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COLLECTIVISME n.m. (du latin collectus, réuni, rassemblé)

Dans la lutte contre la propriété, deux écoles sont en opposition. C'est : d'un côté, l'école du Communisme libertaire et de l'autre, l'école du collectivisme ou socialisme autoritaire.

Le collectivisme s'est, en France, depuis 1920, au Congrès socialiste de Tours, divisé en deux fractions : l'une d'elles prétend réaliser le collectivisme par les moyens pacifiques de la réforme et du parlementarisme, et l'autre composée de communistes bolchévistes et se réclamant de la Révolution russe, entend, en provoquant et profitant de la révolte des masses, s'emparer du pouvoir et instaurer la dictature du prolétariat pour matérialiser son programme. Nous ne nous occuperons pas ici des moyens employés par ces deux fractions qui veulent atteindre le même but en empruntant une route différente ; elles sont animées l'une et l'autre par le même esprit politique et économique. Ce qui nous intéresse : c'est de savoir si le collectivisme peut résoudre le problème social, s'il peut libérer du patronat les classes productrices, s'il peut abolir l'exploitation de l'homme par l'homme, et s'il peut assurer à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté.

D'accord avec les anarchistes, les collectivistes reconnaissent que la propriété privée est une source de conflits, de misères, de tyrannie, de spoliation, d'injustices ; mais alors que les Anarchistes considèrent que l'ordre social ne pourra être réformé que par la mise en commun de tous les moyens de production, les collectivistes veulent substituer à la propriété privée la propriété d'État et déclarent que, pour se libérer du patronat et de l'exploitation, les classes laborieuses doivent s'emparer de toute la richesse sociale et la remettre à l'État tout puissant, émanation de la volonté et des aspirations collectives.

Nous ne nous arrêterons pas, pour présenter le collectivisme et en souligner les erreurs, au socialisme original de Saint-Simon, qui pensait que le monde pouvait être rénové par un gouvernement d'hommes probes et sincères, et qui mettait tout son espoir entre les mains de certains dirigeants honnêtes. « Les chefs des prêtres, les chefs des savants, les chefs des industriels, voilà tout le gouvernement » (Saint-Simon). Nous ne croyons pas utile non plus de signaler les essais négatifs de Fourier, avec ses phalanstères et de Owen en Écosse et en Amérique, avec ses coopératives ; le socialisme a évolué avec une telle rapidité ces dernières années, que nous avons des points d'appui beaucoup plus sérieux, et nous pouvons nous éclairer à des expériences concluantes.

Pour atteindre son but, le collectivisme veut transformer en son entier le régime capitaliste, mais il entend cependant maintenir deux institutions de l'ordre actuel : le gouvernement et le salariat.

Le gouvernement serait l'organe de centralisation et de monopolisation de toute la richesse sociale ; il serait le moteur de toute l'activité économique, morale et intellectuelle de la nation ; il serait le pilote entre les mains de qui on abandonne toute la direction de la barque sociale. Un mauvais coup de barre et la barque chavire. L'exemple du passé a suffisamment démontré que le mal ne réside pas spécifiquement dans la propriété privée qui n'est qu'un effet, mais dans l'autorité qui est une cause. En maintenant dans un régime social un gouvernement qui, par essence et par définition, ne peut être qu'autoritaire, le collectivisme retombe fatalement dans les mêmes erreurs politiques et sociales que le démocratisme.

Traçons de suite, pour plus de clarté et aussi brièvement que possible, les attributions d'un gouvernement collectiviste. De nos jours, le rôle d'un gouvernement consiste à défendre et à soutenir les intérêts des classes privilégiées qui détiennent le capital et toute la richesses sociale.

Dam une société collectiviste, les fonctions d'un gouvernement seraient beaucoup plus lourdes et ses pouvoirs plus étendus, puisqu'au nom de la collectivité - tout ayant été étatisé - il serait obligé :

1° D'assurer et de contrôler la production nécessaire à la vie de la nation ;

2° De régler la répartition des vivres et de tous objets indispensables, utiles ou agréables à la collectivité ;

3° De gérer toutes les grandes exploitations agricoles, industrielles ou commerciales ;

4° De s'occuper de tous les grands services publics : gaz, chemins de fer, postes et télégraphes, hôpitaux, hygiène, etc... .

5° D'administrer les banques, les compagnies d'assurances, les spectacles, enfin tout ce qui a trait à la vie de la nation.

