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CHANGE n. m.

Troc d'une chose contre une autre.

Opération qui consiste à échanger de la monnaie d'un pays contre celle d'un autre pays, de l'or pour de l'argent. Prix auquel on accepte les devises des différents Etats par rapport à leur valeur-or. Change (lettre de). Mode de paiement employé de préférence par les personnes ayant des règlements à effectuer en pays étrangers. Les lettres de change évitent les déplacements onéreux de fonds et réduisent les opérations de banque. Dans le passé, le mot change n'éveillait pas dans l'esprit une idée capitale. Il ne représentait que les différentes opérations que nous venons d'énumérer. Le cours des changes n'intéressait que les milieux commerciaux, industriels et financiers. La grande masse de la population se désintéressait totalement de cette question qui paraissait plutôt d'ordre technique. Depuis la guerre, au contraire, le crédit et l'inflation, procédés ruineux auxquels tous les gouvernements ont dû recourir, ont porté cette question à l'ordre du jour et comme le prix du pain, du charbon, du sucre, du café, du coton, de la laine et de tous les objets de consommation et de première nécessité dépend directement du cours du dollar, de la livre ou du franc, tous, du banquier richissime à l'humble travailleur, s'intéressent passionnément à cette question des changes, car le mot change, de nos jours, éveille dans notre esprit des idées de bien-être relatif ou de misère noire. Examinons donc les causes de cette crise des changes, puisque probablement de longtemps (si le capitalisme s'en sauve), pareille crise ne se produira plus.

Le mal a son origine dans la guerre. Dépourvus de ressources et contraints à des dépenses prodigieuses, les divers gouvernements entrés dans le conflit mondial durent prendre, au petit bonheur, au hasard des compétences et des circonstances, toutes sortes de mesures toutes plus dangereuses les unes que les autres. La première de ces mesures consista à retirer l'or de la circulation et à décréter le cours forcé des billets de banque émis par l'Etat. Cette mesure étant générale aux principaux Etats, leur situation respective, par rapport à la situation d'ensemble, ne pouvait pas paraître désavantageuse. Cela permit d'attendre l'ouverture de crédit, car, la quantité de billets en circulation augmenta rapidement, dans la plupart des cas, de 400 à 500 %. Une deuxième mesure consista à émettre des emprunts aussi longtemps que l'on pu trouver des prêteurs. Ces procédés imposés par les nécessités de la guerre, ruinaient les Etats ; mais tous en étant au même point, cette opération n'agissait au détriment d'aucun d'eu ; seuls, les habitants de chaque pays continuaient à en supporter le poids ; car, entre temps, le coût de la vie avait augmenté dans la même proportion que la quantité de billets de banque. Chacun comptait sur la victoire de ses armées pour faire payer aux vaincus tous les frais de la guerre, comme cela était dans les coutumes depuis longtemps établies et toujours respectées. Les imbéciles qui faisaient faire la guerre n'avaient oublié qu'une chose : se rendre compte si le vaincu aurait la capacité de payer. Mais, malgré la haine idiote, la guerre s'arrêta; les peuples reprirent une certaine indépendance économique; l'élément des affaires l'emporta sur l'élément militaire et c'est alors qu'à la guerre tout court succéda la guerre des financiers pour la domination des grands marchés, du monde. La tuerie mondiale avait fait naître et se développer prodigieusement de puissantes industries qu'il fallait à tout prix ne pas laisser disparaître, sous peine de voir disparaître aussi les scandaleux profits. De là, de suite après l'armistice, partit la crise des changes. Il ne s'agissait plus de déterminer la richesse de chacun en tenant compte de ses bonnes intentions, il s'agissait de ruiner l'adversaire pour rester maître du marché de la production et des échanges. Les premières offensives furent dirigées contre les pays vaincus. Le mark et la couronne perdirent journellement des points. La spéculation réalisa des bénéfices formidables. L'Allemagne et l'Autriche furent littéralement vidées par le haut et le bas mercantilisme international, achetant, à l'aide de marks sans valeur tout ce qu'il était possible de revendre avec un bénéfice de mille pour cent dans les pays à change favorisé. Italiens, Français, Espagnols, Américains, Anglais, Belges, Suédois, Hollandais, Danois, Russes, Japonais, Chinois, et jusqu'aux Allemands eux-mêmes, tous les mercantis du monde participèrent, à la curée avec une égale frénésie. Cela aboutit à la ruine définitive et complète des Allemands et Autrichiens (1922-1925). Se voyant irrémédiablement compromis, les Allemands, de beaucoup plus puissants et conduits par des financiers habiles, surent exploiter cette situation désespérée, et ils réussirent à payer une bonne partie de leurs dettes en fabricant, intensément et aussi longtemps qu'ils purent les faire accepter, des billets sans valeur. Cela cependant n'alla pas sans provoquer des ruines innombrables, sans déterminer une crise économique effroyable, sans bouleverser de fond en comble le système des rapports sociaux établis, sans occasionner des misères terribles et des troubles dangereux. C'est lorsque ces troubles éclatèrent, et qu'ils jugèrent la situation trop critique, que les gouvernants allemands, soutenus par leurs anciens ennemis, décidèrent de rétablir une monnaie or afin de barrer la route à la révolution. Mais si le gouvernement allemand fut acculé à la faillite, l'Allemagne ne fut jamais ruinée. Ses richesses naturelles et industrielles avaient pris, pendant la crise, un essor considérable. Seuls, les petits épargnants, possédant quelques milliers de marks, se trouvèrent complètement ruinés après la banqueroute de l'Etat ; car les gros porteurs, très experts en la matière, avaient depuis longtemps mis leur avoir à l'abri. Ainsi on peut conclure que seuls, ces petits porteurs et les salariés qui, durant toute la crise, furent payés avec du papier sans valeur, supportèrent le poids des quelques centaines de milliards engloutis dans la catastrophe.

