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CONTROLE OUVRIER (LE) n. m.

Le contrôle ouvrier (ou plus exactement contrôle syndical de la production), est une action permanente menée par la classe ouvrière, sur le lieu même du travail, pour permettre à celle-ci de se rendre compte, aussi exactement que possible, du fonctionnement intérieur et détaillé des entreprises industrielles et commerciales ou des Exploitations de l’État, pour en tirer le meilleur profit en faveur de l’action multiple du prolétariat.

Par le Contrôle exercé par ses divers organismes, la classe ouvrière peut pénétrer les secrets des fabrications, connaître les moyens d’approvisionnement en matières premières, le coût de ces matières, le prix de revient, l’évaluation des frais généraux, le prix de vente, les bénéfices approximatifs, les formes de l’écoulement du produit fini, la valeur du salaire qui peut être revendiqué, etc...

Les organes du Contrôle sont les sentinelles avancées du prolétariat dans la forteresse capitaliste. Leur puissance doit s’intensifier chaque jour et la poussée qu’ils exercent doit être telle que les œuvres de défense bourgeoise soient attaquées sans cesse plus fortement, plus intelligemment, plus objectivement, afin d’accentuer le recul des forces du capital et l’avance tenace, méthodique et permanente des forces ouvrières.

Ces divers organismes d’action, de pénétration, sont en fait, les embryons des sociétés anonymes ouvrières gérées par les Syndicats, qui remplaceront les Sociétés anonymes capitalistes, gérées par les Conseils d’administration actuels. L’idée du Contrôle ouvrier de la production est déjà ancienne. Elle prit naissance en Allemagne. On en trouve trace dans une proposition que Bebel fit en 1877, au Reichstag, pour demander la création des Chambres industrielles, dont le rôle eût consisté à garantir les intérêts de l’industriel et du travailleur, à transmettre aux autorités des compte rendus et des propositions. Ces organismes, sans contact direct avec les usines, devaient être formés en parties égales de patrons et d’ouvriers. C’était déjà l’idée qui fut reprise un peu partout, pendant la guerre de 1914-1918, par les démocrates de tous les pays. C’est celle que tendent à réaliser les patrons démocrates avec le concours des Syndicats réformistes par la collaboration de classe constante dans tous les domaines.

Ce projet fut complété en 188-86 par Auer qui lui conserva son caractère paritaire. Il se borna à adjoindre aux Chambres du Travail (Arbeitskammeren) qu’il voulait voir fonctionner dans chaque localité importante des Bureaux du travail (Arbeitsämter) dans les districts de 200 à 400.000 habitants et, à la tête de cette hiérarchie sociale, un Bureau d’Empire du Travail (Reichsarbeitsamt).

La Commission plénière du Reichstag repoussa le projet qui ne fut même pas discuté par l’Assemblée. On voit que par sa constitution, il ressemblait déjà beaucoup à cette institution du Traité de Versailles, titre XIII : le Bureau International du Travail.

L’étude du projet marqua un fort temps d’arrêt. Ce n’est qu’après l’abolition des lois d’exceptions bismarckiennes que le problème redevint actuel, lorsque l’ouvrier comprit enfin les liens étroits qui l’unissaient à la production, vers 1890.

De nombreux projets furent déposés de 1890 à 1914, après que l’édit impérial de 1891 eut vaguement promis que ”pour favoriser la paix sociale, entre patrons et ouvriers, on examinerait les moyens de faire collaborer des représentants investis de la confiance des ouvriers au règlement des questions communes”. Cette promesse fut l’objet d’un amendement au code industriel (Gezverbeordnungsnovelle 1891), qui obligeait les patrons à afficher dans leurs usines un règlement de travail (Arbeitsordung) et qui prévoyait la création de Comités ouvriers permanents, chargés d’en surveiller l’application.

Toutefois, les pouvoirs de ces Comités ouvriers étaient en fait, très limités. Ils n’étaient d’ailleurs pas obligatoires. La loi de 1891 faisait de ces Conseils des organes facultatifs, qu’elle se garda bien de reconnaître comme la représentation accréditée du prolétariat dans l’usine.

Malgré tout, l’idée fit son chemin. Les Comités se multiplièrent rapidement, malgré la mauvaise volonté du patronat et l’opposition du gouvernement. En 1891, en application du programme d’Erfurt, un nouveau projet social-démocrate fut déposé. Les syndicats chrétiens, fondés en 1894, prirent, eux aussi, position. Leur porte parole, le député du centre Hitze, demanda qu’à côté des Chambres patronales de commerce, d’industrie et d’agriculture, des Chambres ouvrières de même nature fussent créées. Il proposa en outre que les Comités d’ouvriers constitués en 1891 fussent déclarés obligatoires. A plusieurs reprises, en 1895 et 1898, il renouvela son intervention, mais sans succès. Puis les social-démocrates reprirent la bataille. En 1898-99, Pachnieke et Rosicke demandèrent à nouveau la création d’un Bureau d’Empire du Travail.

