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DÉFENSE RÉVOLUTIONNAIRE

S’il est une question qui a une importance pour ainsi dire primordiale, dans le problème de la révolution, s’il est une chose qui a fait couler beaucoup d’encre, échafauder de multiples systèmes, et dire le plus de bêtises, c’est bien cette question de la Défense Révolutionnaire. Certes, pour d’aucuns, elle peut sembler puérile et comme subséquente à la révolte, car beaucoup d’esprits simplistes pensent que l’on perd son temps à vouloir solutionner ou tenter de solutionner certains problèmes avant que l’heure des réalisations n’ait sonné. Ils disent : « On aura bien le temps de penser à tout cela au moment où la Révolution éclatera. Occupons-nous pour l’instant de choses plus sérieuses. Quand nous serons en pleine révolution, des solutions surgiront qui s’imposeront d’elles-mêmes. N’y a-t-il pas une sorte de fatuité et d’illogisme à vouloir prévoir ce que pourrait être l’avenir ? Donnons notre temps au présent, cela seul importe. »

Eh bien ! nous pensons que, s’il faut laisser aux événements le soin de résoudre certains problèmes, nous pouvons, nous devons à la fois prévenir et même, prévenir certains maux qui pourraient advenir si nous nous laissions aller au gré de l’improvisation circonstancielle. Et nous pensons que « la défense révolutionnaire » est une chose trop grave pour que nous laissions au seul hasard le soin d’y pourvoir. Aussi, nous basant sur les leçons de l’histoire, en même temps que de la raison, voulons-nous étudier à fond ce problème, encore que nous regrettions d’être obligés de nous restreindre ; car ce n’est pas un article encyclopédique, mais un gros volume qu’il faudrait pour examiner minutieusement tous les côtés de la question. Pour la clarté de notre exposé, divisons en trois parties la défense révolutionnaire. C’est-à-dire :

1° Avant ; 2° pendant ; 3° après la révolution.

Avant la Révolution.

Partout existent des groupements qui ont pour but (soit par la propagande éducative, soit par l’agitation, soit par des actes appropriés aux circonstances), de fomenter dans la masse la colère, l’indignation, en un mot l’esprit de révolte qui doit se muer tôt ou tard en insurrection. Ces groupements révolutionnaires sont donc partie intégrante de la révolution, puisqu’ils, en assument pour ainsi dire la préparation.

Or, il est de fait que les classes dirigeantes ne sont plus, comme au siècle dernier, endormies par l’optimisme que pourrait leur conférer la détention du Pouvoir. Elles savent très bien, et les événements du passé suffiraient à le leur apprendre, que le sort des dirigeants est précaire ; que telle caste qui fut jadis toute puissante est aujourd’hui obligée de s’allier, pour ne pas la subir, à une classe qu’elle opprimait naguère. D’autre part, elles connaissent l’état lamentable du peuple et son mécontentement de jour en jour grandissant. Elles sont à même de constater que l’idée révolutionnaire fait journellement de grands progrès. Aussi, sont-elles prêtes à tout pour écraser au moindre mouvement les militants qui pourraient entraîner la masse à des actes décisifs. Elles savent qu’en écrasant les groupements révolutionnaires avant ou dès le début, d’un mouvement, elles écraseront en même temps la plus grande force dont la révolution pourrait disposer, puisque ce serait la force morale et populaire. Aussi emploient-elles des moyens divers pour décimer les groupements.

La provocation, le mouchardage (voir provocateur , mouchard), constituent des moyens préventifs.

Dans l’étude de ces deux mots, nous dirons comment on peut se prémunir.

Mais il y a les moyens de lutte contre-révolutionnaire. Ligues civiques, faisceaux, chefs de section, syndicats jaunes, etc., etc., composent toute une échelle d’organismes destinés à entraver la propagande ou à se débarrasser des militants révolutionnaires. Ce sont tous des groupements recrutés, organisés, armés, protégés et subventionnés - soudoyés serait plus juste - par les classes dirigeantes. Tout cela constitue un fascisme (voir fascisme ) prêt à réprimer d’abord, à s’imposer ensuite et à opprimer enfin.

Les capitalistes, pour conserver leurs prérogatives matérielles, seraient prêts, malgré qu’ils préfèrent le régime hypocritement libéral que nous subissons, à instaurer une dictature militaire ou civile, plutôt que de voir leur prépondérance s’atténuer.

