Accueil


CORPORATISME n. m.

Esprit particulier qui découle de l'exercice d'une profession déterminée. Le Corporatisme devient souvent même chez certains individus évolués ou qui se prétendent tels, une sorte d'orgueil qui les fait considérer leur profession comme supérieure à toute autre et s'estimer eux-mêmes au-dessus des autres travailleurs.

Cet esprit est une survivance des vieilles corporations d'autrefois. De nos jours, nombreux sont encore les « ouvriers qualifiés », les « compagnons » qui s'imaginent être supérieurs socialement, intellectuellement, aux « manœuvres », aux « ouvriers spécialisés » et cela dans tous les pays.

Le corporatisme n'est autre chose, en somme, que « l'esprit de corps » ouvrier.

De même que l'esprit des corps militaires oppose les uns aux autres fantassins et cavaliers, l'esprit corporatiste oppose, dans les mêmes conditions, les ouvriers aux autres ouvriers.

Le Corporatisme, comme « l'esprit de corps » est savamment entretenu par les gouvernants et les patrons.

Dresser les travailleurs d'une profession contre ceux d'une autre, opposer dans une même profession, les prolétaires exerçant des métiers différents, compartimenter le métier en spécialités dont les éléments travailleurs se jalouseront, c'est la tactique préférée du patronat.

Il faut d'ailleurs reconnaître que, jusqu'à maintenant, elle a presque toujours réussi, en dépit de tous nos efforts pour faire comprendre aux ouvriers que, socialement, ils sont tous égaux, qu'ils sont au même titre, chacun dans leur métier, dans leur profession, indispensables à l'exercice de la vie sociale.

Faire comprendre à tous qu'il n'y a pas de profession privilégiée, que les intérêts généraux de tous les ouvriers sont semblables, voilà le grand but à atteindre, le premier que doit se donner comme objectif constant toute la propagande syndicale et sociale.

Le jour où l'électricien, le maçon, le dessinateur, le vidangeur, le cheminot, le métallurgiste, etc., auront compris cela, le corporatisme, dans ce qu'il a de mauvais, de nuisible, de conservateur, de rétrograde, de déformant, aura vécu, Ce jour-là l'unité morale du prolétariat sera réalisée. Et les barrières corporatives étant brisées, le patronat sera aussitôt, par voie de conséquence, privé de l'un de ses moyens de pression et d'action peut être le plus puissant, le plus efficace.

On peut donc dire que le corporatisme s'oppose, et fortement, à révolution sociale du mouvement ouvrier. Il est assez paradoxal d'ailleurs que des ouvriers, qui se déclarent eux-mêmes syndicalistes révolutionnaires, œuvrent en ce moment, et de toutes leurs forces, pour faire revivre le corporatisme plus intensément que jamais.

Ils devraient s'apercevoir qu'en agissant ainsi, ils fournissent à nouveau au capitalisme une arme qu'avaient émoussée trente années de propagande intelligente et constante.

Le développement du corporatisme, de l'esprit égoïste qui se dégage de sa pratique est néfaste au-delà de tout ce qu'on peut imaginer.

C'est au nom des intérêts corporatistes qu'on défend, dans certaines professions, les fameux us et coutumes qui sont périmés depuis 50 ans, au lieu de chercher à en imposer de nouveaux, en rapport avec la vie actuelle. Cette action est nettement conservatrice et inconcevable.

C'est encore au nom des mêmes intérêts qu'on entreprend, sans coordination, sans liaison, sans consultation préalable, les actions les plus diverses, les plus contradictoires, presque toujours vouées à l'insuccès le plus complet.

Même quand elles réussissent, ces actions n'ont que peu de valeur. Elles ne permettent guère que d'obtenir des résultats partiels, qui exacerbent davantage les rapports entre travailleurs, pour le plus grand bénéfice des employeurs.

C'est de la pratique constante du corporatisme, de la valeur donnée à tel ou tel métier, valeur reconnue et exaltée par les ouvriers qu'est passée dans les mœurs générales, la théorie, confirmée par le fait, de l'inégalité sociale, de l'utilité plus ou moins grande de telle ou telle profession et partant, de la rétribution différente des travailleurs exerçant ces professions. Le Corporatisme a donné naissance à un catalogue social de la valeur de la force travail, établi par les patrons et accepté comme tel par les ouvriers.

Toutes les grèves pour les augmentations de salaires, qui ont pour but de maintenir les principes de la loi d'airain, sans jamais solutionner cette insoluble question sont le résultat du Corporatisme. La survivance du Corporatisme les a rendues inévitables et indispensables.

Alors qu'il s'agit de proclamer l'égale utilité et l'identique rétribution de toutes les fonctions sociales, qu'il convient, dans la société actuelle, de poursuivre l'établissement d'un minimum de salaire régional ou national pour toutes les professions, les ouvriers, faisant inconsciemment le jeu des patrons, luttent pour des augmentations parcellaires, localisées qui les épuisent en efforts stériles et les obligent à des actions constantes dont le bénéfice va toujours aux mercantis, aux logeurs, aux propriétaires, etc..., qui ne manquent jamais, ceux-là, à chaque augmentation partielle des salaires de faire subir à toutes choses une augmentation générale qui frappe, elle, l'ensemble des travailleurs. Et on continue, toujours ainsi, sans changement. On s'agite sans résultat, on perd temps et force dans ce Don Quichottisme au lieu de poursuivre efficacement et sérieusement des conquêtes solides qui assureraient matériellement et moralement une vie meilleure à tous les travailleurs, quelle que soit leur profession.

En dehors de ces arguments péremptoires, dont nul ne peut contester la valeur, il en est d'autres, non moins sérieux, qu'il convient d'examiner et de retenir.

N'est-il pas ridicule, en effet, qu'en notre époque de civilisation industrielle, où tout repose sur l'organisation pratique de l'industrie évoluant sur le plan régional, national et international, on parle encore de corporatisme ?...

Alors que, pour répondre à l'action intelligente des Cartels d'industrie, des Trusts nationaux, des Consortiums internationaux, le Syndicalisme devrait faire tous ses efforts pour modifier son organisation interne, adapter ses organes à leur rôle nouveau, créer ceux qui lui sont nécessaires et n'existent pas, on assiste à ce spectacle d'un mouvement « figé » dans le passé, dont l'action, la propagande conservent des formes désuètes.

Il faudra pourtant, s'il veut vaincre, que le travail s'organise sur le même plan que le Capitalisme.

Aux formations tantôt massives, tantôt alertes et vigoureuses du Capitalisme, le mouvement ouvrier doit opposer des forces organisées aussi scientifiquement.

Hors de là, pas de succès possible. Le Corporatisme, survivance d'un passé vieillot, doit disparaître pour, faire place à une conception plus saine, plus adéquate de nos forces.

Le Corporatisme, conservé par le pré-syndicalisme, ayant servi de gymnastique au syndicalisme bégayant de 1879-84, a fait plus que son temps. Qu'on l'enterre sans De profundis.

Il n'a qu'un bon côté, un seul : Faire aimer à l'ouvrier son métier. Il n'est pas difficile à ce travailleur de conserver cette vertu, de la développer en prévision des nécessités révolutionnaires de demain qui exigeront devant la défection presque certaine d'une partie assez importante de techniciens, des connaissances pratiques et techniques étendues, pour assurer le fonctionnement de l'appareil de la production dans toutes ses sphères.

Qu'on cultive celui-ci, mais qu'on abandonne sans plus tarder celui-là. C'est une nécessité impéneuse.

Pierre BESNARD