Les nationaux-libéraux eux-mêmes, protecteurs attitrés de la grande industrie, qui sentaient tout ce que portait en puissance cette institution des Comités ouvriers, cherchèrent à canaliser, par voie de légalisation appropriée, la force qui se dégageait et devenait chaque jour plus menaçante en raison du caractère de lutte sociale qu’ils voyaient déjà se dessiner.

Leur chef, Bassermann, soutint un projet qui étendait la compétence des tribunaux industriels (Gewerbegerichte) et qui leur rattachait les Chambres du Travail, où seraient admis les délégués des ouvriers.

La loi prussienne sur l’industrie minière, du 14 juillet 1905, bien qu’elle les maintînt dans un rôle restreint, décréta que les Comités d’ouvriers seraient obligatoires. Les délégués à ces Comités étaient élus dans toutes les entreprises comptant au moins 100 membres, afin de formuler les revendications, de surveiller l’application des règlements du travail, et le fonctionnement des institutions de prévoyance. Ils nommaient des délégués spéciaux (Sie erheiitsmiauner) également élus par les ouvriers, qui étaient chargés de l’inspection régulière de la mine. Il en fut d’ailleurs de même en France, pour ces délégués.

En 1905, les syndicats libres socialistes, décidèrent d’élargir le débat. Les Comités formés dans les mines et les autres industries n’avaient que des attributions limitées. Tout un ensemble de questions générales du travail leur échappait par trop.

Les forces s’éparpillaient au lieu de se concentrer.

Les Comités, sans, liaison entre eux, devenaient esclaves de l’esprit local qui les divisait et risquait de les opposer les uns aux autres.

C’est alors que les syndicats reprirent à leur compte les anciens plans de la social démocratie et voulurent confier à des Chambres syndicales la représentation légale de la classe ouvrière et le soin d’ordonner et de centraliser les problèmes du travail.

Mais ils modifièrent radicalement les projets d’autrefois, en abandonnant au Congrès de Cologne (1905) le principe des Chambres mixtes. Sur la proposition d’Otto Hue, ils décidèrent de réclamer des représentations purement ouvrières, analogues aux Chambres de commerce patronales.

Les syndicats et le parti social-démocrate soutinrent ce projet pendant trois années. En 1908, le gouvernement d’Empire se résolut à élaborer un projet qui était loin de donner satisfaction aux ouvriers. Ce projet erra de commission en commission, tour à tour amendé et rejeté par le gouvernement et les partis. Il fut définitivement abandonné en 1911. Aucun effort ne fut tenté pour le réaliser jusqu’en 1914, au moment du déclenchement de la guerre.

Les seules représentations légales qui existaient à ce moment étaient les Comités prévus par le code industriel de 1891 et la loi minière de 1895.

En somme, les industriels avaient, avec le concours du gouvernement, habilement détourné de leur but les Conseils d’Entreprises dont ils sentaient déjà toute l’importance.

Non seulement ils rejetèrent ainsi les Comités exclusivement ouvriers, mais ils refusèrent de laisser former les Comités paritaires qui leur apparaissaient comme une étape à laquelle ne s’arrêteraient pas longtemps les ouvriers allemands.

En raison de la durée de la guerre, pour obtenir un rendement intensif et se concilier les bonnes grâces des états-majors ouvriers, dont la puissance devenait considérable, le gouvernement impérial, sous la pression de la social-démocratie, jugea indispensable de donner au prolétariat de l’industrie, des satisfactions plus précises.

C’est ainsi, lorsque le gouvernement mobilisa toute la main d’œuvre civile, qu’il unit à ses exigences, des concessions qui furent, cette fois-ci, bien accueillies par les syndicats.

La loi du 5 décembre 1916 institua en effet les Comités ouvriers obligatoires dans toute entreprise comptant plus de cinquante personnes. Les employés obtinrent une représentation analogue (Angestellienausschüsse). Les attributions conférées par le code de 1891 furent élargies et étendues, notamment à la règlementation des salaires.

La guerre persistant, le gouvernement, toujours conseillé par les social-démocrates, décida de calmer les inquiétudes des travailleurs en élargissant la loi de 1916, c’était en 1917. En 1918, la grande grève des métallurgistes de Berlin obligea le gouvernement à hâter le dépôt du projet qui fut soumis au Reichstag le 4 mai 1918 par le Comte Hertling. La déception fut grande. En effet, étaient exclus de ce projet : les ouvriers agricoles, les ouvriers et employés d’État. En fait, on avait compartimenté les ouvriers pour les dresser les uns contre les autres.

