CHASTETE n. f.
On dit couramment de la chasteté qu'elle est la vertu des personnes ennemies de tout ce qui offense la pudeur. Cette définition n'est point entièrement satisfaisante. D'abord parce que les sentiments de honte, de modestie ou de décence, dont s'inspire la pudeur, ne se constatent pas seulement à l'occasion de circonstances où sont en jeu l'amour passionnel et la volupté des sens, tandis que l'état physique et moral qui nous occupe appartient exclusivement au cadre de la sexualité. Ensuite parce que la chasteté, lorsqu'elle n'existe que dans les apparences, c'est-à-dire dans les paroles et dans la tenue, et s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait provoquer chez autrui des pensées de luxure, n'à que l'importance d'une réserve polie, estimable dans une certaine mesure, mais trop souvent proche de l'hypocrisie pour représenter, dans toute l'acception du terme, la chasteté.
La véritable chasteté n'est pas seulement, en effet, dans l'expression et dans l'attitude. Elle est encore et surtout dans la nature de nos pensées. Or, comme il ne dépend point de la volonté que nous ne soyons brûlés par tous les feux du désir, lorsque notre organisme réclame l'étreinte qui perpétue l'espèce, il s'ensuit que la seule véritable chasteté c'est l'absence de préoccupations sexuelles.
Est chaste l'enfant ignorant de la loi de procréation, dont les organes sont encore sans exigences, et qui se montre nu sans songer à mal, parce qu'il ne soupçonne même pas ce que peut être l'obscénité.
Est chaste la jeune fille - en est-il beaucoup? - seulement inquiète de platonique amour, et qui, songeant à son fiancé, ne s'égare jamais en imagination jusqu'à évoquer ce que peut être sa nudité au-dessous de la ceinture, ni des scènes licencieuses dont elle ne saurait, en public, esquisser la description.
Sont chastes encore les époux - sont-ils très nombreux ? - qui boudent aux mignardises de l'alcôve, et ne souhaitent les rapprochements charnels que par obéissance au commandement biblique de croître et de multiplier.
S'il est en ceci, pour les adultes, une vertu, ce ne peut être qu'une vertu d'anémiques, de précoces vieillards, ou d’amoureux transis.
Car elle n'est que de façade la chasteté telle qu'elle se pratique dans les sociétés influencées par la religion chrétienne, celle qui consiste à n'afficher ni maîtresse ni amant, et conserver devant le monde une retenue sévère à l'égard du culte d'Aphrodite, cependant que la pensée qui ne s'exprime point garde licence d'errer dans de suaves jardins secrets, et le sexe faculté de s'assouvir loin des regards curieux.
On confond souvent, comme identiques, la chasteté et la continence, alors qu'il s'agit en vérité de synonymes que séparent des différences notables. Si la chasteté est l'absence de préoccupations sexuelles, et le mépris ou l'ignorance du libertinage, alors même que l'on se soumettrait à des devoirs conjugaux, la continence est, par contre, l'abstention de tout rapport comme de tout plaisir sexuel, alors même que l'on souhaiterait vivement en éprouver la sensation. On peut donc être continent sans être chaste, et la réciproque est vraie.
Un prisonnier, répugnant à la sodomie comme à l'onanisme, et séparé d'une femme passionnément aimée, peut demeurer continent pendant des mois, tout en se complaisant dans des rêves dont la chasteté est exclue, tout en étant rendu demi-fou par des ardeurs dont il n'éprouve nulle honte. A l'opposé, une personne frigide, instruite dans le fanatisme religieux; et qui considère comme tentation démoniaque toute invitation au plaisir des sens, peut, en mariage dit « légitime », cesser d'être continente, par respect pour les mœurs et pour la loi, tout en demeurant chaste par principe et par tempérament.
Ajoutons qu'une telle monstruosité n'est possible que par suite d'anomalies physiologiques, coïncidant avec une passion de l'irréel proche de l'aliénation mentale. Les personnes de cette catégorie allient le plus souvent à un cœur sec et à un esprit étroit, un sang peu généreux.
