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DEPUTE

Celui qui est chargé d'une députation ; qui remplit une mission au nom d'une nation ou d'un souverain.

Dans le langage courant, on désigne sous le nom de député le personnage chargé de représenter le peuple aux Assemblées législatives. En France il y a deux Chambres législatives : la Chambre des députés et le Sénat. On appelle députés ceux des membres qui siègent à la première et sénateurs ceux qui siègent à la seconde.

La Chambre des députés se renouvelle tous les quatre ans ; pour être éligible, il faut être Français et avoir 25 ans d'âge. Chaque département nomme autant de députés qu'il a de fois 75.000 habitants, il y a donc en France 626 députés dont 24 pour l'Alsace et la Lorraine. Les députés touchent un traitement de 45.000 francs par an, mais nous verrons plus loin que ce salaire n'est pas le plus clair de leurs ressources et que la place ne manque pas d'être avantageuse. La personne d'un député est inviolable. Aucun membre de l'une ou l'autre Chambre législative, c'est-à-dire député ou sénateur, ne peut être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle pendant la durée de la session parlementaire. Seule, l'Assemblée peut permettre les poursuites par la levée de l'immunité parlementaire, mais elle ne le fait que pour des raisons exceptionnelles et très rarement.

En vertu des lois démocratiques, chacun a le droit d'être député, il suffit, pour cela, ainsi que nous le disons plus haut, d'être Français et d'avoir 25 ans d'âge ; il semblerait donc que le député est le fidèle représentant du peuple et qu’il défende, ainsi qu'il en est chargé, les intérêts de ses électeurs. Le peuple a cette croyance naïve ; et les batailles électorales sont chaudes et parfois violentes, lorsqu'il s'agit de réélire ou d'élire les candidats qui se présentent. La place est recherchée, cela se conçoit, et l'électeur naïf qui ne connaît de la politique que son côté superficiel se dispute, espérant que son candidat - qui ne peut être que le meilleur- ­ triomphera des adversaires et qu'ainsi sortira victorieuse la politique qui lui paraît susceptible d'améliorer son sort. Pas une minute l'électeur ne suppose que le candidat puisse être un charlatan qui se moque de lui et se fiche de son bien-être et de sa liberté ; pas une minute il ne doute de sa sincérité et de son dévouement. A ses yeux, son candidat est un être sublime qui se dévoue à une cause et qui sacrifie ses propres intérêts pour soutenir et défendre ceux de ses semblables, et l'électeur se prosterne devant tant d'abnégation.

Car en effet si l'on considère la façon dont le député se présente à l'électeur, il faut reconnaître que cette fonction est pour celui qui en est chargé une source d'ennuis et de tracas. Le député, avons-nous dit, est élu pour quatre ans et touche annuellement un salaire de 45.000 Fr., ce qui fait pour une législature 180.000 francs. Cela peut paraître excessif, mais l'électeur s'est-il jamais posé cette question : à savoir combien coûte une élection? Probablement non ; car l'électeur ne pénètre pas dans le fonds de la politique et ne s'arrête qu'à la surface. Or, une élection est une bataille, et une bataille qui ne se livre pas à coup de fusils mais à coup de publicité, de propagande ; et cette bataille coûte cher. Pour réussir dans sa tentative, le candidat doit s'attacher la presse, inonder les murs d'affiches, payer des propagandistes qui travaillent le collège électoral, et cela ne se fait pas sans argent. Au bas mot, on peut dire que, de nos jours, une élection coûte au moins 100.000 Fr. Faut-il encore les posséder, car celui qui ne peut répondre à toutes les exigences publicitaires peut être certain d'être submergé par ses adversaires et en conséquence arriver bon dernier. Il ne suffit donc pas, ainsi que cela semble, pour décrocher un mandat, d'être Français et d'avoir 25 ans d'âge, mais pour être juste il faut ajouter, qu'il est indispensable de posséder 100.000 francs. Nous voyons donc que sur les 190.000 francs que touche un député, il ne lui en reste plus que 90.000, et encore nous supposons que le candidat fut élu, sinon il a purement et simplement perdu 100.000 francs. Et voilà pourquoi le peuple s'imagine que son député est un homme sincère et dévoué, car, aussi désintéressé soit-on, il est peu d'individus qui soient prêts à risquer 100.000 francs pour en gagner 90.000. Mais ce que le peuple ignore, c'est que la plupart dés candidats sont patronnés par de grosses firmes industrielles et de grosses entreprises financières qui ont la faculté de jeter tout l'argent nécessaire dans la bataille, et que, une élection étant une bataille d'argent, lesdits candidats sortent toujours victorieux. Et de cette façon la finance et l'industrie ont à la Chambre des députés leur représentant direct. Ce que le peuple ne veut pas comprendre, c'est que le député n'est pas un agent politique chargé de défendre ses intérêts mais un agent commercial qui a une mission à remplir auprès des gouvernants et que cette mission consiste à arracher à l'Etat le plus possible en faveur des établissements qui l'ont placé là.