En un mot, rien de ce qui intéresse la vie de l'individu et de la collectivité ne devra lui être étranger, et, à condition de travailler pour obtenir un salaire rémunérateur (nous nous occuperons plus loin de cette question), l'individu n'aura plus qu'à se laisser vivre comme en un pays de cocagne. Le gouvernement s'occupera de tout, et l'homme ne sera plus qu'une machine munie d'un appareil digestif.

Avouons qu'il faut posséder une réelle dose de naïveté et d'inconscience pour croire à la réalisation d'un tel programme : mais ne nous laissons pas entraîner par une opposition d'ordre sentimental et examinons si sa réalisation est possible et si elle changera quelque chose à l'ordre social que nous subissons actuellement. Sébastien Faure dans sa « Douleur Universelle » nous dit que « l'idée de Gouvernement renferme de toute nécessité, les deux idées suivantes « Droit et Force ». En effet, on ne peut admettre logiquement qu'un gouvernement puisse accomplir la tâche qui lui est assignée si on ne lui assure pas les moyens de 1'exécuter. Empruntons encore cette démonstration à Sébastien Faure : « Il est impossible de concevoir un système gouvernemental quelconque, sans avoir instantanément l'idée d'une règle de conduite imposée à tous les êtres sur lesquels il étend son pouvoir ; et il n'est pas plus possible d'imaginer cette règle d'action - quelle qu'elle soit du reste : bonne ou mauvaise, juste ou inique, rationnelle ou fausse, indulgente ou sévère - sans songer concurremment à la nécessité de garantir, par tous les moyens possibles, l'observance de cette règle par tous ceux auxquels elle est appliquée. » (Sébastien Faure, (« La Douleur Universelle », p. 200). Et voilà le collectivisme dans l'ornière. Gouvernement veut dire lois ; et les lois ne peuvent se concevoir ainsi que le démontre si clairement Sébastien Faure, sans magistrature, sans répression, sans prisons, sans police, sans parlement, etc, etc .... et, malgré le collectivisme social et humanitaire, nous voici revenus aux douces manifestations des régimes capitalistes.

« Nécessité absolue, pour que règne l'ordre dans la Société » affirment les collectivistes. « La propriété de l'État et la monopolisation soumises au contrôle du gouvernement est un avantage sur la propriété privée. L'autorité gouvernementale en société collectiviste ne s'exerce pas au profit d'une minorité de privilégiés, mais au bénéfice de tous. L'action d'un gouvernement socialiste est une source de bienfaits pour tous et il faut se résigner à l'accepter » ; Voilà ce que dit le collectivisme. Examinons cet argument. Quant aux avantages matériels, ils sont bien difficiles à apercevoir. Le monopole octroyé à l'État aboutit presque toujours au développement du favoritisme, de l'incompétence et de l'arrivisme, vertus qui fleurissent admirablement dans les administrations publiques. « Les responsabilités sont moindres. C'est le règne de l'anonymat. Chacun a son petit intérêt personnel, envisagé sous l'angle le plus immédiat et le plus étroit. Dans cette ruée d'égoïstes féroces, on oublie forcément toutes les considérations utiles à la collectivité et il en résulte de pitoyables conséquences. Nul n'ignore que le gâchis le plus regrettable s'étale dans les administrations gouvernementales, que l'on y gaspille, que l'on y tripote à qui mieux mieux. Sur le terrain de la concurrence, l'État ne peut même pas lutter avec l'industrie privée. Il est battu d'avance. Fabriquant lui-même un produit quelconque, il dépense davantage et fait moins bien que son voisin ». (André Lorulot, Les Théories Anarchistes, page 194.) Ces lignes furent écrites bien avant la guerre de 1914 et bien avant la Révolution russe. Aujourd'hui que le monopole d'État s'exerce sur une grande échelle en Russie, nous avons pour confirmer nos critiques sur le collectivisme, l'expérience de ses essais d'application.

La « Gazette du Commerce », un journal officiel du gouvernement russe, faisait remarquer, dans son numéro du 20 mars 1923, qu'avant la guerre les prix de détail ne dépassaient les prix de fabrique que de 26,6 % en moyenne, alors qu'à l'heure actuelle, avant d'être livrées au public les marchandises passent par la centrale coopérative, l'union du gouvernement, l'union du district et l'union cantonale. Le résultat est le suivant : augmentation sur les prix d'origine de 52,3 %.