Cependant je pressens, de la part du lecteur, une question : Si l'on doit adopter les définitions qui précèdent, quelle peut être la portée, pratique du vœu de chasteté, que la religion catholique impose à ses prêtres et à ses religieux? Je réponds donc avec impartialité : la doctrine catholique exige des ecclésiastiques qu'à défaut d'une grâce divine leur conférant une parfaite candeur d'âme, et l'apaisement de la chair, ils luttent de tout leur pouvoir, avec l'aide des prières et des mortifications, contre les embûches de la luxure, et se refusent à lui prêter une oreille complaisante. En cela se limiterait la portée du vœu de chasteté - qui n'exclurait point les épousailles et la procréation - si la règle de l'Eglise n'imposait aux ecclésiastiques, par surcroît, le célibat, c'est-à-dire la continence, l'œuvre de chair n'étant autorisée qu'en mariage seulement.
Mais, si le lecteur curieux désirait savoir dans quelle mesure le clergé se conforme à des conditions d'existence aussi draconiennes, je me bornerais à lui répéter fidèlement ce que m'avoua un jour, en tête-à-tête, un sympathique abbé défroqué, qui, après avoir été jadis mon contradicteur, devint mon ami : « La plupart des prêtres ne se privent de rien, mais opèrent avec réserve et discrétion ; une minorité trouve des compensations dans les pratiques solitaires ou l'homosexualité; un nombre infime, servi par l'âge ou l'exaltation mystique, est en mesure de tenir ses engagements. » Et sa conclusion était : « A force de vouloir faire l'ange; on finit par faire la bête! ». Cette conclusion fut aussi la mienne.
- Jean MARESTAN.
CHASTETE
Le préjugé de la chasteté vaut la peine qu'on l'analyse au point de vue de l'appui qu'il apporte à la conception étatiste et autoritaire du milieu social actuel. J'appelle la chasteté « préjugé » parce qu'en se plaçant au point de vue de la raison et de l'hygiène biologique, il est absurde qu'un homme ou une femme impose silence au fonctionnement d'une partie de son organisme, renonce aux plaisirs ou aux joies que ce fonctionnement peut procurer, refoule des besoins qui sont les plus naturels parmi les naturels. En se plaçant à ce point de vue, l'on peut hardiment affirmer que la pratique de la chasteté, l'observation de l'abstinence sexuelle est une anormalité, un expédient contre nature.
Dans une revue anglaise, disparue maintenant, The Free Review, une femme : Hope Clare, a décrit, dans les termes saisissants que voici, les conséquences de la chasteté sur la santé générale de l'élément féminin de l'humanité :
« Journellement, les preuves nous sont fournies des maux physiques qu'engendre une virginité longue ou constante. Le manque d'usage affaiblit, dérange tout organe. Seuls les constituants pervertis des civilisations décadentes s'interdisent l'exercice des fonctions sexuelles... Les primitifs sont, à cet égard, bien plus sages que les civilisés. La nature, c'est entendu, punit avec la même rigidité et l'abus et l'abstinence. Mais est-elle aussi impartiale en réalité? Un dissolu peut poursuivre une longue carrière de débauche sans que sa santé s'en ressente beaucoup; mais la vierge ne s'en tire pas aussi facilement. L'hystérie, la forme la plus commune de maladie chronique, est le résultat presque inévitable du célibat absolu; on la retrouve bien plus fréquemment chez la femme que chez l'homme; et les spécialistes les plus experts sont en majorité d'accord pour reconnaître que neuf fois sur dix la continence est la cause première de cette affection. La menstruation, qui joue un rôle tellement important dans la vie de la femme, ne s'accomplit pas sans troubles chez les vierges. Bien souvent elle s'accompagne de souffrances et il n'est pas rare qu'elle fasse défaut. L'altération profonde de la santé qui sévit chez de nombreuses femmes célibataires n'a pas d'autres raisons et il s'ensuit de très graves inflammations des organes de la reproduction. L'état de célibat est un état morbide : il prédispose le corps à la maladie et à la souffrance. L'anémie, la chlorose sont des résultats fréquents de la virginité continue. Chaque jour, dans les rues, vous croisez les victimes de cette violation de la nature, reconnaissables à leurs visages pâles ou au teint jaune terreux, à leurs yeux éteints, à leurs regards sans chaleur, à leur pas lourd, sans souplesse. Elles ressemblent à des fleurs qui se flétrissent prématurément faute d'un soleil vivifiant, mais qui s'épanouiraient et prospèreraient si elles étaient transportées à temps dans une atmosphère d'amour... »
Ces lignes justifient pleinement le qualificatif de « préjugé » appliqué à la chasteté et le tableau qu'elle brosse à sa contrepartie chez les rares hommes qu'on rencontre chastes.