On sait, par les exemples d’Italie et d’Espagne comment, avant la prise du pouvoir, le fascio et les Somaten agirent à l’égard des organisations ouvrières de ces deux pays : assassinats, expéditions armées, assommades, etc.

Pareil mouvement s’organise en France : chemises bleues, jeunesses catholiques ou patriotes s’arment dans l’ombre, au su des gouvernants qui les tolèrent, et, si nous n’y prenons pas garde, la même aventure pourrait nous advenir.

Que faut-il faire pour défendre le mouvement révolutionnaire ?

Les uns nous disent : « Il faut organiser un parti de classe puissant et discipliné dont les cadres, sévèrement composés d’hommes intégres et éprouvés, imposeront leur décision et leurs mots d’ordre aux adhérents. Il faut que ces adhérents soient prêts à répondre immédiatement à tout appel et à obéir aveuglément aux ordres de ce Comité-Directeur. En un mot, il faut organiser une armée pré-révolutionnaire. »

D’autres avancent : « Il faut que toutes les organisations d’extrême-gauche envoient des délègués à une réunion commune qui constituera le front unique révolutionnaire, qui lancera partout ses mots d’ordre et qui organisera la riposte, voire même l’offensive et fera ainsi, de par l’unité révolutionnaire, de cette riposte ou offensive, un mouvement de grande envergure qui s’amplifiera vite en révolution. »

En ce qui concerne le « parti de classe », il a été dit et il sera dit dans les mots : armée, communiste (parti),militarisme et militarisation tout ce qui doit être objecté à cette thèse. Quant au « Comité d’action et d’unité révolutionnaire », nous savons par expérience qu’il ne rendrait rien du tout, sinon qu’il retarderait, entraverait et peut-être empêcherait toute défense utile. Trop de divergences théoriques, idéologiques et tactiques se feraient jour, trop d’incompatibilités se révéleraient ; les délégués passeraient leur temps à disserter, à ergoter, à discutailler... pendant que l’ennemi agirait autrement qu’en paroles. Un tel comité deviendrait, comme tous ses devanciers, un « Comité d’Inaction ».

Nous pensons que la défense révolutionnaire immédiate doit être organisée plus sérieusement, plus méthodiquement que des deux manières sus-indiquées. Il faut en revenir, qu’on le veuille ou non, aux groupes secrets. Groupements constitués par affinité des composants. Par maison, par rue, par quartier, par localité, par atelier, chantier ou entreprise, les révolutionnaires se connaissant bien, soit qu’ils aient vécu, travaillé ou milité ensemble d’une- façon intime, formeraient de petits comités qui auraient pour but de défendre le mouvement. S’armer n’est pas la besogne la plus essentielle de la défense pré-révolutionnaire. Il faudrait se livrer à tout un travail pour ainsi dire technique : connaître la topographie des lieux dans lesquels ils vivent, des points de résistance possibles, connaître les armuriers locaux, et puis les adresses de tous ceux qui, à un titre quelconque, pourraient être dans l’action fasciste : flics, gendarmes, membres d’organisations réactionnaires, personnages influents, etc., etc. De façon qu’au premier acte fasciste on puisse ainsi riposter du tac au tac.

On peut être bien certain que les fascistes connaissent les adresses des principaux militants révolutionnaires et, qu’à la première occasion ils s’en serviront. Eh bien ! pour un des nôtres, un des leurs ; nous pourrons même pratiquer à leur détriment la politique des otages qu’ils prônent si. fort. Dans la lutte, il faut savoir employer toutes les armes disponibles. « Ou combattre par tous les moyens, ou périr » tel est le dilemne Ces organismes secrets pourraient s’unir à d’autres du même genre pour assurer une unité d’action dans la localité, la région, etc. Ils auraient le mérite d’être composés de copains sûrs, sérieux et décidés à tout pour éviter qu’une dictature quelconque s’instaure, et même pour essayer de faire prendre tournure révolutionnaire à tout mouvement de riposte .

