CHANSON
La chanson est une forme assez aimée des poètes. Elle est aussi une
forme assez connue de la poésie pour que ne lui soit point contestée la
place qu’elle mérite dans la littérature universelle des peuples.
La Chanson est populaire partout. Il n’est point de pays où elle soit
ignorée. On pourrait même dire qu’elle est pour certains peuples
l’unique littérature.
Les ignorants, les illettrés de partout - même s’ils ne savent chanter
- aiment la Chanson.
Il est probable que la Chanson a devancé, dans certains pays, la
littérature nationale. Mais on peut dire également qu’elle figure
honorablement parmi, les chefs-d’oeuvre de la littérature de divers
pays et particulièrement de la France.
N’est-il pas, en effet, de nos chansons françaises qui sont de parfaits
petits poèmes par leur forme même, par leur expression heureuse,
permettant de les interpréter sans musique bien qu’ils soient destinés
à être mis en musique et à être chantés ? Evidemment, la Chanson
réclame l’union intime de la musique, même si le rythme des vers semble
pouvoir s’en passer. Une musique et une poésie bien adaptées l’une à
l’autre se donnent mutuellement une valeur qui sont le charme même de
la chanson.
Mais si, dans une œuvre littéraire, il y a, en plus de la perfection de
la forme, le sujet qu’exprime cette œuvre, dans le petit poème qu’est
la chanson n’est-ce pas le sentiment joliment exprimé qui en fait la
valeur ?
Or, la Chanson est belle et riche quand elle sait exprimer l’état d’une
civilisation ; quand elle évoque des événements ou des faits d’une
époque ou d’une nation, d’une personnalité pu d’une région ; quand elle
dépeint un état d’âme ; quand elle contribue à perpétuer les fastes
historiques d’un règne, d’un peuple, d’une nation ou qu’elle les
critique.
Et n’est-ce pas là, justement, l’origine de la Chanson ? Elle a devancé
l’Histoire et suppléé la Presse.
La Chanson est une forme d’art qui, mieux que la peinture et la
sculpture, nous donne la plus réelle image du passé tant on la sent
intimement mêlée à la vie de ce qu’elle raconte ou rappelle, critique
ou glorifie !
C’est la chanson, dans sa naïveté, qui nous a conservé fraîche et vraie
l’image des mœurs d’autrefois et nous a tracé, en traits rudes ou fins,
des caractères qui révèlent une époque et marquent les évolutions d’une
race.
Dans nos vieilles chansons de France, pieuses ou gaillardes, c’est bien
le visage du passé, c’est bien l’âme du peuple aux siècles antérieurs à
celui que nous vivons qui se présentent à notre esprit et réveillent
les souvenirs que nous pouvons avoir des lectures et des études où nous
avons eu l’illusion de revivre le passé. La chanson souvent nous
désillusionne de l’histoire en nous montrant, sous des traits plus
caractéristiques, certains événements et certains personnages. La
chanson française, pour peu qu’on- se plaise à l’étudier, nous montre
bien la pensée populaire de la France. Elle nous la fait revivre à
chaque époque de notre histoire, tantôt inquiète et fanatisée, tantôt
sceptique et spirituellement moqueuse, enfin, tour à tour primesautière
et profonde, mélancolique et passionnée et, au seuil de la grande
époque révolutionnaire, passant soudain d’une chanson grivoise pleine
d’insouciance à la menace des chants précurseurs du bouleversement de
1789.
La chanson populaire est celle qui reflète le mieux - même si elle
s’éloigne des règles de la littérature proprement dite - par ses
fréquentes évocations des caractéristiques du peuple, les états d’âme
collectifs faits d’espoirs, d’amours et de joies qu’on aime tant dans
les vieilles chansons. Bien souvent, ces chansons sont vraiment œuvres
collectives. Il en est, dont on ne connut jamais le ou les auteurs. Cet
anonymat est curieux. Ainsi, un bon bougre soupire ou sanglote et, pour
se consoler, rime tant bien que mal sa peine ou son amour ; et voilà
que sa chanson passe de bouche en bouche sans qu’on sache ni d’où ni de
qui elle vient. Mais si, au lieu de l’homme saignant sa vie, c’est un
autre, ivre de joie, vibrant d’espoir qui clame son bonheur devant une
bouteille de bon vin, c’est encore une chanson qui se répand,
s’enrichissant de termes nouveaux, d’images drôles et familières et
d’un accent de terroir qui s’accordent et s’harmonisent aux rythmes
consacrés, se transmettant aussi de bourg en bourg, de village en
village, de ville en ville, de cité en cité, de province en province et
devenant une chanson nationale se transmettant de siècle en siècle.