La Commission du Reichstag amenda ce projet qui ne fut pas voté. La révolution survenant le rendit inutile.

La période des tâtonnements ouvriers, des essais de constitution d’organismes paritaires en vue d’assurer la collaboration permanente des classes était terminée en Allemagne.

Telle est l’origine des Comités d’ouvriers et des Conseils d’usine. En France, en 1916-18 des Comités analogues ont fonctionné sous la direction d’Albert Thomas.

Des centres, tels que Bourges, Decazeville, Saint-Étienne, Paris, secouèrent la tutelle qui leur était imposée. De grands mouvements eurent lieu à cette époque chez les métallurgistes en vue d’appliquer le vrai contrôle ouvrier. Ils allèrent, comme à Decazeville, jusqu’à la prise des instruments de production (mines, hauts fourneaux, laminoirs) qui permirent aux ouvriers de se rendre compte de leur aptitude à organiser et à gérer la production.

L’idée des Conseils ouvriers fera son chemin en dépit de toutes les déviations qu’elle pourra encore subir. En Italie, lors de la prise des usines de Milan et de Turin, les Conseils d’usine et les Comités d’ateliers firent un grand pas. Si ce mouvement n’avait pas été trahi, il n’est pas douteux qu’en 19-21, il eût permis à nos camarades italiens, sinon de triompher, du moins de faire une expérience du plus haut intérêt.

En Russie, les Conseils d’ouvriers jouèrent un rôle de premier plan. Ils furent l’âme de la révolution de novembre 1917. Malheureusement, dans ce pays où le syndicalisme n’existait pas, pour ainsi dire ; ils furent, de même que les syndicats, constitués par le gouvernement, bientôt asservis par ce dernier.

Les scandales auxquels les élections des délégués donnèrent lieu furent innombrables et inimaginables. Le gouvernement n’acceptait les résultats de ces élections qu’autant que ses candidats étaient élus. S’il en était autrement, il annulait purement et simplement les élections, jusqu’à ce qu’il ait satisfaction. Il n’hésitait d’ailleurs pas à déporter ou emprisonner les délégués élus qui ne souscrivaient pas à sa politique de parti.

Aujourd’hui, en Russie, les Comités ouvriers, les Conseils d’usines sont devenus, comme les syndicats, des organes du Pouvoir nouveau. C’est toujours le système de la collaboration et le contrôle ouvrier ne s’exerce pas pour

En Allemagne, les Conseils d’usine ont pris quelque ampleur nouvelle lors de l’occupation de la Ruhr. Les Conseils d’usine de Rhénanie, de Westphalie, notamment, jouèrent un rôle important aux conférences d’Essen et de Francfort, sous la direction du Parti Comité directeur du Parti communiste allemand et de l’Exécutif de l’Internationale Communiste et de l’I.S.R.

La conférence de Chemnitz, après l’échec de l’essai de prise du pouvoir de Saxe, marqua le point culminant de leur action qui prit fin après les tragiques événements de Hambourg et la disparition des gouvernements partiellement ouvriers de Saxe et de Thuringe.

Il faudrait pouvoir étudier complètement toute l’histoire des Conseils d’usine et du Contrôle ouvrier en Allemagne pour arriver à donner l’idée exacte du contrôle ouvrier. Les Rate ou Conseils d’usines ont joué un rôle essentiel au cours de la Révolution de 1918. Les Spartakistes, soutenus par Daümig et Richard Müller avaient lancé le mot d’ordre suivant : Tout le pouvoir aux Räte. Haase et quelques indépendants cherchèrent une formule de transaction et déclarèrent qu’il ne fallait point poser le dilemme : ou bien “Ratasystem ou bien système parlementaire mais, au contraire, chercher à concilier les deux systèmes.

C’est ainsi que le Wollsugsrat ou organe central des Conseils d’usines se vit enlever ses pouvoirs législatifs et exécutifs qui furent confiés au Conseil des six commissaires du Peuple : Ebert, Scheidemann, Landsberg (socialistes majoritaires),Hanse, Ditfmann et Barth (socialistes indépendants).

Un Comité central fut nommé (Zentrahrat). Il eut : autorité sur tous les Conseils d’usines d’Allemagne, mais, en fait, il n’était guère efficient qu’à Berlin où il surveillait les Commissaires du Peuple.

