CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL n. f.
La Confédération générale du Travail est
l’organisme central du syndicalisme français. Elle est composée des
Unions départementales et des Fédérations d’industrie. Son siège est à
Paris. Elle a pour but de coordonner les efforts des ouvriers groupés à
leurs syndicats, unions locales, fédérations et unions départementales
pour l’action sociale du prolétariat. Elle adhère à l’Internationale
syndicale pour prolonger sur le plan international l’action qui se
déroule dans son propre pays, en liaison avec les Centrales Nationales
des autres pays. Cette définition a cessé d’être exacte depuis la
scission de 1921. Elle n’en reste pas moins celle qui, un jour
prochain, sous la pression croissante des nécessités correspondra à
nouveau à la réalité, lorsque les tronçons épars du groupement ouvrier
français se seront ressoudés.
* * *
L’histoire de la C. G. T. c’est celle du syndicalisme avec ses luttes,
ses victoires et ses défaites. Son évolution, qui est aussi celle de la
société actuelle. Il faut rechercher l’une et l’autre à l’origine, même
si cet examen doit faire double emploi avec celui que nous avons été
obligés de faire pour exposer le caractère, l’évolution et l’action des
Bourses du Travail, principal élément de la C. G. T., lors de sa
constitution.
Nous renoncerons cependant à examiner les luttes séculaires des
travailleurs toujours en révolte, à toutes les périodes de l’Histoire,
contre leurs oppresseurs, quelque visage qu’aient ceux-ci et quelques
forme qu’ait revêtue l’exploitation de l’homme par l’homme.
Si nous nous assignions ici une pareille tâche, c’est l’histoire du
monde, depuis là plus haute antiquité jusqu’à nos jours, qu’il faudrait
relater. Nous ne pouvons pour des raisons qu’on comprendra,
entreprendre pareille tâche.
Il importe d’ailleurs assez peu qu’on fixe ici ou là telle époque ou à
telle autre époque, l’origine exacte du mouvement syndical qui nous a
conduits, de proche en proche, jusqu’à l’origine de la C. G. T.
Nous nous contenterons donc de prendre notre tâche - qui n’en reste pas
moins vaste - après la Révolution de 1789, après l’évanouissement des
corporations.
L’écroulement du vieux système social, provoqué par la Révolution,
avait fait table rase des privilèges de toutes natures et supprimé
toutes les juridictions qui s’interposaient entre l’individu et l’État.
Après 1789, l’homme, quelle que soit sa profession, ne relevait plus
d’un patron, d’un seigneur, d’un évêque ou du fisc. Il n’y avait, plus
sujets du roi, des nobles, des clercs, des paysans, plus de classes,
d’ordres, de droits, de dîmes, plus d’entraves, etc... Mais il n’y
avait plus non plus, dit Proudhon dans sa Capacité politique des
classes ouvrières (page 11) aucune de ces autorités locales, de ces
chartes particulières, de ces parlements, de ces corporations, de ces
prérogatives ou exemptions. Rien ne subsista que ces deux termes
extrêmes : l’État et le Citoyen. Rien ne demeura non plus, pour amortir
la domination directe du second par le premier.
Qu’arriva-t-il ?
Avec les dépouilles des biens de la noblesse et du clergé, se constitua
une classe de propriétaires-paysans tandis qu’une immense majorité du
peuple ne voyait rien changer à sa condition première. Les classes se
formèrent presque spontanément, immédiatement. La lutte fut d’autant
plus vive que les non-possédants, les travailleurs, se rendirent compte
de la spoliation et de la trahison dont ils étaient victimes de la part
de leurs alliés de la veille : la nouvelle bourgeoisie, qui avait
utilisé au mieux de ses intérêts la force populaire et ne rêvait que de
l’asservir à nouveau pour asseoir ses privilèges, cette classe dont
l’appétit était d’autant plus grand qu’il avait été plus longtemps
contenu par le régime disparu.
Il y avait désormais la Bourgeoisie et le Prolétariat, la première
brimant le second, après avoir utilisé sa force libératrice et
révolutionnaire. La structure de l’État se trouvait modifiée. Les
formes constitutionnelles étaient changées, mais l’exploitation, pour
différente qu’elle, était, n’en subsistait pas moins, plus brutale et
plus cupide qu’avant. C’était tout le résultat qui restait d’une
révolution politique, et qui n’avait pas modifié les termes généraux du
contrat social.
Alors qu’on répandait partout, au dedans comme au dehors, des idées de
justice, d’égalité, de fraternité, c’était entre deux catégories
d’hommes une opposition sans cesse croissante qui se développait du
fait d’une sujétion politique et d’une exploitation économique sans
frein, que rien ne venait atténuer.
Doit-on, comme Jouhaux l’affirme dans son ouvrage Le Syndicalisme et la
C. G. T. (page 25) dire que la loi Le Chatelier, votée en 1790, ne
correspond pas réellement à l’esprit des hommes qui l’ont votée ? Nous
ne le croyons pas. À notre avis, cette loi était bien l’expression de
leurs sentiments exacts. Le fait qu’elle ait été votée par la
Constituante au moment même où se produisaient à Paris, des cessations
concertées du travail, nous permet d’affirmer qu’elle le fut en toute
connaissance de cause.
On voulait museler les travailleurs, au moment même où les corporations
disparaissaient ; le prolétariat était sans défense.
Le texte du manifeste adressé à cette époque aux ouvriers parisiens par
le Conseil municipal le prouve avec évidence.
Voici ce qu’on y lit :
« Le Conseil municipal est instruit que les ouvriers de quelques
professions se réunissent journellement en très grand nombre, se
coalisent au lieu de s’employer à travailler et font des arrêts par
lesquels ils taxent arbitrairement le prix de leurs journées. Tous les
citoyens sont égaux en droit, mais ils ne le seront jamais en facultés,
en talents et en moyens. La nature ne l’a jamais voulu. Il est donc
impossible qu’ils se flattent tous de faire les mêmes gains.
Une coalition d’ouvriers pour porter le salaire de leurs journées à des
prix uniformes et forcer ceux du même état à se soumettre à cette
fixation serait donc évidemment contraire à leurs propres intérêts ;
une pareille coalition serait une violation de la loi, une atteinte à
l’intérêt général ».
Voilà ce qu’on osait écrire au lendemain de la Révolution. N’est-ce pas
caractéristique d’un état d’esprit d’oppression ?
Combien de fois, depuis, avons-nous entendu tenir le même langage par
te patronat et le « pouvoir » ? Combien de fois, hélas !
l’entendrons-nous encore, si, à la première occasion, nous ne
proclamons pas d’abord les droits imprescriptibles du travail et des
travailleurs, si nous renonçons à faire nos affaires nous-mêmes, pour
les confier à des « génies, à des messies », à des maîtres nouveaux à
qui nous remettrons le soin de faire notre bonheur politique en
consacrant notre esclavage économique ?
Les révolutions de 1830, 1848 et 1871 ont pourtant, à cet égard,
apporté une confirmation éclatante à ces faits de 1790, sans ouvrir les
yeux, hermétiquement clos - il faut le croire - des travailleurs. En
sera-t-il de même demain ? Il faut le craindre et faire l’impossible
pour que cela ne soit point.
Comme on le voit, c’est au lendemain de la grande révolution française
qu’il faut situer l’origine des classes et la naissance du mouvement
syndical, placé hors des institutions soit disant révolutionnaires
créées par la Bourgeoisie pour asseoir son pouvoir et conserver ses
privilèges récents.
N’est-ce pas aussi à cette date qu’il faut placer la compréhension de
la responsabilité ouvrière et l’affirmation de celui de la solidarité
de classe ?
Dès cette époque, on avait de la liberté du travail, une idée exacte et
on condamnait aussi sévèrement qu’aujourd’hui l’acte de l’homme qui
travaillait pendant que les autres revendiquaient. C’est de ce moment
que date la vraie morale ouvrière qui veut que « quiconque ne participe
pas à un effort ne soit pas digne d’en recevoir le prix et qui condamne
sévèrement, mais justement, toute action qui tend à briser l’action
revendicatrice des ouvriers ».
Les ouvriers d’ailleurs ne tinrent aucun compte du manifeste municipal.
Les charpentiers, notamment, constituèrent un syndicat bien organisé.
Leur exemple fut suivi par plusieurs corporations du bâtiment qui
défendirent vigoureusement leurs salaires, sans oublier de poser le
principe de la réduction de la journée de travail, qui fut ramenée de
14 à 12 heures (repos non compris).
Voyons ce que disaient de leur côté les patrons :
« Le prix de la journée, disaient-ils, est ainsi augmenté d’un sixième
; malgré les fortes réclamations qui se sont élevées contre ce
désordre, il n’a pas été réprimé ».
Ne croirait-on pas entendre nos patrons modernes protester contre
l’application de la journée de huit heures et l’augmentation des
salaires ?
De même que la défense des intérêts heurte aujourd’hui ceux de la
bourgeoisie et les conceptions juridiques du patronat ; cette tentative
d’organisation pour modifier le contrat social, heurtait l’esprit des
récents bourgeois de la Constituante. Inutile de tenter ou de faire
croire que la loi Le Chatelier n’était pas l’expression exacte de
l’état d’esprit de ceux qui la votèrent. Ils n’étaient ni des niais, ni
des inconscients. Tous leurs actes le prouvent,
Donc lorsqu’ils acceptaient le projet de Le Chatelier qui disait dans
un des considérants de son rapport introductif ;
« C’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée
pour chaque ouvrier ; c’est ensuite à l’ouvrier à maintenir la
convention qu’il a faite avec celui qui l’a occupé ». Le Chatelier
exprimait une pensée concrète, claire pour tout le monde, a fortiori
pour des représentants du Peuple.
Et lorsqu’il ajoutait « C’est à la Nation de subvenir aux besoins des
individus et de leur assurer du travail » cela voulait dire, que grâce
à la loi nouvelle, ainsi motivée, le seul organe nécessaire à la
satisfaction des travailleurs c’était l’État.
Là encore, impossible de se tromper et ceux qui votèrent la loi Le
Chatelier savaient parfaitement qu’ils mettaient ainsi hors la loi
l’organisation spécifique des travailleurs livrés sans défense à
l’exploitation du patronat et à la domination de l’État.
N’est-il pas suffisamment significatif cet article de la loi Le
Chatelier qui énonçait :
« L’anéantissement de toutes espèces de corporations de citoyens d’un
même État étant une des bases fondamentales de la constitution
française... l’association ouvrière, sous quelque forme et sous quelque
prétexte que ce soit, est prohibée ».
Et un, peu plus loin : « Toutes les conventions tendant à réformer de
concert ou à n’accorder qu’à prix déterminé le secours de leur
industrie ou de leurs travaux, tous règlements ou accords ainsi fixés
sont déclarés inconstitutionnels, attentatoires à la liberté ou à la
déclaration des Droits de l’Homme et de nul effet ».
On avouera qu’il était difficile d’être plus cynique ou de se montrer
plus réactionnaire.
Et, bien entendu, les délits étaient durement punis : amendes de 500
francs, privation de droits civiques, etc...
Enfin pour bien démontrer que ce texte avait un véritable caractère de
classe, la loi accordait aux employeurs un scandaleux privilège. Le
Chatelier disait « qu’il n’entendait pas empêcher les commerçants de
causer ensemble de leurs affaires ». On sait ce que cela veut dire.
La loi consulaire de l’an XI (1803) instituait enfin le « livret
ouvrier » qui n’était autre chose que la « mise en carte » des
travailleurs.
À part la création des juridictions prud’homales, le régime impérial ne
fit que systématiser la sujétion des ouvriers.
Les articles 414 et 416 du nouveau Code pénal, si durs pour les
ouvriers, si indulgents pour les patrons, l’article 1781 du Code civil
qui disait : Le maître est cru sur parole pour la quotité des gages,
pour le paiement des salaires de l’année échue et pour les acomptes
donnés pour l’année courante, complétaient cette domestication de la
classe ouvrière, sans que la moindre législation lui permît de se
défendre contre l’adversaire.
On comprend dès lors, les difficultés que devait rencontrer le
prolétariat pour son organisation.
Quelles qu’elles aient été, la classe ouvrière sut cependant les
vaincre dans une assez large mesure et, souvent, elle se dressa contre
le pouvoir de l’État.
La période de 1848 à 1871, assez mal connue, a vu des révoltes
terribles où le prolétariat a pu se croire enfin maître de ses
destinées. C’est alors que naquit la Première Internationale et que vit
le jour le socialisme utopique ou romantique.
Cette époque marque la fin de la bourgeoisie terrienne et l’avènement
de la bourgeoisie industrielle et bancaire. L’introduction du
machinisme créa de nouvelles conditions de vie sociale. En même temps
qu’il cesserait les liens entre les ouvriers, il entraîna une technique
nouvelle d’où découlèrent : le chômage et l’avilissement des salaires.
La misère atteignit des proportions effroyables. Il y avait une
désaxation totale de l’activité et le capitalisme manifestait son
impuissance à modifier les conditions de vie, à suivre le rythme
nouveau imposé par le machinisme.
Les grands mouvements de 1831 à Lyon, dont les salaires furent réduits
de 4 francs à 18 sous par jour marquent le point culminant de cette
crise. C’est pendant les grèves sanglantes de cette époque que les
Canuts de la Croix Rousse inscrivirent sur leur drapeaux cette devise
restée de plus en plus d’actualité : Vivre en travaillant où mourir en
combattant. Il en fut de même à Paris et en province. De nombreuses
sociétés de résistance, auxquelles participèrent des chefs d’ateliers,
se constituèrent un peu partout. Ce mouvement prit une « telle ampleur
qu’il apeura le gouvernement qui, par la loi du 25 mars 1834, prit de
sévères mesures contre les « Sociétés de résistance. ». (Syndicats de
l’époque).
Ce vote alla à l’encontre du but poursuivi. Deux nouvelles
insurrections éclatèrent presque aussitôt : l’une à Lyon, à la suite de
poursuites pour faits de grèves, écrasée dans le sang, après 5 jours de
lutte héroïque, et l’autre à Paris qui aboutit à un effroyable massacre.
Thiers, l’assassin des Communards fit peser sur la classe ouvrière un
régime de terreur écrasant.
Rien n’arrêta pourtant l’élan du prolétariat et les journées de juillet
verront le prolétariat se dresser contre l’État, serviteur de la
bourgeoisie et massacreur des travailleurs.
C’est à ce moment que s’éveille la conscience du prolétariat. Il
comprend qu’il n’arrivera à rien tant qu’il n’aura pas démoli le
pouvoir de l’État et détruit l’exploitation nationale pour transformer
la société.
Sous l’influence de Buonarotti survivant de la conspiration des Egaux,
le socialisme gagne les classes ouvrières, encore qu’elles ne se
reconnaissent guère dans le patois des doctrines Saint-Simoniennes,
phalanstériennes et étatiques de Louis Blanc.
C’est alors que se produisit dans ce bouillonnement d’idées la
Révolution de 1848 qui fut un triomphe passager du Peuple et porta au
Pouvoir en la personne de Louis Blanc et d’Albert, le socialisme d’État.
Celui-ci ne tarda pas à marquer son impuissance. Une fois de plus les
travailleurs furent trompés et déçus. Le salariat ne fut pas supprimé,
comme ils l’espéraient dans leur naïveté. Les journées de février 1848
furent suivies d’une crise de chômage effroyable. Les revendications
ouvrières en vinrent en fin de compte, à s’exprimer ainsi : « Le droit
au travail ». Quelle aubaine pour le patronat !
Quelques mesures inopérantes, les unes platoniques, les autres vaines
du gouvernement provisoire : la suppression du tâcheronat, la réduction
de la journée de travail à dix heures à Paris et onze heures en
province, n’étaient pas de nature à donner satisfaction aux
réclamations des travailleurs et, moins encore, à solutionner les
problèmes de l’heure.
C’est à ce moment, le 28 février 1848 que le gouvernement provisoire
décida de créer les Ateliers Nationaux, pour parer au chômage
grandissant.
Entreprise vouée à l’échec, voulue, d’ailleurs, tentée en pleine crise
économique et sociale, les Ateliers Nationauxaboutirent à un lamentable
fiasco qui prit fin le 19 juin 1848 par le vote de la loi Falloux qui
ordonnait la dissolution desAteliers.
Cette dissolution qui ne laissait aux ouvriers d’autres alternatives
qu’un chômage aggravé ou l’enrôlement dans l’armée, aboutit à
l’insurrection du 23 juin 1848 qui fut réprimée avec une sauvagerie
sans nom dont on ne retrouvera l’équivalente qu’en 1871.
Ces trois mois de misère du public trouvèrent leur épilogue dans les
fusillades, l’emprisonnement, la déportation de milliers d’ouvriers, la
suppression de la liberté de la presse. Œuvre d’une réaction qui ne
devait plus cesser de s’aggraver.
Le rêve ouvrier était encore une fois à terre. Ainsi s’écroulaient à
tout jamais les illusions du socialisme utopique fraternitaire, ayant
foi dans la bonne volonté des classes adverses.
De même disparaissait de la scène le socialisme autoritaire qui
attendait de l’action de l’État la réalisation de la justice sociale.
De cette longue et cruelle leçon devaient surgir les idées
prolétariennes modernes : Proudhon a aidé considérablement à leur
éclosion en publiant Les Contradictions économiques. Quelque jugement
qu’on porte sur son œuvre si diverse, si touffue, si contradictoire,
que certains ont pu dire de lui qu’il était le « Dieu de l’Anarchie »,
tandis que d’autres le traitaient de « petit bourgeois », il n’en est
pas moins vrai que Proudhon exerça sur son époque, et longtemps après,
une énorme influence.
Nous lui devons cette formule prophétique : « L’Atelier fera
disparaître le gouvernement », dont la réalisation reste le souci du
syndicalisme moderne. Apôtre de la liberté dont il avait le culte au
plus haut degré, il lutta contre Marx et Engels qui étaient les apôtres
de l’Autorité. Aussi, à peine ces hommes, doués les uns et les autres,
d’une puissance de travail formidable, se furent-ils rencontrés qu’ils
se séparèrent et s’affirmèrent d’irréductibles adversaires, comme le
sont encore aujourd’hui les partisans de ces deux doctrines.
Le coup d’État du 2 décembre 1851 raffermit la réaction et il faut la
venue d’éléments nouveaux pour que le prolétariat triomphe tant soit
peu de la réaction. Le renouveau de l’action ouvrière ne se poursuivit
qu’en 1862 après la visite des délégations ouvrières françaises à
l’Exposition universelle de Londres, au cours de laquelle elle parut
prendre contact avec les organisations anglaises.
L’année 1863 marqua une date importante dans le mouvement ouvrier
français. C’est, en effet à ce moment que parut leManifeste des
Soixante par lequel les ouvriers parisiens proclamaient la rupture
entre le prolétariat et la bourgeoisie même républicaine.
Ce manifeste donna prétexte à Proudhon de publier son dernier livre :
De la capacité politique des classes ouvrières. Pour la première fois,
disait-il la plèbe a fait acte de personnalité et de volonté. Elle a
bégayé « son idée ». C’était vrai.
En cette année 63, l’agitation ouvrière s’accrut fortement. Elle fut
surexcitée par les poursuites dirigées contre les grévistes de la
typographie parisienne. Le gouvernement dut céder devant les
organisations et l’opinion, en faisant voter la loi de 1864 qui
reconnaissait le droit de coalition. C’était la conquête du droit de
grève encore que la loi s’efforçât d’en restreindre autant que possible
l’exercice.
Dès lors, les événements se précipitent. En 1864, se constitue à
Londres, la Première Internationale, l’Association Internationale des
Travailleurs, fondée le 28 septembre après un meeting international à
Saint-Martin’s Hall. Karl Marx en écrivit les statuts qu’on peut
résumer ainsi : « Les travailleurs d’un même métier formaient une
section, ces sections à leur tour une Fédération, et c’est de
l’ensemble de ces Fédérations qu’était composée l’Internationale à la
tête de laquelle se trouvait un Conseil central siégeant à Londres ».
La section française fut formée en 1865. Elle eut son siège rue des
Gravilliers. Le premier congrès de l’Association Internationale des
Travailleurs se tint à Genève en 1866.
Il fut remarquable de tenue et de clarté.
Pendant que la délégation française faisait admettre que le but de
l’Internationale était : « La suppression du salariat et que celle-ci
s’obtiendrait par l’association corporative des travailleurs, la
délégation anglaise faisait accepter le principe de la journée de huit
heures comme revendication générale du prolétariat ». On évoqua même,
dès cette époque, l’idée de grève générale.
Le deuxième congrès se tint à Lausanne en 1867. Il resta dans la
tradition mutuelliste ; il déclara en outre « Que l’émancipation
sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique
et que l’établissement des libertés politiques est une mesure d’absolue
nécessité ».
Pour avoir osé émettre de semblables affirmations la section française
fut poursuivie dans ce pays, sans que ces poursuites gênassent
d’ailleurs en quoi que ce soit le développement de la Première A. I. T.
Les Congrès suivants : Bruxelles (1868), Bâle (1869), marquèrent une
évolution très nette vers le collectivisme sous l’impulsion de César de
Paëpe et de Karl Marx, dont l’influence ne devait pas tarder à se
montrer prépondérante.
À Bâle on décida « que la propriété collective était une nécessité
sociale, que la société avait le droit d’abolir la propriété
individuelle du sol et de la faire rentrer à la Communauté ».
Cependant que décroissait « Mutuellisme » modéré français et que
montait l’influence de Karl Marx, une autre tendance, celle des «
fédéralistes » s’affirmait sous l’impulsion de Michel Bakounine.
Marx et Bakounine ne devaient pas tarder à s’affronter. Pendant que les
Marxistes déclaraient que la révolution sociale ne peut s’accomplir que
par la prise de l’État et affirmaient indispensable la constitution du
prolétariat en parti politique, les fédéralistes, avec Bakounine,
voulaient supprimer l’organisation bourgeoise, désorganiser l’État
actuel et reprendre la reconstitution sociale à la base par la Commune,
cellule initiale, ce qui ne diffère guère de ce que veulent accomplir
les syndicalistes fédéralistes d’aujourd’hui avec les Bourses du
Travail et les Unions locales.
En ce qui concerne le rôle des syndicats, la divergence n’était pas
moins sensible. En effet, pendant que les premiers prétendaient que les
syndicats devaient restreindre leur action à la seule défense des
intérêts corporatifs, les seconds voyaient en eux non seulement un
instrument de lutte, mais encore une institution durable, dont le rôle
serait, la révolution accomplie, de continuer la production et
d’organiser le travail. On ne dit pas autre chose aujourd’hui.
Ces divergences eurent pour conséquence la scission d’abord, la fin de
l’A. I. T. ensuite. Lorsque Marx parvint à se débarrasser de Bakounine
en dominant complètement le Comité central, l’Association
Internationale des Travailleurs, qui avait suscité tant d’espoirs, alla
s’éteindre obscurément en Amérique, à New-York.
Néanmoins, son influence et son rôle furent énormes. En le dotant de
cette formule : L’Émancipation des Travailleurs sera l’œuvre des
Travailleurs eux-mêmes, elle a imprimé au mouvement syndical son
véritable caractère. En même temps qu’elle a précisé les aspirations et
les idées du prolétariat, elle a défini le but final de ses efforts.
Elle l’a aussi débarrassé de la gangue nationaliste. C’est un résultat
qui compte.
L’Association Internationale des Travailleurs joua, en France, un rôle
considérable. Elle servit de point d’appui solide au mouvement
revendicatif. C’est sur elle que s’appuyèrent les grèves des textiles
de Roubaix, qui tournèrent à l’émeute, et celles des mineurs de la
Ricamarie (Loire) pendant les dernières années de l’Empire.
Puis ce fut la guerre de 1870-71 et la Commune où plusieurs des membres
français du Conseil général de la Première Internationale, dont Varlin,
jouèrent un rôle de premier plan.
Puis, après l’échec du mouvement communaliste vint la répression
versaillaise avec Thiers et Galiffet qui exterminèrent, emprisonnèrent
et déportèrent plus de trente mille personnes à Paris, cent dix mille
dans la France entière.