Le préjugé de la chasteté peut être examiné aussi bien au point de vue religieux qu'au point de vue civil.
Les religions - de l'antiquité consacraient au culte de leurs dieux un certain nombre de prêtres et de prêtresses qui faisaient vœu de n'entretenir de relations sexuelles avec qui que ce soit, et la violation de ce vœu était puni de sanctions le plus souvent atroces. Il est évident que l'importance occupée par la vie amoureuse dans l'existence des hommes les éloigne des « devoirs » rendre à la Divinité, elle leur crée des obligations, elle leur procure des distractions qui portent préjudice au culte que les entités religieuses sont censées exiger de leurs créatures. Le naturel porte toujours tort au spirituel, le physique au métaphysique. C'est pourquoi les mystiques considèrent les gestes sexuels et l'amour en général comme contenant en soi un élément d'impureté, comme un « péché » - comme le péché par excellence : il fait descendre, il établit le ciel sur la terre, le divin dans l'humain. C'est surtout dans le christianisme que cette idée atteint son apogée : l'amour sexuel, charnel, c'est le péché et à ce titre il est désagréable à la sainteté de la Divinité. D'ailleurs le fondateur, supposé ou réel, du Christianisme, est un célibataire, du moins on nous le présente comme tel. L'apôtre St Paul, le grand propagandiste chrétien, admet bien, en dernier ressort, qu'il vaut mieux céder à l'impulsion sexuelle que de « brûler », c'est-à-dire se marier, mais aux yeux de Dieu le célibat, l'état de virginité est ce qu'il y a, de mieux. Comme il faut bien concéder à « l'œuvre de chair », ne serait-ce que pour assurer la continuité de l'espèce, on ne l'autorise qu' « en mariage seulement » et le mariage devient alors un sacrement, l'union, de deux corps et de deux âmes en même temps, une union basée sur des vœux perpétuels de fidélité sexuelle, bénie par le représentant terrestre de la Divinité, dont l'unique but est la procréation et par voie de conséquence la famille, un milieu où la progéniture grandit dans la crainte du Seigneur et le respect de ses commandements.
La conception civile du mariage est une traduction laïque de l'idée que s'en fait la société religieuse. L'officier d'état-civil fait tout simplement fonction de prêtre laïque. Jusqu'à ce que le magistrat ait sanctionné les rapports sexuels, le citoyen ou le sujet de l'un et l'autre sexe doit théoriquement demeurer chaste. S'il se conduit autrement, il est en butte à la déconsidération du milieu social, spécialement en ce qui concerne l'élément féminin. L'Etat a un très grand intérêt en effet à ce que les relations sexuelles aient pour corollaire l'établisse ment de la famille, parce que celle-ci est l'image réduite de la société autoritaire. Autorisés par les lois à cet effet, les parents imposent aux êtres qu'ils ont mis au monde sans les consulter, un contrat dont il leur est interdit de discuter les termes et qui contient en germe tout le contrat social; c'est dans la famille que l'enfant apprend à obéir sans discuter, sans critiquer, qu'il est mis dans la nécessité de se contenter de réponses évasives quand il demande une explication ou de pas de réponse du tout ; c'est dans la famille qu'on inculque à l'enfant l'intérêt qu'il y a pour lui à être bon écolier, bon soldat, bon ouvrier, bon citoyen. Quand il quitte la famille, le crâne bourré, pour en fonder une nouvelle, il possède toutes les aptitudes voulues pour être dominé, ou dominer, être exploité, ou exploiter, c'est à dire jouer son rôle de souteneur de l'Etat.
Or, la chasteté où la femme a été maintenue, où elle s'est maintenue elle-même la prédispose admirablement à jouer son rôle de bonne mère de famille, de bonne éducatrice, de bonne citoyenne. Ayant refoulé pendant un certain temps, pendant toujours peut-être, les impulsions légitimes de son organisme sexuel, son besoin de recevoir et de donner des caresses, elle est dans l'état voulu - mère ou éducatrice - pour enseigner à ceux sur lesquels elle exerce son influence qu'il y a des contraintes auxquelles il faut se soumettre sans murmurer, même quand elles violent les appétits les plus naturels, même quand elles portent tort à la santé individuelle. Dès lors que l'observation de ce qui est naturel risque de miner, de mettre en péril I'artificiel, c'est au naturel qu'il faut renoncer et à l'artificiel qu'il faut s'assujettir. Voilà à quoi aboutit la pratique de la chasteté chez la femme, une fois devenue éducatrice.
