Accueil


DENUEMENT n. m.

Etat de l'être dépourvu de tout ce qui est indispensable à la vie. S'applique à l’individu et à la collectivité. Cet homme est dans le plus complet dénuement. Cette famille se trouvait dans le plus terrible dénuement. Le dénuement est une des manifestations de l'ordre bourgeois. N'est-il pas affreux de songer que de nombreuses familles souffrent de la faim, que des petits enfants n'ont pas de quoi se nourrir, alors que les magasins regorgent de vivres et que la richesse s'étale honteusement aux yeux de tous? La philanthropie cherche à amoindrir les effets du dénuement et les philanthropes s'imaginent que l'aumône est capable de résoudre le problème de la misère ; la presse bien pensante verse de temps en temps un pleur sur le dénuement qui a poussé une famille au suicide ; tout cela est une sinistre comédie qui ne fait que perpétuer un état de chose criminel, et les résultats obtenus par ce genre d'action sont plus malfaisants qu'on ne le pense.

C'est surtout dans la grande ville que l'on assiste au pénible spectacle de la misère et Paris, la « capitale du monde » regorge de malheureux dénués de tout moyen d'existence. Il suffit, pour s'en rendre compte, de s'arrêter un instant, par les froids matins d'hiver, devant les « soupes populaires » qui distribuent gratuitement un bol d'eau chaude qualifié bouillon. Ils sont là des centaines et des centaines de pauvres hères, sans foyer, sans famille, sans une main amie qui vienne se tendre pour soulager leur détresse, et qui attendent, par la pluie, par le vent, que la porte s'ouvre pour s'engouffrer dans une salle étroite et puante où, pendant quelques minutes, ils auront l'illusion de la chaleur. Qui sont-ils, d'où viennent-ils, tous ces miséreux? Ce sont des travailleurs qui se sont, un jour, trouvés sans ouvrage et qui, petit à petit, ont tout perdu de ce qu' ils avaient, eux qui n'avaient pas grand-chose ; ce sont des bacheliers qui traînent leurs diplômes avec leur pauvreté et qui ne trouvent pas à vendre leur savoir ; ce sont des inconscients perdus dans la vie et qui ont été élevés dans les larmes ; c'est le rebut de l'humanité, c'est le déchet de la société, c'est la conséquence du désordre social, c'est la souffrance née de la richesse des uns, c'est le capitalisme qui livre à la charité publique le trop plein de la chair à travail. Et ils sont, de par le monde, des millions comme cela. Qui n'a entendu parler de Londres et de ses mendiants, qui cherchent la nuit un refuge sous les ponts de la Tamise? Et dans toutes les capitales, et dans toutes les grandes cités où le luxe s'étale avec impudence, il en est de même, car le luxe et la fortune des uns ne reposent que sur la misère des autres.

Ce n'est pas un sentiment de pitié qui doit nous envahir devant un tel spectacle, c'est un sentiment de révolte. La pitié n'a jamais rien fait et ne fera jamais rien. A quoi bon larmoyer et se lamenter sur l'inégalité et l'injustice sociales? Il faut réagir et lutter contre les forces mauvaises qui déterminent un tel état de choses et le dénuement fera place au bien-être lorsque les hommes voudront comprendre que leur force est en eux-mêmes et qu'il leur est possible, s'ils le veulent, de transformer cette société où le bonheur des uns n'est fait que de la misère des autres.