DÉMAGOGIE
n. f.
L’origine du mot démagogie servait à signaler l’influence exercée par
un homme politique sur le peuple, mais n’avait aucun sens péjoratif ; ;
il était également usité comme synonyme de « démocratie ». De nos
jours, il n’est plus employé dans le même sens et le mot « Démagogie »
est toujours pris en mauvaise part. Il serait utile de définir
exactement ce terme, car il prête à confusion. Proudhon, par exemple,
ne lui donne pas un sens péjoratif :
« La réaction est la négation du progrès ; le juste milieu est
l’hypocrisie, et la démagogie en est la fièvre. La réaction cherche à
faire reculer le char révolutionnaire, le juste milieu s’efforce de
l’enrayer, la démagogie veut accélérer le mouvement » (Proudhon). Le
Larousse nous donne cette brève définition de la démagogie : «
Politique qui flatte la multitude », et pour des raisons différentes
nous pensons cependant que cette définition est assez courte quant au
présent. Si, avec Proudhon, nous pensons qu’il est indispensable
d’accélérer le mouvement révolutionnaire et de tenir les populations en
éveil, il nous semble cependant que la démagogie remplit ce devoir de
façon imparfaite et qu’elle n’envisage qu’un côté de la question. S’il
est utile de chercher à exploiter les passions populaires en vue de la
libération politique et économique du peuple ; s’il est parfois
indispensable de déchaîner ces passions ; il serait bon cependant de ne
pas oublier que la passion, comme unique moteur de révolte, peut être
une cause de désastre si l’on n’y joint pas la raison. Or, la démagogie
s’adresse uniquement à la passion et non pas à la raison ; c’est là son
erreur sinon son vice, et c’est ce qui rend le démagogue si dangereux ;
Dans une société où les causes de mécontentement sont si multiples, il
est relativement facile de soulever une population en lui dénonçant les
injustices et les iniquités dont elle est victime ; en s’adressant à
son cœur, il est aisé de capter sa confiance, en la grisant de
promesses et en lui faisant miroiter un avenir meilleur ; mais ce qui
est plus épineux, c’est de lui faire comprendre que ce bonheur entrevu
sous l’action persuasive de la parole ou de l’écrit, cette population
doit le conquérir elle-même et qu’aucune force ou puissance extérieure
ne peut le lui donner. C’est cela qu’oublie toujours de dire le
démagogue et c’est pourquoi nous disons que le travail de la «
démagogie » est négatif. Non seulement il est négatif, mais il est
pernicieux, car ordinairement 1e démagogue imprime une direction au
peuple et se présente à lui comme un messie qui va le sortir de la
situation précaire dans laquelle il se trouve. N’est-ce pas faire de la
démagogie que d’affirmer aux classes malheureuses que leur bien-être
futur dépend du morceau de papier que l’électeur va périodiquement
déposer dans les urnes officielles ; n’est-ce pas faire de la démagogie
que de faire espérer au travailleur sa libération sans lui enseigner
que cette libération est relative à la somme de sacrifices qu’il est
capable de consentir ? Lutter contre le despotisme, contre l’injustice,
contre l’iniquité dont souffrent 1es populations ; soulever la fureur
populaire, entraîner le peuple dans la violence lorsque celle-ci est
nécessaire à sa défense, c’est bien, et nous savons que l’énergie a
parfois besoin d’être stimulée. Mais exploiter la crédulité et la
naïveté du peuple, se livrer à des excès oratoires pour capter sa
confiance et acquérir une popularité, se présenter à lui comme son ami
alors que l’on est uniquement animé par l’ambition, user de l’influence
que l’on exerce pour lui cacher la vérité et l’arrêter dans son élan
émancipateur tout en faisant figure de révolutionnaire, c’est faire de
la démagogie, et c’est tromper consciemment le peuple.
Le démagogue est un homme rusé et c’est une tâche ardue que de le
démasquer. Les individus vouent un culte passionné à certains de leurs
semblables, et malgré les trahisons et les désillusions, ils continuent
à se laisser endormir par les belles paroles du tribun. D’autre part,
l’homme aime à être flatté, et la flatterie n’est pas l’arme la moins
usitée par le démagogue qui connaît ses foules et s’entend à merveille
pour les mener.
Que faire contre la démagogie et les démagogues ? Opposer la raison et
la logique à la passion. Petit à petit, le peuple se détache de tous
les dieux de la politique qui s’attribuent un empire sur les cerveaux,
et qui usurpent la puissance populaire ; le peuple commence à
comprendre ; demain il aura compris, et alors il se débarrassera de
tous les démagogues qui se hissent au pouvoir sur l’échine courbée du
travailleur et la démagogie sera écrasée sous le poids de la franchise
et de la loyauté.