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DESARMEMENT n. m.

« Action de désarmer, de réduire ou de supprimer ses forces militaires », telle est la définition la plus courante du mot désarmement.

Pour nous, qui n'envisageons pas les choses et les faits de la même façon, et qui les considérons sous un angle différent, le désarmement ne peut être à nos yeux, partiel et consister en une réduction quelconque des forces militaires, mais doit, pour être effectif, entraîner la suppression totale de ces forces. Durant les années qui suivirent la signature des divers traités de « paix », mettant fin à la guerre de 1914-1918, de nombreuses conférences officielles furent organisées, et autour du tapis vert de la diplomatie, les représentants de toutes les grandes nations du monde, étudièrent ou firent semblant d'étudier le problème du désarmement. Un accord fut conclu déterminant la limite d'armements dans laquelle devaient se maintenir les nations contractantes, et on alla même jusqu'à détruire de vieilles unités maritimes, donnant ainsi au peuple l'illusion que quelque chose était fait pour le maintien de la paix mondiale. Or, il est erroné de penser, qu'une limitation, qu'une réduction des armements soit un facteur de paix et il serait faux de croire que dans les hautes sphères gouvernementales, on soit animé par le désir d'amoindrir les forces militaires des différentes nations du monde. La vérité brutale est que chaque nation est entraînée dans un formidable tourbillon créé par la guerre de 1914 et que la paix est menacée par l'intensification perpétuelle des armements. Du reste, mieux que toutes paroles, les chiffres nous fixeront nettement sur la situation respective de certaines nations et des dépenses qu'elles effectuent pour maintenir et augmenter leur puissance militaire.



Dépenses pour la « Défense Nationale » en milliers de dollars


ANGLETERRE 1913-14
1924-25
Armée

203.233
Armée et Aviation 171.468
Aviation
64.967
Marine 247.489 252.537
Colonies
22.019
Dépenses militaires incorporées au budget civil
11.124
Total 418.957 553.880


INDES
1913-14
1924-25
Armée et Aviation                                              96.769
191.007
Marine
2.508
3.025
Ouvrages militaires
4.713
13.873
Total
103.990
207.905


ETATS-UNIS
1913-14
1924-25
Département de la Guerre                                
112.485
340.554
Département de la Marine
114.869
277.208
Total
257.354
617.762


JAPON
1913-14
1924-25
Armée                                                               
46.276
80.727
Marine
47.258
96.087
Total
98.534
176.814


ITALIE
1913-14
1924-25
Marine Militaire et Aviation                              
116.947
11.837
Marine Marchande
49.344
38.832
Colonies, dépenses militaires
1.881
8.459
Total 178.173
159.149


BELGIQUE
1913-14
1924-25
Budget ordinaire                                               
14.345
25.522
Budget extraordinaire
2.354
3.538
Total
16.699
29.060

Quant à la France, son budget de la guerre qui' était en 1914 de 1.720 mil lions de francs, s'est élevé, en 1925, à 5.521 millions, auxquels il faut ajouter : 1.252 millions pour les dépenses du Ministère de la Marine.

Voilà donc ce qu'entendent par « désarmement » les hommes qui président aux destinées du monde. Une fois de plus les peuples se laissent berner par leurs dirigeants et reposent tranquilles sans s'apercevoir que le réveil sera brutal et que les mots de désarmement ne sont prononcés que pour cacher l'armature d'acier dont s'entourent les différents capitalismes internationaux.

Nous avons tracé un tableau comparatif des dépenses militaires, de différentes nations en 1914 et en 1925, et l'on pourrait nous objecter que, la valeur de l'argent ayant diminué et que celle des matériaux n'étant pas la même en 1914 qu'en 1925, il ne s'en suit pas que ce surplus de dépenses ait déterminé une intensification des armements.

S'il est vrai en effet que la dépréciation de la monnaie joue un rôle dans les dépenses formidables occasionnée par la course aux armements, il est utile de faire remarquer que l'armement s'est modernisé et que si l'on étudiait le problème superficiellement on serait également tenté de croire qu'un progrès immense s'est réalisé et que le désarmement s'opère lentement, mais progressivement. En effet, pour la France par exemple, le nombre d'officiers qui était de 32.392 en 1913, n'était plus en 1926 que de 31.622 et celui des soldats était descendu de 870.000 en 1924 à 640.000 en 1926.

Mais nous savons que les hommes, de même que les fusils et les canons, ne joueront qu'un rôle effacé, secondaire, dans les guerres futures, et qu'en conséquence, les dirigeants peuvent sans crainte sacrifier quelques cent mille hommes inutiles, et faire refondre quelques centaines de canons, sans pour cela désarmer. Ils donnent au peuple, en accomplissant ces actes, l'illusion du désarmement, et celui-ci se contente de cet artifice pendant que, dans l'ombre, on organise l'aviation et l'on fabrique des gaz qui sont les véritables armements modernes.

