Déterminisme

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DETERMINISME n. m.

Pris dans le sens le plus général du mot, déterminisme signifie le conditionnement d'une chose par une autre. Tout fait, tout phénomène, tout événement n'est, au fond, qu'un anneau dans une chaîne de faits dont chacun est prédéterminé par les faits précédents (les causes ou les motifs) et engendre fatalement les faits ultérieurs (les conséquences). Il n'y a pas de fait sans raison déterminante. Tout ce qui est dans le monde a sa raison déterminée. Tout se produit infailliblement quand certaines conditions sont données et ne se produit pas dans le cas contraire. Il existe donc une liaison étroite, inviolable, entre tous les phénomènes de la nature, de la vie, de tout ce qui est dans le monde. Telle est la formule générale de l'idée du déterminisme.

Exprimée de cette façon très générale, cette idée ne contient encore que dans le germe la fameuse controverse, le grand problème philosophique, psychologique, éthique et social, qui est connu plutôt comme celui du libre arbitre et dont la solution définitive se fait toujours attendre.

Formulée généralement, l'idée du déterminisme ne spécifie pas encore la nature de la raison déterminante. Cependant, cette dernière peut varier : par exemple, elle peut être externe et transitive ou interne et immanente ; elle peut être soit logique ou rationnelle, soit efficiente ou causale, etc. Or, il suffit de réfléchir d'une façon plus approfondie sur la nature de cette raison et surtout de tâcher d'en déduire certaines conclusions pratiques, pour se rendre compte de la grande complexité du problème.

Traitant le sujet plus à fond au libre arbitre (voir ce mot), je me bornerai ici à exposer dans ses grandes lignes le sort historique de la doctrine du déterminisme.

Ce furent les anciens, les Grecs notamment, qui, les premiers, posèrent le problème. Ils le firent sous le jour éthique et psychologique. Socrate, Platon, Aristote, les stoïciens, et nombre de philosophes grecs et romains (Cicéron) postérieurs, s'occupèrent à formuler certaines objections à l'idée - à cette époque assez vague encore – du déterminisme universel. Leur but fut toujours d'établir une certaine liberté psychologique et éthique de l'homme : liberté intérieure de son raisonnement, de son jugement, de sa volonté, de son action. L'argumentation de ces divers philosophes et de différentes écoles philosophiques de l'antiquité variait beaucoup, mais tous ils s'efforçaient de limiter, d'une façon ou d'une autre, le principe du déterminisme, par rapport à l'homme. Ils penchaient vers la reconnaissance du libre choix chez l'homme, donc vers le libre arbitre. Autrement, ils n'auraient pu établir leurs célèbres conceptions éthiques.

Ainsi, sur le terrain étique tout d'abord, le problème fut posé, la controverse naquit.

Philosophiquement, matériellement, moralement, socialement, etc., l'homme est-il libre et indépendant d'une prédétermination fatale ou, au contraire, toute son activité n'est-elle qu'un résultat inévitable de causes et de motifs se trouvant en dehors de sa volonté personnelle qui, dans ce cas, ne serait qu'une illusion? Tel fut le problème légué à la postérité par la pensée antique.

Au Moyen-âge, du Vème au XVème siècle, la controverse acquit un caractère religieux et scolastique. La préoccupation principale des penseurs de cette époque fut celle de concilier le dogme chrétien de la prédestination divine - sorte de déterminisme absolu - avec le principe de libre choix humain nécessité par la même religion chrétienne. Saint Augustin, Thomas d'Aquin et d'autres encore, versèrent beaucoup d'encre pour y aboutir. Le résultat de leurs efforts fut plutôt maigre, car, malgré qu'au XIème siècle le déterminisme intégral eût été condamné comme hérésie, le XIVème siècle fournit la théorie du déterminisme absolu (toujours à hase religieuse de Wiclef), et le XVIème siècle, celle, déterministe aussi, de Luther.

Les siècles XVI et XVII furent remplis de luttes religieuses et philosophiques entre les déterministes extrêmes, déterministes modérés et les partisans du libre arbitre. Pascal, Fénelon et Bossuet furent les penseurs religieux les plus puissants de cette époque parmi ceux qui s'occupaient du problème. Pascal et surtout Fénelon, défendirent des théories déterministes, tandis que Bossuet penchait plutôt vers l'idée du libre arbitre, tout en cherchant à concilier les deux extrémités.

D'autre part, cette époque est remarquable par des tentatives consécutives de construire des systèmes métaphysiques grandioses. C'est à la métaphysique spéculative que la religion cède le pas. Les systèmes les plus importants sont ceux de Spinoza, de Leibniz et de Kant, ce dernier (mort en 1804) jetant son ombre gigantesque sur tout le XIXème siècle. Spinoza fut un déterministe accompli, intégral. Il n'admettait à la volonté humaine aucune liberté de choix réelle. La raison déterminante universelle et absolue de Spinoza est la nécessité rationnelle, logique. Leibnitz, tout en étant partisan d'un déterminisme général de caractère moral, admet, néanmoins, une certaine liberté intérieure de volonté et d'action. Quant à Kant, il fut le premier qui établit définitivement le principe de la causalité générale déterminante. Il admettait, cependant, une liberté relative dans le domaine psychique.