L'Etat est un gros acheteur; il dépense chaque année plusieurs milliards et chacun est avide de recevoir du Gouvernement une commande. Qui, mieux qu'un député, est capable d'arracher un ordre ou de provoquer un achat? Qui, mieux qu'un député, surtout s'il est représentant d'une grande firme d'aviation, peut pousser le Gouvernement à l'armement aérien? Il a l'air de remplir une œuvre patriotique et nationale, alors qu'en réalité il ne cherche qu'à remplir ses poches, Dans toutes les branches de la grosse industrie et de la haute finance il y a, à la Chambre, des députés qu'on a surnommés les députés d'affaires et qui forment la majorité de l'Assemblée. S'il se trouve, par hasard, parmi ces hommes, une brebis qui ne soit pas galeuse, et qui ne veuille pas se laisser contaminer, elle est bien vite écrasée par l'entourage.

Faut-il voter une loi sociale, quelque chose qui puisse être avantageux à la classe opprimée? Immédiatement se dresse toute la clique de ces hommes de paille, qui, en chiens de garde de la bourgeoisie et du capital, s'élèvent contre les mesures envisagées, et la loi retourne dans les cartons poussiéreux des ministères, d'où elle ne sort plus jamais.

Voilà le rôle du député, qu'il remplit du reste à merveille. Nous avons dit d'autre part que la démocratie était le dernier rempart de la bourgeoisie, le député en est le fidèle soldat, et c'est un soldat qui ne livre pas bataille franchement, loyalement, mais qui use de fourberie, de mensonges et de trahison.

Quel plus bel exemple peut-il être donné des qualités morales d'un député que les élections législatives de 1924 qui feront époque dans les annales de la démocratie? Deux ans à peine après les dites élections, les élus trahissaient leurs électeurs et fléchissaient le genou devant l'homme sur lequel pèse une grande part de responsabilité de la guerre de 1914. Combien d'exemples semblables pourrait-on citer à l'actif des députés! Et cela ne suffit pas au peuple.

Il y avait, dit J.-M. Guyau, « une femme dont l'innocente folie était de se croire fiancée et à la veille de ses noces, le matin en s'éveillant, elle demandait une robe blanche, une couronne de mariée, et souriante, se parait. « C'est aujourd'hui qu'il va venir », disait-elle. Le soir la tristesse la prenait, après l'attente vaine ; elle ôtait alors sa robe blanche. Mais le lendemain, avec l'aube, sa confiance revenait: « C'est pour aujourd'hui disait-elle ». Et elle passait sa vie dans cette certitude toujours déçue, et toujours vivace, n'ôtant que pour la remettre sa robe d'espérance ».

Le peuple n'est-il pas atteint de cette même folie, plus dangereuse, hélas!, car ses espérances toujours déçues, perpétuent son esclavage et engendrent souvent des catastrophes? Il continue, malgré l'expérience du passé, à se laisser griser de mensonge, et après avoir été trompé par les blancs il se laisse tromper par les rouges, espérant encore et toujours trouver l’homme ou plutôt le Dieu qui l'arrachera à son sort misérable. Il ne veut pas comprendre que cet homme n'existe pas que personne ne peut le sortir de son esclavage et que « l'émancipation des travailleurs ne sera l'œuvre que du travailleur lui-même ».

Il vote, espérant trouver là le salut. Tout ce que l'on peut dire a été dit sur le député et sur l'électeur, et nous ne pourrions mieux faire que de citer la conclusion du vigoureux pamphlet de Octave Mirbeau à ce sujet.

« A quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d'une volonté à ce qu'on prétend, et qui s'en va, fier de son droit, assuré qu'il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus? ... Qu'est-ce qu'il doit bien se dire, en dedans de soi qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant? Qu'est-ce qu'il espère? Car enfin, pour consentir à se donner des maitres avides qui le jugent et qui l'assomment, il faut qu'il se dise qu'il espère quelque chose d'extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité.

« Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

« Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu'un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l'écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre, qu'il n'a qu'une raison d'être historique, c'est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.

« Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne sa vie, puisqu'il est obligé de se dépouiller de l'un et de donner l'autre ? Eh bien non! Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêles, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour acquérir ce droit » (Octave MIRBEAU. La Grève des Electeurs).

Et il n'y a rien à ajouter.