La chasteté enfin, pour se maintenir, sacrifie toute une portion de l'humanité féminine. Nous disons bien « pour se maintenir » car là où l'élément masculin ne sent plus peser sur lui la contrainte des lois ou des conventions, il donne libre cours à ses instincts et sans aucune réserve, la preuve nous en est fournie par la façon de se comporter du soldat en campagne ou de l'homme moyen dans certains cataclysmes physiques ou politiques. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'il existe une catégorie de femmes qui s'étend de la fille richement entretenue à la péripatéticienne de nos voies publiques, en passant par la pensionnaire des maisons closes, dont la profession consiste à louer leurs organes sexuels contre rétribution variable selon la hiérarchie qu'elles occupent dans leur profession. Nous avons écrit ci-dessus que ces femmes étaient des « sacrifiées » et elles le sont bien - d'abord par la déconsidération dont elles sont l'objet de la part du milieu social où elles évoluent - ensuite à cause des réglementations policières auxquelles leur personne et leur commerce sont astreints - enfin parce que les femmes chastes ne leur savent aucun gré de protéger leur chasteté. C'est parce que l'exercice de la prostitution est tenu en si haut discrédit, c'est parce que les prostituées sont montrées du doigt comme un élément social indésirable, que la chasteté a fini par passer à l'état de vertu civique. En entretenant dans le milieu social ce point de vue de la prostitution, en lui assimilant plus ou moins les relations sexuelles non légalisées, l'Etat est parvenu à donner au mariage une valeur exceptionnelle, que le divorce ne détruit pas, puisqu'il exige, lui aussi, l'intervention du magistrat.
Il découle de soi que là où a disparu le préjugé de la chasteté, à l'individuel comme au collectif, les autres préjugés anti-naturels sur lesquels reposent les conventions sociales ne tardent pas à être battus en brèche. La prostitution recule également; le milieu social n'éprouvant plus le besoin de consacrer une partie plus ou moins grande de sa population à permettre à une autre partie de ses constituants de vivre d'une existence anormale.
- E. ARMAND.
CHASTETE
Le « Dictionnaire de l'Académie Française » définit la chasteté : la vertu de celui qui est chaste, c'est-à-dire « qui garde une honnête retenue dans les relations conjugales, et particulièrement qui s'abstient des plaisirs d'un amour illicite. Le mot chasteté signifie quelquefois une entière abstinence des plaisirs de l'amour ». Les libertaires n'acceptent pas la première définition académique. Car ils s'imposent une seule retenue honnête, celle de ne causer de douleur ni physique ni morale, et ne se refusent ni ne refusent aucune des voluptés procurées par l'union conjugale ou amoureuse. La chasteté sera donc envisagée ici comme une entière abstinence des plaisirs de l'amour; davantage même, comme une continence absolue, le renoncement à toute satisfaction de la zone génitale, coït sous toutes ses formes et dans toutes les positions, relations hétéro et homosexuelles, masturbation solitaire ou géminée. Dans ces conditions, apparaît-elle possible, se montre-t-elle souhaitable?
Si on appelle instinct « une activité définie héréditaire et non acquise par l'expérience personnelle, un réflexe complexe mis en jeu par des excitants extérieurs qui éveillent une potentialité héréditaire (Ch. Féré) », l'acte de la reproduction répond bien à une telle sollicitation instinctive. En effet le rut ou appétit sexuel se révèle pour la première fois chez les animaux et l'homme en dehors de toute intervention consciente de la volonté, sous l'influence de l'odorat, de la vue ou du toucher, et en cristallisation du souvenir de voluptés non perçues jusqu'alors par l'individu mais transmises par le sens antérieur et atavique de l'espèce. Toutefois il constitue seulement un « instinct secondaire » réalisant la préservation de l'espèce, au fond indifférente aux procréateurs, et non un « instinct primaire », comme celui de la nutrition, assurant au premier chef la préservation de l'individu surtout anxieux de sa propre existence. Il apparaît plus ou moins tard, rarement avant quinze ans, chez l'homme; disparaît plus ou moins tôt, souvent à la cinquantaine; présente de grandes variations personnelles, depuis l'absence totale jusqu'à la prédominance exclusive. Certains vivent sans femmes; d'autres vivent pour, par et de la femme. L'instinct d'amour ne possède donc pas le caractère de nécessité inhérent à la faim et à la soif.