Œuvre vaine, d’ailleurs, puisque les auteurs de ces méfaits abominables
virent eux-mêmes se reconstituer presque aussitôt le mouvement qu’ils
avaient cru détruire à jamais. N’y a-t-il pas là, dans cette
résurrection, de quoi anéantir tout le pessimisme d’aujourd’hui ?
Les premiers qui tentèrent de reconstituer le mouvement ouvrier, sous
l’état de siège et l’ordre moral, n’étaient certes pas des
révolutionnaires. Mutuellistes, républicains, ils se donnaient comme
but : la conciliation du capital et du travail, comme les démocrates
sociaux d’aujourd’hui. Ils n’en furent pas moins traqués. Preuve
suffisante pour démontrer que le capital et le Pouvoir pratiquent, eux,
constamment la lutte de classe, même lorsque le prolétariat tend à
collaborer avec eux.
Faible au début, ce mouvement n’en prit pas moins rapidement une
certaine ampleur. Par ses moyens propres, il réussit à envoyer une
délégation de 90 membres à l’Exposition Universelle de Vienne
(Autriche), en 1873.
La même année, il crée le Cercle de l’Union Syndicale, lequel donne des
inquiétudes au pouvoir qui le supprime aussitôt constitué. En 1875, il
y avait 135 Chambres Syndicales qui purent à nouveau envoyer une
délégation à l’Exposition Universelle de Philadelphie, en 1876.
C’est alors que cette délégation lança à son retour un manifeste qui
rappelait celui des soixante de 1863. On y lisait ces lignes qui,
aujourd’hui encore, ne manquent pas d’intérêt :
« Prolétaires, soyons bien persuadés que l’œuvre de la civilisation
réside en nous et qu’elle ne s’accomplira que par nous. À l’œuvre,
prolétaires ! Trop longtemps instruments de la puissance d’argent,
tendons-nous la main et marchons, ainsi, à la conquête de nos
instruments de travail, à la possession de la propriété qui, en toute
justice, doit appartenir à nous ! Le Travail est le pivot de
l’Humanité. Honneur aux travailleurs ! »
Quoique ce fût la pensée d’une minorité éclairée, assez faible, la
tradition était renouée.
Les événements vont d’ailleurs se précipiter avec rapidité.
À peine la délégation des Chambres Syndicales était-elle partie pour
Philadelphie que fut lancée l’idée d’un Congrès ouvrier, accueillie
avec un vif enthousiasme dans le pays entier.
Il se tint le 2 octobre 1876. 94 groupements (76 de Paris, 16 de
province plus 2 Unions Centrales constituées à Lyon et à Bordeaux, se
réunirent) à Paris, salle des Ecoles, rue d’Arras ; 360 délégués y
participèrent.
On a lu dans l’exposé historique des Bourses du Travail la façon dont
Bonne (tisseur de Roubaix) ébauchait déjà le rôle à ce Congrès, le
principal passage de la résolution qui y fut votée.
Certes, cette résolution n’était pas incendiaire. Loin s’en faut. Elle
proclame cependant la nécessité de l’indépendance du mouvement ouvrier.
De même elle se prononça contre le projet Lockroy, ce précurseur
malhabile de Waldeck-Rousseau. Tranquillisés, les maîtres de l’heure
purent croire que le mouvement ouvrier n’était plus à craindre. Ils se
crurent débarrassés du « spectre rouge ». Ils devaient déchanter avant
longtemps.
Les militants de l’école marxiste : Guesde, Lafargue, Chabert, rentrés
d’exil, reprirent les doctrines du Conseil général de l’A. I. T.
disparue. Ils tentèrent d’organiser un Congrès pendant l’Exposition
Universelle de Paris, en 1878. Ils furent poursuivis et empêchés de le
tenir.
Ils saisirent alors l’occasion qui leur était offerte de participer au
2° Congrès ouvrier qui se tint à Lyon, la même année. Malgré tous leurs
efforts, les collectivistes ne purent influencer le Congrès qui ne se
rendit pas à leurs idées.
C’est à ce Congrès que Balleret prononça son fameux discours contre
l’électoralisme, la dictature et l’État, bien qu’il fut collectiviste.
Il est vrai qu’à cette époque le collectivisme condamnait l’État, ce
qui n’existe plus de nos jours chez les socialistes et les communistes
qui ne voient de salut que dans une administration étatique centralisée.
Le 3ème Congrès se tint à Marseille, le 21 octobre 1879 : Les
collectivistes y triomphèrent des mutuellistes qui furent écrasés.
Par 72 voix contre 27 le Congrès adopte pour but : la collectivité du
sol, sous-sol, instruments de travail ; matières premières données à
tous et rendues inaliénables par la Société à qui elles doivent
retourner. Ce qui n’empêche nullement le Congrès d’invoquer la légalité
et de déclarer que ce programme n’est réalisable que par la prise du
pouvoir politique et de transporter dans l’arène politique
l’antagonisme des classes. Décidément, dans un an, les collectivistes,
parvenus à leurs fins, avaient fait du chemin, mais à rebours. C’est du
Congrès de Marseille, en 1879, que date l’immixtion de la politique
dans les syndicats. Ceux-ci s’en trouvèrent gênés jusqu’à la
constitution de la C. G. T. en 1895.
L’unité ouvrière en fut retardée d’un quart de siècle. Et ce fut une
suite de luttes terribles qui s’aggravèrent encore du fait des
scissions qui se produisirent et se multiplièrent dans le Parti
socialiste en se répercutant dans les Syndicats, comme aujourd’hui.
D’un côté, le socialisme faisant de l’État l’organe et la fin de la
transformation sociale ; de l’autre, un assemblage de doctrines
contradictoires qui s’efforçaient dans leur condensation difficile de
se rapprocher du Bakouninisme et des Fédéralistes de l’Internationale.
Le fossé entre le Parti socialiste et les Syndicats se creusa sans
cesse. Sentant que l’action politique compromettait leur unité et
contrariait leur activité, les Syndicats s’en détournèrent.
Dans le Parti socialiste les choses se gâtèrent d’ailleurs rapidement.
Une première scission se produisit en 1881. Brousse, Joffrin, Rouanet,
Ferroul et Boyer se séparèrent des guesdistes pour former la tendance «
possibiliste ».
Pendant ces déchirements socialistes, les Syndicats poursuivirent une
existence obscure.
Pourtant un vaste travail en vue d’une organisation plus grande se
faisait sur le terrain économique. En 1883, une organisation, la
corporative du Ve Arrondissement de Paris, appelait les salariés à
l’union « entre tous ceux qui voulaient l’affranchissement des
travailleurs par eux-mêmes ».
L’année suivante, en 1883, un groupe d’ouvriers publia une brochure
dont quelques formules sont remarquables pour l’époque
« Le Prolétariat, pour sa lutte émancipatrice, trouve aujourd’hui dans
la corporation, sa base d’opération la plus sûre, comme jadis la
bourgeoisie, pour son affranchissement, trouva la sienne dans la
commune.
Il s’agit d’ouvriériser la Société, de façon que, sur les ruines d’un
monde où l’on tenait à honneur de vivre noblement sans rien faire, il
s’élève un monde plus juste où chacun puisse vivre en travaillant et ne
puisse vivre autrement. La clef de la question sociale, c’est la
corporation ».
N’y a-t-il pas dans cette idée, bégayée, comme le disait Proudhon en
1863, l’idée de la reconstruction sociale dont les Syndicats seront les
cellules ? Bien que leur existence fût obscure, comme nous l’avons dit,
l’organisation corporative ouvrière n’en progressait pas moins.
En 1881, on comptait en France 500 Chambres Syndicales ouvrières, dont
150 à Paris, avec 60.000 adhérents ; les patrons avaient à cette époque
138 Associations groupant 150.000 membres, si l’on s’en tient au
rapport d’Allain Targé à la Chambre sur l’abrogation des arts. 414, 415
et 164 du Code pénal en 1881.
C’est en cette année 1881, que fut constituée la Fédération des
Travailleurs du Livre. Celle des Charpentiers existait depuis 1880, de
même que celle des mineurs. Les Fédérations lithographique et culinaire
furent constituées en 1884. C’est à ce moment que le législateur sentit
la nécessité d’introduire dans le Code la reconnaissance du droit
syndical, de le codifier pour canaliser l’effort ouvrier, afin de faire
des syndicats un contrepoids au patronat.
La loi du 21 mars 1884 fut l’œuvre habile de Waldeck-Rousseau.
Cette loi n’était, bien entendu, libérale qu’en apparence. Elle
reconnaissait un fait sur lequel il était impossible de revenir. Elle
établissait la séparation entre le droit de coalition et le droit
syndical. De même, elle maintenait l’art. 414 et 415 du Code pénal -
toujours en vigueur - sur les atteintes à la « liberté du travail » ;
elle refusait le droit syndical aux fonctionnaires et ouvriers de
l’État ; elle tendait à restreindre l’activité du groupement
corporatif. Le seul fait nouveau était la reconnaissance légale des
Syndicats.
Elle n’eut de valeur que par l’action tenace des ouvriers qui firent
reconnaître leurs organisations par le patronat, malgré que celui-ci
s’y opposât fortement. Elle permit au syndicalisme de se développer
plus facilement et l’État ne perdait pas l’espoir d’utiliser cette
force naissante contre le capitalisme industriel et bancaire qui
tentait, chaque jour un peu plus de se substituer à lui.
La circulaire de Waldeck-Rousseau, adressée aux Préfets, montre bien
tout le parti que le Gouvernement comptait tirer des Syndicats, s’il
réussissait à les maintenir sous sa tutelle.
Pendant que le pouvoir tentait de réaliser ses desseins, le
syndicalisme prenait force et vie. Les ouvriers acquéraient la notion
de l’interdépendance des corporations. Ils saisissaient mieux aussi la
généralisation indispensable de leurs Unions. Ils n’accordaient
d’ailleurs à la loi de 1884 que sa valeur restreinte. Ils ne
l’accueillirent que très fraîchement et en 1886, au Congrès de Lyon,
ils la dénoncèrent comme un piège. Longtemps, ils ne s’y conformèrent
que peu ou point.
D’ailleurs si cette loi n’est plus combattue aujourd’hui avec la même
vigueur, cela tient à ce que le Pouvoir a laissé tomber en désuétude la
plupart des dispositions restrictives qu’elle contient.
Nous sommes, aussitôt le vote de cette loi, en pleine confusion. À
l’intrusion du Parti politique dans le mouvement syndical, il faut
ajouter la scission du Parti socialiste, comme nous l’avons vu. Mais le
morcellement ne devait pas s’arrêter là. Les « possibilistes » de la
Fédération des Travailleurs socialistes devaient connaître une nouvelle
scission. Les « allemanistes » sortirent de la Fédération pour former
le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.
Il est impossible d’étudier ici toutes les querelles qui opposèrent les
unes aux autres les fractions socialistes, mais on doit les mentionner
pour aider à comprendre l’histoire du syndicalisme et les difficultés
qu’il rencontrera par la suite, à partir de 1920.
Si ces scissions eurent pour conséquence de gêner considérablement le
développement du syndicalisme, elles empêchèrent, par contre, un Parti
d’accaparer son action et de le mettre en tutelle.
Il serait puéril cependant de nier l’influence du socialisme de cette
époque sur le syndicalisme à peine organisé. Il ne faudrait pas non
plus surestimer cette influence. Les syndicats non socialistes ne
tardèrent pas, par exemple, à reconnaître l’impossibilité de concilier
les intérêts des travailleurs avec ceux des patrons. L’esprit
révolutionnaire ne tarda pas à se développer chez eux.
Les divisions qui réduisaient le socialisme à l’impuissance eurent pour
effet de rapprocher les ouvriers de l’action, spécifiquement syndicale
qui prit sans cesse une plus grande place. Déjà, ils ne la
subordonnaient plus aussi complètement à l’action politique, lorsque
les « allemanistes » proclamèrent au X° Congrès, en 1891, « que
l’action politique n’a guère que la valeur d’un moyen de propagande et
d’agitation ».
Cette motion déclarait en outre : « Il y a nécessité d’envisager une
levée en masse des travailleurs, qui par la grève générale nationale et
internationale, donneront une sanction aux grèves partielles ».
C’était la première fois que l’idée de la grève générale était formulée
d’une façon claire et nette. Elle devait faire son chemin.
À côté des « allemanistes », les « blanquistes » du Comité
révolutionnaire central (fondé en 1881) avec Vaillant, tendaient à
reconnaître au mouvement syndical une certaine autonomie pendant que
les anarchistes-communistes, dont le rôle ne tardera pas à être
prépondérant, affirmaient déjà la nécessité de l’indépendance du
syndicalisme.
C’est sous de tels auspices que se réunit le Congrès de Lyon, le 11
octobre 1886. Alors que les socialistes pensaient que les Syndicats
étaient acquis « au socialisme parlementaire », ceux-ci s’affirmèrent
au contraire nettement « révolutionnaires ».
Pour différencier les deux sections du mouvement ouvrier, le Congrès
décida la constitution d’une Fédération des Syndicats qui permettrait
de distinguer les deux actions : économique et politique.
Il vota, à ce sujet la résolution suivante :
« La Fédération nationale des Chambres Syndicales se déclare sœur de
toutes les Fédérations socialistes ouvrières existantes, les
considèrent comme une armée tenant une autre aile de la bataille ; ces
deux armées devront dans un temps peu éloigné faire leur jonction sur
un même point pour écraser l’ennemi commun. »
À vrai dire c’était là une affirmation assez équivoque de l’autonomie
des mouvements. La prédominance du Parti y était à peine masquée. On
s’en aperçut bien au Congrès de Montluçon en 1887 et on le vit mieux
encore lorsque la Fédération des Syndicats et groupes corporatifs
ouvriers de France tint ses assises dans les mêmes villes et avec les
mêmes éléments, en même temps que l’organisation politique à la
remorque de laquelle elle traîna une existence peu brillante, malgré
quelques velléités d’indépendance, comme à Bordeaux en 1888.
Elle disparut d’ailleurs assez vite de la scène. Sans programme bien à
elle, machine politique au service de l’action électorale, elle était
d’avance vouée à l’impuissance. Sa disparition fut encore hâtée par
l’apparition des Bourses du Travail, fait capital de cette époque du
mouvement syndical.
On a trouvé dans l’étude consacrée à la Bourse du Travail toute
l’histoire de celle-ci et son origine. Nous n’y reviendrons donc pas
ici. Nous nous bornerons à constater que la première Bourse fut créée à
Paris en 1886, après l’adoption du projet Mesureur.
Les Bourses se multiplièrent rapidement. II y en avait 14 en 1892.
Elles eurent tout naturellement l’idée de se fédérer entre elles et
mirent leur projet à exécution à Saint-Étienne, le 7 février 1892.
Leur but, leur constitution furent définis à ce Congrès. De cette
époque date la deuxième phase évolutive du syndicalisme qui va sans
tarder affirmer son caractère de mouvement spécifique de classe.
Le Syndicat socialiste sentant le danger que représentait pour eux la
jeune Fédération des Bourses, repoussa la proposition d’un Congrès
commun à la réunion des Syndicats de la Fédération des Syndicats à
Marseille en 1892.
Ce Congrès de Marseille de la Fédération des Syndicats eut à se
prononcer sur la résolution votée à la Conférence régionale de Tours
qui s’était tenue quelques jours auparavant et avait adopté la grève
générale comme seul moyen révolutionnaire. Malgré tout le talent de M.
Aristide Briand - qui depuis... - le Congrès de Marseille marqua sa
rupture avec les Syndicats en repoussant leur suggestion.
C’est alors que se tint à Paris, en 1893, un autre Congrès des Bourses
qui fut retardé en raison de la fermeture de la Bourse du Travail de
Paris par Charles Dupuy, président du Conseil, à qui l’activité des
Bourses portait ombrage.
Ce Congrès se tint le 12 juillet 1893. Il eut tout de suite le
caractère d’une protestation véhémente contre le coup de force
gouvernemental. Un grand nombre de délégués, y compris ceux
représentant les Centres inféodés au Parti, y assistaient.
La discussion sur la question d’union des forces ouvrières se termina
par le vote de la résolution ci-dessous :
« Tous les Syndicats ouvriers existants devront, dans le plus bref
délai, adhérer à leur Fédération de métier ou en créer, s’il n’en
existe pas ; se former en Fédérations locales ou Bourses du Travail,
puis ces Fédérations et ces Bourses du Travail devront se constituer en
Fédérations nationales.
À cet effet, le Congrès émet le vœu que la Fédération des Bourses du
Travail de France et la Fédération nationale des Chambres Syndicales se
fondent en une seule et même organisation.
Il sera fondé un Comité Central composé de deux délégués par Fédération
de métier et quatre pour la Fédération nationale des Bourses du Travail
et les Chambres Syndicales. »
Ce ne fut, hélas !, qu’un vœu. L’organisation unique ne devait surgir
que deux ans plus tard, en 1895, après la disparition effective de la
Fédération des Syndicats en 1894, après le Congrès de Nantes.
L’idée concrète de l’Unité au mouvement syndical n’en date pas moins de
ce Congrès. Elle devait trouver sa matérialisation assez rapidement.
Elle se fera pressante jusqu’au point d’apparaître comme la
préoccupation dominante de la classe ouvrière.
Un recul suivit pourtant cette décision du Congrès de 1893.
Le Congrès avait bien nommé une Commission de neuf membres dite «
d’organisation de la grève générale », mais elle fit aucun travail
vraiment positif. Il convient d’ailleurs d’ajouter que le Parti ouvrier
français ne lui ménagea pas les ennuis et il fit si bien qu’au Congrès
de Nantes, en 1894, les deux Fédérations (Bourses et Syndicats),
organisèrent deux Congrès séparés.
La Bourse du Travail, sollicitée par les deux groupements, leur déclara
qu’il ne lui semblait pas nécessaire d’organiser ces deux Congrès et
leur proposa de fusionner. Tandis que la Fédération des Bourses
acceptait aussitôt, celle des Syndicats donna son adhésion d’assez
mauvaise grâce, après avoir tenté de tenir son Congrès à Saint-Nazaire.
C’était, pour le Parti ouvrier français un échec incontestable. Aussi,
décida-t-il, pour la première fois, que le Congrès politique
précéderait celui des Syndicats. Il espérait qu’en se prononçant contre
la grève générale, il influencerait le Congrès des Syndicats. Il n’en
fut rien.
Les éléments des Syndicats du Parti furent complètement défaits et
c’est par 67 voix contre 37 que le Congrès se prononça contre la thèse
du Parti ouvrier français.
La cassure était consommée et l’Unité, un moment entrevu semblait
s’éloigner à nouveau.
Ces perspectives alarmantes disparurent assez vite en raison du rôle
réduit que joua désormais la Fédération des Syndicats.
Ombre d’elle-même, elle tint un Congrès à Troyes en 1895. Elle
anathématisa contre la grève générale et repoussa l’idée de la grève
générale, mais elle ne put empêcher que la Confédération Générale du
Travail naisse à Limoges en cette même année 1895.
D’autres faits allaient concourir à soustraire le mouvement syndical à
l’influence des partis politiques. Guesde, en effet, réagit
vigoureusement contre cette séparation du syndicalisme et du socialisme
parlementaire, et le Congrès international socialiste de Londres (1895)
eut à examiner longuement cette question.
Déjà, il avait pris la précaution, dans un précédent Congrès
international tenu à Zurich, de faire voter avec ses amis de
l’Internationale, une résolution qui excluait tous les adversaires de
l’action parlementaire
Cette résolution disait : « Toutes les Chambres Syndicales seront
admises au Congrès, et aussi les Partis et les organisations
socialistes qui reconnaissent la nécessité de l’organisation des
travailleurs et de l’action politique.
Par l’action politique on entend que les organisations des Travailleurs
cherchent autant que possible à employer ou à conquérir les droits
politiques et le mécanisme de la législation, pour amener ainsi le
triomphe des intérêts du prolétariat par la conquête du pouvoir
politique. »
On comprend aisément qu’ainsi préparé, le Congrès de Londres ne fut
qu’une violente réaction des politiciens contre le syndicalisme
affirmant sa maturité. La bataille commence par la discussion sur la
validation des mandats. Les politiques contestèrent ceux des délégués
ouvriers en rappelant la décision de Zurich. Les deux thèses
s’affrontèrent avec force. Ce fut Guesde qui engagea la bataille.
Tranchant comme à son habitude, il déclara :
L’action corporative est une simple interprétation de l’ordre
capitaliste. La classe ouvrière ne peut se désintéresser du
gouvernement. C’est au gouvernement, c’est au cœur qu’il faut frapper.
Dans ce Congrès, il n’y a pas de place pour les ennemis de l’action
politique. Ce n’est pas de l’action corporative qu’il faut attendri la
prise de possession des grands moyens de production. Il faut d’abord
prendre le gouvernement qui monte la garde autour du capitalisme.
Ailleurs, il n’y a que mystification, il y a plus, il y a trahison...
Ceux qui rêvent une autre action n’ont qu’à tenir un autre Congrès.
Comme on le voit, la condamnation était formelle, sans réplique.
Aveuglé par son dogmatisme politique, Guesde ne pouvait comprendre que
c’est par l’action simultanée de destruction du pouvoir bourgeois et de
prise des moyens d’échange et de production que le prolétariat, toutes
forces réunies, mettra fin au régime capitaliste.
Il n’en fut pas moins suivi par tous les représentants socialistes
français : Jaurès, Gérault-Richard, Viviani, Deville, Rouanet et
Millerand, dont la majorité devait, par la suite, faire une si
brillante carrière dans le sein de la bourgeoisie, avec Guesde lui-même.
Les représentants socialistes étrangers ne furent d’ailleurs pas moins
catégoriques. Nous sommes, proclament Wilhem Liebknecht, avec les «
collectivistes », contre les « anarchistes ».
C’était le renouvellement des luttes de la 1ère Internationale, les
mêmes que celles que nous connaissons aujourd’hui.
Les délégués syndicaux français se défendaient d’assister à ce Congrès
en tant qu’anarchistes. Ils n’étaient que des délégués ouvriers et rien
de plus, quelles que soient, affirmaient-ils, leurs pensées
personnelles.
C’étaient, parmi les plus marquants, Pelloutier, secrétaire des Bourses
; Allemane, leader du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire ;
Vaillant, député de la Seine ; Pouget, rédacteur du « Père Peinard » ;
Guérard, des cheminots ; Tortelier, un des précurseurs du syndicalisme.
Tous se réclamaient purement et simplement de leur mandat syndical.
Ce mandat se traduisait ainsi : S’abstenir de toute discussion, de
toute déclaration politiques ; sur ce point, ils étaient neutres, si
bien qu’ils s’abstinrent dans le vote excluant les anarchistes
proprement dit. Ils ne voulaient faire que de l’action syndicale.
La délégation française se sépara en deux parties à peu près égalés :
57 contre, 56 pour.
Furieux, les socialistes français firent claquer les portes et se
retirèrent, en dénonçant comme une manœuvre de la réaction - déjà -
cette indifférence des syndicats pour la conquête du pouvoir qui
livrait le socialisme à l’ennemi.
Le Congrès se montra lui-même, si possible, plus intransigeant encore.
La tendance politique s’y affirma nettement... « L’action législative
et parlementaire » fut considérée « comme l’un des moyens nécessaires »
pour arriver « à la substitution du socialisme au régime capitaliste ».
En conséquence, déclarait Wilhem Liebknecht, dans sa motion, les
anarchistes seront exclus.
Ces décisions du Congrès de Londres eurent pour résultat d’accentuer la
séparation des deux mouvements en France. C’était le rôle que devait
jouer le Ie Congrès de l’I. S. R. en 1922.
« Tous les militants de l’action syndicale, écrivait aussitôt
Pelloutier, vont exploiter l’intolérance stupide de la majorité pour
élargir le fossé qui séparait déjà les syndicats des politiciens ». Il
en fut ainsi jusqu’en 1906, après que les partisans de l’action
politique eurent multiplié leurs assauts jusqu’au Congrès d’Amiens en
1906.
La résolution de Londres n’eut pas des effets qu’en France. Elle
paralysa longtemps, et jusqu’à la guerre, l’activité de
l’Internationale syndicale. C’est un chapitre qui sera étudié plus loin.