Contrairement à une opinion générale, les choses ne se sont pas passées partout comme en Allemagne. Non, une foule de petits Etats étaient trop faibles pour employer avec succès les procédés qui avaient réussi au Reich. Entièrement asservis au capitalisme international, la plupart de ces petits pays ne pouvaient tenter une restauration financière que dans la mesure où celle-ci servait les intérêts de ce capitalisme. C'est ainsi que l'Autriche ne put stabiliser sa couronne qu'avec l'appui d'un consortium de banquiers anglo-saxons créé à cet effet. Naturellement, de tels consortiums ne prêtent que contre des garanties de premier ordre, telles que l'exploitation des chemins de fer, des postes, monopole des tabacs, des allumettes, etc., etc., et cela, comme on le conçoit, ne va pas sans de sérieux désavantages pour l'ensemble de la population du pays qui doit accepter de pareilles conditions. Mais c'est là la rançon du capital et il faut la payer.

En 1926, d'autres pays, tels que l'Italie, la Belgique et la France, moins appauvris que l'Allemagne et plus puissants que les petits Etats qui ne peuvent sauvegarder leur indépendance, sont encore en pleine crise et à la recherche d'une solution satisfaisante. Le poids formidable de leur dette intérieure et extérieure, ajouté aux dépenses énormes qu'exige leur politique terriblement impérialiste, provoque une baisse continuelle et dangereuse de leur monnaie respective. A la suite de cette baisse, ces pays ont dû suspendre ou réduire leurs paiements. Cela n'a fait qu'aggraver la crise et c'est la course rapide vers la ruine. Mais de quelle ruine s'agit-il? Pas de la ruine définitive de l'Etat qui, même après sa faillite, saura encore trouver ses moyens d'existence, mais comme toujours de celle des petits porteurs et des salariés qui ne pourront recourir à aucun moyen efficace pour se garantir contre la dépréciation.

Cependant, pour sauver les apparences, des efforts sont tentés. L'Italie, pour stabiliser son change, a signé des accords avec ses principaux prêteurs. Aux termes de ces accords, elle doit, pendant plus de soixante années, rembourser intérêts et principal, ce qui représente, étant donné l'importance des dettes, une dîme terrible à prélever durant plus d'un demi siècle sur le malheureux peuple italien. De façon que le travailleur de ce pays devra, durant sa vie entière, payer au financier international, la redevance que jadis il payait au seigneur. Mais peut-on au moins dire que ces accords ont amélioré la situation passagère en réalisant la stabilité momentanée des changes? Non, car d'ores et déjà, on peut affirmer que le sort de la lire reste lié à la politique du gouvernement et qu'elle ne se maintiendra que dans la mesure où celui-ci pourra contracter de nouveaux emprunts pour souscrire aux engagements pris ; car, malgré qu'il soit saigné blanc, le peuple italien ne peut, à lui seul, fournir à l'Etat toutes les ressources dont celui-ci a besoin pour équilibrer ses budgets. Le sort de la lire reste donc indécis. Sur ce point, comme sur tant d'autres, le gouvernement fasciste se montre aussi impuissant que n'importe quel autre.

En Belgique, ce sont les socialistes qui ont tenté la stabilisation de la monnaie nationale. Dans ce but, ils ont négocié et obtenu une garantie de cinq milliards or. Forts de cette garantie, ils décrétèrent que le billet de cent francs ne vaudrait plus que X, mais que désormais, il serait, comme avant 1914, remboursable en or. Et c'est à l'aide de ce procédé que, durant quelques semaines, on parvint à arrêter la dégringolade du franc belge. Mais au dernier moment, les banques devant avancer les cinq milliards or y mirent de telles conditions que celles-ci furent jugées inacceptables. Et le franc belge reprit sa course vers l'abîme. La crise économique déterminée par les fluctuations constantes du change n'était pas atténuée. La solution socialiste (si toutefois on peut l'appeler de ce nom), aboutissait au même fiasco que la solution fasciste. En proie aux mêmes difficultés, au moment même où ces diverses tentatives de restaurations financières échouaient si lamentablement, la France, au lieu de rechercher un remède à ses maux, reste complètement désorientée, mais, sans pour cela renoncer aux dépenses fabuleuses qu'exige sa politique impérialiste. Elle attend, et cela semble devoir lui suffire ; toutefois, cela ne suffit pas à ses créanciers qui réclament et savent exiger des comptes, en faisant baisser sa monnaie. C'est ainsi que la situation prend un caractère subit de gravité.

