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CLÉRICALISME n. m. 

Il faut entendre par ce mot le mouvement politique et social qui considère la Religion, et plus spécialement la Religion catholique comme le fondement le plus sûr de « l'Ordre » basé sur le principe « Autorité » et sur le fait « Gouvernement », mouvement qui, par voie de conséquence, tend à attribuer la direction de la chose publique, plus encore : la domination universelle à l'Église catholique, apostolique et romaine et à placer cette domination entre les mains du clergé séculier et régulier composant le parti « Prêtre ».

Ce qui caractérise le cléricalisme, c'est son irréductible opposition à toutes les mesures et pratiques s'inspirant de la pensée laïque, favorisant et secondant le renforcement de celle-ci. C'est la constatation de cette intransigeante opposition à l'expansion laïque qui a arraché à Léon Gambetta ce cri de guerre : « Le Cléricalisme, voilà l'Ennemi ! » Le trait essentiel du cléricalisme, c'est la souplesse d'allures au service de desseins précis et de buts déterminés : « La fin justifie les moyens » déclare le Cléricalisme et, armés de cette devise, usant et abusant avec impudence de cette formule qui, par anticipation, a la vertu de tout justifier, voire de tout exalter, les adeptes du cléricalisme qu'on appelle communément « les cléricaux » font usage, le cœur léger et la conscience sereine, des agissements les plus indélicats, des procédés les plus criminels, des manœuvres les plus perfides, des crimes les plus abominables.

Un autre trait par lequel se distinguent les cléricaux, c'est la persévérance, l'obstination, l'opiniâtreté, la constance étonnante avec laquelle, quelles que soient les difficultés, ils poursuivent les fins qu'ils ont assignées à leurs efforts. Ont-ils vent en poupe ? Ils y marchent à toutes voiles ; s'ils ont vent contraire, ils louvoient, courent des bordées, disparaissent même un instant à l'horizon pour reparaître tout à coup, le cap toujours mis sur le but à atteindre.

Pour appartenir au parti clérical, pour faire son jeu, il n'est pas indispensable de porter capuchon ou soutane. Les cléricaux les plus dangereux sont ceux qui, pareils aux mouchards ― et mouchards en effet ― ne portent pas de livrée. Le Basile de la Comédie est un personnage antipathique, répugnant ; mais il n'est guère dangereux : son grand chapeau et ses tirades sur la calomnie le font trop aisément reconnaître. Le vrai Basile sait à merveille se camoufler. Il ne se démasque que le moment venu et en cas de besoin.

Le but que poursuit l'Église depuis le IVe siècle de l'ère chrétienne, c'est de mettre la main sur le mécanisme mondial et, sous couleur d'instaurer sur la terre le règne de son Dieu, d'y établir solidement celui de son clergé. Cette dictature à la fois spirituelle et temporelle, les cléricaux l'ont eue ; ils l'ont en partie perdue et ils ambitionnent de la reconquérir. Cette reconquête, c'est le but vers lequel ils marchent formant trois colonnes : la première est composée des ambitieux ; la deuxième des hypocrites et la troisième de la masse des ignorants, des crédules et des niais.

L'idéal inavoué des cléricaux, c'est le moyen âge, que leurs légendes qualifient de « bon vieux temps ». L'organisation politique qui a secrètement toutes leurs préférences, ce serait, si possible, la monarchie absolue et, au pis aller, la monarchie constitutionnelle ; de toutes façons, un pouvoir fort et centralisé constamment en état de contenir les aspirations populaires tendant à l'émancipation des masses laborieuses, et toujours en mesure de mâter ces aspirations aussitôt qu'elles prennent une tournure alarmante.

L'interprétation de l'Histoire, d'après l'esprit clérical, est tout à fait singulière. Elle mérite d'être notée. Voici comment s'exprime sur ce point le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. « Vous croyez peut être qu'il s'est opéré, au XVIe siècle, une réforme qui, au prix d'un million de têtes, a émancipé la conscience humaine ? Vous avez peut-être lu quelque part que, deux siècles après, il a surgi du sol de France toute une cohorte de philosophes, Voltaire en tête, qui, sans autres armes qu'un flambeau et un fouet, ont chassé et refoulé dans les ténèbres du Moyen-Âge les fantômes sanglants qui tentaient d'en sortir. Et vous aurez sans doute entendu dire que, vers la fin de ce même siècle, il s'est trouvé toute une autre pléiade de grands hommes pour traduire dans les faits sociaux les conquêtes de la philosophie. Sous le nom de Révolution, ou plutôt d'Évolution, vous saluez l'ère nouvelle où, pour la première fois, le mot d'humanité a pris un sens ; où l'homme, devenu l'égal de l'homme, a pris possession de lui-même et a pu s'acheminer enfin, libre d'entraves, vers ses glorieuses destinées. La liberté matérielle et morale, le progrès des sciences, l'avènement du règne de la Justice, l'adoucissement des lois pénales, l'épuration des mœurs, tous ces fruits du travail de nos pères vous semblent beaux à l'œil, doux à la bouche ; vous trouvez, en définitive, que l'arbre de la science du bien et du mal ne mérite plus aujourd'hui les malédictions dont il fut couvert au temps de notre premier père ?