* * *
CONSTITUTION DE LA C. G. T.
La constitution de la Fédération des Bourses du Travail n’avait fait
qu’ébaucher l’organisation nationale du syndicalisme français. C’était
certes, un commencement important, mais il était évident qu’une tâche
considérable restait à accomplir.
Les Bourses du Travail réalisaient bien le lien social - le plus
important - entre les Syndicats d’une même localité, la Fédération
réalisait bien aussi ce lien au point de vue national, mais il était
évident qu’il fallait aussi réaliser la liaison nationale entre les
Syndicats d’un même métier.
Les Guesdistes avaient tenté de le faire avec leur Fédération des
Syndicats, tandis, que par contre, ils n’avaient pas, par
méconnaissance ou dogmatisme étroit, cherché à réaliser le lien social.
Il est fort probable que l’absence de ce lien qui favorisait l’action
du Parti ou des Partis socialistes fut volontaire parce que les
Guesdistes sentaient déjà que le syndicalisme, ainsi organisé
socialement, ne tarderait pas à s’émanciper de leur tutelle. Il ne faut
pas chercher d’autre raison à l’hostilité sans cesse accrue que les
Guesdistes manifestèrent toujours à l’égard de la Fédération des
Bourses du Travail, cellules de la Société de l’avenir.
Avortée dès sa constitution, la Fédération des Syndicats n’eut ni le
programme sérieux, ni l’action vigoureuse capables d’attirer les
travailleurs.
Ceux-ci, la sentant d’ailleurs placée sous les directives politiques,
la boudèrent. Les querelles, les scissions dont le Parti socialiste fut
l’objet les en détachèrent définitivement. Instinctivement, ils se
rapprochèrent de la Fédération des Bourses et, y adhérant en grand
nombre, lui donnèrent tout de suite une importance considérable,
pendant que, sous l’influence et par le labeur acharné de Pelloutier,
elles jouaient un rôle de plus en plus grand.
Ce ne fut, certes, pas l’œuvre d’un jour. Ce n’est qu’après bien des
tâtonnements, des erreurs souvent graves, des incohérences forcées que,
dans ces temps troublés, la Fédération des Bourses parvint à faire
comprendre la neutralité politique que le Congrès d’Amiens devait
proclamer comme la première condition d’Unité ; et que le mouvement
ouvrier réussit à donner son organisation propre, de classe,
indépendante de tous les partis.
Ce sont autant de difficultés que les militants durent vaincre,
difficultés que ne comprennent pas toujours les hommes de notre époque
qui ignorent, en immense majorité, comment s’est constituée la C. G. T.
Le syndicalisme actuel, dans ses organes comme dans ses idées - trop
souvent inexprimées - n’est pas le résultat de l’application d’un plan,
d’un système préconçu. Il est la conséquence d’une longue étude des
faits sociaux, de leurs enseignements. Il résulte d’une longue et
pénible évolution qui continue. Son aspect, ses caractéristiques
particulières se modifient selon les nécessités du moment. Il en sera
toujours ainsi parce qu’il est l’interprétation aussi exacte que
possible de la vie en perpétuelle évolution. Le syndicalisme de l’an
2000 ne ressemblera pas plus à celui 1925 que celui-ci ne ressemble au
mouvement de 1873. Il peut évoluer à l’infini, donner à toutes les
périodes de l’histoire, satisfaction à tous les individus, quelle que
soit leur philosophie. Il peut réaliser aussi bien le communisme
organisé que le communisme libre associatif et momentané pour
atteindre, un jour, au stade supérieur de l’Anarchie. Ceci est
suffisant pour que tous les travailleurs y trouvent place et tentent
dans son sein d’acquérir le maximum de bien-être et de liberté
correspondant à chaque époque de l’histoire, à chaque stade de
l’évolution. Le syndicalisme est un perpétuel devenir.
C’est ce que comprit Pelloutier lorsqu’il entreprit l’œuvre grandiose
qui devait trouver son achèvement dans la constitution des Bourses du
Travail et la constitution de la C. G. T. C’est ce qu’il précisa dans
sa fameuse lettre aux anarchistes.
C’est sous l’empire de ces idées générales, mal assises, confuses
peut-être, que délibéra le Congrès de Nantes en 1894.
Pelloutier proposait que le lien commun fût le Comité de grève générale
; d’autres comme Bourderon, qui représentait la Bourse du Travail de
Paris, voulaient créer un lien national plus solide.
Il en sortit un Comité Syndical ouvrier mal venu, qui resta incompris,
n’eut qu’une influence restreinte et, en réalité, ne fonctionna que peu
ou même pas du tout. Il n’en formait pas moins l’embryon de la future
C. G. T.
Le Congrès de Nîmes, en 1895, indiqua le développement de la Fédération
des Bourses et la place de première importance qu’elle prenait dans le
mouvement ouvrier. C’est ce Congrès qui appela Pelloutier au
Secrétariat national de la Fédération des Bourses : Il le conserva
jusque sa mort, en 1900.
Les militants, disait ce Congrès, sont à nouveau préoccupés de donner
un organisme sérieux et durable au prolétariat français, ils sont
préoccupés aussi de rechercher les moyens, les plus propres à unifier
les organisations ouvrières, à coordonner les forces syndicales et à
dresser, en face du capital, l’armée du prolétariat.
C’est à cette tâche que se consacra le Congrès de Limoges qui s’ouvrit
le 23 septembre 1895.
À ce Congrès étaient représentées : 28 Fédérations, 18 Bourses et 18
Chambres Syndicales. La première question à l’ordre du jour était la
suivante : Plan général d’organisation corporative, de l’action et des
attributions des différentes organisations existantes.
Cette seconde partie de l’ordre du jour avait pour but de faire
disparaître le chevauchement d’attributions dangereuses et qu’il
fallait, autant que possible, délimiter. On n’y parvint d’ailleurs
qu’assez mal.
Ce Congrès marqua la prépondérance incontestée de la Fédération des
Bourses. Il marqua la nécessité de tenir l’action syndicale hors de
l’action politique, il reconnut l’indispensabilité de séparer les deux
mouvements : économique et politique.
Après une longue discussion, la Commission d’organisation corporative
proposa les dispositions suivantes qui indiquaient les statuts
primitifs de l’organisation Confédérale :
1° Entre les divers Syndicats des groupements professionnels, de
Syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes existant en France et
aux Colonies, il est créé une organisation unitaire et collective qui
prend pour titre : Confédération Générale du Travail. Les éléments
constituant la Confédération Générale du Travail devront se tenir en
dehors de toutes écoles politiques ;
2° La Confédération Générale du Travail a exclusivement pour objet
d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite
solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale ;
3° La Confédération Générale du Travail admet dans ses rangs a) Les
Syndicats ; b) Les Bourses du Travail ; e) Les Unions ou Fédérations
locales de Syndicats de diverses professions ou de métiers similaires ;
d) Les Fédérations départementales ou régionales de Syndicats ; e) Les
Fédérations nationales de Syndicats de diverses professions ; f) Les
Unions ou Fédérations nationales de métiers et les Syndicats nationaux
; g) Les Fédérations d’industrie unissant diverses branches de métiers
similaires ;
Les articles suivants fixaient la constitution intérieure de la C. G.
T., à la tête de laquelle se trouvait placé un Conseil National formé
de délégués des Unions ou Fédérations, les attributions de celui-ci et
des Commissions qu’il pourrait constituer, l’institution d’un Congrès
annuel. À la vérité, tout cela était assez confus, mais correspondait à
la complexité, à la diversité des organismes ouvriers de cette époque.
C’était plutôt un « entassement » - le mot est de Jouhaux - qu’une
organisation rationnelle.
Si imparfaite qu’elle soit, l’œuvre accomplie à Limoges est loin d’être
négligeable. Elle marque un sérieux progrès sur ce qui existait
auparavant.
La nouvelle organisation, pour primitive et imparfaite qu’elle fût,
rencontra d’ardents défenseurs qui, avec raison d’ailleurs, ne se
masquèrent pas leurs critiques.
Le 3ème Congrès National corporatif se tint à Tours, du 14 au 19
septembre 1896.
Il constata que la fusion des éléments participant à l’action
confédérale (Fédérations d’Industrie et Bourses du Travail), était loin
d’être accomplie, que l’unification n’était guère que théorique.
La Fédération des Bourses, en particulier, avait une assez grande
méfiance à l’égard de la nouvelle organisation dont l’activité était
restreinte. Elle tint un Congrès à Tours avant le Congrès Confédéral.
Il s’ouvrit le 9 septembre.
Pelloutier voulait qu’on définît le rôle général des groupements locaux
et par contrecoup la valeur de transformation du syndicalisme.
Il fut décidé de donner aux Bourses un programme de recherches
méthodiques sur ces conditions économiques du travail, de la
production, de l’échange, de façon qu’en étudiant les régions qu’elles
embrassent en apprenant, avec les besoins, les ressources
industrielles, les zones de culture, la densité de la population, en
devenant des écoles de propagande, d’administration, d’études, en se
rendant pour tout dire en un mot, capables de supprimer et de remplacer
l’organisation présente, elles s’affirment comme une institution
pouvant s’adapter à une organisation sociale nouvelle. N’est-ce pas là,
concrètement définie, la pensée des syndicalistes d’aujourd’hui ?
N’est-ce pas cette idée qui les a guidés lorsqu’ils voulaient
substituer les Unions régionales économiques, au Congrès constitutif de
la C. G. T. et, en juillet 1922, aux Unions départementales,
délimitations politiques sans valeur pour le mouvement syndical ?
Le Congrès des Bourses définit ainsi son attitude en regard de la C. G.
T. Le Congrès des Bourses du Travail accepte la constitution d’une
Confédération exclusivement composée des Comités fédéraux des Bourses
du Travail et des Unions locales de métiers, cette Confédération
n’ayant pour objet que d’arrêter, sur les faits d’intérêt général qui
intéressent le mouvement ouvrier, une tactique commune, et la
réalisation de cette tactique restant aux soins et à la charge de
celles des Fédérations adhérentes qu’elle conserve.
Ce n’était, évidemment, qu’une adhésion conditionnelle, réservée, mais
telle qu’elle, elle marquait un grand pas en avant vers l’Unité réelle.
Le Congrès des Bourses régla ainsi qu’il suit les rapports des deux
organisations (Bourses et Syndicats).
Pour arriver à diminuer la durée des Congrès, le 5e Congrès des Bourses
est d’avis que : 1° Chaque Fédération Nationale doit supprimer de son
ordre du jour particulier, toutes les questions d’intérêt général,
l’étude de ces questions devant être laissée au Congrès général des
Syndicats ; et 2° Que tous les Congrès administratifs doivent se tenir
à la même époque et dans la même ville. Pour sanctionner ce vœu, il
décide que les futurs Congrès des Bourses du Travail n’inscriront à
leur ordre du jour que les questions intéressant les Bourses du
Travail. Cette résolution fut acceptée par 25 voix contre 5. Ainsi fut
défini le régime sous lequel devaient se tenir pendant 8 années les
assises nationales du mouvement syndicaliste français.
Le Congrès de la C. G. T. s’ouvrit aussitôt après, avec 71 délégués
représentant 203 organisations corporatives. Il discuta surtout
l’attitude des syndicats vis-à-vis de la politique.
Les questions politiques disait Keufer, les rivalités d’école qu’on ne
compte plus, ont dispersé les effets, augmenté les divisions et
l’impuissance.
Ne se croirait-on pas en 1925 ? Les délégués furent unanimes à écarter
des Syndicats « ce brandon de discorde », en même temps qu’ils
précisèrent, comme suit, la mentalité, syndicale.
Le Congrès corporatif de Tours invite les organisations corporatives à
se tenir à l’écart de toute action politique.
On aurait aujourd’hui grandement besoin de revenir à cette saine
conception du syndicalisme.
Le principe de la grève générale fut aussi accepté à la presque
unanimité avec une précision importante dont la valeur reste totale
aujourd’hui.
La grève générale comme la grève partielle, sont des conflits d’ordre
économique, et si, après les Syndicats, l’idée en a été propagée par
des groupements politiques révolutionnaires, qui acceptent les
décisions des Congrès ouvriers au lieu de les combattre, ils n’en
conservent pas moins un caractère de lutte purement syndicale.
Le Congrès ne faisait pas, toutefois, de l’acception de ce principe,
une condition formelle et absolue à l’admission à la C. G. T.
Tours marquait un très gros progrès sur les Congrès antérieurs. Il
restait beaucoup à faire pour faire passer son œuvre théorique dans le
domaine des faits.
Ce fut l’œuvre du Congrès de Montpellier en 1902. Entre temps, les deux
organisations (Bourses et Syndicats) vécurent côte à côte sans cesser
d’avoir leur vie propre, se querellant souvent, méfiante l’une
vis-à-vis de l’autre. La Fédération des Bourses dominait manifestement,
sous l’admirable impulsion de Pelloutier. Elle traduisait fréquemment
ses craintes d’être absorbée par la C. G. T. À son Congrès de Toulouse,
en 1897, elle se montra renforcée et agissante, désireuse d’étendre son
action aux milieux ruraux et maritimes, dont Pelloutier avait pressenti
le grand rôle dans la révolution économique.
Le Congrès des Syndicats, moins important, tenta, lui aussi, de définir
les attributions et représentations des deux organismes au sein de la
C. G. T.
Toulouse fut un essai d’unification qui aurait dû logiquement se
continuer à Rennes en 1898. Ce fut le contraire.
Ce Congrès de Rennes aboutit en fait à la séparation des deux sections
Confédérales. Aucun doute n’est permis lorsqu’on lit dans la résolution
adoptée, ce passage significatif :
Les deux organismes constituant la Confédération (Comité National et
Fédérations des Bourses) ne se réunissent qu’en cas d’événements
imprévus et nécessitant manifestement une entente.
Si l’idée d’Unité subsistait, elle n’était pas moins en recul quant à
la réalisation.
En somme, la C. G. T. ne constituait qu’une sorte de lien moral entre
les deux Organisations qui la composaient. Des militants virent
immédiatement le danger d’une telle situation. On sera obligé de les
réunir à nouveau disait Braun (Fédération de la Métallurgie). « Le
Congrès de Rennes n’a pas fait de bonne besogne ». La question de
votation fut aussi posée au 10ème Congrès Corporatif National. Il
s’arrêta au système du vote unitaire par Syndicat, quelle que soit
l’importance numérique de celui-ci. Cette question reviendra d’ailleurs
par la suite devant les Congrès suivants. Elle n’a pas cessé de se
poser et continuera à l’être pendant longtemps encore.
À cette époque, nous étions en plein dreyfusisme, et le Syndicalisme
ressentait fortement les secousses de l’agitation provoquée par cette
affaire Dreyfus ainsi que par les crises industrielles qui se
produisirent alors.
Aussitôt le Congrès de Rennes terminé, la grève des Terrassiers de la
Seine, auxquels s’étaient joints un grand nombre de travailleurs du
Bâtiment, battait son plein. 50.000 ouvriers au moins étaient en grève.
Le moment parut propice pour engager la lutte et déclencher la grève
générale.
Les Fédérations des Métallurgistes et des Cheminots se montrèrent très
enthousiastes pour ce mouvement. C’est surtout de la Fédération des
Cheminots que le signal était attendu pour ce mouvement, dont on
escomptait beaucoup en raison de l’effet politique et économique qu’il
ne devait pas manquer de produire, à la veille de l’Exposition
Universelle de Paris (1900).
Le Gouvernement ayant intercepté les ordres de grève des Cheminots,
l’échec fut complet dans cette corporation et, par répercussion, dans
toutes les autres.
Lagailse, secrétaire de la C. G. T. et secrétaire adjoint des
Cheminots, démissionna.
Par contre, les organisations du Bâtiment, mais elles seules, obtinrent
de sensibles améliorations qui devaient, par la suite, largement
contribuer au développement du syndicalisme dans cette importante
industrie.
L’agitation au sujet de l’affaire Dreyfus sépara en deux groupes les
forces ouvrières. Pendant que les unes étaient pour la révision, avec
ceux qui suivaient Jaurès et Allemane dans le Parti socialiste, les
autres se tenaient dans la neutralité. Les anarchistes participèrent,
eux, activement à l’agitation « Dreyfusarde » avec Sébastien Faure, au
premier rang de la bataille.
L’aboutissant de cette campagne fut le triomphe de la coalition des
gauches et l’entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau,
aux côtés de Galiffet le massacreur des Communards. Drôle de symbole
qui prendra par la suite toute sa signification, lorsque Millerand
arrivera au pinacle.
Et c’est à ce moment que s’ouvrit ce qu’on a appelé la période du
Millerandisme, dont le but consistait à enrégimenter les forces
ouvrières pour soutenir un pouvoir d’État chancelant. Le programme du
Millerandisme fut exposé à Saint-Mandé en 1901, par son auteur.
Quoique habile, ce calcul n’eut pas les résultats attendus par les
libéraux flanqués de Millerand-le-Renégat.
Toutes les prévisions de Millerand furent détruites et ses espoirs
furent mis à terre par la grande grève du Creusot qui devait forcer
3.000 ouvriers à s’exiler et aboutit à la négation du droit syndical
dans la contrée soumise au bon plaisir de Schneider.
L’incident sanglant survenu au cours d’une grève à la Martinique
détourna définitivement les ouvriers du Millerandisme.
Entre temps, eut lieu, à Paris, le Congrès des Bourses, en 1900, ou 34
organisations étaient représentées. La question des rapports avec les
partis politiques fut encore posée, mais sans succès pour ceux qui
discutaient la fusion avec les groupes socialistes.
Après une belle démonstration de Pelloutier condamnant l’effet
désastreux qui résulterait de cette fusion le Congrès adopta, à
l’unanimité, la motion suivante de la Bourse de Constantine
Considérant que toute immixtion des Bourses du Travail dans le domaine
politique serait un sujet de division et détournerait les organisations
syndicales du seul but qu’elles doivent poursuivre : l’émancipation des
travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Décide : Qu’en aucun cas,
la Fédération des Bourses du Travail ne devra adhérer à un groupement
politique. Mais d’autre part, par un sentiment qu’on ne s’explique
guère autrement, par une crainte de déviation qui aurait annihilé toute
l’action et la propagande de la Fédération des Bourses, il fit
repousser l’adhésion plus complète à la C. G. T.
« Ces deux organisations, dit le délégué de Lyon, doivent marcher de
pair et faire chacune son travail, mais sans se confondre ».
L’œuvre incomplète de Rennes n’était pas achevée. Le Congrès de la C.
G. T. se tint également à Paris, du 10 au 14 septembre 1900. 236
organisations y étaient représentées par 171 délégués.
La question des Fédérations d’industrie y fut agitée sans trouver de
solution. Elle n’est pas encore solutionnée en ce moment.
La plus importante décision qui fut prise par le Congrès, fut la
publication d’un journal syndicaliste La Voix du Peuple. L’abonnement
de ce journal fut obligatoire. Il fit partie de ce qu’on a appelé : la
triple obligation confédérale.
Lagailse fut remplacé au Secrétariat Confédéral par Renaudin (des Cuirs
et Peaux), qui ne resta que quelques mois en fonctions et fut lui-même
remplacé par Guérard (des Cheminots). Les deux Congrès Corporatifs
(Bourses et Fédérations) se tinrent l’un après l’autre mais non dans la
même ville.
Celui des Bourses se tint à Nice, le 17 septembre 1901. Pelloutier,
mort en 1900, avait été remplacé par Yvetot. Niel qui devait, un peu
plus tard, être appelé au Secrétariat de la C. G. T. et qui
représentait à ce Congrès la Bourse du Travail de Montpellier,
concluait, dans son rapport sur la question de l’Unité, à l’union
immédiate des deux grandes organisations nationales.
Cela est incompatible avec l’unité ouvrière, disait-il ; cela crée un
antagonisme d’idées et de personnes. Il faut donc que l’une des deux
disparaisse en tant qu’organisation centrale et qu’elle se fonde dans
l’autre.
Et à son avis, ce qui peut surprendre ceux qui ignorent les idées de
Niel, c’était la Fédération des Bourses qui devait disparaître ou tout
au moins renoncer à son côté dirigeant.
Le Congrès n’entendit pas ce langage et ne suivit pas Niel. Yvetot
s’opposa à la fusion ainsi conçue et sur son intervention, le Congrès
se prononça en faveur « d’une étude plus approfondie » du projet Niel.
Toutefois, les désirs et les besoins d’unité étaient réellement
considérables. Ils allaient devenir bientôt décisifs. Le Congrès
confédéral, le 6°, se tint à Lyon, du 23 au 27 septembre 1901.
Le projet Niel revint en discussion. Le plan du délégué de Montpellier
fut ainsi esquissé : à la base, le Syndicat ; au-dessus, la Bourse du
Travail ; après les Bourses, les Fédérations ; enfin pour couronner
l’édifice syndical, la C. G. T., synthèse de l’action ouvrière.
Les superpositions de groupements subsistaient encore, mais elles
étaient considérablement réduites.
Le projet fut remis et renvoyé à l’examen du Congrès de 1902 qui se
tint à Montpellier du 22 au 27 septembre Une nouvelle explosion de
grèves, le vote de la loi des 10 heures (Colliard-Millerand), les
incidents qui en résultèrent incitèrent les militants à en finir.
Le Congrès des Bourses réunies à Alger, la semaine précédente, avait
reconnu la nécessité de l’union. Un projet fut adopté dans ce sens et
on confia à Niel le soin de le présenter au Congrès Confédéral.
Montpellier fut le véritable Congrès de l’Unité. Il fui dominé par
cette question essentielle et la préoccupation de lui donner un statut.
Un seul Syndicat, celui des Maçons de Reims, formula quelques réserves.
L’accord fut scellé à la quasi-unanimité. La coordination des forces
confédérales était réalisée. La C. G. T. prit à Montpellier sa
véritable figure.
Maxime Leroy dans la Coutume Ouvrière définit ainsi la C. G. T. issue
du Congrès de Montpellier :
La Confédération Générale du Travail ne constitue pas un groupement
fonctionnant indépendamment des Syndicats, Bourses et Fédérations, à la
manière d’un pouvoir exécutif se superposant et s’ajoutant, en les
complétant, aux divers rouages politiques ou administratifs de la
République. Elle n’est pas, non plus comparable à une sorte de «
Syndicat supérieur », le « Syndicat des Syndicats », comme disait M.
Allou, au Sénat, pendant la discussion de la loi de 1884. Elle n’est
pas davantage une association de personnes ; elle n’a pas une vie
autonome ; elle n’a ni assemblée générale, ni adhérents individuels.
Cette démonstration est exacte. Elle montre l’impossibilité pour le
régime actuel d’incorporer la C. G. T. dans son cadre juridique. Si
elle ne montre pas son rôle, ni son but, elle l’exprime pourtant par
l’application de la théorie des contraires. Nous le verrons en
examinant d’abord la résolution de Montpellier et aussi la Charte
d’Amiens. Désormais, la C. G. T. va représenter le groupement commun
aux deux sections : Bourses et Fédérations, fusionnées dans son sein.
C’est une organisation au troisième degré ; le groupement de base étant
le Syndicat de métier ou d’industrie, le groupement secondaire ayant
forme double de Fédération nationale ou Bourse du Travail et la C. G.
T. le groupement réalisent entre celles-ci la liaison qu’elles forment
elles-mêmes entre les Syndicats.
On pourrait croire que cette organisation double de la base au faite
n’est pas souple, qu’il existe encore des chevauchements, que l’unité
est incomplète. Il n’en est rien. Àu contraire, une telle organisation
assure l’autonomie des groupements et la coordination des efforts, à
condition que l’une des deux organisations secondaires ne tente pas
d’empiéter sur les attributions de l’autre.
L’article 3 des statuts de Montpellier qui sera d’ailleurs modifié à
plusieurs reprises, notamment en 1918 après le Congrès de Paris, donne
la raison décisive de cette constitution et fixe les attributions et
obligations des organismes.