Il y aurait là une organisation sérieuse qui ne serait composée ni de bavards impénitents, ni de politiciens avides de pouvoir politique. Bien entendu, ici, nous exposons cela en bref, car il nous faudrait occuper un nombre de pages trop considérable si nous voulions définir dans tous ses détails une telle préparation de défense révolutionnaire. La fédération de ces groupes (qui pourrait prendre divers aspects) assurerait toute la puissance d’une action efficace, le caractère secret et affinitaire, en laissant ignorer à tous autres leur existence, lui donnerait la force de la spontanéité et de l’imprévu.

Pendant la Révolution.

Ici, nous touchons en plein au problème de la dictature. En effet, c’est au nom de la seule défense de la révolution qu’on prétend, dans certaine école révolutionnaire, instaurer une dictature provisoire,

On nous dit : « Si nous nous révoltons, les classes possédantes se défendront par tous les moyens. L’armée est à leur solde ; mais même si l’armée leur faisait défection, ils auraient un concours largement assuré de la part des gouvernants capitalistes voisins. Il nous faudra donc, dès le premier jour de la révolution, sitôt le gouvernement actuel dépossédé, accomplir notre coup d’état en nommant un gouvernement prolétarien qui aura à charge d’organiser une armée rouge disciplinée. Ce gouvernement aura des pouvoirs dictatoriaux et tous devront, sous peine des plus graves sanctions, y compris la peine de mort, obéir aveuglément aux commissaires du Peuple »

Nous voudrions bien, auparavant, qu’on nous dise ce qu’on entend par Révolution. Ce mot, s’il n’est accompagné d’un qualificatif n’a, pour nous, qu’une bien vague signification. Si cette révolution n’a pour but que de changer de place les gouvernants, si c’est uniquement l’accession au pouvoir d’un parti politique, quel qu’il soit, que vise cette révolution ; pour nous c’est une révolution politique, en un mot un coup d’état. Alors, mieux vaut dire tout de suite que nous n’en sommes pas ; que cette révolution n’est pas la nôtre.

La Révolution que nous voulons et pour laquelle nous militons aujourd’hui et nous combattrons demain de toutes nos forces, c’est la Révolulion sociale. Qu’est-ce que cette révolution sociale ? - Celle qui aura aboli toute exploitation de l’homme par l’homme : patronat, militarisme, État. Celle qui substituera au gouvernement des hommes par les hommes, l’administration des choses par le producteur. Celle qui, à la place de la société autoritaire et centraliste instaurera la société fédéraliste libertaire.

C’est à la défense de cette révolution-là, et, de celle-là seulement, que nous voulons nous employer. Nous aurons donc à la défendre contre trois genres d’offensives ; 1° celle des capitalistes et gouvernants actuels à l’intérieur ; 2° celle que ces gouvernants et possédants chassés pourraient tenter avec le concours de l’extérieur ; 3° celle de tous les politiciens arrivistes au faux-nez révolutionnaire qui tenteront à tout prix d’escamoter la révolution à leur profit.

La première offensive fait partie de la révolution ; c’est la révolution elle-même. Nous savons très bien que les capitalistes ne se laisseront pas déposséder sans résister, mais c’est l’action du peuple en révolte qui les chassera petit à petit. A l’offensive que pourraient tenter les capitalistes concentrés dans une région non touchée par la révolution, nous répondrons par une énergique défensive, et ceci touche à la deuxième manière puisque les provinces non révoltées ne feraient pas partie de la Fédération révolutionnaire, et qu’elles seraient, par conséquent, à l’extérieur de la révolution.

Supposons donc que, chassés du pouvoir, les possédants actuels se retirent dans quelque région réactionnaire ; que de là, ils demandent aide aux gouvernants étrangers, et que ceux-ci envoient des troupes pour mettre le peuple « à la raison ». Nous pourrions faire cette remarque, que rien ne prouve que nous serons les premiers en Europe à nous révolter, qu’il se pourrait qu’avant nous l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne aient accompli leur libération, qu’en ce cas nous n’aurions pas grand’chose à craindre. Nous pourrions aussi objecter qu’il se pourrait qu’une révolution déclenchée en France amenât les peuples voisins à imiter le geste. Mais nous voulons envisager la question comme si nous étions les premiers à nous insurger. Y a-t-il nécessité d’un gouvernement, de défense, d’une armée rouge obéissant à ce gouvernement et faisant partout respecter ses édits ? On nous dit : « Oui, il faudra une armée docile, disciplinée, organisée, entraînée encadrée, avec des états-majors solides, choisis par le Gouvernement prolétarien. Il faudra une préparation de plus en plus forte ; que tous les ouvriers soient astreints à cette obligation militaire. En un mot, il faudra décréter la mobilisation générale. »

Pourquoi tant de mesures dictatoriales ? pourquoi une « mobilisation générale » du prolétariat ?