Eh bien! Votre erreur est complète. Luther n'est qu'un suppôt de Satan, et Voltaire est Satan en personne. Le XVIe siècle que, dans votre naïveté, vous appelez le siècle de la Renaissance, n'est que le triomphe momentané de l'impiété et de la révolte contre Dieu, révolte justement punie par les sacs de Magdebourg et la Saint-Barthélemy. C'est aussi justement, depuis lors, que l'homme, privé de la lumière céleste, dont les bûchers de l'Inquisition n'étaient qu'un reflet, erre à tâtons dans la région des ténèbres. Le grand siècle, c'est le suivant : illustré par les Dragonnades des Cévennes, et par la bulle Unigenitus. Au XVIIIe siècle, le flambeau de la Foi parait s'éteindre ; Voltaire, Helvétius, le baron d'Holbach, Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu, Diderot et les Encyclopédistes, toutes les portes de l'Enfer enfin vomissent contre la religion leur souffle empesté. Mais rassurez-vous, l'Évangile l'à dit, les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle. Dans ces temps mauvais, il se trouve encore quelques justes, en faveur desquels Dieu pardonne encore à Sodome et à Gomorrhe. Les saintes traditions sont continuées par l'abbé Dubois, Fréroz, Nonotte, Patouillet, Mme Dubarry et l'abbé de Bernis et les fidèles goûtent encore quelques consolations autour des échafauds de Calas et du Chevalier de la Barre. Les vengeances de Dieu éclatent par le déchaînement des passions révolutionnaires ; et contre ces scélérats de Bailly, de La Fayette, de Hoche et de Marceau, Dieu suscite les Macchabées de la Vendée, ces héros de la Foi qui ont sauvé la France malgré la Convention. »

Le morceau est un peu long. Mais il faut considérer qu'il est extrait du Grand Larousse Universel et qu'il emprunte à cette origine une saveur toute particulière.

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J'ai dit, un peu plus haut, que le cléricalisme, autrement dit le Parti-Prêtre, travaille à la reconquête de l'hégémonie mondiale et que cette armée noire s'avance sur trois colonnes : celle des ambitieux, celle des hypocrites et celle des imbéciles.

Ces trois colonnes constituent un front étendu et compact dressé contre l'esprit des sociétés modernes, et ces trois colonnes forment une armée redoutable dont toutes les parties reçoivent les mêmes mots d'ordre et obéissent à la même direction. Ce sont les ambitieux qui donnent l'impulsion ; mais ils le font si discrètement, que les hypocrites n'aperçoivent que faiblement le point de départ et le but immédiat des mouvements ordonnés et que les imbéciles exécutent ces mouvements et subissent l'impulsion sans comprendre où on les mène. La grande habileté du Jésuitisme contemporain ― qui est l'âme du cléricalisme ― consiste à cacher sa main, à masquer son but, à ne plus parler autant de la gloire de Dieu et des intérêts supérieurs de l'Église, mais à rallier à sa cause les intérêts matériels en se faisant aussi mondain que le siècle. Son grand art consiste à faire peser sur les peuples des terreurs imaginaires et à s'ériger en défenseur des grands principes sociaux de la famille, de la propriété et de l'État. Les meneurs du cléricalisme ne manquent jamais d'envahir les avenues du Pouvoir, afin de se faire les distributeurs des honneurs, des bénéfices et des sinécures grassement rétribuées. En s'adressant à la gloriole idiote des uns et à la basse cupidité des autres, les cléricaux ont toujours la certitude de grouper autour d'eux, une nombreuse et fervente clientèle. C'est par de tels moyens qu'ils parviennent souvent, très souvent, trop souvent, à trouver des appuis et des complicités parmi ceux-là mêmes qui, dans leur jeunesse, ont reçu une éducation libérale et laïque et qui, appartenant à la bourgeoisie, sont initiés à tous les progrès de la science, des arts, de l'industrie, du négoce et de la finance. Ceux-là, ce sont les hypocrites, les composants de la deuxième colonne. Quant aux sots et crédules, superstitieux et ignorants, qui forment la troisième colonne, ils sont légion. Ce sont les « bonnes âmes » ― entendez par là les crétins ― des villes et des campagnes qui se marient à l'Église, vont a confesse, communient à Pâques, font maigre le vendredi, se rendent à la messe le dimanche, font baptiser leurs enfants, leur font apprendre le catéchisme et faire leur première communion et meurent enfin munis des Sacrements de l'Église. C'est toute cette race indécrottable de moutons de Panurge qu'on flatte en les qualifiant de « braves et honnêtes gens », bien qu'ils ne soient ni honnêtes ni braves, à moins que l'honnêteté ne réside dans la crainte et le respect du gendarme et du garde champêtre, à moins qu'il ne suffise, pour être brave de faire comme tout le monde et d'éviter de vivre en délicatesse avec le Code.