Ci-dessous le texte de cet article essentiel :
Nul Syndicat ne pourra faire partie de la C. G. T. s’il n’est fédéré
nationalement et adhérent à une Bourse du Travail ou à une Union de
Syndicats locale ou départementale ou régionale de corporations
diverses. Toutefois, la Confédération Générale du Travail examinera le
cas des Syndicats qui, trop éloignés du siège social d’une Union
locale, ou départementale, ou régionale, demanderaient à n’adhérer qu’à
l’un des deux groupements cités à l’article 2.
Elle devra, en outre, dans le délai d’un an, engager et ensuite mettre
en demeure les Syndicats, les Bourses du Travail, Unions locales, ou
départementales, ou régionales, les Fédérations diverses, de suivre les
clauses stipulées au paragraphe premier du prisent article.
Nulle organisation ne pourra être confédérée si elle n’a au moins un
abonnement d’un an à la Voix du Peuple.
C’est le texte qui expose ce qu’on a appelé la triple obligation
Confédérale qui est toujours en vigueur. Ainsi, par ce double jeu des
organismes secondaires, chaque Syndicat est adhérent à la C. G. T. par
le canal des Bourses et celui des Fédérations.
En premier lieu, elle est décentraliste, dans le domaine social et elle
est, dans la seconde partie, centralisatrice sur leterrain corporatif
et professionnel. L’organisation centralisée se comprend d’elle-même.
Elle résulte de la nécessité de resserrer, autant que possible, le lien
qui unit, par la Fédération, les Syndicats d’une même industrie, dont
les intérêts professionnels sont identiques.
L’organisation décentraliste ne soulève non plus aucune objection. La
C. G. T. ne peut ni ne doit vivre par en haut, par la tête. Son
activité, sa propagande, son action sociale, sont l’œuvre de toutes ses
cellules. Les Syndicats et surtout les Bourses du Travail en sont les
facteurs d’exécution et d’action. Ils propulsent la C. G. T. en même
temps qu’ils agissent par eux-mêmes. Aux idées de « Craft unionism »,
c’est-à-dire de corporatisme, elle oppose le principe d’une
organisation plus solide, plus agissante, le système de l’Industrial
unionism, ou action industrielle base de l’action sociale.
La représentation de la section des Fédérations est assurée par un
bureau et un Comité composé d’un représentant par Fédération. Le
secrétaire de cette section était en même temps secrétaire de la C. G.
T.
Quant à celle des Bourses elle était assurée par un Comité fédéral des
Bourses ayant à sa tête un secrétaire.
En fait, la C. G. T. n’ordonne pas, elle ne décide rien. Elle est sous
le contrôle permanent des deux Comités fédéraux (Bourses et
Fédérations) qui ont charge, eux, d’appliquer les décisions des Congrès.
Le Bureau Confédéral enregistre, sert à l’échange des correspondances,
prépare des statistiques.
Il en sera du moins ainsi jusqu’en 1912, au Congrès du Havre, qui
modifiera considérablement la structure Confédérale. Quoi qu’en disent
les militants confédéraux (C. G. T. ou C. G. T. U.), les deux C. G. T.
sont aujourd’hui centralisées et la décentralisation n’est plus réelle,
ne joue plus. C’est ce qui explique un peu la succession de crises qui
se dérouleront de 1914 à 1925 sans qu’on en aperçoive d’ailleurs la
fin. La mainmise des Fédérations sur l’organisme Confédéral, celle plus
forte encore du Bureau Confédéral sur toute la C. G. T. (Syndicats,
Unions, Fédérations), ont placé, en réalité, la C. G. T. entre les
mains de quelques hommes qui ordonnent, exécutent, décident, sans qu’un
contrôle suffisant s’exerce. Sans doute tout cela n’est possible que
parce que les militants, les Syndicats, les Fédérations, les Unions, ne
contrôlent pas assez fréquemment leurs Bureaux, leurs Conseils, leurs
Comités et parce que la plupart du temps, ils enregistrent au lieu de
discuter et de dicter leurs volontés. Et ils subissent ainsi tactiques
et méthodes qu’ils devraient condamner. Les déviations successives du
syndicalisme viennent toutes de cette carence totale, de cette absence
de contrôle. Approuvés, parce qu’ils surent faire adopter leurs points
de vue, avaliser leur conduite, ratifier leurs attitudes, les militants
fédéraux et confédéraux, ceux-ci inspirant ceux-là, ont de proche en
proche, abandonné lentement mais sûrement, sans s’en apercevoir
toujours, les principes essentiels du syndicalisme. Il n’y a pas
d’autres raisons syndicales à la crise. Les autres sont d’ordre
politique et on les retrouve à toutes les périodes de l’histoire
ouvrière.
Depuis le Congrès de Montpellier en 1902, la C. G. T. tint jusqu’à la
guerre cinq Congrès : Bourges (1904), Amiens (1906), Marseille (1908),
Toulouse (1910), Le Havre (1912). Un sixième était en préparation à
Grenoble, lorsque la guerre éclata en 1914.
Le Congrès de Bourges, en 1904, eut, tout de suite, une très grosse
importance. Il s’agissait de déterminer l’action Confédérale.
Serait-elle réformiste et conciliatrice, ou révolutionnaire et directe
? Telles étaient les deux questions posées au Congrès. Pendant que le
Livre, les Tabacs, les Chemins de fer étaient partisans des premières,
les autres, notamment le Bâtiment, les Métaux, etc., étaient partisans
de la seconde.
Le premier point de vue fut soutenu par Keufer du Livre, qui s’exprima
ainsi : « Nous n’admettons pas, disait-il, que la transformation
sociale se fera par une révolution brusque ; il faut d’autres moyens
pour nous conduire vers l’idéal auquel chacun de nous aspire ; il faut
une longue préparation mentale, il faut une modification morale des
individus.
La violence n’est pas le meilleur moyen pour obtenir satisfaction et la
méthode révolutionnaire est dangereuse en ce sens, qu’elle amènera
inévitablement des représailles dont les travailleurs seront victimes.
C’est pourquoi nous maintenons notre opinion, nos préférences pour la
méthode réformiste, sans enlever la liberté des autres organisations
qui préconisent L’action révolutionnaire ; elles la feront à leurs
risques et périls. »
On remarquera quelle différence il y a entre le réformisme et la
collaboration de classes qui triomphe de nos jours. Pendant que Keufer
recommandait la prudence, Jouhaux, aujourd’hui, entre dans les
organismes du Gouvernement, délibère avec les capitalistes qu’il
devrait combattre en application des principes du syndicalisme.
Les majoritaires - à l’époque les révolutionnaires - tenaient un
langage différent. Que disaient-ils ?
Ils proclamaient que le syndicalisme est l’expression d’une lutte entre
deux classes très distinctes et irréconciliables : « d’un côté, ceux
qui détiennent le capital, de l’autre les producteurs qui sont les
créateurs de toutes les richesses, puisque le capital ne se constitue
que par un prélèvement effectué au détriment du travail ».
Après cette constatation d’un antagonisme permanent, ils déclaraient
que « c’est une illusion pour les travailleurs de compter sur les
gouvernants pour réaliser leur émancipation » attendu, disaient les
termes de la déclaration préalable inscrite en tête des statuts types
de la C. G. T., que l’amélioration de notre sort est en raison inverse
de la puissance gouvernementale. »
Et Jouhaux de conclure dans son ouvrage Le Syndicalisme et la C. G. T.,
pages 134-135
« Donc, double affirmation d’anti-capitalisme et d’antiétatisme, dont
les auteurs tiraient la conséquence formelle, que les salariés,
impuissants s’ils demeuraient isolés, doivent s’unir d’abord dans le
Syndicat et par lui dans la C. G. T. pour mener eux-mêmes la lutte
contre les oppresseurs.
Ainsi, le syndicalisme révolutionnaire s’affirmait comme l’organisation
du prolétariat en vue de la lutte à mener contre le capital pour la
suppression du salariat. Il se déclarait hostile à toute entente
permanente entre le capital et le travail, et il proclamait le principe
de l’action continue contre le patronat, la méfiance de l’État et la
nécessité de l’action directe, de la pression immédiate des producteurs
: Il ne répugnait pas aux améliorations des conditions de travail ni
aux réformes sociales, mais il ne reconnaissait à celles-ci de valeur
vraie qu’autant qu’elles diminuaient la puissance du capitalisme et
tendaient à accroître la force émancipatrice du prolétariat. Il ne
croyait enfin possible de s’appliquer utilement à les obtenir que par
l’activité propre des salariés. »
Il y a gros à parier qu’aujourd’hui Jouhaux et ses amis ne
soutiendraient pas pareille thèse. Et pourtant, il fut des 825 qui se
prononcèrent contre les 369 qui soutenaient, en 1904, la thèse de
Keufer. La Représentation proportionnelle, soutenue par Keufer et ses
amis ne fut pas, non plus, acceptée. Là encore, le syndicalisme rompait
avec la démocratie. C’est en 1904, à Bourges que fut envisagée l’action
pour les 8 heures, qui devait trouver en 1906 les travailleurs prêts à
imposer cette revendication par la grève générale. Après les
manifestations de 1889, les fusillades de Fourmies et de la Ricamarie,
la journée de 8 heures cessa d’être une affirmation théorique pour
devenir le but des efforts ouvriers.
Voici, à ce sujet, l’ordre du jour qui fut adopté par le Congrès de
Bourges :
Le Congrès, considérant que les travailleurs ne peuvent compter que sur
leur action propre pour améliorer leurs conditions de travail ;
Considérant qu’une agitation pour la journée de 8 heures est un
acheminement vers l’œuvre d’émancipation intégrale ;
Le Congrès donne mandat à la Confédération d’organiser une agitation
intense et grandissante à l’effet que le Ier Mai 1906, les travailleurs
cessent d’eux-mêmes de travailler plus de 8 heures.
C’est à Bourges que remonte la véritable action pour les 8 heures en
France.
Cette décision ne fut d’ailleurs pas suivie par toutes les Fédérations.
Le Livre en particulier soutint les 9 heures et cela ne nuisit pas peu
à la propagande et à l’action de la C. G. T.
Le Congrès de Bourges eut une importance énorme que Griffuelhes, alors
Secrétaire de la C. G. T., - qui devait comme Pelloutier, marquer toute
cette époque de son inlassable activité, de son énergie éclairée, -
soulignait ainsi :
« Ce qui se dégage du Congrès, c’est le sentiment très net des
militants français de mener un mouvement entièrement libre,
subordonnant son action à ses propres besoins, créant la lutte en
dehors de toute force extérieure et ne se préoccupant jamais que des
intérêts ouvriers. »
Et c’est le Congrès d’Amiens, en 1906, qui devait confirmer de façon
éclatante les décisions de Bourges. C’est en effet à Amiens que fut
mise debout la véritable Charte du syndicalisme autour de laquelle, en
1925, tourne tout le débat doctrinal et les discussions sur la
reconstitution de l’Unité.
Battus dans les Congrès antérieurs, les politiciens guesdistes, les
marxistes d’alors, tentèrent une offensive suprême. Elle fut habilement
menée par Renard du Textile qui devait la renouveler, toujours sans
succès en 1908 à Marseille, à Toulouse en 1910 et au Havre en 1912. Il
y avait des syndicalistes alors, hélas ! aujourd’hui, il y en a
beaucoup moins.
Voyons comment les guesdistes tentèrent à Amiens de faire triompher
leur point de vue. Reproduisons le texte, trop oublié, de leur
résolution :
Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant
pour but d’établir une législation protectrice du travail qui
améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait
ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;
Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur
disposition - (le bulletin de vote) c’est moi qui ajoute et souligne -
afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif les adversaires d’une
législation sociale protectrice des travailleurs.
Considérant que les élus du parti socialiste ont toujours proposé et
voté les lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la
classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;
Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du
prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que dés
relations s’établissent entre le Comité confédéral et le Conseil
national du Parti socialiste, par exemple pour la lutte à mener en
faveur de la journée de 8 heures, de l’extension du droit syndical aux
douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’État ;
pour provoquer l’entente entre les Nations et leurs gouvernements, pour
la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit
des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum
des salaires etc., etc...
Le Congrès décide ;
Le Comité confédéral est amené à s’entendre, toutes les fois que les
circonstances l’exigent, par des délégations intermittentes ou
permanentes, avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire
plus facilement triompher les principales réformes sociales.
Renard ne proposait rien d’autre que les fameux Comités d’action dont
on nous casse les oreilles aujourd’hui et qui doivent permettre au
Parti communiste de prendre le pouvoir.
C’est autour de ce texte que s’engage avant le Congrès une campagne
très vigoureuse dans tout le pays. Le parti socialiste voulait à tout
prix triompher à Amiens. Nous connûmes la même offensive avant le
Congrès constitutif de la C. G. T. à St Etienne en 1922.
Mais avec cette différence qu’à Amiens les politiciens furent battus à
plate couture, alors qu’ils vainquirent à St Etienne 16 ans plus tard.
C’est Merrheim, des unitaires de Roubaix, appelé à cette époque au
secrétariat de la Fédération des unitaires, qui lui donna la réplique
et quelle réplique !
« Vous avez voulu, disait Merrheim, faire du syndicat un groupement
inférieur, incapable de sortir de la légalité. Nous affirmons le
contraire. Il est un groupement de lutte intégrale révolutionnaire et
il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour
enfanter le droit nouveau que nous voulons voir sortir de nos luttes. »
Naturellement, comme aujourd’hui, les orateurs de la tendance Renard
dénoncèrent comme une action anarchiste celle que menaient les
syndicalistes révolutionnaires.
Ce qui faisait dire à ces derniers : « On a trop parlé, déclara l’un
d’eux, comme s’il n’y avait que des socialistes et des anarchistes. On
a oublié qu’il y a surtout des syndicalistes. »
Le syndicalisme est une théorie sociale nouvelle, une doctrine
particulière. Il faut, avec les Congressistes, se prononcer sur elle.
Il faut qu’ils disent que cette doctrine est indépendante du socialisme
et de l’anarchie.
Le Secrétaire général de la C. G. T. Victor Griffuelhes, prenant la
parole le dernier, déclara
« En réalité, d’un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et
de l’autre ceux qui veulent l’autonomie complète contre le patronat et
contre le pouvoir. Comment s’établirait cet accord fait de concessions
mutuelles entre un Parti qui compte avec le Pouvoir, car il en subit la
pénétration et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir ? Nos
considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d’où
impossibilité d’établir les rapports demandés. » Il n’y a rien de
changé. Aujourd’hui les mêmes obstacles se présentent.
En produisant semblables affirmations, Griffuelhes annonçait le divorce
total du syndicalisme avec la Bourgeoisie et le Pouvoir.
Keufer, du Livre, présentait une thèse mixte qui, par un paradoxe assez
singulier, est devenue celle de ses adversaires d’alors, les dirigeants
actuels de la C. G. T.
Àu nom des réformistes, Keufer se prononçait pour l’autonomie syndicale
vis-à-vis de tous les Partis politiques et concevait l’organisation ou
l’action syndicale selon la méthode trade-unioniste anglaise, la
méthode corporative qui vouait le syndicat à ne poursuivre que des
améliorations corporatives.
II affirmait d’ailleurs que l’action parlementaire devait s’exercer
parallèlement à l’action syndicale. Ni la thèse de Renard, ni celle de
Keufer n’obtinrent de succès. La Résolution présentée par Griffuelhes,
devenue la charte d’Amiens, obtint 824 voix contre 3 à la motion Renard.
Ci-dessous cette charte fameuse :
Le Congrès confédéral d’Amiens confirme L’article 2 des statuts
constitutifs de la C. G. T., disant : La C. G. T. groupe en dehors de
toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à
mener pour la disparition du salariat et du patronat. Le Congrès
considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de
classe qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte
contre tous toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant
matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste
contre la classe ouvrière ;
Le Congrès précise, par les points suivants cette affirmation théorique
:
Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la
coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des
travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que
la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires,
etc... Mais cette besogne n’est qu’un des côtés de l’œuvre du
syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale des travailleurs
avec, comme moyen d’action, la grève générale, et il considère que le
syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir, le
groupe de production et de répartition, base de la réorganisation
sociale.
Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir,
découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et
qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou
leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au
groupement essentiel qu’est le syndicat ;
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme
l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du
groupement. corporatif, à telle forme de lutte correspondant à sa
conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en
réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il
professe au dehors.
En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le
syndicalisme atteigne son maximum d’effets, l’action économique doit
s’exercer directement contre le patronat, les organisations
confédérales n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se
préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent
poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale.
C’est autour de cette charte dont les politiciens proclament
aujourd’hui la caducité que se livrent, depuis 5 ans, les batailles les
plus terribles entre réformistes collaborationnistes, syndicalistes
révolutionnaires et communistes.
La portée de cette résolution, qui marque l’avènement du syndicalisme
comme unique force révolutionnaire des travailleurs, fut considérable.
Elle domina et domine encore de très haut tous les conflits entre
ouvriers et politiciens. Griffuelhes avait vu clair, juste et loin.
Non seulement, la charte d’Amiens proclame la neutralité du
syndicalisme vis-à-vis des partis, mais encore elle l’exige du syndiqué
dans le syndicat. Elle déclare très nettement que la qualité de membre
d’un Parti ou d’un groupement philosophique ne peut être ni une cause
d’admission privilégiée, ni une cause de radiation spéciale de la part
du syndicat. Elle place ainsi le producteur en première ligne,
au-dessus du citoyen. Et c’est juste, parce que le travailleur est une
réalité de tous les jours, invariable dans son état comme dans ses
désirs, tandis que le citoyen est une entité fugace. Le citoyen peut
changer d’opinions, devenir par le jeu de l’évolution ou de
l’involution l’adversaire de ce qu’il soutenait âprement hier, soit par
conscience, soit par intérêt ; le travailleur, lui, reste semblable à
lui-même ; il subit en tant que salarié la double exploitation et la
double oppression du capitalisme et de l’État. Ce n’est qu’après avoir
assuré économiquement sa défense de classe contre les capitalistes de
toutes écoles politiques et philosophiques réunis, eux, en faisceau de
classe compact, que le travailleur a le droit et la possibilité de
faire de la politique et de philosopher à son aise.
Il déclare d’ailleurs nettement que si philosopher ne saurait nuire et
au contraire à son éducation et à son activité sociale, il serait
infiniment préférable que le travailleur s’abstînt de participer aux
luttes politiques où il est souvent appelé à agir, sur ce plan
particulier, aux côtés et en accord de certains de ses adversaires de
classe : patrons dits libéraux, mais patrons avant tout.
Si le travailleur s’abstenait de fréquenter les groupements politiques
prometteurs ou endormeurs, il n’est pas douteux que le syndicalisme
serait depuis longtemps le seul groupement de classe de tous les
ouvriers et qu’il les rassemblerait tous sous sa bannière. Le triomphe
du syndicalisme qui, depuis Amiens, a rompu avec le Pouvoir, qu’il soit
démocratique ou non, avec la Bourgeoisie et toutes ses institutions
politiques et économiques, pour affirmer son rôle et sa mission
d’avenir, serait depuis longtemps un fait accompli.
Le syndicat, de par la charte d’Amiens, n’est pas seulement un
instrument de combat dam la société actuelle, il devient, dans sa
conception, l’organe même de la transformation sociale, la cellule de
base de la société à venir, celle-ci étant organisée par lui dans les
domaines de la production et de la répartition.
L’attitude de neutralité du syndicalisme à l’égard des partis
politiques est davantage qu’une méfiance des luttes électorales et
parlementaires. S’il en était autrement, ce ne serait qu’une position
temporaire et par conséquent révisable. Ce n’est pas le cas.
De cette neutralité découle, dans la réalité, l’idée que le
syndicalisme s’étend et œuvre sur un plan très différent des partis
politiques et que l’action politique et syndicaliste s’exerce sur deux
terrains très distincts. Telle fut l’œuvre magistrale réalisée à Amiens.
Nous aurons l’occasion de revenir sur la valeur de cette charte,
lorsque nous examinerons les luttes qui dressent les unes en face des
autres les fractions - aujourd’hui dispersées - du mouvement
syndicaliste français.
Quelle que soit l’évidente clarté de la charte d’Amiens, elle ne
parvint pas à dissiper toutes les équivoques, à éviter les querelles.
Et aujourd’hui, plus que jamais, c’est autour d’elle qu’on se dispute.
Peu après Amiens, le mouvement confédéral devait connaître encore un
autre péril. Ce fut l’époque de l’« hervéisme » et Gustave Hervé - qui,
depuis... - s’imagina un instant qu’il avait rallié le syndicalisme à
ses théories. Les Congrès de Marseille en 1908 et de Toulouse en 1910,
se chargèrent de détruire ses illusions.
Ce n’est pas en vain que le syndicalisme avait défini sa doctrine et
son activité propres.
La charte d’Amiens fut encore confirmée en 1912 au Congrès du Havre, le
dernier Congrès d’avant-guerre. Après une longue discussion, souvent
très âpre, sur l’orientation syndicale, le Congrès vota la résolution
ci-dessous :
Le Congrès, à la veille de reprendre, pour l’intensifier, l’agitation
confédérale en vue de réduire le temps de travail, tient à nouveau à
rappeler les caractères de l’action syndicale, de même qu’à fixer la
position du syndicalisme ;
Le syndicalisme, mouvement offensif de la classe ouvrière, par la voie
de ses représentants, réunis en Congrès, seuls autorisés, s’affirme
encore une fois décidé à conserver son autonomie et son indépendance
qui ont fait sa force dans le passé et qui sont le gage de son progrès
et de son développement ;
Le Congrès déclare que, comme hier, il est résolu à s’écarter des
problèmes étrangers à son action prolétarienne, susceptibles
d’affaiblir son unité si durement conquise et d’amoindrir la puissance
de l’idéal poursuivi par le prolétariat groupé dans les syndicats,
Bourses du Travail, les Fédérations corporatives et dont la C. G. T.
est le représentant naturel ;
De plus, le Congrès évoquant les batailles affrontées et les combats
soutenus, y puise la sûreté de son action, la confiance en son avenir,
en même temps qu’il y trouve la raison d’être de son organisation
toujours améliorable ;
C’est pourquoi, dans les circonstances présentes, il confirme la
constitution morale de la classe ouvrière organisée, contenue dans la
déclaration confédérale d’Amiens (Congrès de 1906).
L’action confédérale fut aussi dirigée contre le militarisme, le
patriotisme et la guerre. Le Congrès de Marseille (1908) en particulier
vota une motion qui eut quelque retentissement.
Le Congrès Confédéral de Marseille rappelant et précisant la motion
d’Amiens :
Considérant que l’armée tend de plus à remplacer à l’usine, aux champs,
à l’atelier, les travailleurs en grève, quand elle n’a pour rôle de les
fusiller comme à Narbonne, à Raon-l’Étape et à Villeneuve Saint-Georges
;
Considérant que l’exercice du droit de grève ne sera qu’une duperie
tant que les soldats accepteront de se substituer à la main d’œuvre
civile et consentiront à massacrer les travailleurs ;
Le Congrès, se tenant sur le terrain purement économique, préconise
l’instruction des jeunes pour que, du jour où ils auront revêtu la
livrée militaire, ils soient bien convaincus qu’ils n’en restent pas
moins membres de la famille ouvrière et que, dans les conflits entre le
travail et le capital, ils ont pour devoir de ne pas faire usage de
leurs armes contre leurs frères travailleurs ;
Considérant que les frontières géographiques sont modifiables au gré
des possédants, les travailleurs ne reconnaissent que les frontières
économiques, séparant les deux classes ennemies, la classe ouvrière et
la classe capitaliste
Le Congrès rappelle la formule de l’Internationale :
Les travailleurs n’ont pas de patrie ; qu’en conséquence, toute guerre
n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle est un moyen
sanglant et terrible de diversion à ses revendications ;
Le Congrès déclare qu’il faut, au point de vue international, faire
l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre entre
puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par
une déclaration de grève générale révolutionnaire.
Cette thèse, déjà soumise aux autres Centrales Nationales au cours des
conférences internationales, ne fut jamais acceptée par les Allemands
qui refusèrent de connaître l’antipatriotisme et l’antimilitarisme
comme des questions intéressant le syndicalisme. Ceci prouve toute la
différence qui existe entre le mouvement ouvrier français et tous les
autres mouvements qui tous, à l’exception d’une partie des mouvements
espagnol et italien, reposent sur la conception social-démocrate. C’est
de cette incompréhension que découlera l’impuissance du mouvement
syndicaliste de tous les pays belligérants en face de la guerre.
