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COOPÉRATISME n. m. 

Tout mouvement qui se développe finit par trouver sa théorie, sa base doctrinale. Quoique née spontanément, de mobiles divers, et s'affiliant plus ou moins directement au fouriérisme, à I'owenisme, au saint-simonisme, et autres doctrines du début de la période socialiste, la coopération a fini par trouver ses théoriciens qui ont naturellement établi les bases d'une organisation sociale idéale sur les coopératives existantes, se développant graduellement, et envahissant progressivement tout le champ social.

Le mouvement coopératif de production agricole, composé surtout de petits propriétaires, n'a guère d'idéal social, cela se conçoit, pas plus que celui des caisses de crédit coopératives.

Longtemps, les coopératives de production se réclamèrent d'un idéal de transformation sociale, mais leur petit nombre et leur peu d'influence ne leur a guère permis de sortir des considérations générales, et de tracer un programme positif d'ensemble.

Du mouvement coopératif de consommation devait sortir la doctrine la plus complète et la plus ambitieuse.

Les ouvrages de Charles Gide et surtout la République coopérative d'E. Poisson, ont donné corps à cette doctrine coopératiste, et, à de peu nombreuses exceptions près, sont aujourd'hui acceptées par le mouvement coopératiste en général.

Ainsi compris, le coopératisme est du plus pur réformisme ; mais, si l'on peut dire, du réformisme d'action directe, et non étatiste ; c'est la substitution pacifique des organismes coopératifs au régime économique bourgeois.

Le coopératisme vise tout d'abord à l'abolition du profit commercial, qui reste aux coopératives, est réparti en partie aux coopérateurs, et l'autre partie sert à constituer un capital social collectif.

Par ce capital social collectif, le coopératisme agrandira son rayon d'action, pénétrant partout, et dans tous les domaines. Après avoir canalisé la consommation, il entreprendra les transports et ensuite la production jusqu'à ce qu'il soit devenu la seule organisation économique existante.

Le capital, réduit à la portion congrue d'un intérêt fixe d'abord, puis éliminé progressivement, grâce à l'accumulation des réserves collectives, deviendra inutile et disparaîtra.

Le coopératisme aura ainsi, éliminé les sources du profit commercial et capitaliste au bénéfice des consommateurs, c'est-à-dire de tous. Une sorte de république coopérative (c'est le nom donné) sera instituée et les citoyens consommateurs associés régiront toute la vie sociale au moyen d'un système démocratique calqué sur le parlementarisme. Tous les producteurs deviendront les salariés de la collectivité, donc leurs propres salariés, donc pas salariés, disent les théoriciens du coopératisme.

Nous savons trop apprécier les méfaits d'un régime démocratique et centraliste pour ne pas dénoncer la phraséologie et le danger d'une telle doctrine, qui n'est que du collectivisme déguisé, où l'État se fait appeler Fédération des coopératives ou tout autre nom. Nous savons que ces salariés de tout le monde resteront des prolétaires exploités, que la hiérarchie avec ses privilèges et ses injustices existera ; que le parasitisme social actuel n'aurait ainsi fait place qu'à une nouvelle caste de dirigeants soi-disant compétents, compétents surtout en la façon d'extorquer les votes des Assemblées.

Si la coopération n'a pas l'influence morale et la puissance transformatrice et émancipatrice qu'elle devrait avoir, elle le doit surtout à cet esprit de centralisme et de démocratie, marque de l'arrivisme qui l'a déjà en partie châtrée de sa force idéaliste.

Un autre exemple, celui de l'Italie avec ses nombreuses, puissantes et actives sociétés coopératives de consommation, production et crédit, doit nous éclairer. La vague fasciste a tout balayé ! La violence des maîtres, en peu de mois, a détruit le résultat de longs et pénibles efforts d'organisation.

En réalité, le coopératisme porte en lui une saine notion d'organisation sociale meilleure, mais il doit se débarrasser des doctrines politiques et centralistes qui l'étouffent ; il doit surtout n'avoir confiance qu'en sa propre force autonome, faire l'appel le plus large aux initiatives locales en leur laissant l'intégrale liberté ; apprendre à ses membres à administrer eux-mêmes leurs affaires et non plus à déléguer le pouvoir à des représentants (toujours la même duperie). Le coopératisme doit aussi comprendre que la transformation graduelle et pacifique n'est point possible, et qu'il lui faudra un jour où l'autre se mettre avec les forces révolutionnaires ou sombrer.

Merveilleux champ d'expériences et école de self-administration, le coopératisme doit surtout tenter de devenir une force d'émancipation, mettant les moyens matériels au service de la libération morale et intellectuelle.

L'homme n'est pas qu'un consommateur, il est aussi un producteur, un artiste, un savant, un amateur de toutes les sensations vitales. Vouloir faire prédominer un des côtés de la vie humaine sur les autres, c'est aboutir à une nouvelle tyrannie déguisée et un nouveau parasitisme. La vérité se trouvera dans une harmonie bien équilibrée des différentes sortes d'associations humaines : production, consommation, art, études, etc... 

GEORGES BASTIEN.