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Sur la route du Progrès social, le cléricalisme multiplie les embuscades et les obstacles. Du haut des chaires innombrables dont dispose le clergé de toutes les religions, la parole de résignation et d'obéissance retentit et s'adresse à des auditoires considérables. Les homélies qui, des lèvres des curés, des missionnaires, des pasteurs et des rabbins, tombent en pluie de soumission sur les foules que le culte rassemble dans les lieux où l'on prie, ces homélies entretiennent dans les masses les préjugés et les erreurs, sur lesquels reposent et perdurent les sociétés autoritaires et capitalistes que la propagande et l'action anarchistes ont la mission d'abattre. La bourgeoisie voltairienne a-t-elle compris que le cléricalisme est le rempart qui protège et défend le plus solidement ses privilèges de classe ? La démocratie républicaine et laïque s'est-elle rendu compte que l'athéisme conduit directement et fatalement à l'Anarchisme et que, du jour où les hommes auront eu la sagesse de vider le ciel des béatitudes fallacieuses dont les religions s'ingénient à l'embellir, ils travailleront à peupler la terre des félicités que permettent, d'ores et déjà, de réaliser les applications de la science ? Il me paraît judicieux de répondre à ces questions par l'affirmative. Car bourgeois Voltairiens, républicains, laïcs, démocrates consentent bien à faire la guerre au cléricalisme, mais pas à la religion. Ils se disent et croient être anticléricaux ; mais ils ne sont pas antireligieux, Et pourtant !...

Actuellement, le Cléricalisme est moins un courant religieux qu'un parti politique, une organisation économique et un mouvement social.

Il garde sa doctrine religieuse qui est sa raison d'être, ses temples qui lui permettent de réunir ses adeptes et de les tenir dans sa main, ses écoles par lesquelles il assure le renforcement de son influence, ses œuvres grâce auxquelles il reste en contact, hors des cérémonies cultuelles, avec le public. Mais un observateur averti ne saurait être abusé : ce n'est plus la foi religieuse qui fait sa force et son action serait inopérante, si elle se cantonnait dans le domaine exclusivement confessionnel.

Même quand il est ostensiblement combattu par certaines fractions de la bourgeoisie, le Cléricalisme est sournoisement soutenu par ces fractions qui, escomptant son appui aux heures difficiles, sont contraintes à le ménager. Même quand il est publiquement attaqué par certains partis politiques dits « de gauche » il est défendu, indirectement et dans la coulisse, par ces mêmes partis qui ont intérêt à ne pas se rendre hostiles les masses électorales dont il inspire les suffrages.

Ces fractions et ces partis se doivent de ne pas heurter de front la Religion, parce qu'ils sont anticléricaux, mais ne sont pas antireligieux. Ils professent l'opinion que le « spirituel » et le « temporel » sont choses entièrement distinctes et qui peuvent rester étrangères l'une à l'autre. Ils prétendent que la religion est une affaire de conscience individuelle, et d'ordre privé et fait incroyable et pourtant exact c'est au nom même de la liberté, qu'ils proclament un principe sacré et inviolable, qu'ils se déclarent respectueux des sentiments religieux que chacun peut avoir.

Profonde et dangereuse est l'erreur de ces anticléricaux.

