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DESOBEISSANCE n. f.

Refus d'obéir, enfreindre un commandement. « Désobéir à ses chefs ; désobéir à ses parents ». « La désobéissance est chez les enfants un grave défaut » déclare la morale bourgeoise, et en effet il paraîtrait surprenant qu'il en fût autrement, si l'on considère que toute la morale bourgeoise est basée sur les droits de l'Autorité et la nécessité de l'obéissance. C'est sans doute en vertu du vieux principe religieux : « Honore ton père et ta mère » que, de nos jours encore, on persiste à déclarer que la désobéissance des enfants aux parents est un acte répréhensible qui doit être châtié, et pourtant la désobéissance des enfants est le plus souvent déterminée par l'incompréhension et provoquée par 1es parents eux-mêmes.

Donner un ordre à un petit enfant est utile, car ce dernier est parfois incapable de se conduire lui-même et a besoin, pour s'orienter, d'être appuyé et soutenu par les conseils de ses parents ; mais faut-il encore que les parents soient des êtres raisonnables et logiques et que leur autorité ne se manifeste pas fréquemment d'une manière arbitraire et ridicule.

L'enfant est un petit être neuf, qui veut savoir, connaître, s'intéresse à toute chose, remarque les moindres détails, et qui, à chaque instant, cherche à pénétrer le mystère de ce qui l'entoure : c'est un petit animal instinctif qui fonce tête baissée à la découverte de la vie et qui agit avec toute la fougue et l'impétuosité que lui communique la jeunesse. Il n'est donc pas absolument inutile de réfréner en lui l'instinct qui peut lui faire commettre des gestes, des mouvements, des actes dangereux pour lui-même ; mais il faut le faire intelligemment, avec perspicacité et mesure, si l'on veut en être compris et, en conséquence, écouté.

Malheureusement, ce n'est que rarement que l'on agit ainsi avec un enfant. On a le grand tort de le croira inaccessible à la raison et l'on se refuse à discuter avec lui. On a trop peu souvent l'habitude de répondre à ses questions et on juge inutile de l'initier aux causes de l'ordre qu'on lui donne et c'est pourquoi tant d'enfants désobéissent.

Tu ne dois pas faire ceci ; tu ne dois pas faire cela ; tu ne dois pas aller ici, etc., etc. C'est dix fois par jour, à chaque instant que l'enfant entend ces mots sans que l'on daigne « s'abaisser » à lui donner la moindre explication. Il doit exécuter l'ordre qu'on lui intime, et c'est tout ce qu'on lui demande : « l'enfant doit être obéissant et ne pas chercher à   approfondir ». Raisonnement ridicule qui caractérise particulièrement la médiocrité de la morale bourgeoise, car l'enfant veut savoir quand même, et pour atteindre son but, il désobéit. On le corrige, mais cela ne change rien du tout, un enfant ne reculant pas devant une correction où une punition quelconque, lorsqu'il veut satisfaire une fantaisie ou un caprice. Il semble donc que le cerveau vierge de l'enfant n'étant pas encore corrompu, le raisonnement est le moyen le plus propice à obtenir de lui l'obéissance. Et puis jusqu'à quel point - toujours en vertu de la morale bourgeoise - la désobéissance de l'enfant est-elle un défaut? Quel est le moraliste qui soutiendra que l'enfant commet un acte répréhensible, lorsqu'il refuse à son père, ivrogne, d'aller lui chercher de l'alcool? L'enfant a-t-il raison ou tort lorsqu'on lui demande de s'humilier pour satisfaire à l'autoritarisme de ses parents? En vérité, il serait bien difficile au moraliste d'établir des bornes pour marquer le point où la désobéissance cesse d'être immorale. Pour nous, anarchistes, toute obéissance passive, aveugle, irraisonnée est néfaste, nuisible, et si on inculque aux enfants les beautés et les bienfaits provoqués par l'obéissance et les méfaits et les crimes occasionnés par la désobéissance, ce n'est que pour les préparer à une vie de mensonge, de veulerie et d'esclavage.

Et, en effet, lorsqu'il sera libéré du joug du maître d'école qui aura troublé ses plus jeunes années, et aura déjà, par son autorité, fait des ravages dans son jeune cerveau, c'est le patron, le contremaître, l'ouvrier, auxquels il ne lui faudra pas désobéir, car l'apprenti est l'inférieur qui doit tout admettre sans protester, sans donner son avis, et accepter comme parole d'évangile tout ce qu'on lui dit. Ensuite ce sera l'armée, où désobéir est un véritable crime, même si l'ordre donné est de tuer ses semblables. L'obéissance aux chefs est un devoir sacré pour le militaire, et la désobéissance est punie avec une sévérité atroce.

En regard de ses supérieurs, civils ou militaires, l'homme durant toute sa vie reste un enfant auquel le père donne un ordre logique ou ridicule.

Obéir : c'est se courber, c'est reconnaître durant toute son existence son infériorité notoire ; obéir c'est consentir à n'être qu'une chose, un jouet, une plante, sans aspirations, sans désirs, sans besoins. Désobéir, c'est se refuser à n'être qu'une machine, c'est affirmer sa personnalité, c'est manifester sa volonté, sa force ; désobéir, c'est se refuser à voir se perpétuer indéfiniment un organisme corrompu dans tous ses rouages, c'est vouloir changer un ordre social qui engendre des monstruosités et qui, depuis des siècles, transmet aux générations son bagage d'erreurs.