Les journaux communistes russes nous offrent d'autres exemples encore sur les résultats de la monopolisation. Le « Troud » du 21 mars 1926 écrivait : « Le défaut capital des coopératives gouvernementales, c'est la cherté des marchandises et leur mauvaise qualité. Le savon, pour ne citer qu'un exemple,est vendu sur le marché 17 kopecks, tandis que les magasins coopératifs le vendent 22 kopecks. Au marché, on peut acheter tout ce dont on a besoin, et pour des prix modiques. Les coopératives n'ont qu'un choix très restreint de marchandises, de mauvaise qualité, et elles les vendent à des prix inabordables. Le beurre est salé, le saucisson congelé et les souliers tombent en morceau à la moindre épreuve. »

Une dernière citation empruntée également à un journal communiste russe, et nous serons définitivement fixés sur les réalisations de l'État industriel et de l'État commerçant : « D'octobre 1925 à février 1926, la rentrée des impôts ordinaires s'est élevée à un milliard 393 millions de roubles. Sur cette somme 562 millions proviennent des chemins de fer et des postes et télégraphes. Si l'on songe que parmi les recettes ne provenant pas de l'impôt, on compte celles que donnent les biens domaniaux (les forêts), il est clair que l'Industrie d'État ne donne à peu près aucun revenu. » (Ekonomitcheskaia-Jizn, 26 mars 1926.)

C'est l'aveu de l'impuissance collectiviste et étatiste et il n'est pas nécessaire d'y ajouter une ligne.

Il serait facile de mettre cette impuissance sur le compte des individus incapables. Le problème est beaucoup plus complexe. L'échec de la monopolisation ne se rattache pas à une question d'hommes ou de compétences, mais bien à la doctrine qui sert de base à tout édifice collectiviste. Les Anarchistes ont raison ; un gouvernement, quel qu'ils soit, ne peut pas assumer la lourde charge de la vie économique d'une puissance, et l'esprit et la pratique du centralisme et de la centralisation produit des effets contraires à ceux que l'on attendait.

D'autre part, le collectivisme affirme que, le capitalisme ayant disparu d'une société socialiste, cette dernière réalisera l'égalité économique de tous les hommes. En société capitaliste, ce qui caractérise le bourgeois, ce n'est pas seulement qu'il détient toute la fortune et la richesse sociale, mais surtout le fait qu'il vit en parasite du travail d'autrui. Nous avons démontré plus haut que l'existence d'un gouvernement exige l'organisation d'un nombre d'institutions s'y rattachant et que tous les individus évoluant dans les cadres gouvernementaux sont autant de parasites qui consomment sans fournir de travail utile.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets il est logique de conclure que le parasitisme sera un des vices de la société collectiviste et que sur ce terrain il n'y aura rien de changé.

Examinons maintenant la situation que le collectivisme réserve aux travailleurs.

« A chacun selon ses œuvres » telle est la formule collectiviste à laquelle les Anarchistes opposent la suivante : « De chacun selon ses forces et à chacun selon ses besoins ».

La formule collectiviste dans sa brièveté renferme tous les éléments de reconstruction de la société capitaliste, et ainsi que le déclare Kropotkine dans sa Conquête du Pain : « Si la Révolution sociale avait le malheur de proclamer ce principe, ce serait enrayer le développement de l'humanité, ce serait abandonner, sans le résoudre, l'immense problème social que les siècles passés nous ont mis sur les bras. » Et Kropotkine conclut : « C'est par ce principe que le salariat a débuté, pour aboutir aux inégalités criantes, à toutes les abominations de la société actuelle, parce que du jour où l'on commença à évaluer, en monnaie, les services rendus - du jour où il fut dit que chacun n'aurait que ce qu'il réussirait à se faire payer pour ses œuvres - toute l'histoire de la société capitaliste (l'État aidant) était écrite d'avance ; elle est renfermée en germe dans ce principe : « Devons-nous donc revenir au point de départ et refaire à nouveau la même évolution ? » Nos théoriciens le veulent ; mais malheureusement c'est impossible : la Révolution, nous l'avons dit, sera communiste ; sinon, noyée dans le sang, elle devra être recommencée. » (P. Kropotkine, La « Conquête du Pain », page 226.)

