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CHARTE n. f. 

Dans le langage courant: pacte qui consacre les privilèges, les prérogatives, les attributions, d'un individu, d'une collectivité ou d'une société. Contrat qui stipule le rôle d'une association ou d'une organisation. Ce mot n'a pas toujours eu le sens qu'on lui prête actuellement. Dans le très lointain passé il était synonyme de prison publique ou privée. Au temps où la seigneurie était toute puissante et avait des pouvoirs très étendus, le seigneur n'avait aucun scrupule à détenir quelqu'un en « charte privée », c'est-à-dire sans avoir recours à la justice pour condamner le prisonnier. Par la suite, ce mot désigna les actes de la grande chancellerie qui attribuaient un droit perpétuel, tels que les édits, les lettres de grâce émanant du pouvoir royal. C'est en vertu de chartes que les bourgs qui, avant Louis le Gros de France, étaient asservis à la seigneurie, obtinrent certaines libertés. Ce n'est pas par amour du peuple que la royauté par ses chartes lui accorda certains privilèges mais simplement pour dominer plus facilement la noblesse et le clergé. La première charte de commune fut accordée à la ville de Laon par le roi Louis XV qui avait besoin d'argent. Vint ensuite le tour de la ville d'Amiens, et petit à petit presque toutes les villes et bourgs de France obtinrent leur « Chartes de Communes ». Si les chartes laissaient aux communes une certaine liberté d'organisation intérieure, les habitants étaient, en échange des privilèges accordés, obligés de payer, moyennant finance, la liberté accordée par le roi. De plus, en période de guerre, il leur fallait fournir un certain contingent d'hommes d'armes. Néanmoins la charte fut le premier pas vers la libération des serfs, et lorsque plus tard la royauté, effrayée de l'agitation qui régnait, voulut retirer aux communes les dons dont elles avaient été gratifiées, ce fut en vain. La lumière avait pénétré dans les consciences et il fut impossible de l'éteindre.


Le mot charte, n'est plus de nos jours usité au sens politique. Les contrats qui règlent la vie, les droits, les devoirs des citoyens dans un pays sont des constitutions. Les peuples naïfs ont cru qu'en supprimant le mot, ils supprimaient les causes et les effets, et si les chartes furent des édits royaux, violés lorsque les besoins ou les désirs du monarque l'exigeaient, les constitutions qui sont des chartes nationales, ne sont pas plus respectées par les gouvernements démocratiques modernes, lorsque la cause de la bourgeoisie et du capital sont en jeu. Il n'y a aucune charte qui puisse concilier les intérêts opposés du Capital et du Travail. Il n'est pas de contrat possible entre des éléments dont les buts poursuivis sont si différents et vont à l'encontre l'un de l'autre. Dans le mouvement social et syndical, on a donné le nom de charte, aux motions qui stipulaient les buts poursuivis par le prolétariat et les moyens à employer pour assurer sa libération. La plus célèbre est la charte d'Amiens élaborée en 1905 par le Congrès national des organisations ouvrières et qui aujourd'hui encore sert de base à tout le mouvement syndical qui refuse de se laisser subordonner par les partis politiques. (Voir : Confédération Générale du Travail.) Hélas ! Si, au point de vue politique, une constitution ou charte nationale peut être violée, grâce à la veulerie de la population : sur le terrain syndical, la Charte d'Amiens - qui, pendant près de 80 ans fut le flambeau éclairant le mouvement ouvrier français - fut violée à son tour par ceux qui auraient dû en faire respecter les attributions. Le sentimentalisme des uns, l'ambition des autres, l'ignorance de la grande majorité et la faiblesse de tous permirent cette ignominie. La Charte d'Amiens est devenue lettre morte, respectée par personne, et la classe ouvrière, déchirée, arrachée, simple jouet entre les mains des politiciens, vogue à la dérive. Une charte est inutile si elle n'est pas l'émanation d'une conscience, capable de la respecter. Elle est un vulgaire chiffon de papier que l'on commente, que l'on discute et que l'on déchire, si elle n'a pas pour la soutenir et la défendre la force morale et intellectuelle de ceux qui l'ont élaborée.