L’entrevue que Jouhaux et Legien eurent à Bruxelles fin juillet 1914
consacra cette impuissance. C’était la répétition plus brutale encore
de l’entrevue Griffuelhes Legien, à Berlin, en 1906, su sujet du
premier conflit marocain qui en ce moment rebondit pour la troisième
fois et risque d’ensanglanter le monde.
Lorsque j’étudierai ici l’action internationale du mouvement ouvrier
français ; j’exposerai en détail ce que furent les Conférences et
Congrès internationaux. Nous voici maintenant à la veille de la guerre.
La grève générale n’est point déclarée et la guerre éclate. Jaurès est
tué par Villain le 31 juillet 1914 et la mobilisation est décrétée le 2
août.
Que va faire la C. G. T. ? Impuissante à déclencher la grève générale
va-t-elle rester neutre, en attendant l’heure de son intervention
possible contre le fléau ou au contraire, emboîter le pas aux
gouvernants ?
C’est là que se placent de dramatiques incidents. Le Bureau Confédéral
a décidé de fuir, de gagner l’Espagne. Il a pour cela frété un bateau
qui doit le conduire de la Rochelle à St Sébastien.
Mais le gouvernement, a eu vent de ce qui se prépare. Il sait que si le
Bureau de la C. G. T. quitte la France, c’est pour mener une action
vigoureuse contre la guerre, de l’étranger. Le Ministre de la guerre,
Messimy veut appliquer immédiatement le carnet des suspects dit «
carnet B ».
Malvy, ministre de l’Intérieur, temporise pendant que Viviani,
Président du Conseil, craignant une émeute par suite de l’assassinat de
Jaurès, émeute qui rendrait la mobilisation impossible, lance une
proclamation au Peuple, l’invite au calme et promet la punition du
coupable.
Tous ces événements se déroutent à une vitesse vertigineuse. Là C. G.
T. reste pour le gouvernement l’X mystérieux.
C’est alors que Malvy a une idée géniale autant que malfaisante. Il
délègue auprès du Bureau confédéral un avocat jusqu’alors considéré
comme socialiste révolutionnaire d’extrême gauche, très au courant des
choses ouvrières, qu’on nous assure - sans que nous puissions
l’affirmer - être M. Pierre Laval, ministre des Travaux publics, au
moment où j’écris ces lignes (ce qui est de nature à renforcer notre
conviction).
Cet avocat annonce au Bureau Confédéral que le gouvernement connaît ses
projets d’embarquement et qu’il est décidé, par l’arrestation
immédiate, à en empêcher l’exécution.
Le Comité Confédéral est réuni immédiatement. Il ne prend aucune
décision. - Le Bureau est livré à lui-même et perd la tête. II va chez
Malvy et se rend aux raisons de celui-ci. Désormais, il sera derrière
le Gouvernement. Il participera, avec toute la C. G. T., à l’union
sacrée... Jaurès est enterré le 2 août. Jouhaux se rend aux
funérailles. Àu nom de la C. G. T., il parle et c’est pour dire : «
Comment trouver des mots ? Notre cerveau est obscurci par le chagrin et
notre coeur est étreint par la douleur. C’est encore dans son souvenir
que nous puiserons les forces qui nous seront nécessaires.
Àu nom des organisations syndicales, au nom de tous les travailleurs
qui ont déjà rejoint leur régiment et de ceux - dont je suis - qui
partiront demain, je déclare que nous allons sur les champs de bataille
avec la volonté de repousser l’agresseur : c’est la haine de
l’impérialisme qui nous entraîne. »
Jouhaux ne partit pas. Je ne le lui reproche pas. Ce que je lui
reproche, par contre, ce sont les paroles prononcées sans mandat, au
nom des travailleurs non consultés. - La C. G. T. souscrivait à la
guerre.
C’en est fait. C’est la capitulation. Le Carnet B n’est pas appliqué.
Malvy a gagné la partie. Il convient cependant d’être juste, surtout
lorsqu’on est sévère. Si le Bureau Confédéral faillit à ses devoirs, il
ne fut soutenu par personne. Partout, ce n’était qu’abdication,
enthousiasme pour cette guerre du droit ( ?) Àu lieu des cris de À bas
la guerre qu’on aurait dû entendre, c’était ceux de À Berlin qui
retentissaient. Une immense vague de chauvinisme balayait le pays.
Et comme il est difficile de se reprendre, l’abdication s’aggrava
bientôt. Ce fut après Charleroi et la ruée sur Paris, la fuite du
Bureau Confédéral à Bordeaux, avec le Gouvernement ; ce furent les
Terrassiers de Paris, les sans-travail embauchés par Gallieni pour
défendre Paris. Quels tristes événements !
Il faudra près d’un an avant que n’apparaissent les premiers et timides
symptômes de l’effort anti-guerrier. C’est sous les auspices du Comité
pour la reprise des relations internationales auquel adhèrent :
Merrheim, Bourderon, Chaverot, Sirolle, Souvarine, etc...- et, où,
Trotsky, encore à Paris, joue un rôle prépondérant, que s’organise
l’action contre la guerre.
Merrheim est l’inlassable apôtre de la paix. Accompagné de Bourderon,
il se rend à Zimmerwald, en 1915, pour y rencontrer les autres
pacifistes européens. Ledebour, y représente l’Allemagne où Karl
Liebknecht mène une action pacifiste vigoureuse, en compagnie de Rosa
Luxembourg. Grimm représente la Suisse. Lénine représente la Russie.
Cette entrevue est dramatique au possible. Pendant 6 heures sans
discontinuer, Merrheim et Lénine discutent pied à pied. Lénine voudrait
qu’en rentrant en France, Merrheim déclenchât l’insurrection contre la
guerre. Celui-ci lui déclare que c’est impossible, qu’il ne serait pas
suivi. Il ajoute qu’il n’est d’ailleurs pas certain de rentrer. Par
contre Merrheim croit qu’il est possible d’intensifier l’action pour la
paix ; d’amener, sans brusquerie, le prolétariat français à se dresser
contre la guerre.
La Conférence de Zimmerwald, si elle ne prit en fait aucune décision,
n’en marque pas moins le commencement du redressement du mouvement
syndical français. Ce fut aussi la reprise des relations
internationales rompues par la guerre. C’est sous le couvert de cette
action pacifiste, qui va s’intensifier rapidement, que le syndicalisme
se ressaisira.
Bientôt, il prendra figure d’opposition organisée et solidement groupée
dans le Comité de Défense Syndicaliste avec Merrheim, Rey, Péricat,
Andrieux, J.-B. Vallet et tant d’autres.
La province suit. De graves événements encore mal connus ont lieu à
Toulouse où un bataillon se révolte.
Des centres permanents d’agitation se créent à Saint-Étienne, Bourges
et Decazeville, sous l’impulsion de Merrheim.
L’action pacifiste s’organise partout et à Decazeville, Verdier
applique une formule nouvelle : l’occupation des usines et le
fonctionnement de ces usines par les ouvriers.
C’était la bonne. C’est celle-là qu’il faudra appliquer demain, si on
veut priver le capitalisme de ses moyens de faire la guerre. C’est
cette précision qui manquait à la motion votée à Marseille en 1901,
c’est celle que l’Union Fédérative des Syndicats autonomes de France a
exposée récemment.
Si cette action n’atteint pas le but indiqué par Lénine - et elle eût
pu l’atteindre si l’action révolutionnaire de Decazeville avait été
amplifiée et suivie - elle a au moins pour conséquence de fortifier
considérablement la minorité syndicaliste révolutionnaire qui combat
violemment la majorité.
Des séances tumultueuses ont lieu au Comité Confédéral ou Merrheim et
Jouhaux se dressent face à face.
Dumoulin, mobilisé et Monatte également mobilisé, luttent aux côtés de
la minorité.
Et c’est l’arrivée de Clémenceau au pouvoir avec sa formule « Je fais
la guerre ».
Immédiatement c’est le régime de la brutalité qui s’instaure. C’est
aussi celui du mouchardage ignoble avec Ignace et Mandel. Merrheim est
appelé plusieurs fois par Clemenceau qui veut le forcer à abandonner
son action pacifique. Il ne s’y rend pas et continue sa courageuse
besogne.
Enfin, il cessera un jour, sans qu’on sache exactement pour quelles
raisons. Et c’est le démantèlement des forteresses de Bourges, de
Saint-Étienne, de Decazeville, c’est l’emprisonnement de Péricat et des
militants de la Loire et la Conférence de Clermont-Ferrand en 1917, où
il semble possible de ressouder les forces confédérales. Hélas !, ce
n’est qu’un espoir vite déçu. Mal conseillé, mal entouré, Jouhaux
continue son erreur, alors qu’il lui était possible encore de revenir
dans la bonne voie. La minorité syndicaliste atteindra son apogée au
Congrès de Saint-Étienne que préside Dumoulin, alors détaché à
Roche-la-Molière. Puis c’est le retour de Merrheim au bercail
confédéral, retour qui sera suivi de celui de Dumoulin, convaincu à son
tour dans la nuit qui marque la fin du Congrès Confédéral de Paris en
1918. La minorité a désormais ses chefs de guerre, ceux qui lui
montrèrent la route à suivre.
Elle est démantelée, débandée, elle périclite, cependant que la guerre
prend fin. C’est singulièrement affaiblie qu’elle se présentera au
Congrès de Lyon en 1919 où sera liquidée l’action confédérale pendant
la guerre.
Entre temps, pourtant, il y eut quelques tentatives de redressement
général. Une grève générale a été décidée pour le 21 juillet 1919 pour
faire triompher le programme minimum exposé aux travailleurs parisiens
par Jouhaux et Merrheim au Cirque d’Hiver, le 24 novembre 1918.
Qu’était-il, au juste, ce programme minimum de la C. G. T. ?
Faisant siens les 14 points qui constituaient le programme du Président
Wilson, que la C. G. T. et le Parti socialiste étaient allés recevoir à
son débarquement à Brest, la Confédération Générale du Travail en
faisait la base de son action immédiate sur laquelle elle greffait son
programme de réalisations essentielles et minimum.
1° La C. G. T. demandait des conditions de paix qu’elle définissait en
5 points :
a) La Société des Nations pour la libre coopération des Peuples, en vue
de faire disparaître la guerre et l’établissement de la justice
internationale ; b) La coopération de toutes les nations, sous l’égide
de la S. D. N. contre tout pays qui, passant outre aux décisions
d’arbitrage, déclarerait néanmoins la guerre ; c) La création d’un
Office International des Transports et de répartition des matières
premières pour la satisfaction rationnelle des besoins des Peuples ; d)
Pas d’annexion territoriale, pas de représailles inspirées par la
vengeance, mais réparations des dommages causés. Droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes ; e) Constitution juridique mondiale par la
Société des Nations. Désarmement général et lutte contre les
militarismes. Triomphe de la démocratie internationale.
2° La C. G. T. demandait que les organisations centrales des pays
belligérants participent à la discussion et à l’élaboration du Traité
de paix. Elle déclarait aussi nécessaire la tenue d’un Congrès
International.
3° Le rétablissement de toues les garanties constitutionnelles de
toutes les libertés : droits de parole et de réunion, la suppression de
la censure, l’amnistie pleine et entière, la libération des prisonniers
étrangers des camps de concentration.
4° La reconnaissance du droit ouvrier par la reconnaissance du droit
syndical à tous les fonctionnaires de l’État, la révision du Code
d’inscription maritime. La reconnaissance du droit d’intervention des
Syndicats dans toutes les questions intéressant le travail.
L’utilisation des bordereaux de salaire et leur généralisation par
l’établissement de contrats collectifs sous le contrôle des
organisations syndicales.
5° L’institution de la journée de 8 heures dans le commerce et
l’industrie, la suppression du travail de nuit dans les boulangeries
ainsi que dans les industries à feu continu, l’interdiction des métiers
insalubres aux femmes et aux adolescents âgés de moins de 18 ans, la
prolongation de la scolarité à 14 ans.
6° Le contrôle ouvrier pour le réajustement des productions de guerre
aux productions de paix, l’institution d’un Conseil économique national
et de Conseils régionaux au sein desquels serait représentée la classe
ouvrière par des délégués désignés par elle. La fixation des règles de
la démobilisation et de la reprise de l’activité économique.
La reconstitution des fonds de chômage et leur répartition sous, le
contrôle des organisations ouvrières.
7° La reconstruction des régions libérées sous le contrôle d’organismes
collectifs ayant personnalités civile et administrative et composés de
producteurs et de consommateurs. L’obligation du remploi et la
reconstitution opérée suivant les lois de l’hygiène et du progrès.
8° La réorganisation économique. La C. G. T. réclame, pour l’avenir, la
part de direction et de gestion de la production nationale qui doit
revenir aux travailleurs organisés, la sauvegarde des droits collectifs
par la classe ouvrière, le contrôle des entreprises qui se développent
avec le concours de l’État, la surveillance des concessions faites par
l’État à des Entreprises industrielles.
9° Le retour à la nation des richesses nationales. C’est-à-dire des,
mines, chemins de fer, ports, houille blanche et verte, etc. La C. G.
T. présentait d’ailleurs cette partie de son programme sous la forme
d’un contrôle collectif sur ces richesses. Ce n’est que par la suite
qu’elle posera le principe des nationalisations industrielles, au cours
des grandes grèves de 1920.
10° La lutte contre les fléaux sociaux : l’alcoolisme, le taudis, le
chômage, l’invalidité, la maladie, la vieillesse.
11° Le recrutement, l’exercice des droits, l’organisation rationnelle
de l’immigration, la fixation du contrat de travail pour les ouvriers
étrangers, sous le contrôle des organisations syndicales du pays
intéressés.
12° L’extension de l’assurance sociale à tous les travailleurs,
étrangers compris.
13° La lutte contre la vie chère. La création d’Offices municipaux
corporatifs, nationaux, publics d’alimentation populaire, supposant la
réquisition des produits. La suppression des droits de douane, régie et
octroi. Les Offices devront être gérés par des délégués directs du
travail organisé, et des consommateurs.
14° La répartition des charges budgétaires par l’application de la loi
sur les bénéfices de guerre, l’impôt sur lé revenu et les successions.
C’est ce programme minimum qui fut accepté à l’unanimité par le premier
Comité Confédéral d’après-guerre, les 15 et 16 décembre 1918.
Ce même Comité avait modifié aussi la structure confédérale. Les
Bourses disparaissaient pour faire place aux Unions départementales,
fédérations départementales des Unions locales ou Bourses du travail.
Ce projet fut dressé par Lapierre. De même la Fédération d’industrie
remplaçait celle des métiers. À partir de ce moment, la C.G.T. est
composée des Fédérations nationales d’industrie et des Unions
départementales. Ce système serait parfait si, en fait, les
Fédérations, organes centralisateurs, ayant leur siège à Paris, ne
jouaient pas un rôle par trop dominant, si les Unions locales n’étaient
pas réduites à un rôle social subalterne et si les Unions
départementales, organes de décentralisation sociale, correspondaient à
un besoin économique réel au lieu d’être des délimitations politiques
sans valeur, déterminée dans le domaine économique. Le programme
minimum, avant de recevoir la sanction du Congrès Confédéral de Lyon en
1919, subit le feu de la critique de la minorité, qui commençait à
regrouper ses forces une seconde fois. Dès qu’il fut exposé su Cirque
d’Hiver, il fut violemment attaqué et il fallut toute l’habileté de
Merrheim pour le faire accepter - si on peut dire - aux travailleurs
parisiens.
Ceux-ci sentaient que ce programme, mi-politique, mi-économique n’était
pas un programme spécifiquement syndical. Ils comprenaient que pour le
réaliser, il fallait compter sur le pouvoir, composer avec lui,
collaborer avec l’État dans toutes sortes de Commissions, d’organismes
et s’asseoir en face des patrons dans des organismes mixtes, travailler
à la constitution des monopoles d’État et faire de l’État un patron
privilégié, bien qu’il soit doublement tyrannique, politiquement et
économiquement, et incompétent par-dessus le marché.
Les travailleurs sentaient que tout ce programme qui ne pouvait, à part
quelques questions réellement d’ordre ouvrier et placées là tout exprès
pour faire accepter l’ensemble, devenir une réalité qu’avec le concours
des Pouvoirs publics, dont la C. G. T., serait un rouage économique
autant que politique.
C’était l’abandon de toute la doctrine, de toute l’action confédérale
confirmées sans cesse par les Congrès de Limoges, de Bourges, d’Amiens,
de Marseille, de Toulouse et du Havre. C’était, après le divorce
retentissant, le mariage avec la démocratie. C’était aussi l’abandon de
l’action directe pour la pratique forcée de l’action parlementaire et
de l’action compromettante avec les Pouvoirs publics.
C’était la rectification générale du tir confédéral qui jetait la C. G.
T. dans les bras de la démocratie. Depuis 1919, cette politique n’a
fait que s’accentuer et la C. G. T. est devenue un appendice du
Gouvernement.
Les syndicalistes révolutionnaires eurent un tort, celui-ci : s’en
prendre aux hommes, à leurs trahisons, à leurs reniements, au lieu de
dresser immédiatement en face du programme minimum leur propre
programme. Cette besogne ne fut accomplie qu’en 1921 pour le Congrès de
Lille, par le Comité Central des Syndicats révolutionnaires. C’était
trop tard. La scission était inévitable.
C’est donc, comme je le disais plus haut, pour défendre ce programme
que, disciplinées dans l’action, toutes les fractions de la C. G. T.
décidèrent de suivre le mot d’ordre de grève générale qui devait être
lancé le 21 juillet 1919.
Comme il fallait s’y attendre et malgré une intense et générale
propagande, ce programme ne rencontra pas l’adhésion unanime des
travailleurs. Sentant le fiasco, s’exagérant peut-être aussi le péril,
la C. G. T. capitula sans combattre, ce qui est bien pis que à être
vaincu en se battant. L’histoire de ces événements est mal connue. Elle
ne le sera sans doute jamais.
Ce fut peut-être une satisfaction mesurée donnée aux désirs de lutte
des travailleurs et un moyen de pression sur le pouvoir ; ce ne fut
peut-être aussi, hélas !, qu’une capitulation de plus entre les mains
de la bourgeoisie. Le saurons-nous jamais ?
Une chose au moins est certaine : c’est que devant la déroute du
colosse confédéral, qui représentait plus de 2 millions de
travailleurs, la Bourgeoisie, un instant apeurée, reprit confiance en
elle-même. Le hasard des consultations électorales ayant amené au
Pouvoir la partie la plus réactionnaire de la Bourgeoisie, celle-ci
prépara la destruction de la C. G. T., sans considération de la
politique suivie par celle-ci pendant la guerre et jusqu’alors.
Ce fut la lutte de classe, reprise par le capitalisme réactionnaire
contre une C. G. T. qui voulait collaborer à tout prix et, malgré les
humiliations renouvelées, n’y parvenait pas.
La résolution votée par le Congrès Confédéral de Lyon marquait
adroitement tout cela. Elle était rédigée si habilement que, si ce
n’était l’esprit connu de ses auteurs, pas un minoritaire syndicaliste
n’eût pu ne pas la voter. Celle de la minorité recueillit cependant 312
voix, qui grossirent rapidement.
Quelle que soit la longueur de cette résolution de la C. G. T., il
faut, pour la clarté de ce qui va suivre, pour la compréhension des
événements présents, la reproduire en entier. La voici :
Émanation directe des forces ouvrières organisées, le Congrès
Confédéral proclame à nouveau, avec une conviction renforcée par toute
l’expérience passée comme par l’effroyable catastrophe qui a désolé le
monde, que l’idéal syndicaliste s’accomplira seulement par la
transformation totale de la société.
Issue de la lutte de classe, expression complète de la situation faite
au Prolétariat, s’inspirant pour son action et dans son objet de la
défense des intérêts professionnels et du développement complet des
droits du travail, l’organisation ouvrière répète que son but essentiel
est la disparition du patronat et du salariat. La lutte de classe, elle
la constate comme un fait dont elle entend tirer toutes les
conséquences.
Cette lutte ne pouvant prendre fin qu’avec la suppression de toutes les
classes, de tous les privilèges économiques et sociaux, elle doit
aboutir à une organisation nouvelle de la collectivité. Participation
égale de tous aux charges et aux droits que les rapports des hommes
font naître, tel est le principe initial sur lequel le mouvement
ouvrier entend instaurer un régime nouveau ; il réalisera celui-ci,
suivant ses conceptions propres avec les organismes qu’il aura lui-même
créés et dont le caractère essentiel doit être de donner aux forces de
la production la direction et le contrôle de l’économie collective :
créateur de toutes les richesses, élément qui commande l’activité
sociale, le travail entend être tout parce que les autres facteurs de
la Société ne sont que ses subordonnés ou ses parasites.
Ainsi, sans qu’aucune équivoque puisse être possible, le syndicalisme
déclare qu’il est dans son origine, son caractère présent, son idéal
permanent, une force révolutionnaire.
Imprégné de ces principes et de ce but, le Congrès Confédéral de Lyon
rappelle et reprend les termes de la résolution d’Amiens qui déclare
(Ici texte complet de la motion d’Amiens déjà transcrit.)
Le Congrès estime en outre nécessaire de dire que cette déclaration ne
se borne pas à affirmer, pour un moment donné, de façon provisoire et
révisable, la neutralité des organisations professionnelles à l’égard
des Partis ou des Ecoles, des doctrines ou des philosophies, mais
qu’elle proclame de façon permanente cette conception fondamentale de
l’action syndicale qui est l’action directe.
Il ne peut laisser croire par contre que cette action trouve son
expression exacte et exclusive dans des actes de violence ou de
surprise, ni qu’on la puisse considérer comme une arme pouvant être
utilisée par des groupements extérieurs au syndicalisme.
C’est parce qu’ils sont producteurs que le Syndicat appelle à lui tous
les travailleurs et c’est l’utilisation de la force qu’ils tiennent de
leur fonction productive qui est la puissance de l’organisation
ouvrière.
Plus que toute autre force sociale présente, il produit ce fait
essentiel qui est la conséquence fatale de l’activité collective
moderne : le recul de la politique devant l’économie.
Continuer la production pour satisfaire les besoins des hommes,
l’accroître pour mettre à la disposition de tous une plus grande somme
de richesses consommables, ainsi se traduisent ses préoccupations
auxquelles la situation mondiale résultant de la guerre donne une
gravité formidable.
Le mouvement ouvrier affirme qu’il doit et qu’il peut y répondre, mais
il déclare aussi que tout effort dans ce sens n’est plus conciliable
avec le maintien de l’état actuel ; l’appel au travail, auquel, les
travailleurs sont prêts à répondre, ne peut se comprendre désormais
qu’avec la reconnaissance totale des droits du travail,
Le mouvement syndical ne peut être que révolutionnaire ; puisque que
son action doit avoir pour effet de libérer le travail de toutes les
servitudes, de soustraire tous les produits à tous les privilèges, de
mettre toutes les richesses entre les mains de ceux qui concourent à
les créer.
Cette conception, réalisée par l’effort des travailleurs, se fera
suivant les modalités du Travail lui-même constituant l’ordre nouveau,
basé non sur l’autorité ; mais sur les échanges, non sur la domination,
mai sur la réciprocité, non sur la souveraineté, mais sur le contrat
social.
L’action quotidienne du Syndicat est une préparation à ce renversement
des valeurs.
Toute manifestation de la force ouvrière, tend, en effet, à l’heure
présente, à la conclusion des contrats CE SERÀIT UNE ERREUR PROFONDE
D’Y VOIR UNE COLLABORATION ; les conventions collectives, qu’elles
s’étendent d’un atelier, ou à toute une région, ou à une corporation
sur toute l’étendue du territoire, possèdent une valeur de
transformation, parce qu’elles limitent l’autorité patronale, parce
qu’elles ramènent les relations entre employeurs et employés à un
marché qui encourage l’effort, sans apaiser l’énergie, puisque le
travail n’y trouve pas la reconnaissance à tous ses droits, mais la
satisfaction d’amoindrir l’absolutisme patronal en introduisant, dans
l’atelier ou l’usine, le contrôle d’un puissance non assujettie à
l’exploitation du patronat, d’une force d’émancipation : Le Syndicat.