Voici, du reste, un document officiel, émanant de la Société des Nations, qui nous initie pleinement sur le désarmement des grandes nations et sur 1es procédés susceptibles d'être pratiqués au cours d'une guerre :

« Mais on peut concevoir dans l’avenir d'autres procédés tels que le lancement par avions de bombes ou autres récipients, chargés en produits nocifs, qui atteindraient les populations civiles aussi sûrement que les combattants. « Il est douteux, écrit le professeur André Mayer, que les peuples se rendent compte de la puissance de cette arme et du danger auquel elle les expose » ; et le professeur W. B. Canon, va plus loin encore, lorsqu'il déclare que : « Nous n'avons rien vu au cours de la dernière guerre, qui soit comparable aux perspectives probables de destruction des centres industriels et de massacres de populations civiles, au cas où un nouveau conflit important viendrait à se produire », « L'arme chimique, employée pendant la dernière guerre avec une intensité croissante ct une efficacité indiscutable produit des effets physiologiques les plus divers. « Il n'y a pas plus de limites concevables à sa puissance, à son efficacité, à sa diversité, qu'il n'y en a à la pharmacologie ou à n'importe quelle branche de la chimie ».

« Les substances nocives employées étant d'un usage courant en temps de paix, l'arme chimique est à la disposition de toute grande puissance industrielle possédant des usines chimiques, et cette constatation suggère aux professeurs Zanetti et Mayer, les conclusions suivantes extraites de leurs rapports :

« L'extrême facilité avec laquelle, nous dit le professeur Zanetti, ces usines peuvent être transformées, presque en une nuit, en fabriques de matériel destiné à la guerre chimique, fait naître un sentiment de crainte et de défiance vis-à-vis d'un voisin disposant d'une organisation chimique puissante ».

« Elle assure, en effet, à une puissance animée de mauvais desseins, une supériorité immense, observe à son tour le professeur Mayer. Un corps nocif, étudié en secret « et cette étude peut se faire n'importe où » fabriqué en grande quantité (et cette fabrication peut être faite dans n'importe qu'elle usine chimique), jeté par surprise sur une population non préparée, peut briser toute velléité de résistance ».

Du point de vue technique, il ne semble pas qu'il y ait une impossibilité à ce que les grandes cités soient attaquées au moyen de gaz toxiques par la voie des airs ou par les armes à portée de plus en plus longue existant dans l’armement des forces militaires et navales modernes. Il y a, au contraire, des raisons de croire que, dans une guerre future, l'armée aérienne sera beaucoup plus développée que dans la dernière guerre, tant au point de vue du nombre des avions que de leur capacité de transport.

« Quelque condamnable que soit une telle action, il n'y aurait pas de difficultés techniques à ce que les bombes de grande dimension, remplies de gaz toxique, soient jetées sur des centres indispensables à la vie politique ou économique du pays ennemi.

« Le gaz utilisé ne serait pas nécessairement à effet temporaire, puisque le but consisterait à gêner ou détruire le centre d'activité qui serait l'objectif de l'attaque. Le gaz moutarde, par exemple déversé en forte quantité sur de grandes villes, resterait probablement pendant longtemps sur le sol ct pénètrerait graduellement dans les maisons.

« Il faut espérer qu'on trouvera un moyen efficace de protéger les populations civiles contre de tels dangers, mais Il faut admettre que le problème est difficile. La fourniture de masques à une population entière semble être presque impraticable et il reste encore à prouver que les méthodes de protection collective soient efficaces.

« En l'absence de ces moyens et sans indications préalables sur le point d'attaque, toute protection complète est impossible. De plus, les gaz toxiques lourds demeurent près du sol, même en pleine campagne pendant un temps très long. Dans une ville, il est difficile de dire le temps pendant lequel ils resteraient et persisteraient à constituer un danger.

« On pourrait dire sans doute qu'un tel développement de la guerre serait trop odieux et que la conscience humaine se révolterait contre de pareilles pratiques.

« Cela est possible, mais étant donné que, dans les guerres modernes telles que la dernière, toute la population d'un pays se trouve plus ou moins directement engagée, il est à craindre que des belligérants peu scrupuleux ne fassent pas de différence entre l'usage de gaz toxiques contre les troupes sur le champ de bataille et l'usage de ces gaz contre les centres qui fournissent à ces troupes les moyens de se battre.