Aussitôt la réunion de Weimar qui vota la nouvelle constitution, eu février 1919, Scheidemann, président du Conseil etLegien déclarèrent les Conseils d’usine superflus. Ils étaient - et on le conçoit - un obstacle à l’exercice du pouvoir de l’État et devaient disparaître. Des luttes violentes eurent lieu, et en février 1918, à. la suite de la grève de Berlin, le gouvernement dut céder. Il fut décidé que les Conseils d’usines auraient existence légale. Cette existence fut confirmée en avril 1918 lorsque Munich était aux mains des Conseils.

C’est alors qu’on commença à discuter sur ce que serait le contrôle ouvrier de la production.

Tandis que Haase louvoyait, Daümig et Müller déclaraient que les Conseils d’usines devraient avoir la maîtrise économique complète, contrôler la production, étudier la socialisation de l’industrie.

Wisel, social-démocrate, s’opposa à cette conception. Il voulait revenir à la collaboration des ouvriers et des patrons et établir le Bureau et le Conseil du Travail que les social-démocrates réclamaient déjà avant la guerre, tout en limitant le rôle des Conseils à une besogne secondaire.

Les syndicalistes comprirent qu’ils avaient été dupés par les politiciens et au Congrès de Nuremberg (4 juillet 1919), ils rédigèrent un code du travail qui déclarait : D’accord avec les syndicats, les Conseils d’entreprise réaliseront la démocratie dans l’usine. Le fondement de cette démocratie est le contrat collectif de travail sanctionné juridiquement et ayant force de loi.

Le Conseil d’entreprise réglait, d’accord avec le patron, l’hygiène, l’assurance, l’emploi des femmes, des enfants, des apprentis, la durée du travail, les salaires, le travail à la tâche, les congés, solutionnait les conflits. Cette résolution de Nuremberg ne fut pas acceptée par l’Assemblée nationale, du moins entièrement. Elle donna naissance à l’article 34, puis 165 de la Constitution définitive qui constituait le Conseil économique d’Empire et instituait obligatoirement les Conseils d’entreprises, les Conseils de districts et le Conseil d’Empire.

C’était un compromis entre l’économie rationnelle ( ?) de Wissel et les projets des syndicats. Le statut réel de ces organismes n’est pas encore complètement fixé et on ne sait encore quel sera le rôle politique et le caractère économique des Conseils d’Entreprises, pas plus qu’on ne conçoit exactement et de quelles façon s’exercera leur action de contrôle. La loi du 4 février qui sanctionne l’existence des Conseils d’Entreprises fixe bien leur statut, mais elle a été tellement remaniée qu’il est, en fait, impossible de déterminer la valeur exacte, politique et économique, de cette institution.

Ce qu’on peut dire, c’est que les Conseils d’Entreprises se sont vus retirer tous les pouvoirs qui faisaient leur force en 1918 et que, comme en Russie, ils ne sont plus que des rouages étatiques, à part quelques-uns qui essaient de réagir sous l’action des syndicalistes anarchistes et des communistes.

Leur réveil, en 1923, fut de courte durée et ils semblent se stabiliser sur le plan démocratique.

En France, l’idée n’a fait que peu de chemin, en dépit de la propagande faite et des projets établis depuis 1920. Les tentatives d’établissement du Contrôle ouvrier, au sens propre du mot ont réellement échoué en présence d’un patronat fortement organisé qui n’a pu être entamé nulle part en raison des divisions ouvrières.

Quelles que soient les difficultés à vaincre, quelque indifférence qu’éprouve encore pour le Contrôle ouvrier un prolétariat qui ne le comprend pas, n’en saisit ni la portée exacte, ni la valeur réelle, il faut cependant réaliser entièrement cette revendication, la plus complète du prolétariat, puisqu’elle va de l’éducation du producteur jusqu’à la gestion des Entreprises.

Il faut d’abord tenter d’en fixer le caractère actuel, d’en déterminer les formes, d’en indiquer les moyens, en formuler les buts et constituer les organismes qui en assureront le fonctionnement.

C’est ce que je vais tenter de faire pour permettre d’œuvrer immédiatement.

Organisation pratique et immédiate du contrôle ouvrier

Pour prévoir par quelles modalités le “Contrôle Ouvrier” peut être institué dans les entreprises, il convient, au préalable, de fixer d’une part le but général du contrôle et, d’autre part, les objectifs immédiats à atteindre.

Il découle des directives du Mouvement Syndical que le contrôle ouvrier doit aboutir à la gestion des entreprises par les travailleurs.

Dans l’atelier, l’organe de contrôle doit donc permettre de constituer la cellule primaire de la nouvelle organisation de la production.

En conséquence, ce contrôle sera établi de façon à permettre aux travailleurs ouvriers, employés, techniciens, de prendre en mains le cas échéant, la gestion de la production.