S’inspirant du même esprit qui l’a déjà amené à réclamer des mesures
efficaces contre la vie chère, démonstration même du gâchis économique
dans lequel se débat la Société, le Syndicalisme déclare qu’il entend
faire un effort pour aboutir aux solutions nécessaires, non dans un
intérêt égoïste, mais dans le ferme désir de trouver une solution
satisfaisante pour la collectivité.
CETTE REORGANISATION INDUSTRIELLE, CE RETOUR À L’ÉQUILIBRE NE PEUVENT
PAS ÊTRE OBTENUS PÀR LES PALLIATIFS QUE PROPOSE CE POUVOIR. LE RÉGIME
ÀCTUEL REPOSE TROP SUR LÀ DÉFENSE DES PROFITS PARTICULIERS POUR QU’ON
PUISSE ATTENDRE DE LUI LES SOLUTIONS QUI S’IMPOSENT.
L’impuissance de la classe dirigeante et des organisations politiques
s’affirme de jour en jour plus forte, plus forte aussi apparaît
constamment la nécessité pour la classe ouvrière de prendre ses
responsabilités dans la gestion de la Société.
Le mouvement syndical a dû ainsi envisager les solutions qui s’imposent
sans délai. Il n’en saurait trouver de plus urgentes, de plus
nécessaires, que la nationalisation industrialisée sous le contrôle des
producteurs et des consommateurs, des grands services de l’Economie
moderne : les transports terrestres et maritimes, les mines, la houille
blanche, les grandes organisations de crédit.
L’exploitation directe par la collectivité des richesses collectives,
la mise sous son contrôle des fonctions et des organismes qui
commandent les opérations industrielles de transformation de ces
richesses et de leur répartition, sont une condition essentielle de la
réorganisation que nous voulons poursuivre. Mais constatant
L’impuissance politique et le caractère même du Pouvoir, NOUS NE
SONGERONS PÀS À AUGMENTER LES ATTRIBUTIONS DE L’État, à les renforcer,
ni surtout à recourir au système qui soumettrait les industries
essentielles au fonctionnarisme avec son irresponsabilité et ses tares
constitutives, et réduirait les forces productives au sort d’un
MONOPOLE FISCÀL.
Les résultats déplorables que l’on a pu constater dans le passé et qui
se manifestent tous les jours, sont une condamnation suffisante de ce
système. Par la nationalisation, nous entendons confier la propriété
nationale aux intéressés eux-mêmes : producteurs et consommateurs
associés.
Faisant confiance à la C. G. T., les Syndicats Confédérés déclarent :
que l’action ouvrière se doit de se développer sur ce plan, pour
réaliser le plus rapidement possible ces buts immédiats.
Le Congrès de Lyon proclame à nouveau le droit inaliénable des peuples
de se déterminer eux-mêmes exprimant sa profonde sympathie à la
Révolution russe, il proteste contre toute tentative d’interventions
armées en Russie et contre le blocus réduisant un peuple à la famine,
parce que coupable de s’être révolté contre ses oppresseurs.
Le Congrès, soucieux d’affirmer sa solidarité effective à l’égard du
Peuple russe, charge le Bureau Confédéral de demander aux organisations
syndicales des transports, de faire que leurs membres se refusent de
transporter armes et munitions destinées aux armées de Koltchack et de
Denikine.
Le bureau Confédéral est chargé égaiement de transmettre cette même
proposition au Bureau Syndical International pour que ce dernier
internationalise, cette action.
Le Congrès réclame que soit mise en application le plus rapidement
possible, la résolution votée à Amsterdam qui concluait et l’envoi
d’une délégation ouvrière en Russie.
Enfin, le Congrès exprimant la volonté unanime de la classe ouvrière,
condamnant la politique réactionnaire des pays de l’Entente, exige que
la paix soit conclue avec la Révolution russe.
Comme on peut s’en rendre compte, cette résolution est parfaite. Toutes
les affirmations de lutte de classe des Congrès antérieurs s’y
retrouvent, renforcées ; l’affirmation de la valeur constructive du
syndicalisme, sa capacité de gestionnaire y sont exposées avec un rare
choix d’expressions ; les monopoles et le rôle de l’État y sont
sévèrement condamnés, de même que la collaboration des classes.
Quelle contradiction avec le Programme minimum du Cirque d’Hiver, que
cette résolution condamne en fait ! C’est ce que comprirent les
syndicalistes révolutionnaires, c’est pourquoi, ils votèrent contre
cette résolution, au nombre de 312.
Néanmoins, ils attendirent le Bureau Confédéral et la C. E. à l’œuvre,
après que la majorité eût refusé à la minorité la représentation à
laquelle elle avait droit à la C. E.
Le glissement Confédéral continue ; la lutte de classe fait de plus en
plus place à la collaboration. Seul le Conseil Economique du Travail
est institué.
Le Bureau Confédéral et une délégation de la C. G. T. assistent à la
Conférence de Washington, bien que Jouhaux ait donné sa démission de
délégué suppléant à la Conférence de la Paix, après le meurtre de
Lorne, le 1 mai 1919. Le Bureau International du Travail, dont la
constitution a été acceptée par l’Internationale d’Amsterdam en juillet
1919 concentra à peu près tous les efforts de la C. G. T. et de
l’Internationale, l’une et l’autre attachées à faire triompher la
conception démocratique de la Société des Nations, dont elles rêvent,
utopiquement, en régime capitaliste, de faire une Société des peuples.
Et ce sont les grandes grèves de 1920. - Si celles des métaux de 1919
furent un échec, en juin, celles de 1920, tout au moins la dernière,
furent un désastre. Ce fut la dislocation de la C. G. T. après une
défaite sans précédent.
Pourtant en février 1920, l’heure de la Révolution passa sans qu’il se
trouvât une C. G. T. pour la saisir. À la suite de l’augmentation du
coût de la vie qui atteignit des proportions jusqu’alors inconnues, un
mouvement général de relèvement des salaires extrêmement puissant se
dessina, à la tête duquel marchaient les cheminots, dont la Fédération
comptait à ce moment 360.000 membres.
Sous la pression des Syndicats parisiens, impulsés par Lévéque, la
Fédération fut obligée d’engager une action générale amorcée sur le
P.-L.-M. à la suite d’une punition infligée au camarade Campaud frappé
dans l’exercice de son droit syndical.
Le P.-L.-M. déclencha la grève générale qui fut immédiatement suivie
par les Syndicats parisiens (tous réseaux) et s’étendit rapidement à
toute la province.
Du 23 février au 1 mars 1920 toute l’activité du pays est arrêtée. La
Fédération des Cheminots a été obligée de lancer l’ordre de grève
générale, malgré elle, à tous ses adhérents. Le mouvement est
splendide. Tour à tour, toutes les corporations se solidarisent avec
les cheminots. La C. G. T. est elle-même entraînée dans la lutte. Elle
va donner l’ordre de grève générale lorsque, le 27 février, une
délégation de la Fédération des Cheminots se rend discuter avec
Millerand, Président du Conseil, et Le Trocquer, ministre des Travaux
publics, alors que les militants cheminots sont arrêtés depuis le 25.
Composée de Dubois, de Sotteville, de Le Guennic, de Rennes, de Coudun,
de Paris-Est, cette délégation met fin à la grève brusquement, en
concluant un accord qui ne sera pas respecté par la suite.
Le mouvement des Cheminots est assassiné et la C. G. T. ne lance pas
l’ordre de grève générale. Et pourtant, pris à l’improviste, le
gouvernement, qui ne disposait d’aucun approvisionnement ni en vivres,
ni en essence pour utiliser ses camions était vaincu. Tous les espoirs
suscités par cette grève, partie sur une question de droit syndical,
avec pour objectif immédiat le relèvement des salaires, mais qui avait
rapidement élargi ses objectifs, et posait, tout à coup, tout le
programme défini à Lyon, étaient à terre et, avec eux, ceux du
prolétariat de ce pays.
Comme il fallait s’y attendre, le gouvernement ne tint pas ses
promesses et maintint les révocations. Il cherchait une revanche, comme
après la grève victorieuse des postiers, en 1909.
Mettant à profit le temps qui lui était ainsi accordé par cette
accalmie, il constitua des stocks de vivres, de matières premières,
d’essence, et lorsqu’il fut prêt, il provoqua la classe ouvrière.
De profonds changements, venaient de se produire dans l’orientation de
certaines grandes fédérations, notamment chez les Cheminots. Après
avoir enlevé presque toutes les Unions de Réseau, les syndicalistes
révolutionnaires enlevaient aux réformistes la direction fédérale, au
fameux Congrès du manège Japy, fin avril 1920.
C’est de ce Congrès que partit ce qu’on a appelé « l’ultimatum de San
Remo ».
Sur la proposition du Syndicat de Paris-Rive Droite, dont Blacher fut
le porte-parole, le Congrès adressa un message à Millerand, Président
du Conseil, pour le mettre en demeure de respecter l’accord du 27
février. Et chose curieuse, les réformistes, Bidegarray en tête, ne
furent pas les moins ardents, à réclamer l’envoi de cette mise en
demeure au Gouvernement. Nous aurions dû être plus clairvoyants, sentir
que cet empressement subit de nos adversaires était extraordinaire,
qu’il cachait quelque chose. Nous n’eûmes pas le temps de réfléchir. Le
vote fut enlevé avec rapidité. Le refus était voulu, l’occasion
cherchée par le gouvernement était trouvée. Le Congrès poursuivant ses
travaux à Aubervilliers le déclara le lendemain avec, comme objectif :
La réalisation de la nationalisation industrialisée.
Mal comprise des cheminots, incomprise à peu près par le grand public,
cette revendication n’était pas propice à exalter les enthousiasmes.
Autant la grève de février avait soulevé vigoureusement les
travailleurs et intéressé le public, autant celle de mai les laissa
indifférents.
Si le P.-L.-M., l’Ouest-État, le Midi, le P.-O., suivirent le mot
d’ordre de grève, il n’en fut pas ainsi de l’Est et surtout du Nord,
dont les dirigeants surent habilement duper le personnel.
On tenta sans succès, d’isoler ces Réseaux et la C. G. T. prit bientôt
la direction du mouvement, encore que cette entrée en ligne de la C. G.
T. ait donné lieu par la suite à de nombreuses et passionnées
polémiques.
Le Cartel des Transports (ports, docks, marins) entre en ligne, sans
modifier la situation. Une deuxième vague doit suivre. Ça ne marche
pas. Il y a au sein de la C. G. T. des opposants dont Merrheim est le
chef.
Après huit jours de lutte il apparaît que la grève sera écrasée si elle
n’est pas généralisée par la C. G. T. J’en fais la demande à la C. G.
T. après discussion avec Grifuelhes, qui est de mon avis. Elle n’est
pas accueillie. On remplace le Bureau fédéral des Cheminots, obligé de
se cacher pour se soustraire à l’arrestation. Il y a deux Bureaux, qui
se contrecarrent. Et la deuxième semaine de grève marque l’échec du
mouvement. Un Comité fédéral extraordinaire se réunit le 16 mai 1920,
la C. G. T. y assiste, ainsi que les représentants Fédérations. C’est
plutôt un Comité Confédéral.
Il décide de laisser les Cheminots continuer la lutte seuls et de les
soutenir pécuniairement. Le mouvement se traîne. Les défections sont
chaque jour de plus en plus nombreuses. C’est la fin, l’échec après 20
à 30 jours de lutte, selon les centres.
23.000 révocations et licenciements de cheminots sanctionnent cette
défaite, dont les causes sont multiples. Le gouvernement a trouvé sa
revanche. Il la tient et bien. La C. G. T. se disloque et c’est le
Congrès d’Orléans, pour la liquidation de la situation. Il marquera
aussi l’orientation sans cesse plus à droite de la C. G. T., l’abandon
désormais total du programme du syndicalisme confirmé par tous les
Congrès Confédéraux.
À la faveur de l’emprisonnement des militants cheminots, Bidegarray a
pu reprendre la tête de la Fédération des Cheminots. Pour mettre le
sceau à sa victoire, le Gouvernement a inventé le coup du complot
contre la sûreté de l’État. Cette affaire viendra aux Assises en mars
1921 et se terminera par un acquittement triomphal.
C’est alors que les dissensions entre les fractions de la minorité se
feront jour. Il est patent que le parti communiste non encore
officiellement formé, a agi sur les événements de mai par le Conseil du
Comité pour la reprise des relations internationales. Il continue sa
pression sur la minorité syndicaliste, qui vient au Congrès d’Orléans
de donner une adhésion de fait à « l’Internationale Communiste ».
Adhésion toute sentimentale qui aura les plus graves conséquences.
Les Syndicalistes sentent, au sein des C. S. R, la tutelle qu’on veut
leur imposer. Ils se dressent contre les hommes de Moscou : Monatte,
Monmousseau, Rosmer, Souzarine, Loriot, etc. C’est la première bataille
qui se livre pour l’indépendance du syndicalisme révolutionnaire. Le
Bureau des C. S. R. est battu et je suis appelé à remplacer Monatte au
Secrétariat général ; Fargues occupe le Secrétariat administratif.
Mais, avant notre entrée en fonctions, une délégation a été nommée pour
représenter les C. S. R. au Congrès constitutif de l’Internationale
Syndicale Rouge (I. S. R.). Elle est composée presque exclusivement de
partisans de la subordination du syndicalisme. Seuls Sirolle,
Gourdeaux, Albert et Claudine Lemoine font figure d’opposants. La
délégation, hétéroclite, est déjà disloquée en trois parties au moins à
son passage à Berlin et subjuguée à peu près totalement par les
éléments communistes.
Elle manifestera son incompréhension totale de la Révolution et ne fera
aucun effort pour la voir qu’elle est. Ce sont alors d’ignobles
chantages exercés sur les délégués restés fidèles. Et après s’être
divisée, au Congrès de l’I. S. R., la délégation, précédé de Tomasi -
qui sera désavoué par tactique par ses amis - rentre en France. Et
c’est le Congrès Confédéral de Lille. Entre mai et juillet, les
militants syndicalistes du C. S. R. ont fait une grosse besogne, ils
abordent le Congrès de Lille, après avoir redressé le mouvement
minoritaire et mis debout un programme qui sera opposé à Lille, trop
tard hélas !, au programme de la C. G. T. Ils ont aussi renforcé
considérablement leur action et conquis un nombre imposant de Syndicats
de province. De 312 à Lyon, 585 à Mans, leurs forces atteindront à
Lille 1350 voix.
Le Congrès minoritaire voit participer à ses débats plus de 1100
Syndicats. C’est l’apogée. Le Bureau Confédéral sent la défaite. Il ne
s’en tirera que par la violence, en faisant matraquer par des gens à sa
solde, les délégués de la minorité. Des coups de revolver sont tirés.
Il y a des blessés. Le Gouvernement parle d’interdire la continuation
du Congrès. Il est visible que la majorité, stimulée par le Pouvoir,
cravachée par les hommes du démocratisme social cherche la rupture. La
minorité, quoique divisée en elle-même, ne se prête pas à cette
besogne. Le Congrès continue. Une fois de plus - et ç’eût dû être la
dernière - Jouhaux et ses amis triomphent.
La division s’accentue cependant entre les fractions de la minorité et
au Comité Confédéral de septembre, une réunion extraordinaire du Comité
Confédéral de septembre est convoquée.
La C. G. T., de son côté, brusque les choses. Dumoulin reprend sa
motion d’exclusion. Il l’aggrave et somme les délégués de le suivre. Il
ne triomphe qu’à une voix de majorité. À toute force, il est patent que
la majorité confédérale veut la scission. Elle veut aussi dissoudre les
C. S. R., ce que refusent les délégués minoritaires au C. C. N. après
délibération du Comité Central.
La situation empire. Les exclus sont plus nombreux qu’avant Lille. La
minorité tout entière se solidarise avec eux. La scission est désormais
inévitable. C’est à ce moment que se tient le Congrès de l’U. D. de la
Seine où Monmousseau prononce son dernier discours à peu près
syndicaliste et tente déjà sa conversion communiste. Il n’y parviendra
pas et devra s’incliner après l’intervention du Bureau des C. S. R.
Mais le malaise augmente. Il faut clarifier la situation. Une
Conférence des Unions départementales est convoquée en novembre. Elle
marque le désaccord sans cesse plus profond des partisans composant les
C. S. R. et décide la convocation d’un Congrès auquel seront convoqués
tous les Syndicats du pays pour protester contre la décision qui frappe
d’ostracisme la moitié au moins des Syndicats du pays. 1550 Syndicats y
participeront.
Ce Congrès se tiendra fin décembre 1921. Sa première tâche sera de
désigner une délégation qui aura charge d’informer la C. G. T. de la
tenue de ce Congrès et de son importance.
Elle se rend au siège confédéral, 211, rue Lafayette, où elle ne
rencontre que Lapierre, secrétaire adjoint de la C. G. T. qui a mission
de ne pas discuter et ne reçoit la délégation que par courtoisie.
Bien que prévenus, Jouhaux et Dumoulin sont absents, en délégation
internationale.
Après une discussion qui fut parfois tragique, Lapierre accepte
cependant de convoquer la C. E. de la C. G. T. et de donner une réponse
pour le soir à 6 heures et par écrit.
Ne recevant aucune communication, le Congrès décide d’envoyer à la rue
Lafayette une délégation restreinte pour connaître la réponse. J’en
fais partie avec Monmousseau, Fourcade, Carpentier, Gauthier.
Nous trouvons portes closes. Le Congrès attend impatiemment notre
retour. Nous rentrons immédiatement, et nous apprenons, par un
communiqué que la C. G. T. considère que les organisations qui
participent au Congrès se sont placées en dehors de la Centrale
Nationale. C’est, on ne se le dissimule pas, la rupture. C’est alors
que, mis au courant, le Congrès décide que la C. G. T., dont les
Syndicats présents constituent la majorité, continue sur la base de ses
statuts constitutifs définis à Amiens en 1906. La destitution du Bureau
Confédéral est prononcée. Ce n’est d’ailleurs qu’une décision de pure
forme. Il y a, en fait, deux C. G. T., sinon officiellement, du moins
en réalité.
En effet, le Congrès ne peut échapper à la nécessité, inéluctable
d’ailleurs, de désigner, un Bureau Confédéral et une Commission
Exécutive provisoires.
Totti, Cadeau et Labrousse sont appelés à ce Secrétariat provisoire.
Pendant deux mois encore, on essayera sans succès de recoller les
morceaux. Ce sera en vain. On ne pourra y parvenir, la C. G. T. s’y
opposera chaque fois. Il faudra bon gré, mal gré, se décider à
considérer la scission comme réalisée. La C. G. T. U., un moment
arrêtée dans son recrutement et sa propagande par le souci de renouer
les rapports entre les deux grandes fractions du syndicalisme, prend
maintenant un rapide essor, encore que la lutte des tendances ne se
soit pas ralentie à l’intérieur.
Après deux Comités Nationaux, au cours desquels s’y affronteront avec
force les défenseurs du syndicalisme et ceux du Parti Communiste, il
fut décidé qu’un Congrès Confédéral Constitutif aurait lieu à
Saint-Étienne en juillet 1922.
La tension internationale entre le Bureau et la C. E. provisoires de la
C. G. T. U. et les Bureaux de l’Internationale Syndicale rouge et de
l’Internationale Communiste est à l’état aigu.
À Paris, quoi qu’on en dise, les syndicalistes font tout pour empêcher
une rupture totale, soit par des conversations avec les délégués des
Exécutifs russes, soit par des propositions concrètes à ces Exécutifs,
dont les plus importantes seront soumises par Griffuelhes à Lénine,
Zinoview et Lozovsky. Ce fut en pure perte. Les russes restèrent
intransigeants. On peut dire, aujourd’hui, sans crainte d’erreur, que
la rupture leur incombe et à eux seuls.
Les dernières propositions du Bureau provisoire contresignées par un
certain nombre de membres les plus influents de la C. E. n’eurent pas
davantage de succès.
Parallèlement à cette action, se déroulait sur le plan national
l’offensive du Parti communiste et de ses alliés syndicaux, le tout
sous la direction de Frossard, mandataire de l’Exécutif de Moscou, dont
il appliquait d’ailleurs les ordres avec une mollesse qui lui sera
reprochée par la suite.
Par sa conduite, en ces circonstances tragiques, Frossard n’en aura pas
moins assumé de redoutables responsabilités. Pour n’avoir point rompu à
temps avec ceux qui dirigeaient l’offensive, après l’avoir souvent
annoncé pour avoir tantôt paru céder, tantôt semblé résister, il fut un
des hommes qui facilitèrent grandement la mainmise du Parti communiste
- dont il dirigea d’ailleurs l’offensive à Saint-Étienne - sur la C. G.
T. U.
Entre temps, la C. G. T. U. fut sollicitée de participer à une
Conférence convoquée par les Centrales syndicales non adhérentes à
Moscou ou à Amsterdam. Sous réserve que la C. G. T. russe serait
invitée, la C. E. décida, sur la proposition des syndicalistes
communistes, que la C. G. T. U. participerait, à cette Conférence à
titre d’information.
Cette Conférence se tint à Berlin, le 12 juillet 1922 et jours
suivants. La C. G. T. russe y avait délégué un de ses secrétaires,
Andréieff. La minorité russe y était également représentée. Une grande
discussion s’y produisit au sujet des persécutions en Russie et sur un
motif futile, la C. G. T. russe se retira, en se solidarisant avec la
fraction Vecchi de l’Union Syndicale italienne, que la Conférence avait
refusé d’admettre.
Les travaux de cette conférence seront examinés plus largement dans la
partie internationale. Sur la pression de la délégation française, elle
prit la décision de tenter un dernier effort d’entente avec l’I. S. R.
avant de constituer une Internationale, dont elle fixa toutefois les
principes et dont elle définit la doctrine.
La délégation de la C. G. T. U. à Berlin : Totti, Lecoin et moi-même,
rendit compte de son mandat par un rapport adressé au Congrès de
Saint-Étienne.
Ce Congrès constitutif de la C. G. T. U. marqua le triomphe de la
fraction communiste. Après six jours de débats extrêmement passionnés,
les syndicats communistes triomphèrent par 749 voix contre 406.
Monmousseau et ses amis prirent la tête de l’organisation centrale du
syndicalisme révolutionnaire français. Sentant le péril, les
syndicalistes et les anarchistes constituèrent immédiatement un Comité
de Défense Syndicaliste, avec mission d’entreprendre à nouveau le
redressement du syndicalisme. J’acceptai d’en être le secrétaire.
La besogne s’annonçait d’autant plus difficile que les syndicalistes
abasourdis par leur défaite ne surent ni s’organiser solidement, ni
agir à bon escient.
Bientôt, de ce Comité qui portait tous les espoirs de la minorité de
Saint-Étienne, ne vécut plus que la tête, à Paris ; la province boudait
ou se désintéressait de son existence.
Le Comité de Défense syndicaliste n’en joua pas moins un rôle important.
Peu de temps après le retour de la délégation Confédérale du IIIe
Congrès de l’I. S. R., après qu’on eût appris de source sûre que cette
délégation, violant son mandat de Saint-Étienne, avait livré le
syndicalisme français, pieds et poings liés à l’Internationale
Communiste, le Comité fut sollicité de participer au Congrès
constitutif de la II Association Internationale des Travailleurs. Je
m’y rendis avec A. Lemoine. Ce Congrès, sur les travaux duquel je
reviendrai plus tard, décida la constitution de l’Internationale
Syndicaliste, après avoir pris acte des décisions scissionnistes du
Congrès de l’I. S. R.
C’est alors, en janvier 1923, que les événements se précipitèrent en
Allemagne, après l’envahissement de la Ruhr par Poincaré. Ces
événements se développèrent rapidement. Les Partis Communistes français
et allemand, la C. G. T. U., divers autres Partis communistes, les
Conseils d’Usines de Rhénanie Westphalie, réunirent une conférence à
Essen.
