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COOPÉRATIVES (SOCIÉTÉS) DE CONSOMMATION n. f. 

Parmi les différentes formes de la coopération, celle dite de consommation a pris un énorme développement, une ampleur considérable qu'aucune attaque ni événement n'ont pu entraver. La guerre même, la révolution russe, loin d'être une cause de crise du mouvement coopératif de consommation, ont été des stimulants et ont contribué à une prodigieuse extension de ces coopératives.

Alors que la coopération de production piétine sur place ou progresse lentement, que la coopération de crédit ou agricole se restreint à la petite bourgeoisie, celle de consommation marche à pas de géant et conquiert rapidement tous les pays, pénétrant jusque dans les campagnes.

En 1925, l'on compte plus de vingt millions d'adhérents à ces coopératives et le chiffre d'affaires dépasse dix milliards de francs.

Les causes en sont assez simples à saisir.

Tout d'abord, le capital exigé est relativement faible. Avec un capital représentant la valeur de quinze jours de travail de ses membres, une coopérative de consommation peut subsister. Les compétences nécessaires sont également faibles : ordre, méthode, comptabilité, aptitudes commerciales d'ailleurs facilitées dès que la société prend de l'extension, les offres venant se présenter.

Chacun pouvant devenir coopérateur sans effort, le recrutement a été aisé, même dans les tout petits centres.

Mais le grand avantage de la coopérative de consommation est incontestablement d'avoir pris la place de l'intermédiaire, du commerçant. En effet, toute la charge que font peser les privilèges sur la population, peut se situer dans l'exploitation, le prélèvement qui prend cours depuis le moment où l'ouvrier produit la marchandise et celui où le consommateur en prend livraison. Tous les prélèvements capitalistes ou étatistes ont lieu entre ces deux moments. Les profits ainsi prélevés étant énormes, toute association de consom­mateurs se substituant au commerçant a la partie belle. On peut même plutôt s'étonner que les bénéfices réalisés par les consommateurs coopérateurs soient si peu élevés. C'est à un vice d'administration qu'ils le doivent.

Le but de la coopération de consommation est la suppression du bénéfice au profit commercial, et l'établissement du juste prix de vente, c'est-à-dire du prix exact de revient majoré des frais généraux et de transport. Tout prix supérieur à ce total laisse une marge appelée le profit commercial, que les coopératives de consommation veulent supprimer.

Suivant l'exemple et la théorie fournis par les pionniers de Rochdale, tisseurs, qui fondèrent en 1843 une coopérative de consommation, les coopératives vendent à un prix égal ou légèrement inférieur à celui du commerce, mais tous les ans ou tous les six mois, reversent aux coopérateurs le trop perçu, sous le nom de ristourne, boni et, après certains prélèvements pour des œuvres sociales, pour les réserves, amortissements, développements, etc...

Il y a une infinité de nuances sur l'emploi de ce trop-perçu. Certaines coopératives, plus véritablement dénommées ligues d'acheteurs, vendent au strict prix de revient, majoré des frais généraux. Mais elles ne progressent pas, n'ayant point de réserves, étant à la merci des crises économiques.

D'autres, comme en Belgique, soutiennent la politique d'un parti (la coopérative est alors la vache à lait des politiciens). D'autres, comme à Saint-Claude (Jura) laissent tout le trop-perçu pour des œuvres sociales, hygiéniques, éducatives, etc...

Cette question est très controversée, mais la majorité des sociétés distribuent aux coopérateurs une partie des trop-perçus, réservant une fraction pour le développement de la coopération ou pour certaines œuvres sociales.

La constitution de réserves promet aux coopératives de se libérer peu à peu du capital, de former ainsi un capital collectif, inaliénable, sorte de bien de main morte, collective, mais active, qui leur permet d'envisager leur développement, de viser à la production dans des usines leur appartenant, de créer des œuvres d'intérêt général, bref tout un programme social.

Mais, il faut bien le dire, sauf quelques exceptions, les tentatives d'organiser la production ont donné peu de résultats, par suite de causes diverses, dont la plus importante est le maintien du salariat dans les usines coopératives.

Trop exclusives, les coopératives de consommation n'ont su ni voulu résoudre cet important problème du salariat, dans leur propre sein, et se sont heurtées à des grèves de leur personnel, et à des luttes entre le coopératisme et le syndicalisme.

Les théoriciens de la coopérative de consommation ont voulu voir dans ce genre de coopération, la solution à tous les problèmes économiques. Mais l'expérience leur montre que le rôle actuel des coopératives de consommation ne va guère plus loin que celui de commerçant et de commanditaire et client régulier de la production. La coopération de consommation, impuissante à résoudre le problème du salariat, autrement que par des phrases creuses, se rendra compte que ses succès actuels sont dû à sa situation spéciale d'intermédiaire, mais qu'elle devra faire une place à côté d'elle et favoriser les autres modes de la coopération.

Sa valeur sociale au point de vue de l'avenir est plus contestable que celle des autres formes de la coopération, car les capacités commerciales qu'elle forgé sont appelées à disparaître dans une société bien organisée, surtout après une révolution sociale.

Néanmoins, telle qu'elle est, la coopérative de consommation est appelée à jouer un grand rôle, comme agent de répartition, de statistique, de coordination de la circulation et des échanges. Par ses fédérations nationales voire internationales, ses magasins de gros, elle peut devenir l'agent régulateur de toute la circulation économique.

Elle a appris aussi au consommateur ce que le syndicat enseigne au producteur : à tenter de ne plus être exploité, en dénonçant le vol manifeste appelé commerce.

Son influence sociale a déjà été énorme ; elle grandira encore à l'avenir. En s'attaquant aux néfastes intermédiaires, en proclamant la volonté des consommateurs de se défendre envers et contre tous, elle aura contribué considérablement à l'évolution sociale. Dans une société libertaire, son rôle légèrement transformé n'en sera pas moins bienfaisant et incontestable.

- GEORGES BASTIEN.