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CHARPENTIER

L'antérieur rudimentaire coupeur de bois, le bûcheron, charpentier primitif, est le plus ancien artisan qui employa le bois brut aux huttes et aux simples usages, plus tard aux constructions, en l'équarrissant et en le joignant par des assemblages. De vieilles images et gravures imaginatives représentent quelques constructions et des intérieurs; mais ce ne sont pas des documents positifs des choses telles qu'elles existèrent, comme se le sont imaginé des illustrateurs. Les vieux écrits gravés sur la pierre des asiatiques et des égyptiens nous renseignent un peu mieux; ils indiquent que les charpentiers exécutèrent, avant les civilisations grecques et romaines, de sérieuses constructions en bois. Il en est de même des époques gallo-romaines et gallo-françaises qui ne nous laissent aucune attestation en bois; nous ne sommes renseignés que par de vieux parchemins, qui marquent que les maisons royales, romaines et gauloises, occupaient des charpentiers pour la construction et l'entretien des ouvrages divers : ponts, bateaux, faîtages, portes, bancs, charrues, chariots, roues d'une seule pièce, etc. Après Dagobert la documentation écrite est plus précise et depuis Charlemagne le charpentier est affirmé dans sa science.

L'époque romane nous laisse, supposer que les entrées des temples et des édifices avaient des portes en bois, que des poutres et des arbalétriers en soutenaient les parties. Les vestiges des XIIème et XIIIème siècles montrent que le travail du charpentier dans les pays de l'Europe Centrale et Occidentale a peu progressé depuis les premiers siècles. Le bois est encore et presque entièrement équarri et travaillé à la cognée et à la hache. Il faut arriver au XIIIème siècle et au gothique pour avoir des pièces de bois rongées par le temps qui nous renseignent sur le charpentier avec des outils transformés qui permettent de raboter, équarrir, assembler, moulurer et sculpter. Les maisons en bois du XVème siècle qui existent encore dans les vieilles villes, attestent qu'à la fois la science et l'art de la charpente atteignirent un développement considérable, qui se continua dans les beaux travaux des cathédrales, des châteaux et des maisons civiles de la Renaissance. Puis, les métiers se différencièrent, se spécialisèrent ; le charpentier abandonnait en partie la gouge et les petits outils au menuisier, pour ne construire que les combles, les escaliers, les encorbellements et les échafaudages qu'utilisaient les tailleurs de pierre, maçons, sculpteurs. Depuis 1850 où la charpente en fer fut employée aux petites et aux grandes constructions, la technique de l'ouvrier charpentier est en décroissance. Les syndicats y suppléent dans une louable mais trop faible mesure en créant des cours professionnels, afin que l'ouvrier ne soit pas ravalé aux degrés inférieurs, et que le simple levageur et monteur puisse connaître les secrets scientifiques, que se réserve de plus en plus l'élite des techniciens, fils de bourgeois qui poursuivent leurs études jusqu'à 18 et 20 ans.

Les classes inférieures des sociétés gallo-romaines, gallo-franques et du Moyen-Âge étaient tenues dans une servitude dont s'affranchirent sur plusieurs points les corps de métiers des tailleurs de pierre et des charpentiers. Du Vème au XIIIème siècle, dans la société féodale, le roturier payait au Seigneur une redevance pour la terre à laquelle étaient attachés les serfs de la glèbe qui ne pouvaient librement disposer de leur personne, ni s'éloigner du domaine du maître roturier.

Au Xème siècle, dans les châteaux féodaux et dans les abbayes, des fermes et des ateliers se créèrent pour construire et entretenir les bâtiments et le matériel; les charpentiers y eurent leur place.