Sentant le péril de laisser toute l’organisation aux mains des
communistes, le Comité de Défense syndicaliste intervint immédiatement.
Il fit une démarche auprès du Bureau Confédéral en demandant à
participer activement à toute l’action et, aussi, à sa préparation. Le
Bureau Confédéral repoussa notre concours.
Le gouvernement de Poincaré refit à ce moment le coup du complot et
arrêta les membres du Comité d’action. Ce complot fut étayé sur un
faux, qui prit le nom de faux de Hambourg, dont on ne saura jamais sans
doute s’il fut l’œuvre de la police bourgeoise internationale ou celle
de la Tcheka russe en Allemagne. Les relations de Radek avec le Préfet
de Police de Berlin semblent plutôt de nature à faire pencher vers
cette dernière hypothèse.
En tout cas, le complot s’effondra après la lecture en Haute Cour du
réquisitoire introductif du Procureur général Lescouvé.
Les pseudo comploteurs furent tous libérés. Puis vinrent les grandes
opérations d’Allemagne qui marquèrent à nouveau une tendance vers la
prise du Pouvoir en Saxe et en Thuringe, mouvement auquel participa la
C. G. T. U. qui assista à la Conférence de Francfort où fut dressé le
programme d’action qui devait être exécuté par les participants.
Mal dirigé, ce mouvement finit par le triomphe de la réaction, malgré
que les conditions de réussite aient paru un moment réunies.
Les gouvernements en partie ouvriers de Saxe et de Thuringe durent fuir
devant les baïonnettes de la Reichswehr et, après le Congrès des Usines
d’Allemagne, tenu à Chemnitz, et les sanglants événements de Hambourg,
le mouvement de révolte allemand né de la faim, écrasé dans le sang,
prit fin.
C’est à Bourges, en novembre 1923, que ces événements et tant d’autres,
y compris la question de suprématie des communistes furent
définitivement tranchés.
Pendant l’année syndicale 1923-1924, le Bureau de la C. G. T. U. et ses
amis avaient considérablement renforcé leurs positions. En dépit d’une
opposition trop tiède, trop timide, sans position doctrinale définie,
qui se fit jour à la C. E. et gagna à elle deux membres sur quatre du
Bureau : Marie Guillot et Cazals, les communistes gagnèrent un terrain
considérable. Ils avaient conquis presque toutes les Unions
départementales, sauf la Loire, le Rhône et les Bouches-du-Rhône, ainsi
que toutes les Fédérations, sauf le Bâtiment et les P. T. T.
Malgré les efforts inouïs des syndicalistes, dont l’homogénéité ne fut
d’ailleurs pas la vertu dominante, les communistes triomphèrent
définitivement. Lozowsky était, nous assura-t-on, présent dans les
coulisses. Si les groupements syndicalistes révolutionnaires avaient
été plus actifs, s’ils avaient su où Ils allaient, Il peut se faire,
que l’écrasement eût été moins brutal et qu’une réaction devînt
possible. Ce ne fut pas le cas.
Après Bourges, où le triomphe du Parti communiste s’étala cyniquement,
le Bureau Confédéral tenta d’enlever les derniers fortins syndicalistes.
Le Parti communiste entra alors carrément en bataille. Il était décidé
à frapper un grand coup et, à cet effet, avec la complicité des
dirigeants de la C. G. T. U. et de l’U. D. de la Seine, il organisa un
grand meeting de provocation à la Maison des Syndicats, 33, rue de la
Grange-aux-Belles, à Paris, qui eut lieu le 11 janvier 1924. S’emparant
sans vergogne du programme syndical, il démasqua toutes ses batteries.
Des camarades syndicalistes qui voulaient faire respecter le mouvement
ouvrier et défendre son programme furent roués de coups. Des équipes de
décrocheurs professionnels, aux gages du Parti communiste, jouèrent du
revolver. Deux des nôtres : Pontet et Clos furent tués, une dizaine
d’autres blessés.
La colère monta chez les syndicalistes et le jour des obsèques des
victimes, auxquelles participèrent, de nombreuses délégations de
province, se tint une Conférence de la minorité syndicaliste.
Une fois de plus, celle-ci manifesta son incompréhension, son
impuissance, en ne se séparant pas immédiatement des communistes.
Le temps fut mis à profit par ceux-ci qui, à part le Rhône, enlevèrent
tout ce qui restait de forces syndicalistes et coupèrent en deux la
Fédération du Bâtiment.
Comprenant enfin qu’elle n’avait plus rien à attendre, la minorité
syndicaliste, se réunit en Conférence les 1 et 2 novembre 1924.
Toujours par les mêmes raisons, elle ne sut pas prendre des décisions
fermes. Elle convoqua et décida la constitution d’une organisation
insuffisamment définie : l’Union Fédérative des Syndicats Autonomes de
France.
Cette organisation qui eût dû recevoir l’adhésion de tous les Syndicats
autonomes du Pays ne put remplir sa tâche et redresser un mouvement à
côté de la C. G. T.
Délaissée par ceux-là mêmes qui la constituèrent, mais n’y adhérèrent
jamais, elle mena une pauvre existence.
Son Bureau décida de convoquer une Conférence le 23 juillet 1925. Elle
se tint à Saint-Ouen. 36 Syndicats y participèrent. La proximité des
Congrès Confédéraux ne permit pas de prendre encore une position nette,
surtout sur la question de l’Unité qui apparaît bien, maintenant comme
la plus fameuse chimère du moment.
Il n’est pas besoin d’être grand prophète pour prédire que les Congrès
des deux C. G. T. qui vont se tenir fin août, laisseront les choses en
l’état et sanctionneront une scission qui apparaît comme irrémédiable
avant longtemps.
À ce sujet, voici ci-dessous la position prise, sur cette question par
l’U. F. S. A. qui reste, en dépit de ses maigres effectifs, la seule
force syndicaliste de ce pays.
Je la reproduis en entier, parce qu’elle marque exactement la position
du conflit, et qu’elle permettra aux hommes d’aujourd’hui, comme à ceux
des générations de l’avenir, de se reconnaître dans l’histoire si
compliquée du syndicalisme. Elle sera aussi de nature. à marquer le
point de départ d’une nouvelle évolution du syndicalisme.
DECLARATION DE LÀ C. E. DE L’U. F. S. A. ÀUX CONGRÈS CONFEDERAUX d’ÀOÛT
1925
Les bouleversements provoqués par la guerre ont posé avec une force
accrue, pour la classe ouvrière, le problème de la gestion de la
Société par le Syndicalisme.
Ceci implique que les travailleurs doivent exprimer avec plus de clarté
et d’objectivité, les désirs d’affranchissement qu’ils ont affirmé à
toutes les périodes tumultueuses de l’Histoire.
La persévérance de ces affirmations, leur précision sans cesse plus
grande depuis la publication du manifeste de 1863, prouvent avec
évidence que la véritable tendance du Syndicalisme est l’organisation
du travail et la gestion de la production.
En toute logique, la solution de ce problème qui se pose au sortir de
la guerre avec une intensité jamais égalée, devait rapprocher les unes
des autres les diverses fractions du syndicalisme dont le but est de
supprimer le salariat, d’abolir le capital.
Or, fait extraordinaire, c’est le contraire qui s’est produit. Les
tendances se sont heurtées violemment les unes contre les autres et, au
lieu d’un renforcement de l’Unité syndicale, ce sont des scissions qui
sont intervenues.
Il y a à cela des raisons profondes qu’il convient d’examiner, avant de
reprendre la marche en avant. En effet, les scissions quel qu’en soit
le mécanisme, ne se sont pas produites fortuitement. À l’origine de
chacune d’elles, doit se trouver une cause essentielle. À notre avis,
la cause première de toutes ces scissions réside dans l’abandon des
principes fondamentaux du syndicalisme par certaines des fractions
aujourd’hui rivales.
Ces principes sont condensés dans la charte du syndicalisme. Ce n’est
pas par hasard que le Congrès d’Amiens la formula en 1906. Elle est
l’affirmation synthétique de toutes les déclarations des Congrès
ouvriers antérieurs. Elle résulte de l’observation attentive des faits
sociaux, elle est la conséquence des luttes ouvrières et de leurs
enseignements. Traduisant la pensée ouvrière, elle dicte au mouvement
syndical, sa ligne de conduite dans le domaine immédiat en même temps
qu’elle fixe les buts lointains à atteindre. Elle définit aussi le
caractère exact du syndicalisme, détermine la valeur revendicative et
la capacité révolutionnaire des Syndicats dans la lutte, l’organisation
et la gestion.
On peut dire que la Charte d’Amiens contient six affirmations capitales
qui constituent les fondements du syndicalisme, ce sont
1° Affirmation d’unité. « La C. G. T. groupe », en dehors de toute
école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener
pour la disparition du patronat et du salariat.
2° Affirmation de lutte de classe. Le Congrès considère que cette
déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose,
sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes
les formes d’exploitation et d’oppression tant matérielles que morales,
mises en œuvre par le capitalisme contre la classe ouvrière.
3° Affirmation de la nécessité de la lutte quotidienne dans le régime
actuel. Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme
poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du
mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations
immédiates, telles que la diminution des heures de travail,
l’augmentation des salaires, etc.
4° Affirmation de la capacité d’action révolutionnaire des Syndicats.
Fixation de leur rôle social avant et après la révolution. Il (le
Syndicalisme) prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser
que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action
la grève générale et il considère que le Syndicat, aujourd’hui
groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de
production et de répartition, base de la réorganisation sociale.
5° Affirmation d’autonomie et d’indépendance. Le Congrès déclare que
cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation
de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les
travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances politiques
ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel
qu’est le Syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les
individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de
participer, en dehors du groupement corporatif, à toute forme de lutte
correspondant à ses conceptions politiques ou philosophiques, en se
bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le
Syndicat, les opinions qu’il professe au dehors.
6° Affirmation d’action directe et de neutralité envers les Partis et
les groupements philosophiques. En ce qui concerne les organisations,
le Congrès décide qu’afin que le Syndicalisme atteigne le maximum
d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le
patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que
groupements syndicaux, à se préoccuper des Sectes et des Partis qui, en
dehors et à côté, peuvent poursuivie en toute liberté la transformation
sociale.
Ces principes forment un tout. Il est clair, qu’en cessant de respecter
l’un ou plusieurs d’entre eux, on ne pouvait que provoquer
l’écroulement de l’édifice si péniblement construit et l’anéantissement
du mouvement sur lequel il reposait.
C’est ce qui est arrivé, au moment même où l’Unité était plus
nécessaire que jamais, alors qu’il était indispensable d’affirmer la
valeur du syndicalisme, de préparer des cadres et de le diriger vers
les buts à atteindre.
Personne ne contestera que les objectifs fixés à Amiens restent ceux
d’aujourd’hui, puisqu’ils ne furent jamais atteints et correspondent
toujours aux désirs et aux besoins des travailleurs. La besogne
quotidienne et d’action révolutionnaire, de défense, de préparation,
d’agitation, de transformation, reste identique et s’impose plus que
jamais.
Cela suffit largement pour nous permettre d’affirmer avec raison, en
dépit de toutes les expériences récentes - qui en sont plutôt la
confirmation que l’infirmation - que la Charte d’Amiens conserve toute
sa valeur doctrinale et que ses principes restent les seuls qui soient
de nature à permettre au syndicalisme de retrouver son Unité et sa
vigueur.
La preuve en est péremptoirement administrée par les faits suivants
1° Dès qu’on a cessé de reconnaître que la lutte de classe est un fait
indéniable, pour pratiquer ou tenter de pratiquer la collaboration
continue du Travail et du Capital par en haut, on a créé une tendance
qui ne permettait plus à la C. G. T. de grouper dans son sein, en
dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la
lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat. Une
partie d’entre eux en était exclue idéologiquement, moralement. Elle le
fut bientôt matériellement. II ne faut pas chercher ailleurs la cause
de la première scission.
La confiance mise par la C. G. T. dans la démocratie et l’État
bourgeois, pendant et après la guerre, pour réaliser une partie du
programme syndicaliste était en opposition flagrante avec la Charte
d’Amiens, qui rompait publiquement avec cette démocratie et son État et
n’attendait rien que de l’action directe des travailleurs.
Il y a d’autres causes, mais celle-ci est l’essentielle. Les
expériences, qui se suivent et se ressemblent quant aux résultats
depuis mai 1924, prouvent et confirment avec éclat, en dépit de
l’accentuation de cette politique, qui rencontre l’agrément du Pouvoir
et du Parlement, que les militants de 1906 furent clairvoyants, qu’ils
avaient pleinement raison.
Indubitablement, le premier divorce des fractions de la C. G. T. vient
de là et non d’ailleurs. Il était inévitable, parce que les principes
fondamentaux d’un mouvement sont au-dessus de la toi de la majorité et
qu’ils doivent y demeurer. C’est du moins notre avis.
2° Lorsque le rôle révolutionnaire du syndicalisme, sa valeur
revendicative, son indépendance, son autonomie fonctionnelle, sa
capacité d’action furent contestés par un Parti et ses adeptes qui
voulaient que le Syndicalisme rompît sa neutralité en faveur de ce
Parti jusqu’à en devenir l’appendice, contrairement d’ailleurs à ce
qu’affirmait Karl Marx lui-même à Genève en 1866, la deuxième scission,
déjà en germe lors de la première, se produisit.
À ce moment, la C. G. T. U., pas plus que la C. G. T., ne pouvait plus
grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les
travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du
patronat et du salariat, même si ce principe directeur restait à la
base de l’action de la nouvelle C. G. T.
Et ce fut la seconde scission, parce que, une fois encore, les
principes fondamentaux du syndicalisme cessaient d’être respectés et
qu’ils ne pouvaient être modifiés par une majorité inspirée
extérieurement par le parti communiste. Il en eût été de même, s’il se
fût agi d’un autre parti ou d’un groupement philosophique.
On peut donc dire, aujourd’hui, que les principes d’Amiens sont niés,
dans leur intégralité, soit par l’une, soit par l’autre C. G. T.
Faut-il en conclure que l’Unité est à tout jamais impossible ?
Peut-être, hélas !, si on continue de tels errements.
Les conceptions nouvelles des deux C. G. T. basées de part et d’autre
sur des principes opposés à ceux du syndicalisme, ont en effet donné
naissance à des programmes, à des systèmes qui s’opposent dans presque
toutes leurs parties à ceux du syndicalisme. Il est à craindre, dans
ces conditions que ceux qui les défendent respectivement, ainsi que
ceux qui les suivent, s’obstinent dans leurs erreurs et persistent dans
la voie qu’ils ont choisie.
On peut donc redouter que les heurts des tendances s’aggravent au lieu
de disparaître. Aussi, pour exprimer franchement notre pensée, nous
n’apercevons en ce moment et ce jusqu’à ce que nos craintes soient
dissipées, aucune possibilité sérieuse de fondre dans un même creuset
les systèmes sociaux qui sont, à notre avis, appelés à s’opposer chaque
jour plus violemment, jusqu’à l’application de l’un d’eux.
L’histoire nous enseigne que cette lutte se poursuivra,
vraisemblablement, par delà cette application, s’exacerbera davantage
encore, lorsque l’un des adversaires aura momentanément triomphé, même
s’il jugule ses opposants.
En ce qui les concerne, les travailleurs groupés dans l’U. F. S. A.
n’attendent rien de la démocratie. Ils savent que le développement de
celle-ci signifie le maintien du Capitalisme dans ses privilèges et la
continuation de l’asservissement du travail.
Aux prétendus droits du Capital, ils opposent les droits véritables du
travail, qui ne peuvent trouver leur expression que par la libération
des travailleurs, la suppression du capitalisme et du système qui le
soutient et non dans une conciliation impossible des intérêts opposés.
Ils savent que l’État-patron oppresse ses ouvriers, ses employés, ses
fonctionnaires doublement : politiquement et économiquement.
Aussi, considérant que la tendance de la démocratie, qui est d’étendre
indéfiniment le champ d’action de l’État par l’extension de la
politique des monopoles, conduira en fait à ce double asservissement un
nombre sans cesse plus élevé de travailleurs, l’U.F.S.A. déclare que le
Syndicalisme a pour devoir de revendiquer pour les Syndicats, la pleine
autonomie dans l’organisation du travail, de tenter de détruire les
hiérarchies arbitraires et incompétentes qui, dans les services
publics, dominent les travailleurs et paralysent leur efforts ; de
faire restituer aux intéressés eux-mêmes (par le contrôle syndical) les
droits de régler les questions d’ordre technique et professionnel,
d’enlever aux hommes politiques et aux partis qu’ils représentent la
possibilité de s’ingérer dans le recrutement du personnel, en un mot de
neutraliser à la fois la puissance malfaisante de l’État et celle non
moins malfaisante du Patronat.
C’est une œuvre qui relève essentiellement de l’activité du
syndicalisme, si ce dernier veut défendre hardiment les ouvriers contre
les démocrates et s’opposer au triomphe de la démocratie, de la
république des camarades, de la médiocrité et de l’irresponsabilité.
En monopolisant, l’État devient entrepreneur. Comme tel, il prétend
être, à la fois, industriel ordinaire et patron privilégié. Or, comme
industriel, il est incompétent et, comme patron, il est tyrannique.
Le syndicalisme doit donc se dresser et lutter contre les institutions
composées de représentants de l’État, des patrons et des ouvriers, dont
le but est d’acheminer l’ordre social vers la démocratie. C’est le rôle
de ses groupements comme, demain, ce sera le rôle de ces mêmes
groupements d’assumer les charges de l’organisation sociale.
Les travailleurs n’ont pas davantage foi dans leur soi-disant
affranchissement par l’État et les Partis. Ils n’attendent rien que
d’eux-mêmes et de leur action. Ils se refusent à reconnaître à un Parti
le droit de parler en leur nom et à l’État d’administrer la chose
publique à leur place. Ils se souviennent, à ce sujet, des multiples
enseignements des révolutions passées. Ils n’ont oublié ni la façon
dont le Conseil municipal de Paris accueillait leurs revendications en
1790, ni le vote de la loi Le Chatelier en 1791, par l’Assemblée
constituante, ni les fusillades du faubourg St Antoine en 1830, ni la
faillite du socialisme d’État, avec Louis Blanc, en 1848.
Ils se rappellent que chacune de ces dates vit couler à flots le sang
ouvrier et que le triomphe du prolétariat fut, chaque fois, rendu vain
par les trahisons successives des Partis qui utilisèrent le levier
populaire pour renverser une tyrannie et imposer la leur.
De telles expériences gardent les travailleurs pour l’avenir. Elles
justifient aussi, et au-delà, leur fidélité aux principes du
syndicalisme, à son action, aux buts qu’il poursuit.
L’U. F. S. A. croit d’ailleurs fermement que la situation est
révolutionnaire ; économiquement, financièrement, politiquement et
socialement. C’est pour elle, une raison de plus d’être fidèle à ses
principes.
Pour parler net, elle ne voit de possibilité d’unité que dans l’action
que les événements vont rendre indispensable. C’est donc de l’action
seule, que peut, à notre avis, surgir l’organisation unique des
travailleurs. C’est elle qui démontrera la nécessité d’employer les
moyens d’action du syndicalisme et acheminera instinctivement les
ouvriers vers leurs buts invariables d’affranchissement.
Par avance, l’U. F. S. A., en même temps qu’elle déclare la Paix à
toutes les autres tendances du mouvement syndical et à leurs militants,
est d’ores et déjà prête à collaborer avec les uns et les autres pour
toute action qui aurait pour but la défense des intérêts ouvriers
(salaires, 8 heures, vie chère, chômage, etc.,) ou qui tendrait à
supprimer le salariat et à faire disparaître le patronat.
Elle est également prête à s’associer à toute action pratique et
sérieuse dirigée contre la guerre, à la seule condition que cette
action soit dirigée par les travailleurs et leurs organisations
syndicales, même si celles-ci ne sont pas d’accord avec elle sur le
caractère du deuxième stade d’une révolution qui doit normalement
découler de cette guerre, dans les circonstances actuelles.
Pour conclure et se résumer, l’U. F. S. A. déclare :
1° Etre prête à réaliser immédiatement l’unité organique par la
reconstitution d’une seule C. G. T. basée sur les six affirmations
capitales et de principe contenues dans la charte d’Amiens et rappelées
d’autre part.
2° Etre prête dès maintenant, à participer, comme force organique à
toute action quotidienne, revendicative ou révolutionnaire dirigée
contre le patronat et l’État bourgeois, jusqu’au jour où, conscients de
leur vrai rôle social, les travailleurs groupés ou associés dans leurs
syndicats, Unions, Fédérations, C. G. T. et Internationale uniques,
reviendront d’eux-mêmes aux principes du syndicalisme et en assureront
son triomphe définitif, en même temps que la libération du prolétariat,
par la prise des moyens de production et d’échange et l’organisation
sociale par la classe ouvrière.
La C. E. de l’U. F. S. A.
Pendant ce temps que fait la C. G. T. ? Elle traverse deux périodes
totalement différentes. L’une qui va de décembre 1921 à mai 1924 et
l’autre, qui commence à cette dernière date et dont le cycle n’est pas
encore achevé.
Pendant la première, elle est quelque peu désorientée, perd de ses
effectifs. Malgré qu’elle ait tenté de se rapprocher du Pouvoir sous
Briand, Poincaré l’écarte. Elle ne peut, quelque désir qu’elle en ait
participer à la conférence de Gênes où la Russie reprend pour la
première fois contact avec le monde diplomatique en 1922. Albert
Thomas, y représente le Bureau International et participe aux travaux,
ce qui a le don de mettre en colère Bourderon, qui quitte le Congrès.
On y chante la louange de la Société des Nations et le Congrès syndical
manifeste une répulsion aggravée pour la lutte de classe.
Après cette dure période de 1922 à 1924, la C. G. T. va connaître à
nouveau les grâces du Pouvoir avec l’arrivée de Herriot et du Cartel
des gauches qui viennent de triompher, en mai 1924, du Bloc national.
Le programme minimum de la C. G. T. se voit infliger la suprême injure
d’être accepté par presque tous les candidats de ce Cartel aux
élections de mai.
Le triomphe porte tout naturellement aux portes du Pouvoir les grands
manitous confédéraux et fédéraux, qui s’installent un peu partout dans
les Commissions instituées.
Mais les résultats réels se font attendre. Ni la nomination de Jouhaux
comme représentant du Gouvernement au Conseil de la S. D. N. à Genève,
ni celle de nombreux militants réformistes, par Painlevé, au Conseil
National Economique et à l’Office national de la main-d’œuvre, pendant
que d’autres entrent dans les conseils techniques de toutes sortes, ne
permettent à la C. G. T. d’atteindre les buts qu’elle vise.
L’expédition du Maroc, qu’elle n’ose condamner formellement, les
difficultés de tous ordres qui surgissent, les déboires causés par
l’application du plan Dawes à l’Allemagne, la politique centriste de
Painlevé tiraillé de gauche à droite, la rentrée politique financière
de Caillaux ont tellement rendu la tâche de la C. G. T. difficile, que
Jouhaux et ses amis regardent l’avenir avec effroi.
Il est à peu près certain d’ailleurs que le fiasco qui marquera la fin
de l’expérience du Parti radical français, soutenu d’une façon
intermittente par le parti socialiste, marquera aussi l’impuissance
totale de la C. G. T. à concilier l’intérêt de classe avec l’intérêt
général, les intérêts du Travail et ceux du Capital.
La désillusion qui s’en suivra chez les travailleurs, celle qui
s’emparera d’eux après qu’ils auront constaté le néant des réalisations
du parti communiste, surtout si les événements révolutionnaires forcent
celle-ci à agir et à tenter d’appliquer son programme, ramèneront les
ouvriers sur la route qu’ils n’auraient pas dû quitter : celle du
syndicalisme, seule force de libération véritable.
Les Congrès des deux C. G. T. venant de prendre fin au moment même où
je termine cette étude, il me semble impossible de n’en pas parler.
Ces Congrès ont été réunis à Paris à la même date (26 au 29 août 1925).