— « Parce que, sans cela, beaucoup se refuseront à marcher contre les réactionnaires ; chacun voudra laisser cette besogne a son voisin. Il faudra donc obliger tous les ouvriers et paysans à marcher. »

Croit-on, par hasard, que c’est avec des soldats qui marchent, à contre-cœur que l’on assure une bonne défense ? Croit-on que « tout le monde » rechignera ? Si la révolution est faite par le peuple et pour le peuple ; si dès le début de ce mouvement, le prolétariat sent que c’est véritablement sa libération que la révolution lui apporte ; s’il est convaincu que ce n’est pas simplement un changement de maîtres qu’il subit, le peuple se dressera unanimement pour défendre sa liberté et sa vie.

Prenons les exemples de l’Histoire : En 1792 quand Brunswick eut adressé à la Convention son insolent ultimatum, y avait-il une armée permanente ?

Que fit la Convention ? Elle décréta « la Patrie en danger » et fit un appel pressant à tous les citoyens pour défendre la Liberté contre les armées des tyrans coalisés. L’appel resta t-il vain ? Que non pas ! De toutes parts, sur les places publiques, des estrades avaient été dressées où l’on inscrivait les volontaires. Il y eut un élan d’enthousiasme indescriptible. En quelques jours, une formidable armée fut sur pied, cette armée de « sans-culotte », ainsi dénommée justement parce qu’elle n’était pas une armée de métier. Les chefs de cette armée de volontaires étaient-ils gens du métier ? Ceux qui en furent : Dumouriez, Moreau, Pichegru, Bonaparte, Bernadotte, finirent tous par trahir la révolution. Mais les Marceau, les Hoche, les Kléber, les Kellermann, les Desaix et autres, étaient-ils des gens rompus à la théorie ? - Non : le plus gradé de tous était sergent d’écurie ! Cette phalange de volontaires pourtant tint tête à toutes les armées étrangères ; mieux : elle les repoussa.

Pourquoi cette armée ne sauva-t-elle pas la révolution d’une façon définitive ? Pour plusieurs raisons.

La première, c’est que la mystique des individus existait encore. Il n’y avait pas bien longtemps que ces « sans-culotte » croyaient en la légende du « bon père, notre Roi ». Ensuite ce furent, leurs députés au corps législatif en qui ils placèrent. leur confiance, puis, enrôlés volontaires, ce fut en leurs généraux. C’est pourquoi nous voulons, dès aujourd’hui, dire hautement que le prolétariat ne se sauvera, que lorsqu’il ne comptera que sur lui-même pour ce faire ; qu’il ne doit pas attendre d’hommes ou de partis son salut, que c’est lui, et lui seul, qui le tient entre ses mains.

La seconde raison, c’est qu’il y avait à la tête de la révolution des hommes politiques ne se préoccupant que de faire prévaloir leurs théories politiques : lutte entre Girondins et Montagnards, d’abord ; lutte entre Montagnards ensuite ; lutte entre Robespierre et Barras après ; et que ces « politiciens » passaient leur temps à s’excommunier, à se lancer des injures, à s’envoyer à la guillotine au lieu de donner tout leur temps à l’unique défense de la République. Pendant qu’ils se livraient à ce travail « d’épuration », les armées de volontaires repoussaient les armées réactionnaires, mieux même : pénétraient à leur tour dans les pays voisins où elles instauraient ce qu’elles croyaient être la Liberté, mais qui n’était que le proconsulat de leurs généraux. Ceux-ci n’eurent pas de peine à devenir bientôt plus populaires que les pourvoyeurs de guillotine. Et quand Bonaparte tenta son coup d’État, il fut approuvé par tout un peuple 1as de l’incapacité de ceux qu’il avait mis à. sa tête. C’est pourquoi nous disons au peuple que lorsqu’il aura chassé ses maîtres actuels, il lui faudra empêcher que d’autres se mettent à leur place qui ne feraient, comme ceux-ci, que de la besogne de parti et non de classe.