C'est au Moyen-Âge que les corps de métiers s'organisèrent sous la direction des pontifes ; ils acquirent une indépendance relative, toute religieuse, hors de la Seigneurerie de laquelle ils dépendaient. Dès le XIIème siècle, les charpentiers ainsi que les tailleurs de pierre menèrent une vie nomade, voyageant en troupes pour construire des ponts, des églises, des maisons, des châteaux, etc. Le compagnonnage affirma l'esprit de corps et eut pour résultat de soustraire les charpentiers à la servitude, en créant l'émulation dans le travail. Le compagnonnage fut une force qui marqua alors une ère de progrès ; il se divisa vers 1400 à la construction des tours de la cathédrale d'Orléans ; il y eut, alors, des batailles entre les compagnons partisans de l'un ou de l'autre des deux architectes qui dirigeaient les plans. Ceux qui ne voulurent pas se soumettre et qui furent obligés de fuir dans la Loire sur des gavautages, se dénommèrent les Gavots, ceux qui restèrent furent les Devoirants ou du Devoir. Chez les charpentiers ces deux ordres tinrent étroitement toute la corporation jusqu'au milieu du XIXème siècle, où fut fondée une société compagnonnique indépendante qui mit fin à une partie des rites et des secrets, tout en conservant un esprit rétrograde vis-à-vis des profanes non affiliés. Jusque vers 1860, les maîtres charpentiers patrons, n'embauchaient que les compagnons affiliés à leur rite respectif; dans les villes où les patrons étaient tous du même ordre compagnonnique, le compagnon d'un autre rite ne pouvait s'embaucher; aussi il y eut des luttes meurtrières entre les compagnons.

Par la religiosité du compagnonnage, les ouvriers étaient dociles et soumis à l'autorité patronale. Même dans le compagnonnage, la hiérarchie existait, l'apprenti n'avait pas le droit de manger à la table des compagnons ; s'il était reçu compagnon, deux parrains étaient responsables de sa conduite vis-à-vis des patrons et de la mère qui était l'hôtesse désignée où il logeait et prenait ses repas. La soumission qui longtemps empêcha toute idée d'émancipation et de révolte contre l'autorité fut très funeste à I'esprit novateur; c'est ainsi que jusqu'en 1880, la corporation des charpentiers fut en retard dans le mouvement d'émancipation sociale.

D'abord labeur simple, primitif, naturel, le travail du charpentier avec les nécessités et les besoins nouveaux se développa et devint une science de calcul et de géométrie : étude de la résistance sous le poids et les différentes pressions, tracé de géométrie descriptive pour les nombreux assemblages des pans, des limons d'escaliers, des arbalétriers, etc. La science compliquée du charpentier jointe à la pratique, presque jusqu'à la fin du XIXème siècle, fut exigée pour avoir le droit de compagnon (ouvrier accompli). Elle tend de plus en plus à disparaître chez les manuels, qui ne sont en général que des monteurs-levageurs. Maintenant le tracé est fait par des techniciens qui sortent des écoles centrales d'arts et métiers; la mise au point, faite par des spécialistes, est exécutée avec Ies machines à bois qui remplacent le travail à la main pour le planissage, le découpage et les assemblages. L'ouvrier charpentier relégué de plus en plus au rang de simple manœuvre, a le devoir de connaître la technique du travail qu'il met debout. Face à la science d'une caste qui l'oblige à n'être qu'automate, il doit chercher à savoir ce que les conducteurs ont appris aux Ecoles. Ces connaissances jointes à celles de la sociologie qui incite l'homme à se connaître lui-même et à désirer l'égalité sociale dans le Beau, dans le Bien-Etre par l'universelle fraternité, l'empêcheront d'être la brute, esclave salarié, que les capitalistes, maîtres de l'heure, croient avoir indéfiniment à leur entière disposition et qu'ils dominent par la puissance de la chose fictive et volée : l'argent.

Le travail uni au savoir est seul positif et substantiel. Il ne sera libéré que par les individus conscients, révolutionnaires qui démoliront les préjugés et les tutelles du vieux monde.

- L. GUÉRINEA