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CORRECTION (MAISONS DE) n. f. 

« Établissements dans lesquels on place les enfants pervertis, mauvais ayant ou non commis un délit ― et ayant pour but la rééducation morale de l'enfance », telle est la définition bourgeoise et officielle de ces maisons.

En vérité, il y a loin de cette définition à la réalité et le but recherché n'est jamais atteint car, d'après les statistiques on peut se rendre compte que les 99 % des gosses qui ont séjourné dans les maisons de correction en sortent tout à fait dépravés.

On peut dire, sans s'exposer à être taxé d'exagération, que les maisons de correction sont les plus grands fournisseurs de contingents du bagne, des prisons, de Biribi et de la guillotine.

L'idée de ces établissements revient aux religieux et date de la révocation de l'Édit de Nantes (1685).

Lorsque, sous l'influence des Jésuites, Louis XIV enjoignit aux protestants de se convertir au catholicisme sous peine des galères et de « mort civile », les prêtres s'inquiétèrent tout de suite des enfants de ceux qui ne voudraient pas abjurer leur confession religieuse et une ordonnance royale les autorisa à se saisir des gosses des deux sexes pour « les rééduquer religieusement ». Les premiers temps on enlevait les enfants et on les plaçait dans les couvents pour en faire soit des moines, soit des religieuses. Mais certains de ces fils d'hérétiques ne voulurent point se plier docilement aux ordres de leurs nouveaux confesseurs ; aussi l'Église, par ordonnance royale du 19 mai 1692, fut autorisée à ouvrir des maisons de correction destinées à punir les enfants rebelles et à les ramener par tous les moyens dans la voie du salut.

Par la suite, les prêtres ouvrirent des maisons de filles repenties, destinées à recevoir les jeunes filles arrêtées pour s'être livrées à la débauche. Et puis, enfin, le cercle des maisons de correction fut élargi et l'on confia aux pères de l'Église la tâche de « corriger » les enfants coupables de délits ou de crimes et que leur jeune âge soustrayait à la justice ordinaire.

La révolution de 1789 abolit ces établissements, mais quand Louis XVIII monta sur le trône il rétablit, par une ordonnance datée du 27 janvier 1816, tous les édits royaux de Louis XIV et Louis XV. Mieux, même, il autorisa les bons pères à se saisir des enfants des républicains et de les « rééduquer religieusement ».

Louis-Philippe restreignit le pouvoir des prêtres et ne leur accorda plus que les enfants délictueux ou les filles se livrant à la débauche.

La révolution de 1848 abolit cela, mais Napoléon III rétablit ce privilège. Toutefois, il créa des maisons de correction dépendant directement de l'administration pénitentiaire, dans lesquelles les prêtres et les religieux faisaient office de gardiens. Puis en 1863, un décret plaça les maisons de correction religieuses sous le contrôle du président de la Cour d'appel du ressort.

Enfin, le 14 décembre 1905, à la suite de la loi sur la séparation des églises et de l'État, un décret d'administration publique plaçait toutes les maisons de correction dans les mains de l'administration pénitentiaire.

Il y a actuellement treize maisons de correction en France.

Dix dites colonies d'éducation pénitentiaire pour les garçons : Aniane (Hérault) ; Auberives (Haute-Marne) ; Belle-Isle (Morbihan) ; Les Douaires (Eure) ; Eysses (Lot-et-Garonne) ; Sacuny (à Brignais, Rhône) ; Saint-Hilaire (Vienne) ; Saint-Maurice (Loir-et-Cher) ; Le Val d'Yèvre (Cher) ; Gaillon et trois colonies de préservation pour jeunes filles : Cadillac (Gironde) ; Clermont (Oise) et Doullens (Somme).

Les maisons de Clermont pour les filles et de Gaillon et Eysses pour les garçons, ont un règlement plus rigide, car elles sont des colonies correctionnelles destinées à recevoir les « incorrigibles » des autres maisons.

Ces établissements dépendent du ministère de la Justice et sont administrés tout à fait comme les prisons : à la tête de chacun, sont : un directeur, un gardien­ chef, deux ou trois premiers gardiens et un contrôleur du ministère, chargé « en principe » de veiller aux intérêts des colons mais en réalité qui joue uniquement, comme, du reste, dans les prisons, le rôle de sous-directeur.

En plus des gardiens ordinaires, le Gouvernement adjoint encore un détachement de soldats dont le nombre va de vingt jusqu'à cent vingt (comme à Clermont et à Eysses).

