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DEPOPULATION n. f

La bourgeoisie de certains pays se désole en constatant que si le chiffre de la population ne diminue pas, il n'augmente pas cependant dans des proportions normales et naturelles et elle craint que, cet état de choses se généralisant, elle ne soit pas en mesure de trouver demain sur le marché le matériel humain indispensable à ses désirs d’impérialisme et de domination mondiale.

On a dit que la dépopulation était déterminée par la guerre, la famine et les épidémies. Cela est incontestable mais pourtant ces fléaux ne sont eux-mêmes que des effets dont il faut rechercher les causes et c'est ce que nous allons faire sans aucun esprit démagogique et en nous appuyant sur des chiffres d'une netteté qui, nous l'espérons, feront réfléchir les plus fidèles défenseurs de l'ordre bourgeois.

La cause première qui engendre la dépopulation est le capitalisme, qui, par ses accaparements, par son exploitation et la mauvaise répartition des richesses sociales, détermine la misère et par extension toutes les maladies, toutes les épidémies qui, à leur tour, provoquent dans les populations ayant atteint un certain degré de civilisation, un arrêt de la procréation. Nous savons qu'en France par exemple il meurt chaque année environ cent mille individus de la tuberculose, et nous savons également que la tuberculose n'étend ses ravages que dans les classes productrices qui sont contraintes de vivre dans des conditions d'hygiène détestable et qui n'ont pas leur suffisance de nourriture. Or, comment s'étonner que les classes pauvres se refusent à faire des enfants alors qu'elles savent que ces malheureux seront condamnés à mort par le capitalisme, et que s'ils échappent à la maladie, la guerre se chargera de les arracher à la vie.

Certains économistes prétendent que le bien-être économique du peuple n'est pas arrêté par l'ordre capitaliste et que bien au contraire les formes économiques et politiques modernes sont les plus susceptibles d'assurer à chacun le maximum de ce qui lui revient en raison de la production mondiale. Nous disons, nous, que si le peuple refuse de produire, de faire des enfants - et le « mal » n'ira qu'en s'accentuant, car aucune loi ne peut obliger des humains à procréer - c'est que le capitalisme, pour satisfaire ses ambitions et ses besoins, ne livre à la consommation qu'une partie de la production mondiale et que, si la répartition des vivres se faisait de façon normale et logique, nous n'assisterions pas au spectacle dégradant, pour une société, de la misère affreuse s'étalant à côté de la richesse et du superflu.

Nous allons essayer de démontrer par des chiffres que la population du monde aurait la possibilité de satisfaire tous ses besoins naturels si l'accaparement du capitalisme ne s'exerçait pas dans toutes les branches de l'activité économique.

La population de la terre, c'est-à-dire des cinq parties du monde, se chiffre par environ 1.750.000.000 (un milliard sept cent cinquante millions d’habitants) ; or, parmi cette population il en est une partie qui meurt littéralement de faim et qui est périodiquement victime des famines qui sévissent en certaines contrées. Cependant la production totale de ce qui est indispensable à la vie des hommes est supérieure à ce qu'ils pourraient consommer.

Durant la dernière décade, c'est-à-dire d'après les statistiques élaborées pour les années comprises entre 1915 et 1925, la production annuelle mondiale de céréales fut la suivante par tête d'habitant :

Blé…………….. 720 kilogrammes

Avoine………… 360

Orge…………… 250

Seigle………….. 250

Maïs…………… 700

Riz………….... 1.100

Pommes de terre...800

En conséquence, si nous faisons le total, nous constaterons que chaque habitant de la terre pourrait se permettre de consommer 4.180 kilogrammes (quatre mille cent quatre-vingt kilogrammes) de céréales par année, c'est-à-dire une moyenne de 11 kilos par jour.

Il est évident que sur cette production de la terre, il faut nourrir le bétail qui se répartit comme suit :

Chevaux ….100 millions

Bœufs …….550

Moutons .....500

Chèvres...…120

Porcs………210

Total….....1.480 millions

Mais si l'on considère que ce cheptel, exception faite du cheval, est, à son tour, livré à la consommation, nous ne croyons pas nous tromper en affirmant comme nous le faisons plus haut que céréales ou viande, la population mondiale a la possibilité de consommer une somme de 11 kilos de nourriture par jour et par tête. Nous ferons remarquer en passant qu'à part la pomme de terre, nous ne faisons pas état de tous les légumes et fruits qui sont récoltés de par le monde et alors se pose cette question : comment se fait-il que le peuple n'arrive pas à satisfaire ses besoins les plus élémentaires? Aussi criminel que cela puisse sembler, le capitalisme préfère laisser des populations crever littéralement de faim que de livrer la production de la terre à la consommation. Pour maintenir des prix élevés, chaque année, des millions et des millions de quintaux de matières comestibles sont jetés, brûlés, cependant que des populations entières vivent dans la pauvreté la plus médiocre et dans l'insuffisance la plus tragique. C'est terrible et incroyable, mais c'est pourtant ainsi. Les voilà les raisons de la dépopulation, que semblent ignorer les repopulateurs qui crient au scandale parce que le peuple ne veut plus faire d'enfants. Considérant les chiffres incontestables que nous énonçons plus haut, la bourgeoisie n'est-elle pas la première responsable de la dépopulation?

