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COMPLOT n. m.

S'entendre en secret avec une ou plusieurs personnes, dans le but de transformer l'organisation sociale ou politique d'un État, de changer brutalement de gouvernement en employant d'autres moyens que ceux autorisés par les lois constitutionnelles, de nuire ou d'attenter à la vie d'un monarque, d'un chef de gouvernement, etc., etc...

D'après Lachatre, le complot est « l'ensemble des voies illégales radicalement suivies pour renverser un gouvernement » ; et Lachatre ajoute: « Quand les conspirateurs réussissent dans leur projet, le crime change de nom, le “complot” devient une révolution; quand ils ne réussissent pas, ils sont punis de mort. Telle est la moralité humaine ».

Le complot est un délit condamné dans tous les États; car, quelles que soient les raisons politiques ou sociales qui animent les comploteurs, c'est généralement contre ceux qui détiennent les pouvoirs ou contre des membres influents et représentatifs qu'il est organisé.

Ce serait une erreur de penser que, du fait que les conspirateurs luttent et complotent contre une forme de gouvernement, ils soient déterminés dans leurs actes par un désir de bien-être collectif. La plupart des complots sont d'essence politique, et ceux qui les organisent ne sont conduits que par l'ambition de prendre le gouvernail de la chose publique et de remplacer au Pouvoir ceux qu'ils en auront chassés par la violence. Tel est le cas pour les complots organisés dans certains pays par les monarchistes pour renverser la République, et vice versa. Il est bien entendu que ces gestes de violence politique ne peuvent en rien intéresser les classes opprimées, sinon que dans la mesure où les troubles occasionnés par le Coup d'État consécutif au complot lui permettent, à la faveur des désordres, de créer un courant d'opinions déterminant non pas un changement de gouvernement, mais une transformation totale de l'ordre social établi.

S'il est des complots qui apeurent particulièrement la bourgeoisie, ce 'sont ceux que l'on prête, à tort ou à raison, aux organisations d'avant-garde. Cela. se conçoit, car si les détenteurs de la richesse sociale savent qu'ils n'ont rien à craindre du changement éventuel de certaines personnalités, dans la direction d'un État, par contre ils sont convaincus qu'une révolution sociale triomphante les dépossédera des privilèges qu'ils détiennent arbitrairement au détriment de la collectivité.

Nous avons vu, et nous voyons encore chaque jour, qu'en Italie, en Espagne, en Pologne, en Bulgarie, etc., etc ... pays continuellement en effervescence, ou les politiciens de toutes couleurs se font une guerre acharnée et complotent à tour de rôle, les uns contre les autres, pour la conquête de l'assiette-au-beurre; la bourgeoisie s'adapte avec une facilité remarquable et accepte d'être gouvernée par n'importe quel aventurier, à condition, cependant, que celui-ci respecte la propriété privée et ne s'attaque pas à la fortune particulière; et, malgré les petits ennuis provoqués par sa quiétude momentanément troublée, elle ne proteste jamais avec vigueur contre les coups d'État et les complots organisés par les hommes issus de sa classe.

Mais, sitôt que l'on signale un « complot » contre le Capitalisme, ou simplement contre un monarque assassin ayant à son actif des centaines et des centaines de crimes, alors une frayeur sans pareille s'empare de tous les petits boutiquiers, des commerçants, des fonctionnaires, des petits rentiers, de toute cette organisation occulte et bassement égoïste, qui est la puissance formidable sur laquelle spécule l'association de malfaiteurs que l'on nomme « Gouvernement ». Il n'est pas de châtiments assez cruels que l'on ne réclame pour se venger de la terreur que l'on a éprouvée, et ce n'est que lorsque les comploteurs ont été mis dans l'impossibilité de « nuire » que la petite bourgeoisie, conservatrice et réactionnaire, reprend le cours normal de sa vie.

Pourtant, dans les pays où la liberté la plus élémentaires est férocement brimée, où il est impossible aux travailleurs de s'exprimer par l'organe de la presse, où le droit de réunion est interdit, où la dictature règne en maîtresse; partout où tous les autres moyens se sont manifestés inopérants et où il est indispensable que la Révolution vienne, de son souffle énergique et puissant, balayer l'air pour en chasser les miasmes du despotisme, on ne voit pas quels autres procédés que le « complot », signe avant-courreur des révoltes fécondes, peuvent être employés.

