CITOYEN n. m. Terme d’antiquité
Ce mot n’a jamais eu de féminin. Il n’a
d’usage moderne que pour les ironistes conscients, politiciens ou non,
et pour les imbéciles. Quelques bavards de réunion publique poussent la
plaisanterie jusqu’à appeler leurs auditrices : citoyennes. La
plaisanterie n’est pas beaucoup moins forte d’appeler citoyen n’importe
quel homme d’aujourd’hui. Il arrive à tel orateur érudit de citer le
mot d’Aristote : « Le citoyen se doit à l’État ».
Les pauvres gens qui font usage de l’argument d’autorité ont le droit
de s’appuyer sur cette parole d’Aristote à peu près comme le
naturaliste qui décrit le lézard a le droit de le comparer au
plésiosaure. Le citoyen est une espèce qu’Aristote a connue mais qui
est disparue depuis longtemps.
Le caractère spécifique du citoyen, c’est la participation aux
fonctions de l’État. Or l’État, - nous enseignent Aristote et la
pratique des anciens - a deux fonctions principales : légiférer et
juger. Le citoyen, celui qui "appartient à l’État", c’est l’homme qui
juge et qui fait partie de l’Assemblée législative. Un député est, pour
quatre ans, un quart de citoyen : il ne juge pas et les lois qu’il vote
n’ont de force que si elles sont approuvées par un autre ramassis de
quarts de citoyens, le Sénat. Dans la classification que nous faisons
d’après Aristote, le juge, animal supérieur, est un demi-citoyen. Quant
à nous, pauvres gens, dont tout l’office social consiste à subir
l’arbitraire des lois et des faiseurs de lois, et des appliqueurs de
lois, Aristote constaterait en bouffonnant qu’on nous a châtrés des
deux puissances du citoyen. Nous appliquer le beau titre historique,
c’est proprement s’émerveiller devant la virilité des eunuques et les
prier de remédier à la dépopulation de notre cher pays.
Mais, peut-être, à nous entendre nommer citoyens, le rire d’Aristote
serait différent. Il se souviendrait de Diogène, allumerait sa
lanterne, la promènerait devant nos visages et proclamerait qu’elle n’a
éclairé que des faces d’esclaves.
Aux armes, citoyens...
HAN RYNER.