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COOPERATION n. f. 

Auprès des révolutionnaires, et même des anarchistes, l'idée de la coopération n'a pas joui de la faveur ni attiré l'attention a laquelle elle a cependant droit par ses origines, qui la rattachent directement aux doctrines socialistes et anarchistes, par son importance pratique en tant que facteur économique actuel ; par les possibilités d'avenir et de reconstruction sociale qu'elle offre.

Cette défiance provient surtout de la prédominance de la mentalité bourgeoise dans les associations coopératives, et du peu d'idéalisme social qui s'y manifeste, faisant place à des préoccupations mercantiles, à l'égoïsme des adhérents et encore plus des dirigeants.

La coopération n'a pas su éviter l'adaptation au mi­ lieu. On en pourrait dire autant du syndicalisme, des partis politiques et même révolutionnaires. Issue du monde ouvrier, elle a dévié du but que lui assignaient ses protagonistes. Comme dit Ch. Gide, dans son livre les Sociétés Coopératives de Consommation, page 24 :

«Le système coopératif n'est pas sorti du cerveau d'un savant où d'un réformateur, mais des entrailles même du peuple», Vérité incontestable. Mais le peuple n'a pas su conserver la direction de ce mouvement, qui lui offre pourtant de magnifiques possibilités pour la lutte présente et pour les fondations de la société de demain.

Le dédain dans lequel les militants tiennent la coopération proviennent aussi d'une différence, essentielle de mentalité : les nécessités de la lutte sociale exigent des tempéraments ardents, dévoués, plus ou moins risque­-tout ; l'organisation d'une coopérative, de quelque forme qu'elle soit, demande d'autres qualités, dont la première est la pondération et la seconde la souplesse.

Les coopératives ont également absorbé, retiré de la lutte, fait des petits bourgeois de bons militants. Reproche justifié, mais qui peut s'appliquer tout aussi bien au milieu social qui se charge d'abattre la combativité des camarades.

La coopération, malgré ses imperfections, ses défauts, ses déviations, n'en reste pas moins une forme d'association ayant son importance, et surtout offrant une base solide à toute idée de reconstruction sociale. Quand le souff1e révolutionnaire, pénétrant là comme ailleurs l'aura débarrassée des éléments malsains qu'elle traîne, elle se présentera comme une forme d'organisation souple et pratique capable d'assurer la production, la circulation et la répartition des produits, tout en laissant la liberté aux membres. Les coopératistes les plus neutres au point de vue social, les Gide, Gaumont, etc., ont dû reconnaître à maintes occasions, l'idéal libertaire qui présidait à la coopération.

La coopération, c'est le régime de la libre association se substituant au régime de la concurrence ou du monopole, base de la société bourgeoise. Des consommateurs ou des producteurs, pour conquérir à la fois le bien-être et l'indépendance économique, s'associent et administrent leurs affaires en dehors de toute tutelle étatiste ou capitaliste, n'est-ce pas là, théoriquement tout au moins, le fondement même de la reconstruction sociale du point de vue anarchiste?

Les protagonistes de la coopération sont les pères spirituels des différentes doctrines sociales. Citons De L'Ange, Lyonnais, qui, pendant la révolution de 89, tenta maints essais; Fourier, avec son familistère, ou coopérative intégrale de production et de consommation confondues; Owen, qui inspira les pionniers de Rochdale; Saint-Simon, avec son coopératisme mystique et religieux, qui dévia avec le positivisme des adeptes d'Auguste Comte ; Buchez, autre mystique coopérateur ; Proudhon, qui lança l'idée et tenta la réalisation de la coopérative de crédit «La banque du peuple» et préconisa les différentes formes de la coopération ; Louis Blanc, avec son coopératisme aidé et contrôlé par l'Etat ; Raiffaisen et Schulze Delitsch qui, en Allemagne, créèrent le mouvement coopératif de crédit.

Le premier socialisme fut tout imprégné le cette idée de la coopération. Mais la résistance ouverte ou déguisée de la bourgeoisie, et l'inexpérience des fondateurs, furent les causes de nombreux échecs: Les événements politiques et révolutionnaires détournèrent ce courant et l'amenèrent, soit vers la politique, soit vers la préparation d'une l'évolution. La coopération continua son chemin, mais avec des éléments bourgeoisants.