Tout d'abord, il n'est pas vrai que le « temporel » et le « spirituel » puissent pratiquement vivre dans l'ignorance, encore moins dans l'indépendance réciproques.

Pour le croyant attaché à une religion, le « spirituel » c'est tout ce qui a trait à l'âme et le « temporel » tout ce qui concerne le corps. Le croyant prie : fait spirituel ; il mange : fait temporel. Il songe à la vie éternelle et s'y prépare : fait spirituel ; il se préoccupe de la vie terrestre et des besoins immédiats et matériels qu'elle implique : fait temporel. Comme croyant, il est l'égal de tous, sans qu'il faille tenir compte de sa situation : position spirituelle ; mais, comme homme, il est riche ou pauvre, patron ou ouvrier, gouvernant ou gouverné : position temporelle.

Son existence se trouve, ainsi, et à tout instant, le fait d'un indissoluble amalgame du « spirituel » et du « temporel », des besoins de l'âme et des nécessités du corps, de l'égalité religieuse et de l'inégalité sociale.

Et il serait possible qu'une distinction, qu'une sorte de cloison étanche séparât, isolât sa vie spirituelle de sa vie temporelle ?

Le penser serait tout simplement absurde. Cet isolement peut-être conçu spéculativement, mais, pratiquement il ne peut exister.

« Car, pour être croyant, on n'en est pas moins homme. »

Pour le croyant, la vie n'est due qu'à l'union intime de l'âme et du corps et la séparation du corps et de l'âme, c'est la mort. En sorte que vouloir séparer ce qui intéresse l'âme (le spirituel) du croyant de ce qui touche à son corps (le temporel) ce serait le condamner à mort dès sa naissance. Ce serait, il faut l'avouer, apporter à ce problème délicat du « temporel » et du « spirituel », une solution aussi imprévue qu'insensée.

En dépit de la multiplicité de ses organes et de la complexité de ses besoins, l'individu est un. Il n'est pas, quoi qu'on puisse dire, un agrégat composé de deux éléments simples et de nature différentes : le corporel et l'incorporel. II forme un tout parfaitement homogène dont les diverses parties sont unies par une rigoureuse solidarité ; et si, pour satisfaire aux exigences d'une classification utile, voire nécessaire, on a groupé ses fonctions et ses besoins en spirituels et en matériels, ce n'est pas parce que cette classification correspond à une réalité, mais uniquement parce qu'elle favorise l'observation, facilite l'étude de ce qui est humain et fournit au langage des expressions qui qualifient des phénomènes d'un ordre distinct.

Le corps humain est une merveille de délicatesse et de complexité ; c'est aussi une merveille de solidarité, c'est-à-dire d'unité dans la diversité. On ne peut donc raisonnablement séparer ce que, dans le vocabulaire des religions on appelle le « spirituel » de ce qu'on dénomme le « temporel » ; encore moins est-il possible d'opposer ceci à cela : l'homme est un.

Il éprouve le besoin de penser comme celui de digérer. Il pense avec son cerveau et digère avec son estomac ; comme il voit avec ses yeux et entend avec ses oreilles. Mais si le cerveau, l'estomac, les yeux et les oreilles, sont les sièges et les organes de fonctions diverses, l'être qui pense est le même que celui qui digère, voit et entend.

Les anticléricaux qui veulent séparer, isoler le « spirituel » du « temporel » tombent, à leur insu, dans le piège que leur tendent les arguties théologiques. Ce sont des religieux qui s'ignorent.

Pour moi qui ai banni de mon esprit toute croyance religieuse et qui, partant, repousse cette idée du « spirituel », idée mystique, qui ne représente rien de réel ; pour moi qui ne sépare pas l'être humain en corps matériel et périssable et en âme immatérielle et impérissable ; pour moi qui, dans ces conditions, ne saurais admettre que l'âme prisonnière, dans le temps, de sa loque mortelle, soit appelée à entrer dans la vie éternelle, dès qu'elle aura cessé d'être captive, le problème de la confusion où de la séparation du « spirituel » et du « temporel » ne se pose même pas.

Mais il se pose pour les simples « mangeurs de curés » et pour les politiciens « de gauche », et je viens d'établir que la séparation qu'ils tentent est impossible, du fait que le croyant est un être soumis à toutes les nécessités naturelles. On peut même concevoir qu'il cesse d'être croyant sans cesser d'être un homme, tandis qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'il cesse d'être un homme sans qu'il cesse, ipso facto, d'être un croyant. En d'autres termes, un homme peut vivre sans croire, mais il ne peut vivre sans boire, manger, dormir, respirer, etc., ce qui fait que, si l'individu peut négliger le « spirituel », il lui est radicalement impossible, quelque part qu'il accorde au spirituel, de négliger le « temporel ».