Le franc qui, depuis 1920, ne perdait du terrain que pied à pied, descend brusquement à trois sous sur les places les plus favorisées. La crise économique vient doubler la crise financière. Des impôts accablants et toujours insuffisants contribuent largement à la hausse précipitée des produits. En quelques semaines, la puissance d'achat des salariés et des petits rentiers diminue de moitié, et les patrons et l'Etat, ne voulant rien entendre pour augmenter salaires et pensions, l'état de misère générale augmente chaque jour. Partout, à l'usine ou dans la rue, chez le vendeur et chez l'acheteur, il n'est question que du prix de la livre et du dollar. Cela peut-il durer indéfiniment? Non; il faudra bien trouver une solution quelconque. Attendre encore devient impossible. Que fera-t-on? Décrétera-t-on que le billet de cent francs n'en vaut plus que de dix, mais qu'il sera remboursable en or? Par ce procédé, dépouillera-t-on les petits des neuf dixièmes de leur avoir? Etablira-t-on une nouvelle monnaie or, au risque de paralyser complètement le commerce et l'industrie? Continuera-t-on, au contraire, la politique d'inflation, afin de ruiner totalement la petite épargne? Peu nous importe. Entre ces procédés, également mauvais, nous ne voulons pas choisir : tous tentent à replâtrer un système périmé.

L'annulation des dettes, de toutes les dettes, le retour à une politique de sagesse et d'économie, la collaboration fraternelle des peuples pour l'œuvre de reconstruction des ruines, sont les seuls moyens propres à mettre un terme définitif à l'effroyable crise économique qui ravage le monde. Mais de cette solution, indiquée par le bon sens, égoïstes et aveugles, défenseurs maladroits des privilèges et des richesses mal acquis, les gouvernements ne veulent point entendre parler.

A première vue, il semble que la situation n'est pas aussi tragique que nous l'indiquons et que de pareils faits se sont reproduits sans inconvénients graves au cours de l'histoire. Cela n'est vrai qu'en apparence. La faillite de la banque de France sous Louis XV, la machine à fabriquer les assignats sous la Révolution française, les faillites des banques nationales de divers Etats d'Europe et d'Amérique ne dépassaient guère le cadre national et, l'auraient-elles dépassé, elles n'atteignaient jamais qu'un ou deux pays et ne troublaient jamais beaucoup la situation de I'ensemble. De plus, en ces temps lointains, les rapports internationaux étaient encore presque nuls. A cette époque, en l'absence de monnaie stable pour déterminer la valeur, on pouvait avantageusement utiliser le troc et cela se pratiquait d'ailleurs couramment, dans le commerce avec les Indes, l'Afrique et l'Amérique. Dans ces conditions, les fluctuations constantes du papier monnaie n'avaient aucune répercussion grave. En 1926, il n'en est plus de même. D'abord parce que la crise financière est générale, ensuite parce que la facilité des transports, la rapidité des relations, le développement prodigieux de la science, de l'industrie, du commerce ont créé des rapports et des besoins que nous sommes forcés de satisfaire. L'Europe, de nos jours, forme un ensemble plus compact et plus facilement pénétrable que la France de Napoléon ou une province sous Louis XIV. De là, la différence fondamentale entre la situation d'alors et celle d'aujourd'hui.

Au surplus, il faut ajouter que, vainqueurs ou vaincus de la grande guerre, tous ont également souffert de leur incommensurable folie ; c'est ainsi que les pays riches sont précisément ceux où le prolétariat est le plus misérable, parce que machines et usines s'arrêtent pour la raison bien simple que les actionnaires des grandes usines et des grandes industries préfèrent faire fabriquer dans les pays à change bas. Quant aux pays à monnaie dépréciée, ils sont littéralement mis au pillage par ces mêmes capitalistes qui rendent ainsi la vie impossible à ceux qui doivent y travailler et y vivre.

Ainsi le mal pénètre partout, il atteint tous les pays, mais nulle part cependant il ne frappe les privilégiés de la fortune : défiant le·destin, ceux-ci peuvent toujours se mettre à l'abri du malheur. Partout, ces privilégiés s'opposent aux accords généreux, aux solutions intelligentes qui mettraient fin à une si lamentable situation. Comme les poux sont faits pour vivre dans la saleté, ils sont faits pour vivre des profits que leur rapportent l'exploitation et le gaspillage des deniers publics. Et, en dehors de la Révolution sociale, rien, absolument rien, ne peut nous débarrasser de ces parasites dangereux qui empoisonnent l'air que nous respirons. 

- S. FÉRANDEL.