« En conclusion : constatant, d'une part, les applications de plus en plus nombreuses et variées de la science à la guerre, observant d'autre part, que le véritable danger,- danger de mort - pour une nation serait de s'endormir confiante en des conventions internationales, pour se réveiller sans protection contre une arme nouvelle, il paraît à la Commission essentiel que les peuples sachent quelle terrible menace est ainsi suspendue sur eux ».

Nous avons tenu à reproduire ce texte en son entier, car il est, dans son ensemble, non seulement un avertissement pour les peuples, mais aussi une preuve de l'impuissance dans laquelle se trouve, en 1927, cette fameuse Société des Nations, à écarter les conflits entre nations. Et de plus cet exposé nous éclaire lumineusement sur le désarmement. On comprend pourquoi certaines grandes nations ne se refusent pas à réduire leurs effectifs militaires, à détruire certaines vieilles unités navales, ne se trouvant plus en rapport avec 1es besoins de la guerre moderne, tout en s'organisant puissamment dans l'attente de nouvelles hécatombes.

« L'extrême facilité », dit le rapport que nous reproduisons « avec laquelle les usines peuvent être transformées, presque en une nuit, en fabrique de matériel destiné à la guerre chimique fait naitre un sentiment de crainte ». Il est évident que cela complique sensiblement le problème du désarmement, que telle puissance peut paraître très faible si l'on considère le nombre de ses troupes, de ses canons, de ses navires, et être très forte au point de vue chimique.

Et, bien que, dans les cercles officiels, on parle, pour le peuple, de désarmement, il est notoire que chaque puissance du monde envisage dès à présent l'utilisation des gaz nocifs dans la guerre qui vient et cela est tellement vrai que, le 26 juillet 1926, le journal Paris-Soir publiait ce petit entrefilet suggestif malgré sa brièveté :

« Londres, 26 juillet. - Demain M. C. G. Ammon parlera à la Chambre des Communes de la guerre aérienne.

« Il demandera au gouvernement de voter une loi rendant obligatoire la possession d'un masque à gaz »,

Cette mesure est indispensable, a déclaré dans son rapport l'auteur de cette interpellation, car en cas de guerre, d'un moment à l'autre, une ville peut être anéantie par des gaz lancés par avions.

« En créant cette obligation du masque, les municipalités, à des périodes fixes, - trois ou quatre fois par an - feront passer les populations dans des chambres à gaz afin de leur bien apprendre à s'en servir (Paris-Soir) ».

Ce n'est donc pas sans raison qu'au début du mois d’août 1926, Han Ryner lançait ce manifeste à la population, afin de l'éclairer sur les dangers qui la menacent.

« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » écrit Rabelais. Mais la science a progressé depuis et si la conscience ne se réveille pas en l'homme la science ne ruinera pas seulement l'âme.

« Si l'homme reste assez vil pour laisser faire les gouvernements, et pour obéir à ceux qui ont assez peu de conscience pour se prétendre des chefs ; s'il reste l'être discipliné qui se laisse mener en troupeaux et en armées, c'est l'humanité même qui, grâce à la science, fera hara-kiri.

« Et voici, d'après le National Zeitung de Bâle, comment le grand suicide du genre humain risque de commencer :

La guerre vient brusquement d'être déclarée. Aucune difficulté urgente, insoluble, ne semblait la rendre imminente. Au contraire, les dernières nouvelles étaient plutôt rassurantes.

La condamnation à mort de l'Europe n'est connue du Gouvernement que depuis cinq minutes. La presse n'en sait encore rien, le public non plus.

Les rues sont remplies d'une foule anxieuse excitée mais qui ne se doute rien.

Tout à coup, une odeur de violette, d'abord légère, puis insupportable, envahit les rues et les places. Déjà l'air n'est plus respirable.

Qui ne réussit pas à s'enfuir à temps - et bien peu y réussissent - devient rapidement aveugle, perd connaissance, s'effondre sur le sol et étouffe.

Le ciel est parfaitement serein, bleu, sans nuages

Aucun avion en vue.

Cependant, à quatre ou cinq mille mètres au-dessus du sol, hors de la portée de la vue et de l'ouïe, une escadrille évolue, sans pilote, sous l'action d'ondes hertziennes, et laisse couler sur le sol sa charge de gaz lacrymogène (le gaz le plus « humain ») ou de lewisite, moins agréable déjà, ou même de bichlorure d'éthyle sulfuré, le gaz moutarde, roi des poisons,

La guerre des gaz a commencé. L'action du gaz moutarde, dernier cri de la technique moderne, ne saurait être décrite en termes trop atroces. Des dix-sept espèces de gaz utilisés jusqu'ici avec succès, c'est de beaucoup la plus parfaite. C'est la mort même.