Ce qui précède serait suffisant pour conclure que le collectivisme fait fausse route, et les collectivistes eux-mêmes sont obligés de reconnaître que le salariat présente de sérieux inconvénients. Car, quelle que soit la forme dont on veuille se servir pour rétribuer le travailleur, que son heure ou sa journée de travail soit représentée par un bon divisible ou par des pièces métalliques ; du fait que l'on prête à ce bon ou à ce métal une valeur d'achat, du moment où cette valeur peut être accumulée et servir au moyen d'échange, c'est la réapparition du capital et avec lui de l'exploitation et de la misère. Mais nos raisons à l'opposition au salariat collectiviste sont multiples. Non seulement les collectivistes admettent la rétribution des travailleurs, mais il classe ces derniers en catégories distinctes, ce qui complique encore sensiblement leur programme. Ils affirment la nécessité d'une échelle de salaires et créent de ce fait une aristocratie ouvrière. En vertu de quelle logique, de quelle loi naturelle ou scientifique, un médecin gagnerait-il plus qu'un mécanicien et un pianiste qu'un cordonnier ? Cela est un mystère auquel les collectivistes ne veulent pas nous initier. En vertu, probablement, de ce vieux préjugé qui prête à l'intellectuel une valeur supérieure à celle du manuel.

En 1871, lors de la Commune, les membres du Conseil touchaient une somme de quinze francs par jour, tandis que les fédérés, qui sur les barricades payaient de leur sang et souvent de leur vie la cause qu'ils défendaient, ne touchaient que trente sous. Les collectivistes veulent ratifier cette vieille inégalité, et nous ne croyons pas qu'il soit utile d'insister davantage pour démontrer que tout l'esprit révolutionnaire condamne une telle conception et une telle pratique d'organisation. Les hommes qui la soutiennent se font sincèrement ou non, consciemment ou inconsciemment, les fossoyeurs de l'égalité et de la fraternité.

Un argument qui a une certaine importance attire cependant notre attention. Les collectivistes consentent à nous accorder que le salaire est un mal ; mais c'est un mal nécessaire, assurent-ils. Sans lui, personne ne voudrait travailler. Il est un stimulant, une récompense, qui obligera chacun à apporter son effort au travail commun et à collaborer au bien-être de la collectivité. Examinons ce sérieux argument, et voyons jusqu'à quel point il mérite d'être retenu. Tout d'abord, soulignons que si cette objection au travail librement consenti vaut pour le collectivisme, il a une valeur semblable pour la bourgeoisie qui peut invoquer la paresse naturelle des travailleurs pour légitimer tous ses méfaits. Le Capital ne manque du reste pas, chaque fois que le prolétariat réclame une augmentation de salaires ou une diminution d'heures de travail, de déclarer que le travailleur ne saurait que faire de ces améliorations, sinon d'en profiter pour boire plus que ne le permet la bienséance. Mais ne nous arrêtons pas à cette ridicule excuse intéressée de la bourgeoisie et poursuivons l'examen des conséquences du salariat et de l'argument invoqué par les collectivistes en sa faveur. Supposons que « le travailleur » refuse de payer son tribut travail à la société collectiviste et qu'en mesure de représailles cette société, en lui fermant les magasins de consommation, refuse de le nourrir ; qu'adviendra-t-il ? Il ne reste plus à ce « réfractaire », pour s'assurer la pitance, d'autre alternative que d'avoir recours à des moyens illégaux, et en particulier : le vol. Nous poussons les choses à l'extrême, et supposons un individu foncièrement paresseux, afin de ne pas affaiblir la thèse soutenue par nos adversaires. Nous ne voulons même pas envisager le cas où un travailleur refuserait - à tort ou à raison - de se soumettre à la loi d'airain de l'État-Patron.

Le vol ? Ce sont tous les rouages des sociétés modernes qui revivent. Le vol ? C'est la loi, c'est la magistrature, c'est la police, c'est la prison, etc., etc, .. et, une fois de plus, il ne nous reste plus qu'à demander anxieusement : qu'y aura-t-il de changé ? En outre, il faudrait démontrer que toute cette organisation du travail qui exigerait l'enrôlement administratif de millions de fonctionnaires arrachés au labeur productif, n'exigerait pas une dépense plus élevée pour la collectivité que le soutien de quelques milliers « de paresseux » systématiquement décidés à ne rien produire. Et le paresseux n'est-il pas inventé simplement pour les besoins d'une mauvaise cause ? Je ne crois pas pouvoirs mieux faire pour réduire à néant l'argumentation collectiviste, que de citer à ce sujet notre vieux P. Kropotkine.