C'est dire que le coït n'est pas un besoin primordial; et la continence n'entraîne de trouble ni physique ni intellectuel. Les nombreux animaux domestiqués et tenus à l'attache ne souffrent nullement de la privation génitale; ils restent aussi beaux, aussi forts, aussi résistants que leurs congénères en liberté. Et si quelques mâles manifestent, à l'époque du rut, une certaine férocité, cela tient davantage au caractère de la race qu'à l'inassouvissement d'un instinct. Beaucoup d'hommes vivent dans la continence sans la moindre diminution de leur santé ou de leurs aptitudes générales. La majorité des prêtres, des religieux, les prisonniers au régime cellulaire supportent la chasteté avec aisance et sans recours à la masturbation. Chez les personnes accoutumées à un coït régulier, la cessation occasionne au début une gêne, due surtout à une habitude non satisfaite; puis le temps fait son œuvre, les sens s'assoupissent, les désirs s'apaisent, la vie s'écoule sans aucune révolte de l'organisme générateur.
L'éducation joue un grand rôle dans la question de l'amour humain. Poètes et prosateurs le magnifient ou le vitupèrent. Les parents en parlent ou s'en taisent, silence encore plus suggestif. L'enthousiasme éveille l'attention. Le mystère excite la curiosité, la lecture la nourrit et la précise. La surveillance occulte surprend les secrets, l'imitation les réalise. Beaucoup y prennent un goût très vif, qu'entretiennent l'habitude, les conversations, la littérature, les spectacles érotiques. Puis l'amour-propre s'en mêle; la puissance génésique devient un orgueil, la forte virilité un enviable privilège, la suprématie sexuelle une principauté admirée. C'est un chapitre sur lequel les mâles aiment à se vanter et en font souvent plus avec la langue qu'avec le reste. L'amour brûle, parce que hommes et femmes, vestales dévirginisés, s'époumonent à souffler sur le feu sacré.
En réalité la génération ne constitue pas, de beaucoup, la fonction la plus importante des organes sexuels. Le rôle physiologique du testicule ou de l'ovaire est double. D'une part, une sécrétion externe, spermatozoïdes ou ovules, se déverse au dehors par les voies génitales, canal déférent, verge, ou trompe, utérus, vagin; d'autre part une sécrétion interne, « hormones et hormazones », passe directement des cellules formatrices dans le sang. Or, la simple observation prouve que la continence, c'est-à-dire le défaut d'évacuation de la sécrétion externe par le coït, n'amène aucune conséquence funeste pour l'individu. Les spermatozoïdes s'éliminent par les urines ou sont absorbés par la circulation ; les ovules sortent avec les menstrues ou disparaissent par la digestion intra-cellulaire. Ni l'homme ni la femme n'en subissent la moindre atteinte dans leur état physique et mental. L'expérimentation renforce et précise cette constatation empirique. La section chirurgicale des conduits de la semence, canal déférent ou trompe, n'apporte aucune modification dans l'organisme des opérés; ceux-ci conservent leur vigueur et leur intelligence, continuent à jouir de l'intégrité des désirs et de la puissance génésiques mais sans possibilité de reproduction. Bien plus, chez certains criptorchides (individus dont les testicules ne sont pas descendus dans les bourses), on constate l'absence complète des tubes séminifères, producteurs du sperme, mais la présence des cellules interstitielles, élaboratrices de la sécrétion interne; or, ces sujets offrent un aspect normal, tous les caractères de la virilité avec une stérilité absolue. Au contraire, lorsque les testicules non descendus manquent à la fois de tubes séminifères et de cellules interstitielles, les criptorchides, comme les castrés, « ont l'apparence de femmes, sont gras, grands, ont la peau blanche et douce, la voix grêle ; ils ont peu de force et sont en général, malgré quelques exemples célèbres, d'intelligence médiocre... Leur vitalité générale parait diminuée, ils vieillissent assez vite, leur peau se ride très tôt, on observe de la canitie précoce. (Guy-Laroche) ». La physiologie normale .et pathologique démontre donc le peu d'importance, pour l'individu, de la sécrétion spermatique.
