COLLABORATIONNISME
n. m.
Action de collaboration intermittente ou permanente pratiquée par un
individu ou groupement à caractère politique ou économique avec un
autre groupement de même nature on de caractère différent, avec un
gouvernement, pour atteindre certains buts sociaux ou réaliser
certaines améliorations immédiate ou rapprochées.
De nos jours, le collaborationnisme ou action de collaboration est
pratiquée, sur le plan politique ou économique par les Syndicalistes et
les socialistes réformistes qui se sont écartés de la doctrine du
syndicalisme et du socialisme révolutionnaires, pour “aménager” la
société présente au sein de laquelle ils prétendent faire entrer, par
la réforme, le syndicalisme et le socialisme. Cette tendance, œuvre en
accord avec les capitalistes démocrates. Il y a également une autre
tendance du collaborationnisme : celle qui travaille en accord avec le
capitalisme conservateur et qui est composée par les Unions
chrétiennes, les Ligues civiques, les Unions Nationales des
Travailleurs qui s’opposent et à la lutte de classe révolutionnaire et
à la collaboration des travailleurs avec les démocrates.
Des deux tendances, la première est infiniment plus redoutable, plus
dangereuse. En effet, si la seconde représente bien l’ennemi, le
capitalisme outrancier, conservateur et rétrograde, ce qui suffit à
éloigner d’une telle action les travailleurs un peu éclairés, il n’en
est pas de même de la première.
C’est encore volontiers que les ouvriers croient à la vertu des
réformes, aux promesses des démocrates. Malgré toutes les trahisons
passées, malgré la multiplicité des promesses jamais réalisées, les
reniements innombrables, les abandons retentissants de leaders
syndicaux ou socialistes passant chaque jour dans le camp bourgeois,
s’installant au pouvoir, devenant, par la suite, des gouvernants pis
que les autres, la classe ouvrière ne s’est pas encore, et il s’en
faut, détachée de cette idée de collaboration avec la bourgeoisie.
Il y a pourtant près de vingt ans, en 1906, à Amiens, que la classe
ouvrière, dans un Congrès retentissant, a affirmé sa maturité sociale
et prononcé son divorce idéologique, politique et économique avec la
bourgeoisie, conservatrice ou démocratique, et toutes les institutions
capitalistes. En même temps que le Congrès d’Amiens, qui eut une énorme
répercussion dans le monde ouvrier international, prenait cette
position de principe, il proclamait que les conquêtes ouvrières et la
transformation axiale ne pouvaient être l’œuvre que de l’action directe
des ouvriers et que l’ordre nouveau devrait reposer exclusivement sur
les producteurs groupés ou associés dans leurs syndicats devenus les
organes de production et de répartition, base de la réorganisation
sociale.
On aurait pu croire qu’après ces affirmations solennelles, le
réformisme, le collaborationnisme étaient morts.
Il n’en fut rien. Bien au contraire, la tendance réformiste gagna sans
cesse du terrain et, aux abords de la guerre, tous les mouvements
syndicaux européens et américains étaient gagnés, dans leur majorité, à
cette tendance dont l’action politico-syndicale s’affirmait chaque jour
dans le sens réformiste.
Depuis 1914, ce ne fut, partout, dans toutes les organisations
centrales, qu’une longue suite de négociations, de contacts, d’actes
qui engageaient sans cesse plus profondément les états-majors syndicaux
et socialistes dans la collaboration avec les dirigeants démocrates, et
quelquefois même, conservateurs d’un pays.
L’échec des grandes grèves qui suivirent la guerre, celui de la
révolution allemande n’eurent pas d’autre cause.
Toute cette action sera, d’ailleurs, examinée avec toute la précision
nécessaire lorsque nous dresserons, ici, l’étude du syndicalisme et du
socialisme.
On peut, néanmoins, dire que les conférences de Leeds, de Londres
pendant la guerre, celle de Washington, après le traité de Versailles,
la participation au Bureau International du Travail, à la Société des
Nations ont imprimé au collaborationnisme un caractère tel que, le
désireraient-ils, ceux qui se sont laisses prendre à ce mirage en
s’engageant dans une voie aussi dangereuse qu’illusoire et
désillusionnante en fin de compte, ne peuvent plus revenir en arrière.
Ils ont tourné le dos pour toujours à la lutte de classe, à l’action
directe, à la révolution.
Détachés du prolétariat, qu’ils trompent encore pour un temps, ils
sont, en fait, et souvent inconsciemment, les agents de la bourgeoisie,
à laquelle ils s’incorporent lentement mais sûrement.
La participation des leaders ouvriers à toutes les commissions
d’études, de réorganisation sociale sur les bases démocratiques,
l’accès sans cesse plus grand dans les Conseils techniques nationaux,
le rôle que les gouvernements leur confient dans les assemblées
délibérantes ou pacifistes nationales ou internationales, interdisent,
désormais, à ces hommes de penser à autre chose qu’à “aménager” la
société présente.
De bonne foi, certains d’entre eux croient la chose possible. Ils se
trompent grossièrement. Il ne peut y avoir ni socialisme, ni
syndicalisme véritables dans le cadre de la société bourgeoise.
Les conquêtes apparentes faites dans cette voie ne sont que des
compromis intervenant entre le socialisme et le syndicalisme
défaillants et le capitalisme faible.
Dès que ce dernier aura repris sa force par l’afflux de sang nouveau
que lui aura infusé la partie de la classe ouvrière qui acceptera de
partager son destin, il retrouvera son arrogance et pratiquera la lutte
de classe avec sa férocité du passé.
Le collaborationnisme ne peut servir qu’à détourner la classe ouvrière
de sa mission naturelle en lui faisant miroiter de prétendues
améliorations qui sont le fruit de ses capitulations et risquent de
rendre impossible l’œuvre de libération humaine.
C’est la plus dangereuse illusion dont le prolétariat fut jamais
victime.
Qu’il s’en détourne comme de la peste ; qu’il rejette loin de lui les
suggestions des sirènes qui veulent capter sa confiance et l’enchaîner
au char doré de son ennemi.
Quelques hommes peuvent y trouver : situation, honneurs, fortune,
considération et satisfactions personnelles ; l’immense majorité, la
presque totalité des ouvriers, n’y trouveront que : mensonges, misères,
duperies, dégoûts, rancœurs et regrets de leur clairvoyance, de leur
action de classe passées.
Ici, nous prononçons contre le collaborationnisme des classes, la
condamnation la plus formelle et la plus définitive.
Nous disons aux travailleurs : « N’attendez rien que de vous-mêmes, et
moins du capitalisme démocratique que de quiconque. Ne comptez que sur
vos efforts, n’attendez rien des interventions compromettantes de vos
leaders réformistes avec les gouvernements, de leurs tractations
louches avec le grand patronat.
» Rompez brutalement avec ces errements qui veulent que votre
ennemi devienne l’artisan de votre salut et interdisez à vos militants
de s’engager dans le pourrissoir patronal et gouvernemental où on leur
promet - et leur donne - sinécures et prébendes, qui les éloignent de
vous, de vos misères et de vos douleurs qu’ils ne comprennent plus,
qu’ils n’entendent plus. »
Pierre Besnard