« Quant à la fainéantise de l'immense majorité des travailleurs, il n'y a que des économistes et des philanthropes pour discourir la-dessus. Parlez-en à un industriel intelligent, et il vous dira que si les travailleurs se mettaient seulement dans la tête d'être fainéants, il n'y aurait qu'à fermer les usines ; car aucune mesure de sévérité, aucun système d'espionnage n'y pourraient rien. »

« Ainsi quand on parle de fainéantise possible, il faut bien comprendre qu'il s'agit d'une minorité, d'une infime minorité dans la société. Et avant de légiférer contre cette minorité, ne serait-il pas urgent d'en connaître l'origine. »

« Très souvent le paresseux n'est qu'un homme auquel il répugne de faire, toute sa vie, la dix-huitième partie d'une épingle, ou la centième partie d'une montre, tandis qu'il se sent une exubérance d'énergie qu'il voudrait dépenser ailleurs. Souvent encore, c'est un révolté qui ne peut admettre l'idée que toute sa vie il restera cloué à son établi, travaillant pour procurer mille jouissances à son patron, tandis qu'il se sait beaucoup moins bête que lui et qu'il n'a d'autres torts que celui d'être né dans un taudis au lieu de venir au monde dans un château. »

« Enfin, bon nombre de « paresseux » ne connaissent pas le métier par lequel ils sont forcés de gagner leur vie. Au contraire, celui qui, dès sa jeunesse, a appris à bien toucher du piano, à bien manier le rabot, le ciseau, le pinceau ou la lime, de manière à sentir que ce qu'il fait est beau, n'abandonnera jamais le piano, le ciseau ou la lime. Il trouvera un plaisir dans son travail, qui ne le fatiguera pas, tant qu'il ne sera pas surmené. » Et après cette démonstration claire et précise, Kropotkine conclut : « Supprimez seulement les causes qui font le paresseux, et croyez qu'il ne restera guère d'individus haïssant réellement le travail, et surtout le travail volontaire, que besoin point ne sera d'un arsenal de lois pour statuer sur leur compte. »

Ainsi s'effondre, avant la lettre pourrait-on dire, le collectivisme. « Pour transformer la propriété privée et morcelée, objet du travail individuel, en propriété capitaliste, il a naturellement fallu plus de temps, d'efforts et de peines que n'en exigera la transformation en propriété sociale de la propriété capitaliste qui, de fait, repose déjà sur un mode de production collectif » déclare K. Marx dans son Capital. Cette affirmation est toute gratuite. En tous cas, on connaît les difficultés de la bataille sociale ; aucun travailleur n'ignore au prix de quels sacrifices il peut obtenir certains avantages dans la lutte quotidienne contre le patronat, et il importe peu de savoir le temps qui doit s'écouler pour arriver à détruire un régime qui a à son actif un tel bilan de crimes sociaux. Ce qui importe, c'est de ne pas travailler en vain ; c'est de ne pas livrer inutilement à une expérience vouée à un échec fatal tout l'avenir de la Révolution.

Avoir travaillé durant des siècles et des siècles à la libération de l'humanité, avoir combattu pendant des générations une forme de société pour voir apparaître sur ses ruines, une autre organisation sociale présentant les mêmes tares, et engendrant les mêmes erreurs, ce serait admettre que tout est un éternel recommencement, que le bonheur de l'humanité est une utopie.

Et pour terminer, empruntons une dernière fois cette conclusion « Au Salariat collectiviste » de P. Kropotkine : 

« Il n'en sera pas ainsi. Car le jour où les vieilles institutions crouleront sous la hache des prolétaires, on entendra des voix qui crieront: « Le pain, le gîte et l'aisance pour tous ! » .

Et ces voix seront écoutées, le peuple dira : « Commençons à satisfaire la soif de vie, de gaîté, de liberté que nous n'avons jamais étanchées. Et quand nous aurons tous goûté à ce bonheur, nous nous mettrons à l'œuvre : démolition des derniers vestiges du régime bourgeois, de sa morale, puisée dans les livres de comptabilité, de sa philosophie de « droit et avoir », de ses institutions du tien et du mien. En démolissant, nous édifierons, comme disait Proudhon ; nous édifierons au nom du Communisme et de l'Anarchie. » 

- J. CHAZOFF.