Le « temporel » peut, à la rigueur, ignorer le « spirituel » et n'en tenir aucun compte, alors que, par contre, le « spirituel » ne peut ignorer le « temporel » et est dans la nécessité d'en faire état.

Lorsque les anticléricaux, se disant respectueux du « spirituel », demandent que le croyant ne mélange pas le « spirituel » et le « temporel », ils demandent donc l'impossible.

S'il est impossible à un croyant, pris individuellement, vécût-il dans la solitude, de séparer pratiquement le « spirituel » du « temporel » il l'est, a fortiori, à l'homme vivant en société, à l'être social.

Ce croyant est plongé dans un milieu social donné ; il Y est comme dans un bain dont il subit la température et les propriétés. Allez-vous lui demander de rester indifférent au froid excessif ou à la chaleur exagérée du liquide ? Croyez-vous que, s'il gèle, il ne tentera pas d'élever la température de son bain et que, s'il cuit, il ne cherchera pas à l'abaisser ?

Pensez-vous que, s'il peut choisir entre un bain de vitriol et un bain d'eau parfumée, il ne préfèrera pas l'eau au vitriol ?

Soyez certain, absolument certain, qu'il mettra tout en œuvre pour que son bain soit d'eau parfumée et non de vitriol, de liquide propre et non sale, de température moyenne et non trop basse ou trop élevée. J'espère que vous n'en pouvez douter.

Eh bien! Sachez, radicaux, francs-maçons, anticléricaux et libres-penseurs de toutes nuances et de tous groupements, que, pour le chrétien je parle du chrétien sincère, convaincu, désintéressé, loyal, du chrétien pour qui la religion n'est une question ni de bonne compagnie, ni d'avancement, ni de boutique, du chrétien qui aime véritablement son Dieu et qui, plutôt que d'abjurer sa foi est prêt à souffrir sachez, dis-je, que, pour ce chrétien, une Société sans Dieu, c'est l'eau sale, c'est le liquide brûlant ou glacial, c'est le vitriol ; sachez que l'eau propre, le liquide à température moyenne et l'eau parfumée, c'est la société chrétienne. Sachez que ce chrétien a le devoir impérieux de tout faire pour que l'eau de son bain se débarrasse de sa crasse et devienne propre, pour que la température cesse d'y être trop élevée ou trop basse et pour que l'eau parfumée remplace le vitriol. Sachez que s'il ne consacrait pas tous ses efforts, toutes ses ressources, tous ses moyens d'actions à obtenir, pour lui et ses frères, ce résultat, il encourrait la damnation éternelle. Sachez que, si sa conscience ne suffisait pas à lui imposer l'étroite obligation de travailler dans ce sens, il y serait poussé par les prédications de ses pasteurs, par les conseils ou menaces de son confesseur, par les journaux qu'il lit, par la propagande qu'il soutient, par le groupe chrétien dont il fait partie, par son entourage et par sa famille.

Rappelez-vous que, de tous temps et en toutes circonstances on ne saurait trop le répéter l'Église s'est mêlée aux événements temporels, que son action a constamment pesé sur les événements dans toute la mesure de ses forces, qu'elle a toujours, secrètement mais passionnément, ambitionné de tenir l'humanité sous son joug, que son histoire : toute de ruses, de mensonges, de manœuvres politiques, de despotisme et de violence atteste qu'elle a sans cesse été animée de l'irréductible volonté de modeler la société à son image et qu'elle a mis au service de ce but toutes les ressources de sa diplomatie, toutes les forces de son organisation et toute la puissance de ses trésors.

Conclusion : Si vous avez la ferme volonté de faire échec aux manœuvres du clergé, si vous êtes résolus à barrer la route aux desseins ambitieux des représentants de la Religion, ne vous bornez pas à combattre le cléricalisme, faites à la religion elle-même une guerre sans merci. Ne vous contentez pas d'être « des mangeurs de curés », attaquez-vous à Dieu lui même ; soyez antireligieux.

Le cléricalisme est un mouvement politique et social mais à base religieuse. C'est cette base qu'il faut saper hardiment et avec persévérance.

SÉBASTIEN FAURE.