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CORAN n. m.

Plus exactement: Korañ-lecture. La lecture par excellence. Comme la Bible est le livre sacré des juifs et des chrétiens, le korañ est la lecture sacrée des musulmans.

Le korañ a été écrit, affirme Mahomet (mieux : Mohammed) par Dieu, qui chargea l'ange Gabriel de le révéler par fragments au prophète.

L'histoire de ce livre ne permet pas le silence sur l'histoire de son auteur, dont on a dit trop de mal et trop de bien.

Il est vrai que le korañ est loin d'avoir la valeur littéraire et surtout poétique des livres canoniques des religions de l'Extrême-Orient, ni même de la Bible; tous livres d'ailleurs ayant eu des auteurs multiples. Mais, précisément pour cela, parce que son auteur est unique bien que souvent compilateur, on y relève moins de contradiction, plus d'unité, plus d'ordonnance, osons dire une meilleure administration parce que Mohammed fut un admirable administrateur.

Il fut, de tous les imposteurs religieux, le plus conscient et le plus intelligent. Tous les autres ont été leurs propres dupes, ils ont cru eux-mêmes à leur mission divine. Mohammed, au contraire, a froidement prémédité son œuvre. Il en est resté le maitre et ne s'est jamais laissé saisir par elle. En cela il est unique.

De toute son entreprise, rien ne fut confié au hasard.

Intelligent, instruit, doué d'un sens pratique rare chez un grand ambitieux, il se traça de bonne heure un programme qu'il suivit de point en point jusqu'à s'imposer une retraite de quinze années au bout desquelles il ne fit sa « rentrée » que se prétendant illettré.

Le korañ est un des articles de ce programme.

Mohammed est né à la Mecque en l'an 578 de notre ère, son nom, très répandu chez les Arabes, signifie Mo Hamad, c'est-à-dire: l'homme du pays de Hamad, car on se nomme Mohammed chez les Arabes comme on se nomme Lenormand, Poitevin, Dumaine ou Dumesnil chez les Français. Mais certains commentateurs préfèrent un autre sens très soutenable également : loué, comblé de gloire. Ils prêtent à son père des propos qui indiqueraient qu'il croyait au futur rôle de son enfant.

Mohammed était de famille princière, de la tribu des Coréïshites. Il est incontestablement descendant d'Ismaël, donc d'Abraham, le père des croyants.

Selon la légende arabe, quand Agar et Ismaël furent chassés de la tente paternelle, ils se réfugièrent à La Mecque où, quand il fut homme, Ismaël bâtit le premier temple à la gloire de l'Éternel, 993 ans avant la construction du temple de Jérusalem. Son nom : Caraba, signifie simplement carré et vient de sa forme cubique.

Voici pour l'ascendance ,de Mohammed. Évidemment des légendes font concorder sa naissance avec de prodigieux phénomènes.

L'enfance du futur prophète fut dramatique: il perdit, à l'âge de deux mois, son père qui lui laissait en héritage cinq chameaux et une esclave éthiopienne. Sa mère l'éleva laborieusement et, quand il eût atteint sa sixième année, elle mourut au cours d'un voyage entre Médine et La Mecque. Il fut recueilli par son grand-père Abd-el-Motaleb, mais ce bon vieillard de cent douze ans mourut tôt après. C'est un oncle, frère utérin de son père, qui recueillit l'orphelin. Cet oncle, nommé Abou-Taleb, lui fit donner une solide instruction. Quand l'enfant eut treize ans il l'emmena avec lui dans ses voyages d'affaires en Syrie. La légende prétend qu'un moine de la région de Damas prophétisa que l'enfant était voué aux plus hautes destinées. Il est en tous cas vrai qu'au cours de ce voyage l'enfant avait eu l'occasion de prouver son sens précoce des affaires, sens qui allait se développer et s'affermir. Outre cela il devait hériter de droit de la charge de son père : préfet du temple de La Mecque.