En résumé, le retard de son apparition, la précocité de sa disparition, la possibilité de son absence, les extrêmes de sa variabilité, l'innocuité de sa non-satisfaction, font de la sexualité un instinct d'ordre secondaire, exalté par l'éducation, servi par des organes dont la fonction primordiale est de contribuer au développement général de l'individu et non d'assurer sa reproduction.
Sans inconvénients biologiques, sauf pour l'accessoire fonction de reproduction, la chasteté comporte pour ses fervents d'incontestables avantages. Tout d'abord elle les met d'une façon presque certaine à l'abri des maladies vénériennes, c'est-à-dire de l'une des trois grandes causes, avec l'alcoolisme et la tuberculose, de la morbidité et de la mortalité précoces. La garantie vaut bien le sacrifice de Vénus et de tous ses risques. Car la blennorragie procure à ses victimes un présent et un avenir plein de souffrances, et la syphilis annihile à peu près fatalement l'être humain dans sa plus haute manifestation : l'intelligence.
Si le coït concourt à la préservation de l'espèce, la continence favorise la conservation de I'individu en le maintenant en santé et en force. Les éleveurs ont reconnu depuis longtemps que les animaux reproducteurs attestent de médiocres qualités de travail ; aussi sélectionnent-ils leur cheptel en deux catégories, l'une pour la saillie, l'autre pour le labeur. Après avoir couvert sa femelle avec frénésie, le lapin tombe inanimé et sans défense. L'araignée dévore le mâle, sitôt la fécondation terminée. L'antique allégorie de Samson et Dalila met en images l'influence déprimante des rapports sexuels ; la contemporaine pratique des sports réalise le vieil enseignement biblique. Personne en effet n'ignore que les athlètes, les équipes à l'entraînement, les acrobates, les chanteurs, les acteurs, en somme tous ceux qui fournissent un effort physique intense ou soutenu et désirent sauvegarder leurs aptitudes professionnelles, tous ceux-là s'abstiennent également d'alcool, de tabac et de femmes. Parce que le fonctionnement sexuel des organes génitaux exige une excessive dépense d'énergie, la chasteté s'impose aux gens soucieux de maintenir intactes leur vigueur, endurance et précision musculaires.
Quoique moins évidente et moins contrôlable, l'action déprimante du coït se révèle tout aussi profonde sur le rendement cérébral. Si les étalons font de mauvais chevaux de labour, les trousseurs de jupons se montrent de médiocres travailleurs de l'esprit. Depuis Antoine et Cléopâtre jusqu'à Louis XV et la Pompadour, l'histoire fourmille d'exemples de la déchéance mentale causée par une activité génésique exagérée. En contraste, l'expression proverbiale « travail de bénédictin » signifie l'intensité du labeur intellectuel chez les pratiquants de la chasteté. Les étudiants à grisettes échouent souvent à leurs examens et les hommes à femmes ne se distinguent jamais beaucoup dans les carrières scientifiques. Cependant, dira-t-on, de grands amoureux devinrent de grands poètes, l'amour exalta leur génie : Laure et Pétrarque, Dante et Béatrix! Mais leurs amours furent souvent platoniques. Et d'ailleurs qui prend au sérieux les versificateurs? On les aime, on les admire, on ne les suit pas.
Génitoires ou cerveau? La plupart des simples mortels doivent se résigner au culte des uns ou de l'autre. Divins ceux qui peuvent, à la fois et avec honneur, servir et la chair et l'esprit.
- Dr F. ELOSU.
BIBLIOGRAPHIE.
Dr Ch. FÉRÉ. - L'instinct sexuel. In-18, 359 p. Alcan, Paris, 1902.
GUY-LAROCHE. - Opothérapie endocrinienne. In-8°, 256 p. Masson, Paris, 1925.
Paul GOY. - De la pureté rationnelle. Brochure, 51 p. Edition Maloine, Lyon.
Dr Roux. - L'instinct d'amour. In-18, 384 p. J.-B. Baillière, Paris, 1904.