Il doit y avoir en outre, un instituteur, mais dans certaines maisons cela a été jugé superflu et c'est un gardien qui remplit cet office.

Le règlement est très sévère et identique à celui des Maisons Centrales d'adultes. Une discipline des plus féroces doit régner et les enfants sont à la merci des gardiens.

Chaque manquement au règlement équivaut à une punition qui s'aggrave chaque fois. Les colons délinquants sont amenés au « Prétoire », audience que donne le directeur aux gardiens qui ont à se plaindre ou à signaler des contraventions au règlement.

Le gosse comparaît devant le directeur ou, à son défaut, le gardien-chef et ne peut fournir aucune explication. Sitôt que le gardien s'est expliqué, le gosse s'entend condamner à l'une des sanctions prévues par le règlement. Ces sanctions sont ainsi échelonnées :

Pain sec ; allant de quatre à quinze jours (qui peut être renouvelée incessamment) ; pendant tout le temps de sa punition le gosse reçoit chaque jour une ration de pain, et tous les quatre jours une gamelle de bouillon le matin et une gamelle de légumes le soir ;

Cachot ; de huit jours à un mois (en principe, pour toute peine de cachot dépassant un mois, le directeur doit se faire approuver par le ministère, mais on a trouvé le moyen de tourner la difficulté : quand le gosse a fini sa peine d'un mois, on le fait de nouveau comparaître au prétoire où il se voit renouveler sa punition) même régime alimentaire que le pain sec, avec, en plus, la détention dans un cachot sans air et sans lumière ;

Salle de discipline ; de huit jours à un mois et demi. Un des plus terribles supplices que l'on puisse endurer.

La « salle » est une pièce d'à peu près quinze mètres de long sur trois de large. Au milieu est tracée une piste circulaire de 0 m. 40 de largeur. Les gosses doivent marcher sur cette piste au pas cadencé de six heures du matin à huit heures du soir (un quart d'heure de marche alternant avec un quart d'heure de repos) ; les pieds nus dans des sabots sans bride et non appropriés à la pointure (ce qui fait que les punis ont les pieds en sang au bout de la journée). Ils doivent marcher les bras croisés sur la poitrine et touchant le dos de celui qui les précède.

Inutile d'ajouter que tous, indistinctement, sortent de la « salle » pour aller à l'infirmerie.

Mais si le gosse tombe malade avant l'expiration de sa punition, il doit, en sortant de l'infirmerie, retourner à la « salle » pour accomplir la fin de sa peine.

Les fers ; allant de 4 jours à un mois. C'est la peine du cachot avec cette aggravation que le gosse a les pieds enfermés dans des pedottes et les mains dans des menottes. Quelquefois, même, on applique la crapaudine, c'est-à-dire que l'on attache les mains et les pieds derrière le dos et que l'on fait rejoindre l'extrémité de ses membres par une corde solidement serrée. L'enfant doit boire, manger et même faire ses besoins dans cette position. Ce qui fait qu'au bout de deux ou trois jours le gosse, mis dans l'impossibilité de se dévêtir, fait ses besoins dans son pantalon et reste dans ses excréments jusqu'à l'expiration de sa punition.

Enfin, à la colonie d'Eysses, on a ajouté à cela la basse fosse. Cet établissement est un ancien couvent de dominicains et il y a (à titre historique, dit-on) une ancienne oubliette dans laquelle les bons pères devaient plonger les moines hétérodoxes.

On envoie, maintenant, pour une période de un à quatre jours les délinquants trop « terribles ».

Attachés aux pieds et aux mains, les gosses sont descendus au bout d'une corde. L'atmosphère est nocive et, sans air, envahi par l'humidité, le malheureux risque l'asphyxie.

Tous les huit heures il est remonté au bout de la corde et examiné par un docteur qui n'a qu'un seul devoir : déterminer si le gosse peut supporter encore huit heures de supplice.

Il est arrivé que le docteur se trompe... alors à la huitième heure on remonta un cadavre !

Nourriture. La nourriture est à peu près la même qu'en prison ; matin : bouillon ; soir : soupe et légumes (oh ! si peu). Jeudis et dimanches une petite et très mince tranche de matière caoutchouteuse qu'on dénomme viande par euphémisme. Les gosses non punis ont du pain à volonté mais il y en a très peu qui profitent longtemps de cet avantage. Autrement ils ont à peu près la ration que l'on accorde dans les prisons.