À quatorze ans il combattit dans les rangs de sa tribu que favorisa la chance des armes.

Il devint bientôt l'homme de confiance chargé des affaires lointaines de Kadige, riche commerçante de sa tribu. Pendant le voyage qu'il fit en compagnie d'un serviteur enthousiaste et témoin prédisposé à l'admiration, les merveilles et les miracles adoucirent le parcours. Au retour, Mohammed avait à peine vingt-cinq ans, Kadige, sa riche maîtresse, en avait quarante et l'absence du jeune affairiste lui ayant paru longue, elle comprit qu'elle l'aimait, le lui dit, lui offrit sa main que Mohammed accepta.

Nous aurions tort de tirer des conclusions sévères de cette différence d'âge, il est même très probable que Mohammed aima son épouse jusqu'à l'heure où elle mourut, vingt-cinq ans plus tard, car de son vivant il n'usa pas du droit d'épouser plusieurs autres femmes, droit consacré par les lois et les usages des Arabes bien antérieurement à la fondation de l'Islam.

Mohammed avait son plan, il disposait maintenant d'une grande fortune pour le réaliser. Il se retira dans la solitude, le silence et la méditation durant quinze années. Il avait donc quarante ans, Kadige sa femme, en avait cinquante-cinq quand il se révéla prophète.

Il fut d'une extrême prudence et n'entreprit d'abord que les conversions dont il était sûr : son premier disciple fut son adoratrice naturelle Kadige, puis son cousin Ali, flls d'Abou-'I'aleb qu'il avait à son tour recueilli pendant une famine, puis ses autres proches parents.

Il commença prudemment par raconter une vision où l'ange Gabriel lui serait apparu en lui donnant un message divin à lire. Mais Mohammed avait renié son instruction, il avait embrassé la profession d'illettré et en cela consistait le miracle : cet illettré lisait les messages de Dieu!

Voici le premier verset divin dont l'ange Gabriel lui ordonna la lecture (Koran) :

« Lis, au nom du Dieu créateur.

Il forma l'homme en réunissant les sexes.

Il apprit à l'homme à se servir de la plume;

Lis, au nom du Dieu adorable,

Il mit dans son âme le rayon de la science. »

Et pendant vingt-trois ans le prophète reçut les messages de Dieu par l'ange Gabriel, ils forment cent quatorze chapitres.

Les versets que Mohammed avait lus dans ses extases il les dictait à ses secrétaires qui les inscrivaient sur des feuilles de palmier, sur des peaux et des omoplates de moutons.

Ce trésor divin était enfermé pèle-mêle dans un coffre et les versets étaient fidèlement appris par coeur par les disciples de Mohammed.

C'est seulement après la mort du prophète qu'Aboubecr, disciple et beau-père de Mohammed qui, après la mort de Kadige, avait épousé de toutes jeunes filles, recueillit en un volume les précieuses révélations. Le classement en est naïf: les chapitres viennent par ordre de longueur; les plus longs les premiers.

Le Korañ prouve que Mohammed avait une solide connaissance de l'Ancien et du Nouveau testament (voir l'article Bible) qu'il cite dans certains passages et dont il s'approprie les termes dans d'autres.

Comme la religion de Moïse, la religion de Mohammed est théocratique. Aussi, le culte et le service de la patrie se confondent avec le culte et le service de Dieu, le chef de l'Église est obligatoirement le chef de l'État.

La doctrine koranique se nomme Islam. Selon le D'Pridoux ce mot signifie foi « qui sauve », selon Savary consécration à Dieu. On pourrait trouver d'autres sens encore, car dans islam se trouve le radical salam qui signifie paix.

Les points essentiels de cette doctrine sont : monothéïsme, humilité, prière, jeûne, aumônes, patriotisme, pèlerinage à La Mecque, fatalisme, prédestination, peines éternelles pour les réprouvés, paradis délicieux pour les élus.