La troisième raison que je veux indiquer, c’est que l’armée, en étant organisée par Carnot, prit figure d’armée permanente avec tous ses cadres, ses états-majors. Et que ces états-majors, ces généraux, avec leurs pouvoirs sur 1a troupe, entraînèrent celle-ci dans l’aventure napoléonienne qui leur assurait le maintien de leurs grades. C’est pourquoi nous sommes contre tout système militariste qui corrompt les chefs et avachit les subordonnés.

Si cette armée de volontaires avait été organisée sur le plan d’une armée provisoire ; si les sans-culotte étaient, restés, même à l’armée, des hommes ayant tous leurs droits ; si cette armée n’avait été considérée que comme un outil de défense, et si les soldats eux-mêmes avaient été chargés d’élire leurs chefs avec pouvoir de les révoquer ; si ces chefs n’avaient pas été autre chose que des délégués techniques, l’armée des sans-culotte serait restée libertaire, et elle se serait opposée aux factieux, elle se serait licenciée une fois l’ennemi repoussé du territoire, et les soldats seraient redevenus des producteurs ; ils auraient ainsi évité de gagner l’esprit militaire qui les portait à admirer leurs généraux d’abord et leur empereur plus tard.

Autre exemple : En 1871, le peuple de Paris tint deux mois devant les armées de Versailles. Et pourtant, il ne formait pas une armée de métier, il venait, de subir un siège long et déprimant. Pourquoi la Commune sombra-t-elle dans la dernière semaine de mai ?

Parce qu’il y avait un Gouvernement. Les fédérés nommaient eux-mêmes leurs chefs et leurs délégués au Comité Central de la Garde Nationale. Mais, d’autre part, les révolutionnaires qui composaient le Comité Central de la Commune contrecarraient toujours leurs desseins. S’agissait-il de faire une sortie ? La, Commune s’y opposait. Voulait-on détruire la Banque de France ? La Commune mettait son veto. Pendant deux mois ce fut une rivalité navrante entre les deux pouvoirs : civil et militaire. Le pouvoir civil, qui était gouvernement, destituait des généraux, en accusait d’autres de trahison et changeait tous les quinze jours son délégué à la guerre. Et c’est grâce à cette rivalité, qui amena une absence totale de décision dans la lutte, que les Versaillais purent rentrer dans Paris. C’est pourquoi encore nous disons au Peuple qu’il ne doit pas tolérer qu’un Gouvernement s’installe dans la révolution.

Nous aurons, enfin, à défendre la Révolution contre tous les politiciens au faux-nez révolutionnaire qui tenteront, par tous les moyens, d’escamoter la révolution à leur profit ou au profit de leur parti. Dès que la révolution éclatera, il nous faudra lui donner une impulsion libertaire. L’expropriation devra être immédiate. I1 nous faudra détruire par le feu toutes les archives, actes notariés, cadastres, titres, valeurs, billets de banque. Tout cela qui constitue la force de l’État et de la propriété devra être anéanti immédiatement. Chaque prolétaire devra être armé. Les combattants seront uniquement des volontaires qui nommeront, eux-mêmes leurs chefs, étant bien entendu que chacun rentrera chez soi dès que le danger aura disparu. Les formations de combattants nommeront leurs délégués au comité de défense révolutionnaire qui n’aura d’autre attribution que cette défense.

Les comités de production et de consommation, sous quelque forme qu’ils soient organisés, sous quelque nom qu’ils soient désignés, auront seuls pouvoir de gérer la production et la consommation. Toute tentative d’instaurer un pouvoir politique ou central quelconque devra être combattue avec acharnement et par tous les moyens comme étant un acte contre-révolutionnaire. Car la révolution ne sera triomphante que du jour où tout danger d’autorité quelconque aura disparu.

Ces formations de combattants volontaires, administrées techniquement, par des chefs nommés uniquement par les combattants et révocables au gré de leurs mandants, auront à charge de défendre la Révolution contre les ennemis du dedans et du dehors. Nous avons confiance dans l’énergie du peuple, une fois que celui-ci se sera révolté et débarrassé de ses maîtres. Nous sommes persuadés que, à la première alerte, au premier appel qui lui sera lancé pour défendre ses conquêtes, il répondra par une levée en masse et que les volontaires seront nombreux, plus que suffisants pour repousser toute attaque des réacteurs de tout poil et de toute étiquette.