C’est bien la chanson populaire simple, rudimentaire, parfois puérile,
souvent charmante, œuvre de tous et de personne, ne se transformant que
pour mieux s’adapter, qui est venue jusqu’à nous et qu’on se plaît à
entendre et à chanter soi-même. Est-ce un chef-d’œuvre ? Quelquefois.
Par l’expression du sentiment, la chanson touche du coup la pure beauté
littéraire.
C’est ce qui, sans doute, la faisait juger ainsi par Montaigne quand il
écrivit : « La poésie populaire et purement naturelle a des naïvetés et
grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poésie
parfaite selon l’art : comme il se voit ès villanelles de Gascogne aux
chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont connaissance
d’aucune science, ni même d’écriture. »
Ainsi, en marge même de toute littérature, une chanson populaire peut
atteindre au chef-d’œuvre par sa grâce, sa naïveté, sa fraîcheur, sa
franchise.
C’est surtout du XVe siècle que nous viennent les chansons les plus
accessibles à la compréhension actuelle de ce qu’on désigne, même parmi
les amateurs le belles-lettres, sous le nom de gros ou grand public. Il
est de fait que la période antérieure au XVe siècle nous fournit,
certes, de belles chansons, mais il faudrait plus de texte à
l’explication et plus d’annotations pour les rendre intelligibles qu’il
ne faudrait de place pour les publier.
D’ailleurs, c’est au XVe siècle seulement que, non seulement en France,
mais dans plusieurs pays de l’Europe, on vit la plus riche éclosion de
la poésie populaire. Cette poésie, dit Gaston Paris, dans la préface à
un recueil de chansons populaires, se distingue nettement de l’époque
précédente. Elle est, ajoute-t-il, restée la base et le modèle de la
poésie populaire qui a suivi et de celle qui se produit encore. Par une
réaction remarquable, elle s’est dégagée à l’époque ou la littérature
proprement dite est la plus éloignée de la nature, de la simplicité et
du sentiment vrai.
Par le sujet ou par l’expression, les chansons du XVe siècle se
rattachent bien à la tradition poétique antérieure. Bien que
d’inspiration populaire, la forme de certaines d’entre ces chansons
révèlent des poètes habiles et délicats dont les noms sont restés
ignorés de nous. Toutes ces chansons du XVe siècle contiennent, mieux
que celles des époques suivantes, une véritable poésie.en même temps
qu’une image fidèle de ce siècle et de ses mœurs. Il faudrait, pour
s’en convaincre, ayoir sous les yeux les chansons d’amour et les
chansons satiriques ou historiques, ainsi que les pastourelles et les
rondes dans leur variété. En voici une qui se chante sur un air qui est
du XVe :
L’AMOUR DE MOI S’Y EST ENCLOSE
L’amour de moi s’y est enclose
Dedans un joli jardinet
Où croit la rose et le muguet
Et aussi fait la passerose ;
Ce jardin est bel et plaisant ;
Il est garni de toutes fleurs ;
On y prend son ébattement
Autant la nuit comme le jour ;
Hélas ! il n’est si douce chose
Que de ce doux rossignolet
Qui chante au soir, au matinet ;
Quand il est las il se repose.
Je la vis, l’autre jour, cueillir
La violette en un vert pré,
La plus belle qu’onques je vis
Et la plus plaisante à mon gré.
Je la regardai une pose :
Elle était blanche comme lait
Et douce comme un agnelet,
Vermeillette comme une rose.
Dans le même genre mignard, voici une autre chanson dont le premier
vers fait aussi le titre :
VRAI DIEU , QUI M’Y CONFORTERA
Vrai Dieu, qui m’y confortera
Quand ce faux jaloux me tiendra
En sa chambre seule enfermée ?
Mon père m’a donné un vieillard
Qui, tout le jour, crie : « Hélas ! »
Et dort au long de la nuitée.