Mais, dans ce but, une condition préalable est à remplir, c’est d’assurer l’éducation des travailleurs pour les mettre à même de faire face à cette tâche. Le contrôle devra donc, en premier lieu, être constitué pour permettre à la classe des travailleurs de faire son éducation de “ gestionnaire ”.

Le but général du contrôle est double : 1°) Éduquer les salariés, et l’ouvrier en particulier, dans le but de leur faire connaître les rouages de la production ; 2°) Permettre aux travailleurs de prendre en mains, en connaissance de cause, la gestion de la production, quand les circonstances le permettront.

Quels sont, d’autre part, les objectifs immédiats à atteindre par le contrôle ouvrier ?

Ces objectifs doivent tendre à intéresser l’ouvrier au Contrôle, en lui faisant éprouver un intérêt à revendiquer cette institution. Son fonctionnement, par conséquent, permettra de poursuivre en connaissance de cause la réalisation des revendications des travailleurs. Ses avantages résident dans le contrôle par le travailleur, de l’emploi de son travail à tous les points de vue. L’installation du Contrôle permettra, non seulement de revendiquer un salaire normal, mais encore d’acquérir la capacité de gestion.

Ces conditions générales étant fixées, il faut :

1° Déterminer la nature des organes du contrôle ouvrier ; 2° Etablir leur constitution ; 3° Fixer leurs attributions ; 4° Préciser, la coordination des divers organes de contrôle entre eux ; 5° Examiner leurs liens avec l’organisation syndicale d’une part, avec le patronat d’autre part.

1° Organes du contrôle ouvrier

Pour être efficace, tant au point de vue éducatif que pour les buts finaux à atteindre, le contrôle ouvrier doit être institué dans chaque cellule de la production. Par conséquent, chaque atelier doit être “ contrôlé ”, ce qui oblige à créer un organe de contrôle dans chaque service de l’atelier : service technique et service administratif.

Ce contrôle doit-il être institué par atelier constitué ou par fabrication ?

II semble plus rationnel, tant au point de vue de la facilité du contrôle que de l’efficacité de l’éducation pratique des ouvriers, d’établir le contrôle par fabrication. Prenons comme exemple l’atelier mécanique d’une usine de constructions de matériel électrique comprenant : forge, fonderie, atelier mécanique, bobinage, ajustage, montage, peinture.

La question pratique qui se pose est de savoir si, dans chaque atelier, le contrôle s’effectuera globalement pour l’ensemble des fabrications confiées à cet atelier (travail des machines, pointage, comptabilité, prix de revient), chaque contrôleur d’atelier se mettant en liaison avec le contrôleur de l’atelier voisin, pour suivre la marche des diverses fabrications, ou bien si, au contraire, dans l’usine, le contrôle se fera par fabrication.

Par exemple, pour la fabrication de moteurs électriques ; devra-t-on, dans l’atelier mécanique, organiser te contrôle en vue de suivre séparément le travail des pièces de chaque type de moteur confié à cet atelier ; puis garder la liaison avec l’atelier d’où sortent ces pièces et avec l’atelier où elles vont après l’atelier mécanique, ou bien, devra-t-on faire suivre globalement par le contrôleur de l’acier mécanique, l’ensemble des fabrications de cet atelier : moteurs de types divers, etc.., ?

La constitution des organes de contrôle sera différente suivant que l’on adoptera l’un ou l’autre de ces points de vue.

En effet, dans le cas du contrôle général s’appliquant à toutes les fabrications de l’atelier, l’ouvrier qui en sera chargé devra suivre toutes les opérations dans l’atelier : techniques et administratives. Dans les ateliers importants, il lui sera extrêmement difficile, n’étant pas au courant des directives données par le Directeur de l’usine, de démêler l’organisation du travail. De .plus, son temps sera extrêmement absorbé par ce contrôle ; il doublera à la fois le contremaître et le pointeur. Cette situation entraînera la nécessité d’obtenir du patronat l’acceptation de distraire un ouvrier de son travail à titre permanent. Il n’est pas besoin d’insister sur les difficultés de toutes sortes que pourrait entraîner une pareille revendication.

Au contraire, si le contrôle est fait par fabrication, il peut être institué, par atelier, plusieurs contrôleurs qui, tout eneffectuant leur travail, pourront suivre la marche des opérations d’un atelier à l’autre, en liaison avec les contrôleurs de la même fabrication dans les ateliers voisins.

II suffira que les contrôleurs aient connaissance de la distribution du travail dans l’atelier, c’est-à-dire qu’ils soient aidés par les employés chargés de la comptabilité de l’atelier.

Et c’est ici qu’apparaît toute la valeur économique du contrôle par fabrication. Ce contrôle permettra facilement de connaître le prix de revient de la fabrication, clef de la forteresse patronale.