Aucun masque ne protège contre lui. Il ronge les chairs. Lorsqu'une région a été saturée par le gaz, chaque pas, chaque poignée de porte, chaque couteau à faire reste pendant des mois mortels.

Les aliments ne peuvent plus être consommés. L'eau est empoisonnée. Toute vie se trouve anéantie.

Encore deux ou trois guerres utilisant de tels progrès et il ne restera plus personne pour dire : « Je n'ai pas voulu cela » (HAN RYNER).

Est-il besoin d'ajouter quoi que ce soit? Il est évident, indéniable, que l'armement moderne, plus terrible que celui qui l'a précédé est une menace pour l'humanité et que le monde va à la ruine si les peuples ne se réveillent pas de leur torpeur. Certains prétendent que la guerre serait trop monstrueuse et qu'aucun homme d'Etat ne prendrait sur lui la lourde responsabilité de la déclencher ; Raisonner ainsi, c'est se prêter volontairement comme « agneau pascal » et se faire indirectement un agent de destruction. Déjà en 1914, cet argument courait de bouche en bouche, et pourtant la guerre éclata et durant quatre ans et demi, ce ne furent que massacres et que ruines. Il en sera de même demain, et rien ne peut empêcher que cela soit, sinon la volonté des hommes, de ne pas se faire tuer dans un conflit d'intérêts divisant le capitalisme.

Le problème du désarmement reste entier. Il ne peut être résolu par les parlottes diplomatiques. C'est au peuple de le résoudre.

Le désarmement est intimement lié à d'autres questions et vouloir le traiter séparément est inutile. Le capital a besoin d'armements pour se défendre et l'utopie n'est pas d'espérer une société sans capital, mais justement de songer à réaliser une société capitaliste sans armements.

Nous avons, par ailleurs, tenté de démontrer quelles sont les origines des guerres (voir capitaliste et capitalisme), et nous restons convaincus qu'il n'est pas de remèdes dans l'ordre social actuel, susceptibles d'enrayer les conflits internationaux.

Et ce n'est pas une question d'hommes. Les hommes peuvent disparaître. Un conservateur peut, à la tête du gouvernement, être remplacé par un radical, un démocrate, voire un socialiste. Rien ne sera changé. Les dangers de guerre subsisteront tant que ne sera pas effondré le régime basé sur le capital. Ce qui est plus terrible, c'est que tout retard dans l'accomplissement d'une telle œuvre rend la tâche plus difficile. A mesure que nous avançons dans le temps, le capitalisme s'organise plus puissamment, et la faiblesse des classes opprimées s'agrandit également en raison directe de la force du capital. Demain il sera trop tard, les peuples seront réduits à l'esclavage et toute tentative de révolte deviendra inutile.

La révolution n'est pas seulement une question d'individus, elle est aussi et surtout une question d'événements, mais faut-il encore que les hommes sachent profiter de ces événements et ne pas les laisser passer en restant inactifs.

Au lendemain de la boucherie, lorsqu'en 1918 les hommes d'Etat des nations belligérantes furent obligés, faute d’hommes et d'argent, d'arrêter le massacre, le peuple avait entre les mains tous les outils nécessaires pour se libérer une fois pour toutes de tous ses maîtres, de tous ses parasites. Pendant quatre ans, il avait su se sacrifier pour une cause qui n'était pas la sienne, mais il n'eut pas le courage d'user de ses armes contre ses véritables ennemis. Il avait la possibilité d'organiser sur les ruines sanglantes de la guerre une société de bonheur et d'harmonie, il ne l'a pas voulu et i1 rendit ses armes avec la même inconscience qu'il les avait reçues.

Le capitalisme eut peur un moment. Mais aujourd'hui, tout danger immédiat étant écarté, il organise sa défense en usant d'armes d'élite, mises entre les mains d'individus lui appartenant et en qui il peut avoir toute confiance.

Il n'est pourtant pas possible que l'humanité se détruise ainsi. Si le capitalisme sent sa fin prochaine, il n'hésitera pas à tenter l'impossible pour entraîner avec lui toute l'humanité. « Périsse le monde entier » s'il ne doit pas vivre, lui. Voilà où nous en sommes, et notre conclusion est et reste toujours la même. Y en a-t-il une autre? Nous ne le pensons pas.

Le capitalisme est un facteur de désagrégation, de destruction, et l'humanité a besoin d'être construite sur de nouvelles bases. L'autorité a fait ses preuves, et il a été démontré suffisamment, qu'elle n'engendre que la misère et la ruine. Que reste-t-il alors ? « La liberté ».

Remontons à la source, plongeons le scalpel dans l'origine du mal, et le désarmement s'opérera, dans le domaine physique et moral pour le plus grand bonheur de l'humanité régénérée.



- J. CHAZOFF.