Il me faut un vert galant
Qui fût de l’âge de trente ans
Et qui dormit la matinée.
Rossignolet du bois plaisant,
Pourquoi me vas ainsi chantant,
Puisqu’au vieillard suis mariée ?
Ami, tu sois le bienvenu :
Longtemps ah ! que t’ai attendu
Au joli bois sous la ramée.
Toutes ces chansons du xv° siècle ont le même charme et l’on ne sait
vraiment laquelle choisir pour en donner échantillon.
Je me garde bien de citer celles qui ont une tendance historique ou
guerrière, mais dont l’originalité fait la seule valeur en dehors de la
forme qui est bien celle de la chanson facile à retenir malgré son
nombre considérable de couplets. Ce sont des sortes de complaintes ou
plutôt les complaintes que nous connaissons semblent être une mauvaise
imitation de ces chansons. Elles étaient un moyen de répandre la gloire
de héros légendaires ou inconnus et de raconter les hauts faits de
seigneurs et autres batailleurs, des époques où la presse n’existait
pas, pour entretenir les peuples dans le mensonge et l’admiration de ce
qu’ils n’avaient ni vu ni connu. Les trouvères et les troubadours
étaient les auteurs et les interprètes de ces chansons populaires.
Mais la vraie chanson du XVe siècle est heureusement venue, souvent
très courte, mais combien jolie, telle celle-ci encore :
VOICI LA DOUCE NUIT DE MAI
Voici la douce nuit de mai
Que l’on se doit aller jouer,
Et point ne se doit-on coucher :
La nuit bien courte trouverai.
Devers madame m’en irai,
Si sera pour la saluer
Et par congé lui demander
Si je lui porterai le mai.
Le mai que je lui porterai
Ne sera point un églantier,
Mais ce sera mon cœur entier
Que par amour lui donnerai.
Ces spécimens de la chanson au XVe siècle peuvent donner une idée de la
façon poétique de tourner un couplet et de former une chanson qui ne
peut déplaire à quiconque aime la chanson pour elle-même.
* * *
Le chant populaire, au XVe siècle se développe avec une abondance telle
que Rabelais, dans son Pantagruel en peut énumérer environ deux cents
sur des airs populaires.
Parmi ces chansons, il en est de bien gaillardes. Elles n’en sont pas
moins belles et ont alors un accent de franchise et de liberté qui
compense leur libertinage.
Chaque province a fourni ses chansonniers et les chansonniers gaillards
sont de partout. Ne contribuent-ils pas à donner au peuple de chaque
siècle ce rayon de gaité qui lui fait oublier sa misère ?
La chanson se perfectionne durant tout le XVIè siècle.
Les airs populaires sont en faveur et cela donne naissance au genre de
la « chanson musicale » où les airs connus, reproduits avec leurs
paroles, servent de thème à de véritables compositions de musique,
ordinairement traitées à quatre parties vocales par des musiciens de
profession avec tous les raffinements du contre-point.
Nous sommes alors au temps des guerres de François Ier avec leurs
gloires et leurs horreurs ; il y a dans tout le pays des bandes armées
qui ravagent les villes et les campagnes du doux pays de France ; il y
a les troubles affreux de la Ligue et d’autres calamités encore pour le
peuple qui trime. Les chansons de cette époque évoquent souvent tout
cela. Les poètes s’en inspirent en des poésies suggestives. Les
chansonniers font de même et leurs œuvres ne sont pas sans valeur
historique et littéraire. Au début du siècle, quelques chansons font
bonne figure dans la littérature. Par exemple, il est des chansons
charmantes qui ne sont rien de moins que des poésies signées du bon
poète Clément Marot et qui sont réellement chantées. Des œuvres
célèbres des poètes de la Renaissance sont de véritables chansons. On
en possède les airs et elles furent très populaires et ne contribuèrent
pas peu à la gloire des chansonniers dans maintes provinces de France.
Toute la pléïade a contribué à la gloire de la chanson, comme la
chanson a contribué à la leur. Ronsard, Rémy Belleau, Clément Marot
d’abord ; Le Roux, de Lincy, Claude de Pontoux, ensuite ; puis, Gilles
Durant, Desportes, Marie Stuart et Henri IV lui-même, sont les
signataires de belles chansons du XVIè siècle, sans porter cependant le
moindre préjudice à la chanson anonyme des XVe et XVIe siècles, la
vraie chanson populaire.
