarrasseront de l’autorité et du
centralisme, sa forme d’organisation.
Georges BASTIEN.