Travail. Tout détenu est astreint au travail. Dans les colonies possédant assez de terrain, les gosses sont pour la plupart employés aux travaux agricoles.

Dans les autres et dans les maisons de filles, ils sont alors, comme dans presque toutes les prisons, exploités d'une manière féroce.

Des « entrepreneurs » du dehors ont obtenu la concession des travaux. Les gosses fabriquent un peu de tout pour le bénéfice du concessionnaire. Ils sont alors sous la surveillance non seulement de leurs gardiens mais encore d'un contremaitre civil n'appartenant pas à l'administration et salarié par l'entrepreneur pour « diriger » la production.

Comme de bien entendu, les gosses ne touchent pas un sou de leur labeur sauf de rares exceptions et ils sont « tâchés » ; c'est-à-dire qu'ils doivent accomplir une quantité déterminée de travail. La « tâche » n'est pas conditionnée à la capacité productrice de chaque gosse elle est déterminée arbitrairement par le directeur.

Si le colon est malhabile ou malade et qu'il ne fasse pas la production déterminée, il est alors conduit au prétoire et se voit appliquer pour « défaut de tâche » les mêmes punitions, énumérées plus haut, que pour les infractions au règlement.

Comme on peut s'en rendre compte par la description ci-dessus, les enfants sont traités aussi durement (quelquefois davantage) que les adultes.

Des faits scandaleux se sont produits, des gosses ont été torturés et même assassinés dans ces maisons des enquêtes furent faites depuis 1905 par des hommes de différentes tendances et toutes ont dévoilé des faits horrifiants. Mais nous ne les relèverons pas en cette étude. Notre but étant d'étudier l'institution et non les faits ; d'autre part nous ne voulons donner nulle place au sentiment ce qui ne serait pourtant pas hors de propos.

Il y a d'autres sortes de maisons de correction :

Les maisons de préservation, les patronages de l'enfance, les œuvres de relèvement moral et les patronages religieux.

Les maisons de préservation peuvent être divisées en deux catégories : les prisons et maisons d'enfants. Elles ne sont point destinées à recevoir des enfants délictueux. C'est seulement à la demande des parents que les enfants sont détenus dans ces établissements. Quand des parents ne sont pas contents ou veulent pour de motifs mesquins se débarrasser de leurs enfants, ils vont au commissariat de police et, moyennant un versement de tant par jour (les sommes varient suivant la richesse des parents) ils font appréhender leurs gosses qui sont mis dans ces maisons jusqu'à ce que les parents les réclament ou cessent de payer la redevance. Dans le deuxième cas, si les parents déclarent se désintéresser de leur progéniture (il se trouve, hélas ! des pères et des mères assez dénaturés pour faire cela), les gosses sont placés dans les patronages.

Patronages religieux. Les prêtres, ces gens qui, à leurs dires, prêchent la loi d'amour, jouent un rôle prépondérant dans la répression de l'enfance.

À côté de leurs maisons de correction, ils avaient imaginé une combinaison très lucrative.

Quand un enfant échappé de ses parents était arrêté en état dit de « vagabondage » les prêtres demandaient au magistrat de leur confier l'enfant jusqu'à sa majorité, soi-disant pour lui apprendre un métier et pour le relever moralement. Et ils avaient monté de vastes établissements agricoles, en province, dans lesquelles ils exploitaient d'une façon atroce les petits malheureux qui leur étaient imprudemment confiés. Des scandales éclatèrent qui firent fermer bon nombre d'établissements, et depuis 1905 l'État ne leur confie plus de gosses. Alors ils trouvèrent autre chose, ils allèrent chez les parents pauvres et chargés de marmaille ou bien chez ceux qui étaient mécontents de leur enfant et ils leur demandèrent des gosses. Les garçons sont pour la plupart employés à l'agriculture, les filles dans les ouvroirs, et ce, jusqu'à leur majorité. La vie y est aussi infernale que dans les maisons de correction de l'État.

Patronages de l'enfance. Ceux-là sont l'invention de grands « philanthropes ». Au fur et à mesure que les scandales éclataient dans les patronages religieux, les soi-disant démocrates approfondirent le problème de l'enfance. Se servant d'appuis politiques, ils ne tardèrent pas à se voir autoriser à monter des œuvres similaires aux patronages cléricaux. Associés, ils créèrent des « œuvres pour le relèvement moral de l'enfance ». Puis une législation fut mise au point, qui créait les tribunaux pour enfants. Alors ce fut et c'est demeuré l'âge d'or pour ces individus.