Le Docteur Georges Drysdale dans son étude sur « La Pauvreté », reprenant l'affirmation de Malthus que « la population, quand elle n'est pas entravée, s'accroît dans une progression géométrique telle qu'elle se double tous les vingt-cinq ans », et que les moyens de subsistance ne peuvent pas s'accroître dans les mêmes proportions, cherche à démontrer dans son ouvrage que « la population est nécessairement limitée par les moyens de subsistance » et que « c'est donc une immense erreur de supposer, comme on le fait d'habitude, que les guerres, les famines, les pestes, etc., que l'histoire nous énumère, ont surtout été provoquées par les mauvaises passions des hommes ou par l'absence d'habileté industrielle. Elles résultaient principalement des instincts sexuels, et étaient absolument inévitables, puisque ces instincts n'étaient pas contenus par la prévoyance. Il naissait plus d'enfants que le lent accroissement des moyens de subsistance ne pouvait en maintenir; ainsi il fallait qu'ils disparussent d'une manière quelconque » (Georges Drysdale, La Pauvreté, p. 33).

Nous n'avons pas ici l'intention d'étudier le malthusianisme et le néo-malthusianisme qui seront traités plus loin (voir ces mots), mais les affirmations du Dr Drysdale nous semblent basées sur une erreur fondamentale. Les guerres ne sont nullement provoquées par la surpopulation du globe ou d'une de ses parties mais simplement par le désordre social consécutif à la mauvaise gérance d'une classe qui méconnaît ou continue sciemment à méconnaître les besoins collectifs et à les sacrifier à ses intérêts particuliers. Même en acceptant aveuglément ce principe malthusien que « la population quand elle n'est pas entravée, s'accroit dans une proportion géométrique telle qu'elle se double en vingt-cinq ans », le danger de la surpopulation n'est pas une menace immédiate, car les 140 millions de kilomètres carrés des continents peuvent être habités par une population dix fois supérieure à celle d'aujourd'hui ; ce qui ne ferait en réalité que 120 habitants par kilomètre carré et parce que la production actuelle de la terre, si elle était bien répartie, suffirait presque à nourrir cette population. Notons en passant que, par kilomètre carré, la population de la France est de 71 ; celle de l'Allemagne de 128 ; celle de la Belgique de 245 ; celle du Royaume-Uni de 188 ; celle de l'Italie de 124 ; celle du Japon de 187. Le capitalisme qui a entre les mains les rênes de l'économie mondiale, s'inquiète peu de l'avenir et ne cherche pas à savoir, lorsqu'il agit, si son action sera favorable ou désavantageuse aux générations futures. Il travaille en raison de ses aspirations immédiates et cela est tellement vrai que loin d'être inquiété par le problème de la surpopulation dans l'avenir, il s'inquiète de la dépopulation dans le présent.

La question de la population ne peut donc être pour le travailleur qui y est le plus particulièrement intéressé, un problème d'avenir, mais un problème d'une réalité brutale qu'il a le devoir d'étudier et de résoudre.

Pour les classes opprimées, ce n'est pas la surpopulation qui détermine l'arrêt dans la procréation, car, obligées de se livrer chaque jour aux difficultés de la vie, elles restent ignorantes des grands problèmes sociaux de l'avenir. Mais ce que les travailleurs n'ignorent pas, ce sont les charges terribles qu'occasionne 1a naissance d'un petit être, c'est l'esclavage qui en résulte, et la crainte de ne pouvoir satisfaire aux besoins les plus élémentaires d'une nouvelle bouche. Un enfant dans le foyer plébéien, mais c'est le salaire de la semaine qui se divise en trois ; c'est l'abandon de l'atelier ou du bureau par la maman ; en un mot c'est l'augmentation des charges et la diminution des possibilités de vie. Or, le peuple demande à vivre maintenant. Lui aussi s'éduque chaque jour un peu plus au grand livre de l'Histoire et il en a assez de l'esclavage qu'il subit depuis des siècles et des siècles ; il aspire à un peu de joie, de bonheur et de liberté. Les joies familiales lui sont refusées puisque, pour le travailleur, la famille n'est qu'une source de larmes ; alors, il cherche ailleurs et il constate que la science lui a donné le moyen d'amoindrir sa détresse ; qui donc ira le lui reprocher? Aucune loi au monde, nous le répétons, ne peut contraindre à procréer ; il est donc inutile à la bourgeoisie de se lamenter sur un état de choses qu'elle a créé, qu'elle a voulu, qu'elle a cherché, en refusant à chacun la possibilité de se nourrir et de vivre humainement.

Pour son expansion, le capitalisme a besoin présentement d'une augmentation de la population dans certaines parties du globe ; mais l'humanité qui souffre aujourd'hui des ravages occasionnés par l'intérêt du capitalisme, refuse de se livrer à une prolification désordonnée. En agissant ainsi, le peuple travaille non seulement pour le présent mais il travaille aussi inconsciemment pour l'avenir, puisque, de cette façon, il écarte le danger de la surpopulation qui pourrait être fatale à l'humanité. Il remplit donc son rôle historique et c'est bien. Demain, lorsque les nuages se seront effacés, et que le peuple libéré des entraves qui le maintiennent dans un demi-esclavage pourra en pleine quiétude envisager l'avenir, il se penchera alors sur le brûlant problème de la « population », et la science aidant il triomphera de tous les obstacles.