Une fois encore, laissons de côté la chanson historique, trop longue
pour être citée, et ne reproduisons que celle-ci, bien courte et bien
belle, de Clément Marot :
PLUS NE SUIS CE QUE J’AI ÉTÉ
Plus ne suis ce que j’ai été,
Et plus ne saurais jamais l’être :
Mon beau printemps et mon été
On fait le saut par la fenêtre ;
Amour, tu as été mon maître,
Je t’ai servi sur tous les Dieux :
Ah ! si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
Clément Marot ;
Il y a encore celle de Ronsard, trop connue de nous et pas assez de
tant d’autres :
MIGNONNE, ALLONS VOIR SI LA ROSE....
Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au, soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Pierre Ronsard.
Le dix-septième siècle est celui où l’on a beaucoup chanté, paraît-il,
dans toutes les classes de la société. Dans l’aristocratie on cultiva
le chant. Les airs vont avec les paroles ; ils sont « précieux », et
affectés à la cour.
Ce genre maniéré n’est pas celui du peuple, qui conserve à la chanson
son allure gracieuse et libre, se ressentant pourtant des chansons de
la cour et de celles du Pont-Neuf ; Celles-ci étaient souvent fort
grossières, mais toujours satiriques et elles valaient à leurs auteurs
des ennuis judiciaires - comme aujourd’hui un article de journal
d’avant-garde en vaut à son rédacteur.
A cette époque, s’épanouit la Brunette genre de chanson galante et
champêtre sur des thèmes de tradition populaire, mais les couplets en
sont soigné stylisés ; pourtant, ils gardent leur primitive naïveté.
C’est le siècle de Malherbe et de La Fontaine ; c’est celui du pauvre
Scarron ; c’est celui de Bussy, Rabutin et de Haguenier ; puis, encore,
de Marigny et de Quinault ; de Coulange, Chaulieu, Regnard, Lainez, La
Fare, Fontenelle, Dufresny, etc., etc.
Autant de poètes semblent vouloir concurrencer les chansons si
populaires que sont les brunettes, les rondes et les légendes mises en
couplets par tant d’anonymes aussi glorieux qu’inconnus, car ils sont
le Peuple lui-même chantant ses chansons. Le Peuple est chansonnier,
sachons-le ; sa production est féconde et traverse les âges. Il nous a
chanté et nous chante le Passé pour nous distraire, nous instruire et
nous réconforter. Il chante le Présent et il chante l’Avenir,
traduisant nos espoirs, nous entraînant vers nos destinées. Il chante
toutes les ivresses de la vie, mais il chante aussi l’Histoire dans ses
événements les plus douloureux et les plus héroïques. .
C’est ainsi que le dix-huitième siècle, malgré les tendances si
diverses qui se partagent l’âme française, se trouve exprimé tour à
tour par la chanson. Ce sont d’abord les chansons de tendresses
bachiques ressemblant assez aux contes licencieux de certains écrivains
de la cour du roi Louis XV. Il y a de l’esprit, de la sécheresse de
cœur, du scepticisme.
Piron, Collé, Gallet, Pannard, tous les chansonniers du Caveau
rivalisent de verve, de gaîté, de malice.
Puis, c’est la romance qui traduit la sensiblerie ambiante du Trianon
avec ses bergeries.
Mais voici maintenant, se faisant la traductrice fidèle des sentiments
populaires, la chanson enthousiaste, menaçante, vengeresse qui
accompagne le Peuple sur la route ouverte à son affranchissement par la
Révolution Française.
Voilà que, subitement, les chansonniers libertins, buveurs, paillards
se découvrent une mission sacrée d’entraîneurs, de susciteurs
d’énergie, d’apôtres d’une foi nouvelle. Ils traduisent en chants les
plus beaux sentiments d’émancipation humaine exprimés par les
philosophes au cours de ce grand siècle et de ceux qui l’ont précédé.
Les chansons frivoles se taisent. On oublie : « II pleut, il pleut,
bergère », de Fabre d’Eglantine, pour ne plus chanter que la
Marseillaise, de Rouget de l’Isle. C’est la Révolution !