La lutte en plein jour, face à face avec l'adversaire, peut encore se concevoir lorsque l'un d'eux use mais n'abuse pas de sa force, et n'écrase pas l'autre par la violence de son autorité. Et puis, la loyauté n'a jamais été le péché du capitalisme; nous savons trop ses mensonges pour nous laisser prendre à son cruel sentimentalisme et réprouver le complot comme n'étant pas digne d'hommes sincères et courageux. Lorsque, poussée dans ses retranchements, tremblante de payer pour les crimes accumulés depuis des siècles et des siècles, la bourgeoisie terrifiée dépasse les bornes, étouffe et réprime outrageusement toute protestation émanant des classes opprimées, seule l'organisation secrète peut être efficace, seul le complot peut réveiller le peuple asservi et lui montrer la route de la libération.

Et c'est ce qui explique que les complots s'organisent surtout dans les pays où d'autres formes de lutte sont absolument impossibles.

D'autre part le complot est une arme dont savent à merveille se servir la bourgeoisie et les classes dirigeantes pour écarter de leur route les hommes trop gênants, et longtemps on se souviendra du complot ourdi par le dictateur italien Mussolini, et dont fut victime le député socialiste Matteotti, qui paya de sa vie sa sincérité et son courage. C'est la loi du Talion, brutale et féroce dans sa simplicité; la bourgeoisie s'est la première servie du « complot », elle en sera victime à son tour. De quoi se plaint-elle?

La France n'est pas le pays du complot, et les actes commis à diverses époques de l'histoire révolutionnaire moderne sont l'œuvre d'individualités courageuses qui surent se sacrifier pour une cause ou pour une idée qu'ils considéraient noble et belle ; mais les divers gouvernements qui se sont succédés depuis une trentaine d'années ont toujours, lorsque leur prestige était menacé ou que les difficultés quotidiennes de la vie faisaient gronder la voie du populaire, cherché à se débarrasser des dirigeants du mouvement révolutionnaire, en les impliquant dans d'imaginaires « « complots contre la sûreté de l'État ».

On se rendra compte des intentions bienveillantes des gouvernants, lorsque l'on saura que les complots politiques, en France, peuvent être punis de la déportation à vie dans une enceinte fortifiée.

Malheureusement .pour nos maîtres, ces genres de délit sont de la compétence de la Cour d'assises, où il faut quand même dans une certaine mesure compter avec les jurés qui ne sont pas des magistrats professionnels au service du gouvernement et qui ne sont pas aveuglés et corrompus par leurs fonctions. Les gouvernants ne furent donc jamais bien heureux dans leurs tentatives. D'autre part, comme ces complots n'ont jamais existé que dans les cerveaux atrophiés de ministres en mal de répression, il faut leur donner un semblant de vie, et c'est la police secrète qui est chargée de fournir les premiers documents indispensables à l'action judiciaire. Or, personne n'ignore l'intelligence et la sagacité de la police; celle-ci ne s'embarrasse pas de préjugés et d'honnêteté sentimentale. Il faut des preuves, des documents. Elle les trouvera, et si elle ne les trouve pas, elle les fabrique; mais elle les fabrique avec une telle grossièreté, qu'à la première analyse, le juge le plus obtus et le plus attaché par ses fonctions à rechercher les sympathies gouvernementales, est obligé d'avouer le faux et de classer l'affaire. C'est ainsi qu'en France se terminent certains complots contre la sûreté de l'État.

Ces supposés complots offrent pourtant certaines satisfactions aux maîtres de l'heure; c'est de tenir emprisonnés pendant des mois et des mois les militants les plus actifs de la classe ouvrière; c'est un résultat appréciable dont se contentent probablement nos gouvernants.

À côté de cette comédie - qui serait plutôt une tragédie - il y a la réaction toujours plus arrogante, il y a les monarchistes qui complotent ouvertement contre l'État républicain. Et la République se tait, ce qui démontre suffisamment que République, Réaction, Monarchie, sont trois têtes sous le même bonnet, et que ces trois têtes n'ont qu'un corps : le Capitalisme. Et pour détruire cet animal tricéphale, lorsqu'il deviendra trop dangereux et qu'il voudra encore rogner sur les libertés acquises par des siècles de privations et de lutte, il n'y aura qu'un moyen pour déchaîner et organiser la révolte des opprimés : « Le complot ». 

- J. CHAZOFF.