Possesseurs du prix de revient, les travailleurs auront en mains les données du problème des prix. Ils sauront exactement de quelle façon leur travail est “exploité“, ils connaîtront également dans quelles mesures leurs salaires peuvent être modifiés. Enfin, ils pourront asseoir leur instruction économique et acquérir la. notion de “possibilité” qui, parfois, leur fait défaut.

2° Constitution des organes de contrôle

Dans ces conditions, les organes de contrôle seront constitués par un certain nombre de contrôleurs choisis dans chaque atelier et affectés à une fabrication donnée ou, plus exactement, à l’exécution d’une “ commande ”.

Les contrôleurs des divers ateliers affectés à la même fabrication se réuniront pour confronter leurs renseignements.

En conséquence, on peut envisager dans chaque entreprise, la création de l’organisme de contrôle de la façon suivante :

a) Un Comité général du contrôle, composé de 4 à 16 membres, suivant l’importance de l’entreprise, désignés par le Syndicat sur une liste élue par l’Assemblée des ouvriers, des employés et techniciens de l’entreprise. b) Un certain nombre de contrôleurs, désignés par le Comité général, par atelier, pour chaque fabrication ou pour des contrôles spéciaux.

c) Des commissions de détermination des prix de revient, constituées par commande par la réunion des contrôleurs de fabrication de cette commande.

d) Des commissions de “ contrôles spéciaux ”, constituées par des contrôleurs spéciaux (embauchage, débauchage, hygiène, conflit).

e) Des délégués d’atelier nommés par les ouvriers, employés et techniciens des ateliers, délégués effectuant la liaison entre les travailleurs et le Comité général dans l’intervalle des Assemblées générales des Travailleurs de l’Entreprise.

3° Attribution des organes de contrôle

a) Assemblée générale des Travailleurs de l’Entreprise. Cette Assemblée aura pour attribution de désigner les travailleurs parmi lesquels le Syndicat choisira les membres du Comité général du contrôle.

Elle pourra révoquer ces membres dans des conditions à déterminer.

b) Assemblée des travailleurs par atelier. Elle aura pour mission de nommer le ou les délégués d’atelier chargés d’effectuer la liaison entre les travailleurs de l’atelier et le Comité général.

c) Comité général. Il aura tous pouvoirs pour organiser le contrôle, notamment pour nommer les contrôleurs, leur fixer leurs attributions, leur donner toutes les instructions, assurer la liaison et la coordination de leurs fonctions. Ces attributions seraient à préciser dans le détail, une fois le cadre général du présent projet accepté. La Commission technique locale pourra établir un projet d’attributions détaillé pour chaque sorte d’industrie.

Le Comité général assurera la liaison avec le Syndicat pour toutes les questions syndicales et d’organisation générale. A cet effet, il sera, dans l’entreprise, le représentant du Syndicat.

d) Contrôleurs. Ces contrôleurs n’auront qu’une besogne technique fixée par le Comité général. Ils recueilleront les renseignements relatifs à l’organisation du travail, des fabrications, à la comptabilité (prix de revient), matières premières, main-d’œuvre, frais généraux.

Une étude détaillée de ces fonctions pour les divers services des usines et entreprises devrait être faite par la Commission locale d’études, à l’effet d’aboutir à un règlement général applicable aux usines ou entreprises.

e) Commissions de contrôleurs. (Prix de revient). Le nombre des Commissions et leurs attributions sera fixé par le Comité général. Une instruction générale serait à établir, après étude par la Commission, montrant quel serait le rôle de coordination .de ces Commissions, dans un but technique, administratif et économique.

Ces Commissions doivent jouer, vis-à-vis du Comité général (étant lui-même la direction “en puissance” de l’entreprise), le rôle des divers services actuels des entreprises, par rapport à la direction générale.

Dans chaque cas particulier, ces Commissions devront donc être constituées en vue de pouvoir assurer, le cas échéant, la direction des services de l’entreprise ; c’est dans ce but qu’elles doivent connaître exactement, par les contrôleurs qui les composent, la situation technique et économique de chaque fabrication.

Leur tâche principale sera de déterminer le prix de revient de fabrication, sinon dans le détail, tout au moins dans ses éléments principaux : quantité de travail, quantité de matières.

f) Commissions spéciales. Seul, le Comité général peut ; dans chaque cas, déterminer le nombre et les attributions de Commissions, composées de contrôleurs nommés par lui. En principe, ces Commissions auront’ pour attributions : l’embauchage, le débauchage et les conflits.