Tous les délits, contraventions et crimes commis par des mineurs âgés de moins de seize ans (depuis on a étendu à dix-huit ans la limite), sont soumis à la juridiction spéciale du tribunal d'enfants.

Ce tribunal est composé d'un président et de deux juges assesseurs. Un substitut représente le Gouvernement. L'accusé a le droit de se faire défendre par un avocat mais en plus du tribunal correctionnel ordinaire, un sixième personnage entre officiellement en scène. C'est un avocat ou un représentant d'un patronage ou d'une œuvre de relèvement.

Après la plaidoirie et le réquisitoire, ce représentant se lève et demande (ce qui est toujours accordé sauf dans les cas graves) qu'on lui confie l'enfant jusqu'à sa majorité.

Et le tribunal pour enfants de la Seine est même présidé par M. Rollet qui est en même temps fondateur-président d'une œuvre qui porte son nom : le patronage Rollet.

En outre des enfants « confiés » par le tribunal, ces patronages acceptent aussi les gosses amenés par les parents.

Une fois l'enfant dans leurs mains, ils le laissent quelque temps dans la « maison mère » où ils font des travaux pour le compte d'entrepreneurs civils. Si l'enfant travaille bien, qu'il est un peu malingre, ils le gardent là jusqu'à sa sortie. Il aura à subir le même régime que dans les maisons de correction de l'État, les mêmes punitions (moins la salle de discipline) et le même traitement alimentaire. Seulement, une fois par mois (s'il est sage) il pourra voir ses parents au parloir. Il gagnera environ quatre ou cinq sous par jour pour un labeur exténuant et malsain.

Autrement il sera placé chez des cultivateurs, dans une bourgade lointaine de province.

Là, il devra travailler dur et, sans souci de ses possibilités physiques, il devra exécuter du petit jour à la tombée de la nuit, les travaux les plus pénibles et les plus répugnants ; il subira toutes les vexations et même les mauvais traitements de maîtres qui n'ont nul besoin de se gêner il y a bien un inspecteur qui passe ou devrait passer tous les ans, mais si le gosse réclame il est considéré comme mauvaise tête et, en fin de compte c'est toujours lui qui aura tort.

Certes il pourra écrire à ses parents, mais le paysan lira les lettres avant de les envoyer.

Naturellement il sera aussi mal, sinon plus, que le sont d'ordinaire les petits valets de ferme.

Il touche un salaire de 100 francs par an, mais dessus il lui est retenu 60 % pour ses vêtements et sa nourriture.

S'il réussit à s'évader et s'il est repris, on l'envoie directement en colonie pénitentiaire quelles que soient les raisons qu'il puisse donner.

Cependant que les patronages touchent une redevance de l'État, plus une redevance du paysan.

Certaines de ces œuvres comme le patronage Julien sont montées par actions et distribuent en fin d'année des dividendes à leurs sociétaires.

Œuvres de relèvement moral de jeunes filles. Ces œuvres fonctionnent à peu près comme les patronages, à cette exception qu'elles ne placent pas chez des particuliers.

Montées de la même façon que les patronages, elles reçoivent leurs contingents des tribunaux d'enfants.

Seulement elles ont encore une « clientèle » spéciale mais ici il faut expliquer une monstruosité de la loi sur la répression de l'enfance.

En principe une jeune fille a le droit de quitter ses parents à quinze ans, à condition qu'elle mène une « existence sans reproche » et qu'elle puisse prouver qu'elle peut vivre de son propre travail.

Il en est toutefois autrement en vertu d'une « loi sur la protection de l'enfance » votée en 1912.

Une jeune fille quitte-t-elle ses parents sans les prévenir et ceux-ci, désolés et inquiets de ne la point voir revenir, vont-ils au commissariat faire part de leurs inquiétudes ? Si la jeune fille est retrouvée, on l'arrête et, sans prévenir les parents, on la fait comparaitre devant le tribunal d'enfants qui la confie à une œuvre de relèvement jusqu'à sa majorité. Les parents protestent-ils ? On leur dit que leur démarche auprès du commissaire a été considérée comme un dépôt de leur enfant. Veulent-ils faire appel du jugement ? qu'ils sont incapables de surveiller « dignement ». Le procureur de la République leur apprendra que ce n'est pas un jugement mais une « décision » qui a été prise par le tribunal et qu'en conséquence leur instance en appel est irrecevable en droit.

