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DÉLATION n. f.

La délation est l’acte le plus ignoble auquel peut se livrer un individu et il n’est pas de termes assez violents pour flétrir celui qui se prête à cette basse besogne. Elle consiste à dénoncer secrètement et à accuser de certains crimes ou délits des hommes auxquels on est, ou plutôt on semble attaché par des intérêts moraux ou matériels. Le délateur est un être sans scrupule, guidé simplement dans ses entreprises par le gain qu’il espère tirer de ses méfaits, et il est d’autant plus coupable que, pour arriver à ses fins, il est obligé de se couvrir du masque de l’amitié et de la camaraderie afin de pénétrer les secrets qu’il s’empresse de dévoiler à ceux qui l’emploient. La délation est un acte tellement odieux que même ceux qui s’en servent, ou à qui elle est utile n’osent pas en revendiquer la responsabilité et si la dénonciation secrète des « crimes contre la sûreté de l’Etat était autrefois une obligation », la loi de 1832 a abrogé les peines frappant les personnes qui se refusaient à servir d’auxiliaires à la police. Le délateur est beaucoup plus dangereux et beaucoup plus lâche que le policier. Avec ce dernier, on est fixé ; on sait que son « devoir » est de rechercher, et de dénoncer tout ce qui peut troubler l’ordre bourgeois. On ne se trompe pas sur sa valeur et l’on se méfie lorsqu’il est signalé. Le délateur, lui, pénètre le milieu qu’il veut espionner, il se fait passer pour un partisan de ce milieu, il capte la confiance de ceux qui l’entourent et avec lesquels il semble travailler en toute sincérité, et finalement trahit ses « camarades » au profit de leurs adversaires. Il n’hésite pas, pour obtenir la récompense promise, à se montrer le plus acharné et le plus sectaire dans ses relations sociales et lorsque, parfois, le besoin s’en fait sentir pour ses maîtres, il dénonce des crimes ou des complots imaginaires quand il ne peut en découvrir de réels. On s’étonne de ce que les organisations d’avant-garde soient des foyers de délateurs. C’est cependant bien simple. Ce que la bourgeoisie craint le plus : c’est le réveil des classes opprimées et leur révolte. Elle a donc intérêt à savoir quelles sont les formes d’action que l’on prépare au sein de ces milieux, afin de tâcher de les étouffer ou d’en retarder la réalisation. Il est des besognes auxquelles la bourgeoisie n’aime pas à se livrer elle-même et, pour la délation, elle a recours à des individus vils et corrompus qui consentent à accomplir cet infâme ouvrage. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris de ce que les associations révolutionnaires soient pénétrées par les délateurs, mais ce qu’il faut : c’est prendre ses précautions, ne pas introduire n’importe qui dans les secrets d’une organisation et, avant d’entreprendre ou même de décider une action, savoir avec qui on la décide et avec qui on l’entreprend. On ne prend jamais trop de précautions dans la lutte sociale et, s’il ne faut pas être arrêté par la crainte des délateurs, il faut cependant regarder qui nous entoure et savoir choisir ses amis.

La délation est un crime tellement odieux qu’il faut bien se garder d’en accuser un individu avant d’être certain de ce que l’on avance. Il arrive que l’on porte une accusation sur des apparences et non sur des certitudes, et les conséquences de cette accusation peuvent être graves. Méfions-nous. Lorsque certains gestes ou certains actes éveillent les soupçons, renseignons-nous d’abord et n’agissons qu’ensuite ; ce n’est qu’une fois convaincu de la réalité, qu’il faut dénoncer le délateur et lui réserver le sort qu’il mérite.