L'enfer des Musulmans est simplement calqué sur celui des judéo-chrétiens-catholiques ; mais leur paradis est infiniment plus séduisant, à en juger par ces quelques extraits:

« Chapitre II intitulé : LA VACHE, verset 23. - Ils habiteront des jardins où coulent des fleuves. Lorsqu'ils goûteront des fruits qui y croissent, ils diront : voilà les fruits dont nous nous sommes nourris sur la terre ; mais ils n'en auront que l'apparence. Là ils trouveront des femmes purifiées. Ce Séjour sera leur demeure éternelle. »

Les anciens auteurs arabes, les « pères de I'Église » des musulmans et, parmi eux, Gelaleddin El Hassan, nous apprennent ce qu'il faut entendre par femmes purifiées : qui ne seront point sujettes aux taches naturelles, vierges, à l'oeil noir, stèriles, exemptes de tous besoins sauf de celui d'aimer.

« Chapitre LV. LES MISÉRICORDIEUX. - Ceux qui craignent le jugement posséderont deux jardins...

Dans chacun d'eux jailliront deux fontaines...

Les fruits divers croitront en abondance...

Les hôtes de ce séjour, couchés sur des lits de soie, enrichis d'or, jouiront, au gré de leurs désirs, de tous ces avantages ...

Là seront de jeunes vierges au regard modeste, dont jamais homme ni génie n'a profané la beauté...

Ces vierges aux beaux yeux noirs seront renfermées dans des pavillons superbes...

Des tapis verts et des lits magnifiques... »

« Chapitre LVI. LE JUGEMENT. - Ils seront servis par des enfants doués d'une jeunesse éternelle...

Qui leur présenteront du vin exquis...

Sa vapeur ne leur montera point à la tête et n'obscurcira point leur raison...

Près d'eux seront les houris aux beaux yeux noirs. La blancheur de leur teint égale l'éclat des perles.

Leurs faveurs seront le prix de la vertu...

Leurs épouses resteront vierges...

Elles les aimeront et jouiront de la même jeunesse qu'eux... »

Il est regrettable que l'auteur qui a fait preuve d'une grande psychologie en remplaçant la contemplation de l'Éternel par le joli paradis dont nous ne venons que de donner une toute petite idée, ait introduit dans son ouvrage les violences du coléreux Saint-Paul. Quel dieu monstrueux que celui qui commet cet abominable crime:

« Dieu a imprimé son sceau sur leurs cœurs et leurs oreilles, leurs yeux sont couverts d'un voile et ils sont destinés à la rigueur des supplices. » (La Vache, II, 6.)

C'est ce dieu qui, vingt versets plus loin, ose poser cette question :

« Pourquoi ne croyez-vous pas en Dieu? » (II, 26)

Il est vrai que nous trouvons au IVe chapitre, LES FEMMES, cette délicieuse contradiction :

« Dieu est l'auteur du bien qui t'arrive, Le mal vient de toi. »

Mais il serait enfantin de chicaner sur ces détails; pour envisager le Korañ du même point de vue que nous avons envisagé la Bible, il nous semble plus juste de procéder par comparaison. Nous pouvons donc considérer que la Bible, moins poétique que les livres de l'Extrême-Orient, a plus d'unité; mais en gardant une grande valeur artistique, voire à cause de cette valeur, elle reste marquée du sceau de l'incohérence poétique. Quand nous passons de la lecture de la Bible à celle du Korañ, nous sommes frappés de l'infériorité du style quoique encore fort joli, de l'infériorité poétique, bien que les versets du korañ soient encore fort musicaux.

Mais quelle supériorité dans la solidité de l'ouvrage! Nous avions, avant cela, lu les jolies élucubrations d'une foule de poètes, nous avons maintenant sous les yeux l'ouvrage positif d'un homme qui sait ce qu'il veut et où il va et qui possède le génie affairiste le plus puissant.


Raoul ODIN