Il y a lieu d’examiner s’il ne serait pas préférable de choisir les membres de ces Commissions parmi les délégués d’atelier, le choix étant fait par le Comité général.

g) Délégués d’atelier. Le délégué d’atelier aura pour mission la liaison entre les travailleurs de l’atelier et le Comité général, pour toutes les questions concernant l’atelier.

L’Assemblée des délégués sera, en outre, chargée de contrôler le Comité général. Le délégué d’atelier a donc un rôle limité strictement à la liaison avec les travailleurs et au contrôle de l’activité du Comité général, des Commissions de contrôleurs.

4° Coordination des organes de contrôle

Les divers organes de contrôle, dont les attributions ont été énumérées ci-dessus, doivent se pénétrer qu’ils constituent la “ Direction en puissance ” de l’entreprise.

Ils devront, dans leurs rapports, s’inspirer des méthodes de coordination et de liaison des divers services des usines.

Les Comités généraux des entreprises auront donc besoin d’étudier ces méthodes en détail. A cet effet, des conférences leur seront faites dans les centres industriels, par les techniciens qualifiés.

La liaison des organes s’établira automatiquement, par suite de la nécessité de collecter les renseignements puisés par les divers contrôleurs. En outre, des réunions plénières entre les Commissions et le Comité général, permettront de dégager l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise.

5° Liaison avec les organisations syndicales et le patronat

Il a été spécifié que le Comité général sera, dans l’entreprise, le délégué du Syndicat. Cette fonction pourra d’autant mieux s’établir que les membres du Comité général seront choisis par le Syndicat.

Le Syndicat fixera donc la politique générale que doit suivre le Comité.

Dans le cadre actuel, le Comité sera donc dans l’entreprise l’organe d’exécution des décisions du Syndicat ; dans le cadre futur, il sera l’organe d’exécution des décisions de la D. G. E. N. (Direction générale de l’Economie nationale).

En ce qui concerne la liaison avec le patronat, elle sera assurée, pour les questions spéciales à l’entreprise, par le Comité général et, pour toutes les questions intéressant un ensemble d’entreprises, par les organismes syndicaux, discutant toujours de puissance à puissance.

Cette discrimination des attributions sera à faire par la C. G. T., en vue de l’établissement du règlement général du contrôle.

Conclusion

Sur le papier, cette organisation peut paraître complexe. - En pratique, elle sera très simple. Dans une entreprise comptant 500 ouvriers, par exemple, le Comité général pourrait comprendre 5 membres. Dès sa nomination, il s’enquerrait par l’intermédiaire des employés ou des techniciens syndiqués, des commandes en exécution.

Dans chaque atelier, il désignerait un employé et un ouvrier de l’atelier, chargés de suivre dans cet atelier l’exécution de chaque commande, c’est-à-dire qu’il ferait noter le nombre total d’heures de travail affectées à la commande, le nombre de pièces venant d’un autre atelier et les matières premières employées, ainsi que le nombre et la nature des pièces allant à l’atelier suivant. A chaque fin de journée, ces renseignements peuvent être pris sur les livres des pointeurs, dans l’atelier même.

Les contrôleurs de chaque fabrication des divers ateliers se réuniraient périodiquement, désigneraient un secrétaire collectionnant ces renseignements, pour obtenir le prix de revient approximatif. Ce travail exigera peu de temps. Il pourrait être effectué sans difficulté par un ouvrier intelligent, à qui des instructions précises seront données.

L’institution du contrôle permettra de former rapidement des cadres ouvriers, connaissant le fonctionnement administratif de l’entreprise.

Le gros effort à faire est d’assurer l’éducation des Comités généraux, une fois nommés. A cet effet, des tournées de conférences seront instituées pour commenter le règlement à établir.

Enfin, on remarquera qu’il n’est pas question, dans cette organisation du contrôle ouvrier, de réclamer actuellement une part de gestion au bénéfice du Syndicat. Outre que cette part de gestion ne pourrait pas être obtenue du patronat, ce qui vouerait à l’échec le succès de la revendication et en désintéresserait les ouvriers, cette revendication serait le prétexte du refus du contrôle.

En se bornant à la constitution des organes de contrôle, ce qui peut être réalisé en dehors de tout accord passé avec le patronat, on peut exercer pratiquement et effectivement le contrôle de la production indépendamment du patronat.

En cas de résistance patronale - ce qui ne peut manquer de se produire - il y aura, sur ces bases, une belle propagande à organiser.

Ce projet fut exposé au Congrès Confédéral de Lille, en juillet 1921, par le Comité Central des Syndicalistes révolutionnaires français. Bien qu’il ait fait l’objet d’une propagande active, il n’a pas encore été compris et moins encore appliqué. Tel apparaît être le cadre dans lequel les ouvriers devraient s’efforcer d’agir avec méthode et persévérance dans le domaine immédiat.

