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CIVILISATION n. f. 

La définition du mot est assez complexe, car au sens général il est employé par diverses écoles historiques et sociales de façon différente et c'est ce qui prête à confusion. La meilleure définition, malgré sa brièveté, nous semble être celle que nous empruntons à Lachatre : « Ce qui est civilisé, par opposition à la sauvagerie ». En effet, la civilisation est l'ensemble de la vie sociale, qui marque une époque d'évolution morale et de développement intellectuel et scientifique sur l'époque précédente. Elle doit être une course ininterrompue vers le progrès et une victoire constante de l'esprit sur l'égoïsme brutal qui anime trop souvent l'humanité. La civilisation est toujours relative à une époque et il·faut la comprendre non pas dans le temps, mais dans son temps, et c'est ce qui explique que certaines populations, à des dates indéterminées de l'histoire ont été considérées comme les plus civilisées, alors que de nos jours elles seraient qualifiées de barbares. « L'humanité peut être comparée à un homme qui ne vieillissant jamais, ne mourant jamais, n'oubliant rien, avancerait continuellement dans la science et dans la raison » (Pascal). On peut donc dire de la civilisation, quelle est la marche en avant de l'humanité, abandonnant sur sa route les vieux préjugés néfastes à l'épanouissement de l'individu et de la collectivité, elle poursuit la réalisation du bien-être social. Son but - si toutefois la civilisation a un but - ne peut être que la fraternité, la liberté et l'égalité de tous les hommes. Tout ce qui s'oppose par les faits ou par les idées au bonheur des humains ou qui éloigne l'ère de leur libération est contraire à la civilisation.


La civilisation ne s'impose pas par la force brutale et c'est un paradoxe des temps modernes de prétendre que les nations les plus civilisées sont celles qui sont les plus fortes militairement. En vérité, l'étude et l'observation de l'évolution historique nous portent à affirmer que la plupart des civilisations passées se sont écroulées en abusant de la violence. Malheureusement, et de nos jours encore, la force a toujours triomphé dans une certaine mesure de la raison, du droit et de la logique et les civilisations furent souvent subordonnées à la brutalité et à l'ambition des hommes qui ne savaient ni maîtriser leurs instincts, ni mettre un frein à Ieur désir de dominer. C'est toute I'histoire de l'humanité qu'il faudrait écrire pour traiter de la civilisation ; c'est toute l'histoire des peuples et des nations qui, depuis des siècles et des siècles, nous lèguent en héritage le produit de leurs recherches et de leur savoir.


La civilisation? C'est la Chine, aujourd'hui broyée sous les dents voraces d'un capitalisme international qui, il y a cinq mille ans, donnait déjà le jour à des savants, des philosophes, des agriculteurs, dont les connaissances n'atteignaient certes pas celles de nos savants modernes, mais qui défrichaient le terrain, permettant ainsi aux générations futures de s'acheminer vers un avenir meilleur. La, civilisation? C'est la lumière qui, pendant trois mille ans, jaillissant de ce grand empire, par la sagesse, le travail, la courtoisie, l'austérité des mœurs de son peuple, illumina le monde, malgré les divisions régnant au sein de la nation, malgré les vices, les débordements, la licence, l'ambition des grands et des seigneurs qui, finalement, devaient avoir raison de toute cette population soumise et pacifiste. Les efforts du grand Confucius, philosophe qui chercha, 500 ans avant notre ère, à redonner à la Chine un caractère moral et sain, furent vains. La Chine, décadente, fut écrasée sous le talon de la soldatesque. Il ne reste plus rien aujourd'hui de sa civilisation ; depuis deux mille ans, la Chine fut le théâtre de bien des invasions contre lesquelles elle ne sut se défendre, car ce peuple de plusieurs centaines de millions d'individus, qui pourrait mettre sur pied des armées formidables, ne possède pas l'art de la guerre. Sa civilisation, qui fut réelle, s'orientait vers d'autres buts et, désemparée, elle fut la proie facile de tous les conquérants qui, au nom d'une fausse civilisation, entendaient accaparer ses richesses. C'est toujours sous le fallacieux prétexte de « civilisation » que, de nos jours, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, toutes les grandes puissances qui, au sens bourgeois du mot, sont des foyers de civilisation, tuent et pillent d'innocentes peuplades qui ne réclament que du travail et de la tranquillité.


Quel fossé sépare les civilisés de cette caricature de civilisation moderne que l'on voudrait nous faire accepter! La civilisation ne peut évoluer que par le travail et la liberté du peuple, alors que, de nos jours, nous assistons à l'étalage le plus ignoble de l'oisiveté et de la paresse. Il semble que l'on revive dans nos pays occidentaux l'époque de la décadence Romaine, où le peuple, se contentant du pain et du cirque, se laissait mener et conduire par les maîtres du pouvoir. Toutes les civilisations d'antan sont mortes de la même mort.


