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DÉFAITISME n. m.

Le « défaitisme » est né durant la grande guerre « du Droit et de la Civilisation » et il est tout un symbole. Qu’on en juge par la définition qu’en donne le Larousse : « Pendant la grande guerre, opinion et politique de ceux qui manquaient de confiance dans la victoire, ou qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». En conséquence, nous pouvons déduire de cette définition que le mot défaitisme est purement national, car s’il est vrai que ceux qui doutaient de la victoire française avaient tort, puisque la France fut victorieuse, les défaitistes allemands avaient raison. Ce qui n’empêchait du reste pas les autorités germaniques d’emprisonner et d’exécuter ceux qui se permettaient de douter de la victoire allemande. En second lieu nous dit le Larousse « ou ceux qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». La guerre est terminée depuis bien des années déjà et nous pouvons constater que ceux qui étaient, durant le carnage, accusés de « défaitisme » n’étaient pas dans l’erreur. La défaite eut été moins onéreuse que la continuation de la guerre.

Un simple regard impartial sur la situation de la France victorieuse et nous serons fixés.

Avant la guerre, et avant la victoire, la richesse sociale de la France, s’il faut en croire les économistes bourgeois, était d’environ trois cents milliards de francs et sa dette qui datait encore de la guerre de 1870-1871, de trente-cinq milliards de francs. Or, la France victorieuse a vu sa richesse sociale baisser du tiers, de ce fait que pendant quatre ans et demie toute la production s’est évaporée en fumée sur les champs de bataille, et sa dette a augmenté dans de telles proportions qu’elle atteint un chiffre supérieur à sept cents milliards de francs.

A cette perte sèche, il faut naturellement ajouter un million 500.000 morts, plus le grand nombre de blessés arrachés à la production ; il est vrai que « l’homme » ne compte pas pour le capital et qu’il n’est considéré que comme chair à canon.

Eh bien ! Ce sont ceux qui prévoyaient cette débâcle économique et financière qui étaient accusés de défaitisme. Or, le fait est là, dans sa tragique brutalité : aucune guerre ne peut être avantageuse pour une nation victorieuse ou vaincue.

On pouvait penser que les hommes sur qui pèsent la lourde responsabilité de la guerre, seraient éclairés à la lumière de la réalité et que, devant l’étendue du désastre qu’ils avaient causé, ils conserveraient le silence ; on pouvait espérer qu’ils reconnaîtraient l’erreur profonde qu’ils avaient commise en accusant de « défaitisme » les esprits assez clairvoyants pour prévoir ce qui allait arriver et que le « défaitisme » allait mourir à l’aube de la paix.

Il n’en fut rien ; il n’en est rien. Le défaitisme existe toujours ; il est devenu un spectre que brandit le Gouvernement lorsqu’il se trouve en difficulté, et les mêmes hommes qui ont accumulé les crimes monstrueux de la boucherie, poursuivent leur œuvre en accusant de « défaitisme » ceux qui ont « l’audace » de les critiquer et de les combattre.

Cependant, si les populations se sont laissées griser pendant la guerre par des mots vides de sens, il n’en sera pas toujours de même ; et le défaitisme pourrait bien triompher. Défaitistes ; les anarchistes le sont, si le défaitisme consiste à lutter contre toute guerre, défensive ou offensive, ce qui est la même chose ; défaitistes, ils 1e sont pour abolir un régime d’abjection qui provoque le massacre de toute une génération ; ils le sont également pour affirmer qu’il ne peut rien sortir de bon, de juste et de beau du capitalisme qui engendre la guerre et la mort.

Les défaitistes seront de plus en plus nombreux et le capitalisme en a étendu le nombre, par sa guerre et par son après-guerre. Il a pensé consolider ses assises dans le sang de l’humanité ; il s’est trompé et n’est arrivé qu’à ébranler plus fortement ses bases ; il chancelle aujourd’hui et recherche un équilibre qu’il ne trouvera plus. La situation est désaxée. Le capitalisme a recours à des moyens extrêmes pour allonger sa vie ; peine perdue et inutile, il est condamné. Il a créé le défaitisme, le défaitisme l’écrasera.