Les idées sociales vont naître, puisque les idées politiques sont en
pleine maturité. Ces idées révolutionnaires qui se sont manifestées par
la Chanson vont continuer. Les chants révolutionnaires maintenant ne
disparaîtront plus de la chanson française. Le dix-neuvième siècle en
sera tout imprégné malgré les secousses politiques de réaction
produites pour ramener le Peuple au bon temps de la Monarchie absolue.
Ce ne sera pas le siècle de la Révolution, ce sera celui des
révolutions.
Cela n’empêchera pas les chansonniers du Caveau de renaître, ni
Béranger, après Désaugiers, d’entretenir la Chanson française.
La chanson populaire est plus que jamais représentée en ce dix-neuvième
siècle. Béranger fait sa propagande républicaine par le Roi d’Yvetot.
Et Bérat, égale Chateaubriand par Ma Normandie.
Pierre Dupont chante Les Sapins, Les Bœufs, le Chant de l’Ouvrier.
Puis, Xavier Privas fait aimer l’Amour et la Beauté en chantant la
Bonté. Viennent alors les chants révolutionnaires, écrits avec des
larmes et du sang, par de véritables poètes qui sont du Peuple et
veulent, avec une conviction farouche, son bonheur intégral par la
Révolte collective des prolétaires ! Il est bien difficile de faire un
choix parmi tant d’oeuvres et de chefs-d’œuvre de la Chanson
contemporaine.
Aussi, résumons-nous.
La chanson n’a d’autre genèse que celle expliquée en ces quatre vers
par un poète chansonnier, nommé Ernest Chebroux :
0 chanson ! Rayon de gaîté,
Un Dieu dut t’envoyer sur terre
Pour faire oublier la misère
Dont le genre humain est doté.
De tout temps, répétons-le, les hommes ont chanté. Les plus doux
sauvages des temps anciens et des régions inconnues comme les plus
barbares civilisés de la plus haute antiquité ont certainement exprimé
leurs sentiments par des accents rythmés sur des tons plus ou moins
harmonieux. On peut croire et dire, avec Julien Tiersot, que « la
chanson est la première forme sous laquelle les peuples ont conçu la
poésie et la musique ». Et l’on peut ajouter, avec Georges Normandy, «
que non seulement vers et mélodie sont nés ensemble d’une même
inspiration, engendrés en quelque sorte l’une par l’autre », mais
encore que la chanson n’a pas été inventée et qu’elle est née toute
seule, avec le sentiment dans l’animal humain, sous toutes les
latitudes et à toutes les époques.
Les Peuples se sont rués les uns sur les autres en chantant de rauques
chansons. Leurs chefs guerriers ont été déifiés par la chanson, comme
au cours des siècles ils ont été critiqués, menacés, exécutés en
chantant.
La Chanson a gouverné. On a pu dire qu’en France l’ancien gouvernement,
déchu par la Chanson avant de l’être par l’action, fut « une monarchie
absolue, tempérée par des chansons ».
La Fronde fut connue du Peuple et entretenue par la chanson.
Les femmes du peuple s’en furent à Versailles en chantant, pour ramener
à Paris affamé le Boulanger, la Boulangère et le petit Mitron.
La chanson a évolué avec le Peuple. Elle est toute la poésie de
l’évolution du Peuple et l’on peut dire que si les mœurs ont influé sur
la chanson, celle-ci a également influé sur les mœurs.
La Chanson accompagne toujours le Peuple dans son évolution. C’est elle
qui note et traduit les sentiments, les colères et les révoltes du
Peuple.
C’est elle qui exalte ses espoirs et lui fait marquer le pas sur le
chemin de son émancipation. Elle pleure, chante, rit, gronde avec lui.
Elle est fille des grands cœurs et des beaux esprits.
Elle est gaie, elle est triste, selon les variations humaines
puisqu’elle est la compagne fidèle du bon Peuple qu’elle berce, qu’elle
encourage, qu’elle anime, qu’elle instruit.
Les bons chansonniers ont raison de vouloir que la Chanson du Peuple
soit au Peuple, car le Peuple l’aime. Il est né avec elle ; il a
grandi, lutté avec elle.
Le Peuple et sa Chanson, c’est l’avenir.
Georges Yvetot.