L’histoire serait-elle une éternelle répétition? C'est dans la paresse et le vice que s'est éteinte la civilisation chaldéenne. Et pourtant, 2.700 ans avant l'ère chrétienne, Babylone était maîtresse du monde. La richesse de son architecture amoindrirait sensiblement la prétention de nos fabricants de gratte ciels américains. La renommée de ses palais, de ses jardins, traversait les océans. L'utile n'était pas sacrifié à l'agréable et si les Chaldéens surent construire des châteaux et des terrasses, ornant les larges voies de cette ville fantastique de 80 kilomètres de tour, ils surent aussi, pour fertiliser une terre sèche et aride, creuser des canaux dont la construction dépasse, vu l'époque, l'imagination humaine. Ils surent creuser, afin de garantir les populations, des lacs immenses dans lesquels, durant les périodes de crue, venaient s'écouler les eaux de l'Euphrate. De tout ce travail gigantesque, de toute cette force dépensée par des générations, il ne reste plus que le souvenir et un amas de ruines. La fausse civilisation, la guerre a passé là, pour réduire à néant l'effort productif de milliers d'années ; et, de même qu'elle a détruit la civilisation chaldéenne, elle a détruit celle de l'Egypte, celle de la Perse, de la Judée, de la Grèce, de Rome ; les deux dernières plus récentes nous ont laissé plus que les précédentes le produit de leurs travaux manuels et intellectuels et si, aujourd'hui encore, on peut lire les grands poètes et les grands philosophes, de la Grèce et de la Rome antique en peut également contempler les ruines de leurs arènes et de leurs palais qui rappellent un génie architectural tout au moins égal sinon supérieur à celui de nos civilisations modernes.


On ne s'inspirera jamais assez de cette idée: que les conquérants militaires, que les hommes avides de jouissance et de richesses et qui sacrifient tout le présent, tout le passé, tout l'avenir à l'assouvissement de leurs bas instincts, sont les irréductibles adversaires de la civilisation. Et dans l'actualité douloureuse, où la civilisation pourrait être triomphante avec ses chemins de fer, son téléphone, ses aéros, sa T.S.F, elle est encore en lutte avec tous les puissants de la terre qui, en voulant accaparer toutes les richesses sociales et bénéficier seuls des découvertes multiples, entravent la marche en avant de l'humanité.


Cependant, malgré la route jonchée d'épines, la civilisation suit progressivement son cours.

Elle marque parfois un temps d'arrêt, mais elle reprend son chemin et repart, lentement sans doute, mais sûrement, pour atteindre son but. Rien n'est perdu des idées auxquelles elles donnent le jour, et si, sur un petit coin de la terre, une nation est détruite, un territoire anéanti par un fléau, ce n'est qu'un accident dans le temps et dans l'espace, qui ne peut arrêter sa marche en avant. Contre tous la civilisation triomphera. Si une puissance peut se permettre, durant une période plus ou moins longue, d'asservir les populations d'une autre puissance; si la ploutocratie domine toujours et si Ia guerre n'a pas encore disparue de la surface du globe, il n'en est pas moins vrai, que les progrès de la science appliquée et du machinisme, que les découvertes sensationnelles de nos savants, que les idées émises par nos penseurs, planent au-dessus de nous et que tout travaille à la réalisation d'une humanité meilleure, c'est-à-dire réellement civilisée.


Les apparences, sont parfois trompeuses. Il peut sembler aux pessimistes que tout dégénère et que l'humanité rétrograde, que la civilisation décline. Aux heures de lassitude et de doute, il faut jeter un regard en arrière, contempler toute la route parcourue depuis des siècles .et des siècles et considérer les transformations formidables des sociétés. Si Ia civilisation, c'est-à-dire l'idée dominante de fraternisation humaine, a su résister à tous les assauts ; si elle ne fut pas anéantie malgré les catastrophes, les carnages, les brutalités de la religion, de la patrie, de l'Etat, c'est qu'elle répond aux besoins et aux désirs des hommes et que, seule, elle peut assurer la paix au sein des collectivités. Il faut l'aider ; et plus elle est enveloppée des nuages obscurs de la réaction qui cherche à l'étouffer, au nom d'un passé glorieux et de l'avenir qui sera éclairé par ses flambeaux, plus il importe de la défendre. Il faut la défendre pour qu'elle réalise enfin l'idéal que nous, Anarchistes, nous voulons voir se matérialiser: le bonheur et le bien-être pour tous. 

- J. CHAZOFF.