La coopération de consommation s'est beaucoup développée ; les sociétés, éparpillées dans tous les pays, se chiffrent par dizaines de milliers, les adhérents par millions, et les affaires par milliards.

Les coopératives de production exigeant des capitaux, de la compétence, une clientèle et surtout une plus haute moralité, ont eu plus de peine à progresser, et leur développement se fait lentement. S'écartant trop de la cause du peuple, donnant trop l'apparence d'un moyen de débrouillage pour quelques-uns plutôt que d'une forme nouvelle de la production, ce qui serait pourtant leur force et leur valeur, elles n'ont pas su créer un mouvement populaire puissant.

Sous une forme atténuée, et plus réalisable actuellement, la coopération de production a eu plus de succès sous les modalités de coopératives de main-d'œuvre, appelées différemment suivant les pays ; commandites en France; ghildes en Allemagne, Autriche ou Angleterre; braccianti en Italie ; artels en Russie, etc...

Cette forme nouvelle de la coopération a peut-être pour elle l'avenir. Elle évite les difficultés de l'association remplaçant le patronat et sujette à prendre les vices de la société bourgeoise, en procurant des privilèges à ses membres au détriment du bien-être général. Elle cadre mieux avec l'idée d'un régime social où des associations autonomes de production, s'administrant à leur guise, auraient pour fonction de satisfaire à tel besoin particulier de la communauté, sans pouvoir spéculer sur leur situation spéciale, ni créer un autre genre de propriété. Harmonisant leurs efforts avec ceux des organes de répartition (coopératives de consommation, logement, instruction, art, etc.), et fondues dans la commune libertaire, la commune de l'avenir, elles peuvent former la base économique de !a société de demain, organisme assez souple pour évoluer rapidement et pacifiquement vers le communisme intégral, suivant l'évolution des mentalités; en tous cas système pratique de reconstruction sociale applicable le jour même de l'expropriation de la bourgeoisie par une révolution triomphante.

La coopération agricole fait aussi beaucoup de progrès. Malheureusement, ce ne sont guère que les petits propriétaires qui l'utilisent, la masse des prolétaires paysans restant en général trop dispersée. De nombreux syndicats agricoles ont été créés et prospèrent. On leur doit surtout la hausse des denrées agricoles. Mais ce principe d'association pour la culture, de la coopérative de village, est plein de promesses pour l'avenir. C'est la forme toute trouvée du travail agricole. Il suffira d'y amener les prolétaires des champs et les petits cultivateurs. L'idée a d'ailleurs pénétré les campagnes, Nos militants n'auront qu'à la développer.

Une autre forme de la coopération est celle du crédit, tant préconisée jadis par Proudhon, très développée aujourd'hui en Allemagne, Suisse, et l'Europe centraIe; fonctionnant en France sous le nom de caisses rurales. Jouissant de la faveur et du soutien pécuniaire des Etats, cette modalité de la coopération a surtout favorisé la petite propriété agricole, la petite industrie, le petit commerce. Elle est peu intéressante à notre point de vue.

Il y a aussi des coopératives de construction (Angleterre, Amérique, etc ... ), mais ce sont plutôt des associations de petits propriétaires ou aspirant à l'être, et le sujet d'exploitations éhontées.

En résumé, un fort courant vers la coopération se développe dans toutes les parties du monde. La coopération s'avère une nouvelle forme sociale se substituant au régime capitaliste, et plus conforme aux besoins et à la mentalité modernes.

S'en désintéresser est une erreur. Ne pas voir les possibilités qu'elle présente est une faute.

Dans le mouvement coopératif, les anarchistes ont une large tâche à accomplir: combattre les politiciens, arrivistes et centralistes , inculquer l'idéal libertaire et faire entrevoir aux adhérents que la société dont ils font partie, s'ils veulent lui garder son indépendance et son idéal, peut-être une des pierres de la fondation de l'édifice social de demain. 

- Georges BASTIEN.