J'ai eu, malheureusement, trop de preuves de cela apportées, alors que je faisais une enquête dans le Libertaire, par des parents indignés et désolés, mais impuissants, qui demandaient depuis de longs mois qu'on leur rendit leur fille sans qu'ils pussent obtenir gain de cause.

Les fillettes sont enfermées comme dans les prisons de femmes. Elles travaillent dans la journée dans des ouvroirs, ne gagnent rien ou dix sous par jour, suivant les maisons ; ont le même régime que dans les prisons, tant au point de vue discipline, punitions, hygiène et régime alimentaire. Elles peuvent voir une fois par mois (à condition de ne pas avoir été punies dans le mois) leurs parents au parloir en présence d'une surveillante.

Et, comme pour les patronages, certaines « œuvres de relèvement » sont constituées par actions et distribuent des dividendes annuels.

But recherché par le législateur. Admettons pour un instant la sincérité de ceux qui ont combiné le système des maisons de correction. Quel était le but qu'ils se proposaient d'atteindre ? Quelles sont les raisons données pour le maintien d'un pareil état de choses ?

Voici comment parlent les « protecteurs » de l'enfance :

« Soit par de mauvaises fréquentations, soit par manque de surveillance des parents, soit encore par les mauvais exemples de ceux-ci, il y a des enfants qui commettent des délits, qui, petit à petit se pervertissent et qui ne tarderaient pas, si nous n'y mettions bon ordre, à devenir de dangereux bandits.

La plupart du temps, nous voulons bien l'admettre, l'enfant agit plutôt par inconséquence, mais le vice devient vite une habitude.

Il faut donc soustraire l'enfant qui a des tendances au vice, à l'ambiance dans laquelle il vit.

Il faut le placer dans des lieux où il apprendra la force de la vertu, où il sera rééduqué totalement et d'où il sortira homme sain physiquement et moralement, ayant appris la vertu du Travail.

Au reste, ce ne sont pas des maisons de répression, mais uniquement, comme leur titre l'indique, des maisons de « correction morale » ou si vous aimez mieux, des espèces de sanatoria moraux que nous établissons. Si au début il y a la pénitence, c'est uniquement pour leur faire comprendre qu'ils ont fauté et que toute faute doit avoir sa punition. »

Causes du mal. On pourrait répliquer à ces « bonnes âmes » beaucoup de choses.

Quelles sont, en effet, les causes de la perversion de l'enfance ?

Le mauvais exemple ? eh, oui ! Mais pas celui des parents : celui que leur donne la société par sa composition et son essence même.

Quels sont, pour la presque totalité, les enfants « pervertis » ? Des enfants pauvres, de familles nombreuses.

En effet prenez les statistiques et dénombrez les enfants. 98% sont ou des gosses de familles nombreuses, ou des gosses de veuves, ou de filles-mères, ou des orphelins.

Or, promenez-vous un instant dans les rues des villes. Qu'y voyez-vous ? De grands magasins ayant des étalages somptueux, des maisons d'alimentation aux vitrines emplies de toutes sortes de bonnes choses, des pâtisseries étalant des friandises convoitables, des tailleurs exposant les costumes les plus divers, des cordonniers montrant des chaussures de toutes formes.

Pénétrez maintenant dans la vie des gosses de pauvres. Que remarquez-vous ?

D'abord leurs parents travaillent toute une longue journée pour ne ramener qu'un salaire insuffisant à l'aisance de la famille.

Les gosses mangent rarement à leur faim, ils ont des habits troués et rapiécés, des chaussures lamentables ; ils ne connaissent pas la joie des friandises et d'un bon repas les laissant rassasiés.

Alors comment voudriez-vous que ces gosses privés de tout, livrés à la rue pendant que leurs parents s'échinent à l'atelier comment voudriez-vous qu'ils n'eussent pas un regard d'envie devant toutes les belles choses qu'on met à leur vue dans les devantures ? Comment n'auraient-ils pas envie de connaître des joies en somme toutes naturelles que la misère leur interdit ? Et de l'envie, de la convoitise, comment ne seraient-ils pas tentés de s'approprier un peu de cette joie qui, après tout, leur appartient aussi légitimement qu'aux autres ?

Et si, un jour, la tentation étant trop forte, ils commettent un larcin ; à qui incombera leur faute ? À eux ? À leurs parents ?

Que non, pas ! à la société qui permet qu'il y ait trop d'un côté tandis qu'il y a pénurie et pénurie la plus complète d'autre part.

