COSMOS
n. m.
Ce mot grec n’entrait dans le latin du moyen-âge et dans les langues
modernes qu’en composition (macrocosme, microcosme, cosmopolite etc.).
Le succès de Cosmos, ouvrage consacré par Alexandre de Humboldt à la
description de l’univers (1847-1851), a fait des doux mots cosmos et
univers des synonymes ou à peu près.
Le penchant unificateur de l’esprit humain rend tendancieux et
anti-pluralistes tous les termes qui servent à désigner l’ensemble des
choses. Le langage ne permet pas plus d’exposer, sans contradiction
apparente, une philosophie pluraliste qu’une doctrine phénoméniste. La
prudente périphrase que je viens d’employer, « l’ensemble des choses »,
chuchote déjà, malgré mon sentiment, je ne sais quelle unité. Univers
aussi. Monde etcosmos affirment, en outre, que l’univers est ordonné
selon un plan.
Cosmos, chez les premiers grecs, n’avait d’autre sens que celui d’ordre
ou arrangement. Ce sont les pythagoriciens qui commencèrent à désigner
ainsi l’univers ; ils voulaient que leur seule façon de le nommer fut
déjà éblouissement d’adoration devant l’ordre et l’harmonie qui leur
paraissait éclater en lui.
Le succès du pythagorisme dans la grande Grèce le fit pénétrer de bonne
heure à Rome. Mundus ne signifiait d’abord, lui non plus qu’ornement et
arrangement. Dès Ennius et Plaute il devint le nom le plus fréquent,
comme le plus glorieux et le plus pieux, de l’univers.
Lorsque Socrate se dit « citoyen non d’Athènes, mais du Cosmos », il
veut se déclarer le frère de tous les hommes, hellènes et barbares ; et
il se glorifie de faire partie de la totale organisation. La première
intention est certaine ; la seconde, fort probable, puisque Diogène
répétant qu’il est « citoyen du Cosmos » ajoute : « Et je ne connais
qu’un gouvernement digne d’admiration, le gouvernement du Cosmos. » Les
stoïciens proclament aussi leur admiration pour « la cité de Zeus »...
Sommes-nous bien loin de la « cité de Dieu » de Saint Augustin ?
Oui et non. Pour le stoïcien, la cité de Zeus est le monde actuel ;
pour le chrétien, la cité de Dieu est un monde futur, ciel ou
millénarisme théocratique. En outre, pour le chrétien, l’œuvre suppose
un ouvrier personnel. Le stoïcien n’adore pas un Dieu sage qui aurait
créé ou ordonné le monde ; mais il croit qu’une sagesse abstraite, une
loi, le gouverne et le rythme.
Le chrétien affirme en dehors de l’expérience et compense le mal réel
par un bien chimérique ; le stoïcien, plus hardi, nie le mal et affirme
contre l’expérience.
Tout dans l’univers est mouvement aveugle, mort et renaissance.
L’équilibre apparent y est comme on dit statique : fait de
chancellements et de luttes qui se compensent ou à peu près. Des
étoiles s’éteignent puis se rallument au choc d’autres astres éteints.
L’attraction jette des masses incandescentes vers d’autres incendies.
La répulsion lance à toute vitesse dans l’étendue des planètes brisées,
ruines et débris. Il n’y a pas de pensée même abstraite, dans ce
désordre. Le prétendu Cosmos est un chaos.
Il n’y a pas sagesse dans l’effarant gaspillage de germes auquel se
livre ce que nous avons le tort d’appeler au singulier la Nature ; dans
la mort de tant d’êtres à demi formés pour le développement d’un seul.
Quelle fantaisie ridicule charge la femelle enfant d’un nombre d’œufs
infiniment plus considérable que la femelle adulte ? Le biologiste
Hansemann constate que, chez la femme, l’ovaire contient à deux ans,
cinquante mille œufs, vingt-cinq mille à huit ans ; à dix-sept ans,
cinq mille. Cinq cents en moyenne parviendront à maturité. Et cette
dépense fantastique pour obtenir la fécondation de combien d’œufs ? La
nature maladroite fait peu avec beaucoup et, si nous cherchions en elle
de la sagesse, nous voici obligés de crier à la folie. Ailleurs elle
fait beaucoup avec peu et multiplie les bouches affamées plus
rapidement que les nourritures.
L’ordre, le cosmos, simples désirs de notre esprit et de notre cœur. Le
chaos mondial est moins encore justice ou amour qu’harmonie.
« L’exploration de notre système solaire - dit Auguste Comte - a fait
disparaître toute admiration aveugle et illimitée en montrant que la
science permet de concevoir aisément un meilleur arrangement ». Et il
remarque, non sans finesse : « Quand les astronomes se livrent à un tel
genre d’admiration il porte sur l’organisation des animaux qui leur est
inconnue ; les biologistes. qui en connaissent toute l’imperfection, se
rejettent sur l’arrangement des astres dont ils n’ont aucune idée
approfondie. »
L’observation montre pourtant de la finalité dans la nature, mais
jamais une finalité parfaite. Ce qu’on vante le plus souvent, au
détail, ce sont des remèdes insuffisants à de graves défauts. Nous ne
rencontrons que des finalités boiteuses. Pas seulement partielles, mais
divergentes et hostiles les unes aux autres. La lutte pour la vie
suffit à faire écarter toute idée de plan universel. La nature se
manifeste, à la fois, conspiration pour la vie, conspiration contre la
vie. Comment expliquer son incohérence ? Question métaphysique, que nul
ne résoudra scientifiquement, que chacun peut résoudre poétiquement,
pour lui seul, selon ses tendances. Mais considérer le monde comme
l’œuvre d’un Dieu ou comme une pensée divine sans Dieu personnel, ce
n’est plus souriante poésie, c’est ridicule démenti à l’expérience.
HAN RYNER.