L’organisation du Contrôle ouvrier qui, par le succès de la Révolution, deviendrait celte du Contrôle de la production serait, on le conçoit, sensiblement différente. Il ne s’agit plus, en effet, de surveiller, de comprendre la gestion capitaliste, mais, pour la classe ouvrière, de gérer elle-même.

Il serait sans doute prétentieux dans les circonstances actuelles, d’en tracer le schéma détaillé. Toutefois, il n’est nullement impossible d’en envisager les bases générales. Il est même nécessaire que cela soit fait, si on ne veut pas laisser au hasard le soin de faire cette besogne et peut-être, hélas ! risquer de compromettre le succès par des improvisations hâtives et désordonnées.

Dès maintenant, la première besogne à accomplir consiste à faire comprendre la valeur exacte du Contrôle, à constituer et à faire agir les organismes de ce Contrôle, qui seront, je le répète, les embryons du Contrôle de la production.

Si toute cette préparation morale et matérielle s’effectue normalement, la classe ouvrière sera à pied d’œuvre pour assumer les responsabilités de la gestion avec succès, le moment venu.

Tout de suite, disons que le Contrôle de la production devra s’exercer sous le contrôle des syndicats. Pourquoi ? parce que seuls les syndicats, force organisée de la Révolution, pourraient, sans déviation, pousser l’activité humaine vers les fins souhaitées. Si ce contrôle leur échappait, ce serait faciliter les entreprises que la contre-révolution ne manquera pas de tenter. Vouloir donner, comme en Allemagne et en Russie, tout le pouvoir aux Conseils d’Usines comprenant une très forte proportion d’inorganisés susceptibles de faire dévier la révolution de sa ligne droite, c’est courir une grave aventure, risquer un gros péril.

Si, en Russie, il y eut accaparement des Conseils d’Usines par le gouvernement, c’est précisément que les syndicats étaient ou inexistants ou pIacés dans la main du gouvernement.

Et puis, lorsqu’il y a plusieurs usines de la même industrie dans une même localité, il doit y avoir coordination dans la production, l’approvisionnement, l’écoulement des produits. Tout cela ne peut être réglé que par le Syndicat d’industrie, centre de coordination des Conseils d’Usines.

Est-ce à dire qu’il faille écarter des Conseils d’Usines les inorganisés, les sans-parti ? Non. Au contraire, la participation des inorganisés à ces Conseils leur fera comprendre la nécessité du groupement, elle en fera des propagandistes de premier ordre pour les syndicats.

J’ai dit, au cours de cet exposé que les Conseils ouvriers devraient remplacer des Conseils d’administration capitalistes actuels. Il faut donc concevoir une organisation qui permette d’atteindre ce but, sans laquelle toute gestion est impossible.

Pour cela, il est nécessaire de prévoir une organisation technique et une forme de gestion capables de jouer le rôle des Conseils capitalistes sur ce plan nouveau.

II semble bien que l’organisation technique doive trouver sa base dans l’atelier et que l’organisme de doive être composé des militants les plus aptes à assurer ce rôle, quelle que soit leur spécialité.

Donc, l’administration de l’usine doit reposer sur deux groupements essentiels les Comités d’Ateliers qui forment le Conseil technique et les Conseils d’Usine spécifiquement chargés de l’organisation générale de l’usine : approvisionnement, production, échange sous la direction d’un Conseil de gestion restreint formé des représentants des Comités d’ateliers et des Conseils d’usines, fonctionnant lui-même suivant les décisions et sous le Contrôle du syndicat d’industrie et de l’Union locale.

Une telle organisation, dont il n’est pas nécessaire de fixer le rôle dans le détail, assurera à l’ordre nouveau un maximum de souplesse et d’efficacité d’action toujours contrôlé, ce qui est indispensable pour qu’on ne s’écarte à aucun moment de la doctrine révolutionnaire pour que les conquêtes du prolétariat soient constantes.

En dehors de ces lignes générales, il est bon de laisser l’initiative particulière s’exercer. C’est de l’expérience cumulatrice que surgira la meilleure forme du Contrôle de la production, l’organisation la plus efficace du travail.

Le Contrôle devra pourtant être rapidement constitué si on veut réduire au minimum le temps d’arrêt de la production et des échanges, facteur essentiel du succès de la Révolution.

En somme, le Contrôle ouvrier aujourd’hui, celui de la production demain, sont les grands problèmes qui doivent être examinés et solutionnés rapidement si le prolétariat veut être en mesure d’assurer lui-même, hors de tous les partis et de leurs gouvernements, le salut des travailleurs.

Insister davantage sur le caractère des efforts à accomplir, m’apparaît inutile.

Pierre Besnard.