Mais laissons ce raisonnement logique de côté. Pour un instant ne raisonnons plus en anarchistes ; plaçons-nous du point de vue bourgeois.

Admettons (oh ! uniquement pour la démonstration) que ce ne soit pas la société qui soit coupable que ce soit l'enfant, seul ou avec ses parents, qui doive supporter la responsabilité de cela.

Les gens « comme il faut » appliquent-ils une méthode efficace ?

Méthode appliquée et résultats obtenus. Donc, c'est bien cela, par suite de mauvaises fréquentations, de mauvais exemples ou d'ambiance familiale, l'enfant commence à se pervertir. Il faut donc l'arracher de son mauvais milieu, détruire en lui le mauvais germe et le rééduquer totalement.

Il faudrait logiquement entourer le gosse de personnes saines moralement, instruites et capables, par leur exemple, d'inculquer la vertu du travail à ces jeunes cervelles. Il faudrait considérer les gosses comme des malades moraux et les doter de rééducateurs paternels qui leur fassent comprendre qu'ils ont commis des fautes parce qu'ils ne savaient pas et qu'on ne leur garde pas rancune ; qu'on veut, non pas les punir mais les empêcher de recommencer les mêmes actes en leur apprenant la beauté d'une existence faite de labeur et d'honnêteté. (Je tiens à faire remarquer que ce n'est pas moi, mais le raisonnement bourgeois qui parle ainsi).

Or, comment s'y prend-on pour arriver à ce résultat ? Le personnel employé dans les maisons de correction est loin, très loin de répondre au but recherché. Les surveillants (gardiens et gardiennes) sont pris parmi les paysans pas tout à fait illettrés, mais peu s'en faut, qui, ayant trouvé que le travail de la terre est par trop fatigant ainsi que tout autre travail ont choisi cette place de tout repos qu'est la « fonction » de gardien de prison.

Ont-ils seulement, ces paysans non cultivés, un sens moral suffisant pour leur tâche d'éducateurs ? Non ; pour la plupart pour ne pas dire la totalité ce sont des brutes méchantes et ne cherchant qu'à faire du mal à ceux qui sont sous leurs ordres.

Ils ne voient pas en les colons qu'on leur confie des jeunes êtres égarés qu'il faut ramener dans le bon chemin ils voient en chaque détenu un bandit, une « forte tête » qu'il faut mâter par la terreur et la violence.

L'ambiance d'une maison de correction est-elle une ambiance régénératrice ? Allons donc !

Dans les colonies pénitentiaires, comme dans les patronages, sévissent les mêmes mœurs que dans les centrales, Biribi ou les bagnes. L'onanisme, seul ou à deux, est une règle générale. La sodomie fait aussi de grands ravages. Les grands forcent les petits, les forts obligent les faibles à subir leurs exigences sexuelles et quelquefois, même, les gardiens s'en mêlent.

Les gosses prennent-ils conscience de la beauté d'une vie de travail ? Non !

Ensemble ils se racontent leurs coups, en combinent d'autres pour le jour de leur libération et il est commun de voir des gosses qui seraient devenus de bons et de braves petits gars monter des associations. Quand ils sortent, pour la plupart ils recommencent en grand ce qu'ils n'avaient fait qu'en petit et tels qui auraient fait des hommes courageux, vont inaugurer, dès leur sortie, une vie qui les conduira de prison en prison, quand ce n'est pas au bagne ou à l'échafaud.

Vous avez pris, ô moralistes, des gosses égarés qui pouvaient se reprendre et vous en avez fait de la chair à souffrance, de la chair à prison.

Non seulement votre but n'est pas atteint, mais, au contraire, il est complètement éloigné : vous ne faites que fournir des contingents aux machines à condamner que sont les magistrats.

Conclusion. Même du point de vue bourgeois, la théorie des maisons de correction ne tient pas devant les faits.

Rien ne peut légitimer, à quelque tendance politique qu'on appartienne, la survivance des « bagnes d'enfants ».

Aussi devons-nous nous attacher à dénoncer devant l'opinion publique ce reste de barbarie qu'est l'institution des maisons de correction.

Combattons pour faire supprimer ces lieux où l'on torture l'enfance.

En attendant le jour où nous établirons un milieu social qui, assurant à chaque individu le droit au bonheur, supprimera la misère : cause de tous les vices et de tous les crimes.

Louis LORÉAL