Dès sa première séance, celui de la C. G. T. U. qui se tenait au «
Chaumont Palace » a désigné une délégation avec mission de proposer au
Congrès de la C. G. T., réuni au « Manège Japy » de réunir les deux
Congrès en un seul après les assises régulières des deux C. G. T. pour
la réalisation de l’Unité Nationale.
De son côté, l’U. F. S. A. adressait une lettre à chacune des deux C.
G. T. et à leur Congrès pour qu’une délégation puisse exposer le point
de vue des autonomes sur l’Unité.
Le Congrès de la C. G. T. reçut la délégation de la C. G. T. U. et
moi-même pour l’U. F. S. A. nous donnâmes lecture des déclarations de
nos organisations respectives.
Le Congrès prit acte et nous nous retirâmes. Le lendemain le Congrès de
la C. G. T. U. reçut le camarade Huart (chaussure) qui vint lui donner
connaissance du manifeste inséré d’autre part.
De ces « négociations » nul résultat n’est sorti. La C. G. T. reste sur
sa position. Son point de vue se résume en ceci : Unité chez elle.
Le refus formel de la C. G. T. a rendu inutiles toutes négociations.
Plus que jamais l’Unité s’éloigne, quelles qu’en soient les nécessités.
Le congrès de la C. G. T. a précisé avec une telle clarté la ligne de
conduite de ce groupement, sur le terrain de la collaboration des
classes, de l’entente avec la démocratie, de la participation indirecte
au Pouvoir, qu’il lui est impossibled’envisageruneaction commune le
reste du prolétariat, comme il est désormais certain que celui-ci ne
peut compter sur la C. G. T. pour une action de classe, quel qu’en soit
le caractère.
Du côté de la C. G. T. U. le triomphe du parti communiste est total,
l’asservissement du syndicalisme est complet et, à moins d’un concours
exceptionnel de circonstances, il est certain que les syndicalistes ne
pourront travailler en commun avec la C. G. T. U.
Reste l’U. F. S. A. seule avec son point de vue syndicaliste. Qu’en
adviendra-t-il ? Je l’ignore. Les syndicats le diront.
Comme je le déclarais plus haut la situation reste inchangée.
Seuls les événements la solutionneront. Aux syndicalistes de savoir les
utiliser.
ACTION INTERNATIONALE DE LA C. G. T.
Il me paraît nécessaire de faire remonter l’action internationale du
mouvement ouvrier français à l’année 1862 qui marqua la première prise
de contact des ouvriers français avec leurs camarades anglais, lors de
l’Exposition universelle de Londres.
Cette prise de contact eut des lendemains féconds. La publication du
manifeste dit « des Soixante » marqua une date importante du mouvement
français, qui affirma le caractère de classe de son action.
Le retentissement de ce document - dont les conclusions, pour
contradictoires qu’elles apparaissent aujourd’hui, firent sensation à
l’époque - fut énorme.
Le recrutement des sociétés de résistance en fut considérablement
augmenté. La répression brutale de la grève de la typographie
parisienne accrut et surexcita l’agitation ouvrière.
Après avoir arraché le droit de coalition au gouvernement impérial
apeuré par des conflits renouvelés, les travailleurs songèrent
sérieusement à internationaliser leur action.
C’est en 1864 que fut constituée l’Association Internationale des
Travailleurs, elle fut fondée à Londres le 28 septembre, après un
meeting international tenu par les ouvriers au Saint-Martin’s Hall, en
faveur le la Pologne martyrisée.
Constituée en 1865, la Section française, dont le siège était à Paris,
rue des Gravilliers, participa au 1er Congrès de l’Internationale qui
se tint à Genève en 1866.
Ce Congrès fut d’une haute tenue par ses discussions doctrinales et les
décisions d’ordre pratique qu’il prit, notamment sur le principe de la
réduction de la journée de travail à 8 heures, sur la suppression du
salariat qui ne disparaîtra, disait-il, que par l’association
coopérative des travailleurs. L’évolution de la grève générale qui fut
faite à ce Congrès atteste que nos devanciers attachaient à cette forme
de lutte une valeur certaine.
La Section française participa également au Congrès de Lausanne, en
1867.
Ce Congrès déclara en outre, que « l’émancipation sociale des
travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et que
l’établissement des libertés politiques est une mesure d’absolue
nécessité ». Je pense qu’on pourrait aisément renverser les termes de
cette formule sans qu’elle perdît ni de sa valeur ni de force, bien au
contraire.
Cette affirmation valut à la Section française d’être poursuivie, sans
que se ralentissent pour cela, et l’action et la propagande de l’A. I.
T. en France.
Les Congrès suivants marquèrent une nette orientation vers le
collectivisme. César de Paëpe, un militant belge de haute valeur, joua
un grand rôle dans cette évolution de l’Internationale.
Les Congrès de Bruxelles (18613) et Bâle (1869) accentuèrent cette
évolution. Ils affirmèrent que la « propriété collective est une
nécessité sociale, que la société a le droit d’abolir la propriété
individuelle du sol et de le faire rentrer à la communauté ».
Mais, toutes ces discussions sur des sujets aussi vastes firent
apparaître de graves oppositions non seulement dans les Congrès, mais
au sein du Conseil Général de l’Internationale.
Pendant que déclinait l’influence des « mutualistes » français et que
celle de Karl Marx grandissait, une autre tendance, celle des «
fédéralistes », naissait avec Bakounine.
Fédéralistes bakouninistes et étatistes marxistes allaient s’opposer
avec vigueur. Ce fut le commencement des luttes qui se poursuivent
encore aujourd’hui. Marx et Bakounine étaient en complet désaccord à la
fois sur la conception générale de la Révolution et sur le rôle des
syndicats.
Les marxistes ne voyaient de possibilité de réalisation révolutionnaire
que par l’institution d’un État prolétaire et la constitution du
prolétariat en parti politique, tandis que Bakounine et ses amis, dont
James Guillaume fut le commentateur brillant et la Fédération
jurassienne l’organisme d’action vigoureux, déclaraient que la
reconstitution sociale devait avoir pour base la Commune, ce qui
correspond au rôle que nous assignons aujourd’hui aux Bourses du
Travail ou Unions locales.
D’autre part, en ce qui concerne le rôle des syndicats les divergences
n’étaient pas moins grandes. Comme les communistes d’aujourd’hui, et en
complète contradiction avec ses affirmations de Genève en 1866, Marx
déclarait que les syndicats étaient des organes de défense corporative
et qu’à la défense des intérêts professionnels devait se limiter leur
rôle. Waldeck-Rousseau eut en Marx un précurseur certain et on ne
s’étonne pas qu’il ait cherché à enfermer les syndicats dans une
légalité qui leur attribuait ce rôle restreint.
Quels que furent les efforts de Bakounine, d’ailleurs trop occupé par
son action à travers tous les pays de l’Europe Centrale et moins homme
de plume qu’homme de combat, Marx triompha.
Il réussit à se débarrasser de Bakounine et de ses amis, mais
l’Internationale ne survécut pas à cette victoire qui n’est peut-être
pas sans analogie avec celle des communistes de nos jours.
Ce fut la fin de la 1ère Internationale, dont la force fut insuffisante
pour arrêter la guerre franco-allemande de 1870-1871.
Elle n’en avait pas moins joué un rôle fort important. C’est de cette
époque que date la véritable conscience de classe internationale.
Sa formule si claire, si nette : L’émancipation des Travailleurs doit
être l’œuvre des Travailleurs eux-mêmes, définit admirablement le
caractère de l’action ouvrière. Les enseignements de la I
Internationale, son expérience, ne sauraient être oubliés. Ils forment
la base de notre activité.
Elle donna d’ailleurs à la Commune des militants de valeur. Varlin est
la figure ouvrière qui domine cette époque. On le considère comme le
premier Secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine.
Il faudra attendre longtemps avant qu’une nouvelle expérience de
constitution d’un organisme de liaison devienne possible sur le terrain
international.
C’est en 1901 que les syndicats allemands convoquent au Congrès de
Copenhague les Centrales Nationales des autres pays. 12 organisations
répondent à l’appel du Centre syndicaliste allemand.
Il ne sort pas de ce contact une Internationale, mais un Bureau de
renseignements international dit « Secrétariat international des
Centres Syndicaux Nationaux ». Le secrétariat en est confié à
l’Allemagne qui le conservera jusqu’en 1914, avec Legien.
La C. G. T. qui vient de forger définitivement son Unité au Congrès de
Montpellier, en 1902, donne son adhésion à ce Bureau.
Dès le début deux conceptions se heurtèrent fondamentalement : celle
des Français qui voulaient une organisation vivante, combative ;
l’autre, celle des Allemands qui ne voulaient faire du Secrétariat
International qu’un organe de renseignements, de statistique,
d’administration.
Les choses ne tardèrent pas à s’envenimer. À Dublin, en 1903, la C. G.
T. française présenta un rapport sur l’antimilitarisme et la grève
générale. Elle essayait de faire ainsi revivre l’esprit
internationaliste qui animait là I Internationale. Ce fut en vain, le
rapport ne fut ni lu, ni même distribué.
Ce rapport résumait d’ailleurs remarquablement les conceptions du
syndicalisme français.
On y lit aussi cette affirmation d’antimilitarisme :
« L’État n’observe jamais la neutralité. Àu moindre conflit, pour de
simples menaces de grève, il mobilise l’armée et l’envoie sur le
théâtre des événements contre les travailleurs. L’antimilitarisme doit
être mis au premier rang des préoccupations des travailleurs organisés.
C’est une besogne aussi indispensable et aussi urgente que celle qui
consiste à rallier au syndicat les camarades inconscients. » Le refus
autoritaire de Legien de faire connaître ce rapport montre que
l’Internationale n’est qu’un organisme administratif qui reste étranger
à toute action de classe vraiment ouvrière et internationaliste.
Il faut peut être chercher dans la permanence de cet état d’esprit,
l’une des causes essentielles de la faillite de la Deuxième
internationale devant la guerre.
La C. G. T. continue de payer ses cotisations mais elle ne participe
pas, en fait, à l’action du Bureau International.
La C. G. T., devant l’attitude hostile persistante du Secrétariat
International, ne participe pas aux travaux de la quatrième Conférence
qui se tint à Amsterdam, les 23-24 juin 1905, à l’ordre du jour duquel
elle avait demandé à nouveau et avec insistance que figurent la grève
générale, les 8 heures et l’antimilitarisme.
Le Secrétariat international décida, après consultation des Centres
syndicaux Nationaux, tous défavorables à l’exception de la Hollande,
que ces questions ne figureraient pas à l’ordre du jour.
Elles étaient, disaient ces Centres, de la compétence, des Congrès
Internationaux du Travail et des Congrès Nationaux.
On voit quelle était l’étendue du fossé doctrinal qui séparait le
syndicalisme français, libre de toute attache politique, avec les
mouvements syndicaux des autres pays, tous plus ou moins corporatifs et
liés avec les partis social-démocrates.
On pourrait croire que le syndicalisme français représentait dès cette
époque - et représente encore - un mouvement anachronique par rapport
aux autres mouvements de tous les pays. Il n’en est rien. Il a atteint
une forme particulière, un stade plus évolué, parce que la France a
passé par toutes les phases des révolutions politiques et que celles-ci
ont démontré aux ouvriers français l’inanité de ces changements qui
n’affectent que la forme de l’État et ne modifient en rien le contrat
social, alors que les autres pays de l’Europe n’ont pas connu ces
bouleversements répétés.
On a beau, de Moscou, tenter l’impossible pour que ce mouvement, jugé
dangereux - à juste titre d’ailleurs - pour les politiciens et les
Partis disparaisse, il n’en sera pas ainsi. L’avenir lui appartient,
c’est lui qui, lorsque les Prolétariats de tous les partis auront perdu
toutes leurs illusions politiques, toute leur foi dans les partis,
triomphera en définitive.
En 1906, alors que les incidents du Maroc font craindre une
conflagration, la C.G.T. délègue à Berlin, sou secrétaire Griffuelhes.
Il ne se heurte pas à un refus formel de Legien, mais il reçoit de
celui-ci l’invitation d’avoir à s’adresser au parti Socialiste.
Cette réponse permet de mesurer la valeur attribuée au syndicalisme en
Allemagne.
Aussi, il est inutile de se demander comment le Secrétariat
international accueillit l’idée qu’exprimée à Amiens, la Conférence des
Bourses, à l’issue du Congrès Confédéral : « les travailleurs doivent
répondre à toute déclaration de guerre par la grève générale. »
Depuis, certes, l’idée a fait son chemin dans tous la pays, on ne la
considère plus, comme le disait dédaigneusement Legien, comme une
ineptie générale. Mais au Congrès de Stuttgart en 1907, la C.G.T.
devant l’hostilité toujours réservée à ses propositions ne s’en
retirera pas moins du Secrétariat international où tout travail est
devenu impossible. Elle participera cependant à la Conférence de Paris
en 1909. Pendant le conflit du Maroc, en 1911, il y a échange de
délégués entre la France et l’Allemagne sans que soient aplanies les
difficultés originelles.
En 1912, le conflit balkanique et ses extensions possibles amenèrent la
C. G. T. à convoquer un Congrès extraordinaire des syndicats qui vota
la résolution suivante :
Le Congrès confédéral extraordinaire de Paris rappelle que la raison
d’être de la C. G. T. est de grouper en des organisations : syndicats,
unions de syndical, fédérations corporatives, les travailleurs avides
de conquêtes morales, matérielles, en créant entre-eux une communauté
de pensée, d’action, d’où résultent a solidarité, une union sans
lesquelles le progrès ne pourrait se réaliser.
Qu’ainsi, la C. G. T. s’affirme comme le représentant naturel du
prolétariat, puisqu’elle exprime ses désirs de mieux-être et de liberté
et constitue l’organe par lequel elles doivent se réaliser, en exerçant
son action par l’intermédiaire des groupements précités qui sont autant
de foyers répandus à travers le pays, au sein desquels les travailleurs
trouvent les éléments de leur activité.
Que par là, la C. G. T. a été créée par la classe ouvrière pour
synthétiser ses aspirations, les coordonner, en vue de leur assurer une
force de rayonnement résultant de l’Unité d’organisation qui, dans
l’autonomie de chaque groupement, puise une valeur plus grande.
Qu’il est reconnu par tous que la C. G. T. se présente comme
l’interprète de la volonté des prolétaires organisés, que cette volonté
se dégage du droit même qui appartient à chaque salarié de participer
de façon effective à la vie confédérale.
Par ces considérations, il apparaît qu’à aucun moment il ne peut
exister entre les classes en opposition la moindre communauté de pensée
et d’action. Mieux que tout autre événement social, une guerre fait
éclater cette opposition, puisqu’il s’agit, pour la classe ouvrière,
sans profit pour elle, de répondre à l’appel guerrier du Capitalisme en
courant sus aux prolétaires, victimes inconscientes du Capitalisme
voisin ; que, ce faisant, la classe ouvrière se prêterait à la plus
criminelle besogne devant augmenter la force d’exploitation du
capitalisme et affaiblir, pour de longues années, le mouvement ouvrier.
Pour toutes ces raisons, le Congrès Confédéral déclare qu’il ne
reconnaît pas à l’État bourgeois le droit de disposer de la classe
ouvrière ; que celle-ci, majeure, entend poursuivre à son gré, dans les
conditions déterminées par elle, au sein de ses organismes, son œuvre
de propagande et de conquête.
Qu’en s’acheminant vers sa libération, elle est résolue à ne rien
sacrifier à une guerre ; qu’au contraire, elle est décidée à profiter
de toute crise sociale pour recourir à une action révolutionnaire.
D’où il résulte que si, par folie ou par calcul le pays au sein duquel
nous sommes placés se lançait dans une aventure guerrière, au mépris de
notre opposition et de nos avertissements, le devoir de tout
travailleur est de me pas répondre à l’ordre d’appel et de rejoindre
son organisation de classe pour y mener la lutte contre ses seuls
adversaires : les Capitalistes.
Désertant l’usine, l’atelier, la mine, le chantier, les champs, les
prolétaires devront se réunir dans les groupements de leur localité, de
leur région pour y prendre toutes mesures dictées par les circonstances
et le milieu avec, comme objectif, la conquête de leur émancipation et,
comme moyen, la grève générale révolutionnaire.
Les délégués des organisations ouvrières estiment que les salariés, mis
dans l’obligation d’aller à la guerre n’ont qu’une perspective :
accepter les armes pour aller à la frontière massacrer d’autres
salariés ou accepter la lutte contre l’ennemi commun : le Capitalisme.
Sous l’empire des obligations imposées par nos dirigeants, les
délégués, en faisant choix de la guerre sociale, c’est-à-dire de la
révolte dés exploités contre les exploiteurs, considèrent agir en
conformité de vœu et de pensée avec les travailleurs organisés des
autres pays également soucieux de ne rien sacrifier à la cupidité des
gouvernants, le mot d’ordre étant pour tous À bas la guerre entre les
Peuples !
Moins de deux ans après, les craintes du Congrès extraordinaire de
Paris devaient être effroyablement confirmées, sans qu’il ait été
possible d’éveiller à notre conception le Secrétariat International qui
persistait à soutenir que la lutte contre la guerre n’était pas du
ressort du syndicalisme et en laissait le soin aux partis
social-démocrates.
Et en dépit des affirmations produites au meeting de la salle Wagram à
la veille de la guerre par Sassenbach et Bebel, le cataclysme fondit
sur nous, vertigineusement, en juillet 1914.
Ce fut, dans la faillite la plus lamentable qui soit, la fin de la
deuxième Internationale syndicale.
Il y aura bien, à Londres en 1925, à Leeds en 1916, des Conférences
interalliées, où on souhaitera la reprise des relations
internationales, mais où, au fond, ne joueront que des nationalismes
cachés représentés par des organisations syndicales ayant épousé le
point de vue de leurs gouvernements respectifs.
La seule manifestation anti-guerrière, d’ailleurs extra syndicale,
comme Merrheim tint à le préciser à Lyon, fut la Conférence de
Zimmerwald, où Allemands, Suisses, Italiens, Français et Russes
tentèrent de mettre fin à la guerre. La C. G. T. fut nettement hostile
à l’action de Zimmerwald et c’est de toutes ses forces qu’elle s’opposa
à la propagande pacifiste entreprise à ce moment.
Il faudra en arriver à la Conférence de Berne (5 au 9 février 1919)
pour voir jeter à nouveau les bases d’une nouvelle Internationale
syndicale. Les Belges et les Américains, plus chauvins encore que les
autres, n’y assistent pas.
C’est à Berne que fut décidée la tenue du Congrès Constitutif
d’Amsterdam (26 juillet au 2 août 1919) qui reconstituera sur des bases
nouvelles l’organisme international qui entrera dans l’histoire sous le
nom de Fédération syndicale Internationale d’Amsterdam. Les Allemands
et les Autrichiens ont été invités, mais sont un peu tenus à l’écart.
Il y a des relents de nationalisme qui flottent encore dans l’air
d’Amsterdam.
Appleton des « Trades-Unions Anglaises » sera élu président ; Jouhaux
(France) et Mertens (Belgique) vice-présidents ; Oudegeest et Fimmen
(Hollande) secrétaires.
L’Internationale, ainsi reconstituée, ne comprend pas dans son sein
toutes les Centrales européennes - l’Union syndicale italienne, la
Confédération nationale d’Espagne, les indépendants d’Allemagne (F. À.
U. D.) n’y adhérent pas. En Amérique, seule la Fédération Of Labor
adhérera, puis se retirera. Aucune Centrale de l’Amérique du Sud ne
donne non plus son adhésion. La Fédération syndicale internationale
d’Amsterdam reste une organisation européenne où les représentants
syndicaux de l’ex-Entente de guerre jouent les premiers rôles.
Elle ne tardera pas à entrer en conflit avec l’Internationale
communiste d’abord, puis avec l’Internationale syndicale rouge.
L’action réciproquement défensive de ces organisations amènera bientôt
la scission dans presque tous les pays. La France en souffrira
particulièrement, quoique n’ayant été atteinte qu’en dernier lieu.
L’action de la C. G. T. française avec Jouhaux inspirera celle de
l’Internationale d’Amsterdam. Il n’est donc pas étonnant que la
scission en France ait influencé si fortement la Fédération syndicale
d’Amsterdam.
Toutes les tentatives d’Unité accomplies par l’I.S.R., insincères
d’ailleurs, manœuvrières certainement, seront repoussées par Amsterdam
qui poursuit, en liaison étroite avec le Bureau International de Genève
et la deuxième Internationale socialiste, sa besogne démocratique dans
toute l’Europe. Il est juste de dire que, par opposition, Moscou
poursuit une autre action politique qui vise à atteindre des buts aussi
exclusivement politiques et particuliers.
La bataille est loin d’être finie entre Amsterdam et Moscou. Il s’est
formé dans le sein de la première de ces Internationales une aile dite
de gauche, avec Fimmen à sa tête, qui poursuit la réalisation de
l’Unité avec Moscou. Elle vient de recevoir l’aide d’une forte fraction
des Trades-Unions anglaises à la tête de laquelle se trouve le propre
président de l’Internationale d’Amsterdam, Purcell, qui a succédé à
Thomas lorsque celui-ci devint ministre des Colonies dans le cabinet
Ramsay Mac Donald.
C’est un fait assez extraordinaire pour qu’on le souligne. Il ne s’en
suit pas que Moscou, même soutenu du dedans, triomphera d’Amsterdam et
forcera les dirigeants hostiles à l’Unité sur les bases proposées par
Losovsky à capituler.
Ces luttes menacent d’être terriblement longues et nul n’en peut
prévoir la fin ni l’aboutissement.
L’Internationale d’Amsterdam, de même que la C. G. T. reste sur ses
décisions du Congrès de Vienne en 1924, qui indiquent que les Centrales
adhérentes à Moscou peuvent entrer à Amsterdam, mais ne veulent laisser
aucune place aux discussions avec l I. S. R. dont la dissolution doit
concorder avec la rentrée des Centrales à Amsterdam.
La Constitution de l’A. I. T. n’a pas rendu le problème plus simple et
cependant le Congrès de décembre 1922 à Berlin n’avait pas d’autre
issue s’il voulait rendre possible la coordination des forces non
adhérentes ni à Moscou ni à Amsterdam.
Toutefois, il apparaît qu’avec un peu de compréhension, avec un peu de
volonté éclairée, en raison de l’impossibilité d’action de chacune des
Internationales, agissant séparément, on arrivera un jour, de part et
d’autre, sous la pression des événements, à agir en commun pour
certaines actions déterminées à l’avance.
Ce serait, sinon la solution idéale, du moins une solution meilleure
qui permettrait, de faire face à l’adversaire capitaliste.
Il est à craindre que cette sorte d’unité d’action ne se réalise pas,
tant l’opposition des programmes apparaît grande. Il se peut, en effet,
qu’on ne puisse trouver une seule question susceptible de marquer le
point commun de propagande ou d’action.
Dans ces conditions, il est à peu près certain que nous assisterons à
la mise en application successive des deux programmes qui ne sont, ni
l’un ni l’autre, spécifiquement syndicaux. On verra sans doute se
réaliser d’abord le programme social-démocrate et, après un court laps
de temps, les communistes l’emporteront. Si les syndicalistes,
impuissants en ce moment, savent réagir à temps, la social-démocratie
et le communisme seront les fourriers du syndicalisme.
C’est vraisemblablement à cette dernière hypothèse infiniment probable
qu’il faudra s’arrêter.
L’action purement syndicale ne reparaîtra que plus tard. Quand ? Je
l’ignore. Mais elle reparaîtra, parce qu’elle a des racines trop
profondes dans le peuple pour être éliminée. Le syndicalisme représente
l’avenir. Il triomphera en définitive, peut-être plus tôt qu’on le
pense généralement.
Pierre Besnard
P. S. Je renonce à donner ici les caractéristiques des Congrès
internationaux de Rome, de Vienne, pour la C. G. T ; de Moscou, pour la
C. G. T. U. et de Berlin, pour le Comité de Défense syndicaliste. Cette
étude déjà trop longue en serait trop alourdie. Les Congrès seront
examinés lors de l’étude sur l’Internationale, c’est d’ailleurs leur
vraie place.
P. B.