Après la Révolution

Et maintenant, faisons une deuxième supposition. Après un nombre de jours, de mois, ou même d’années, de bouleversements, de combats et de tâtonnements, la révolution sociale est enfin triomphante. Ayant repoussé toutes les attaques des réactionnaires du dedans et de l’étranger, déjoué toutes les tentatives d’instauration de pouvoir politique, même dictatorial, même sous l’étiquette prolétarienne, le peuple a enfin instauré une société à base fédéraliste libertaire. La vie s’organise petit à petit, les perfectionnements améliorent de plus en plus les conditions d’existence. Mais les capitalistes vaincus n’ont pas abandonné la partie. Dans l’ombre, avec la complicité des gouvernants voisins (il faut bien admettre qu’il y en aura encore pour pouvoir pousser à fond la démonstration) les capitalistes méditent une agression qui doit leur permettre de reconquérir leurs prérogatives. Au bout d’un certain laps de temps des armées étrangères envahissent une région conquise à la révolution. Alors c’est l’appel au peuple, la levée en masse, la reformation des corps de combattants volontaires. Les batailles sont dures, les volontaires qui ont déjà goûté au mieux-être se battent avec acharnement pour conserver ce mieux-être, pour ne pas retomber en esclavage, et aussi parce qu’ils savent quelle féroce réaction, quelle terreur blanche s’étendrait sur le pays au cas où ils seraient vaincus.

Le même processus d’organisation de défense que pendant la révolution se reproduirait. Y aurait-il besoin de dictature ? Non pas, puisque la première fois on s’en serait passé. Eh bien ! poussons plus loin encore l’hypothèse. Malgré la fougue, la vaillance, l’ardeur du désespoir ; après des combats obstinés, les révolutionnaires sont vaincus par les armes. Les capitalistes rentrent en maîtres dans la France. La révolution a-t-elle dit son dernier mot ? Le prolétariat est-il définitivement écrasé ? Non. Immédiatement les comités de production lancent un ordre de grève générale. Les capitalistes occupent les usines, les mines, les têtes de lignes de chemins de fer, les postes et le télégraphe. Seulement, dès la première bataille, les comités de production, qui avaient prévu la possibilité d’une défaite, avaient donné le conseil à, tous les ouvriers de rester tranquillement chez eux quand les vainqueurs entreraient, de ne plus se rendre au travail et de se tenir prêts à résister à toute invite ou réquisition des capitalistes.

Que pourront donc faire ces derniers devant cette inertie générale ? Prendre eux-mêmes les outils de travail ? Faire venir de la main-d’œuvre étrangère ? Ils seront d’abord obligés, pour conserver le fruit de leur victoire, d’avoir une armée, une police, une gendarmerie considérable. Ils s’occuperont ensuite de se disputer pour le rétablissement des propriétés, tout acte de propriété, toute archive, toute valeur ayant disparu dans les flammes révolutionnaires. La main-d’œuvre étrangère ne sera pas suffisante pour subvenir aux besoins de la production, des services publics, etc. Enverront-ils chercher par la police ou l’armée les ouvriers à. leur domicile ? Chaque ouvrier étant résolu à résister par les armes, au bout d’un certain temps ils devront y renoncer.

Que leur restera-t-il alors à faire ? Tout simplement à repartir d’où ils étaient venus, parce que devant la force d’inertie consciente du prolétariat, ils ne pourront pas profiter de leur victoire. La grève générale, avec résistance armée, aura vaincu les velléitaires d’autorité. Car la grève générale, appliquée consciemment, méthodiquement, est encore le moyen de combat le plus efficace du prolétariat si elle n’est pas lancée pour des fins politiques. Comme on le voit, par cette rapide ébauche, à quelque période qu’on se place de la révolution, on n’a que faire des politiciens, de leurs partis et de leur dictature. Le prolétariat se défendra, se sauvera tout seul et ira vers sa libération totale sans le secours de ceux qui ont pour métier d’être des profiteurs de révolution.

C’est pourquoi il faut affirmer que, seul, est véritablement révolutionnaire celui qui lutte pour l’instauration d’une société fédéraliste-libertaire. Ce n’est pas à coups de décrets qu’on se défend, c’est les armes à la main ! Ce n’est pas avec un Gouvernement qu’on accomplit une révolution ; c’est en les supprimant tous !

Louis Loréal