Au XIXe siècle, nous avons, tout d'abord, quelques tentatives, spéculatives aussi, de compléter et de préciser la philosophie de Kant. Tels sont les systèmes métaphysiques de Schelling et de Schopenhauer qui, tout en étant déterministes par rapport à la causalité universelle, admettent une certaine liberté intérieure conditionnelle. Nous trouvons plus intéressante la conception de Fichte qui, le premier, fixa l'attention sur la force créatrice de l'homme et prépara ainsi le terrain à l'idée d'une causalité psychique spécifique. C'est pour cette raison qu'il penchait vers la possibilité du libre arbitre. Des idées analogues furent développées par le philosophe français Maine de Biran.

Vers la fin du XIXème siècle, la philosophie spéculative, la métaphysique, se trouvent définitivement engagées dans une impasse sans issue. C'est le positivisme d'Auguste Comte, c'est la philosophie évolutionniste, fermement établie par Herbert Spencer, qui guide la pensée humaine. D'autre part, c'est l'essor des sciences précises et expérimentales, qui commence à marquer le pas de l'activité et de l'exploration des savants, des penseurs et des chercheurs de la vérité. Le problème général du déterminisme cesse précisément d'être un problème « général ». Dorénavant, ce seront les érudits des diverses branches séparées des sciences - psychologues, moralistes, économistes, juristes, sociologues - qui analyseront et tâcheront de résoudre la controverse, tant qu'ils seront poussés à le faire par les nécessités de leurs recherches scientifiques et, aussi, par les besoins pratiques.

C'est ainsi que le problème général métaphysique du déterminisme se divise, à notre époque, en plusieurs problèmes de déterminisme moral, économique, social, etc. Chaque branche des sciences résout la question plus ou moins à son gré. Et s'il reste encore un domaine qui s'en occupe toujours de façon générale, c'est la psychologie contemporaine, qui n'a plus rien de métaphysique, étant entièrement basée sur l'expérience et l'analyse précise.

Les résultats de ce nouvel état de choses ne sont pas encore très concluants. La controverse entre la conception déterministe et celle du libre arbitre est encore loin d'être définitivement résolue. Mais ce qui importe, c'est que la véritable essence du problème est aujourd'hui clairement et définitivement établie. Le fond de la question peut être formulé comme suit : tout en reconnaissant la présence d'une causalité universelle, générale, fatale ; à laquelle l'homme ne pourrait pas se soustraire entièrement, sa volonté et son action peuvent-elles jouir d'une certaine liberté de choix? Si oui, en quel sens et dans quelle mesure cette liberté pourrait-­elle être admise?

Les éléments principaux pour la solution éventuel1e de ce problème sont fournis par la psychologie qui s'occupe à établir le principe d'une causalité psychique spécifique introduisant dans la chaîne des causes générales un anneau sui generis, un facteur indépendant, dans une certaine mesure. Sur cette voie, le problème en touche de près un autre, celui de la capacité créatrice chez l'homme. (Voir : Création, Libre arbitre, Evolution, Progrès).

N'ayant pas encore abouti à un résultat décisif, l'analyse psychologique du problème laisse toujours le champ libre à d'autres sciences de résoudre la question à leur gré.

Ainsi, par exemple, dans les sciences économiques et sociales, nous avons aujourd'hui la conception marxiste qui est celle d'un déterminisme économique et social presque absolu, basé sur le monisme et le matérialisme philosophiques et historiques. Et nous avons, en même temps d'autres théories socialistes et, surtout, la conception anarchiste, qui, étant beaucoup plus d'accord avec les données de la psychologie et de la sociologie modernes, se basent sur le principe pluraliste et synthétique, permettant de s'approcher de la conciliation définitive du déterminisme extrême avec le libre arbitre illimité. C'est, précisément, le problème de la force créatrice de l'homme, - de son essence, de son rôle, de ses effets, - qui doit intéresser surtout les anarchistes.

Notons pour conclure que le problème du déterminisme a des accointances avec celui du hasard. Mais c'est un sujet à part qui doit trouver sa place au mot correspondant : Hasard

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE : Voir Libre arbitre.



- VOLINE.


DETERMINISME n. m.


Ce terme désigne la théorie selon laquelle tout phénomène, y compris celui de la volonté, est déterminé par les circonstances dans lesquelles il se produit, d'où nécessairement résultent les conséquences. Le déterminisme est basé sur le principe de causalité: « les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, engendrent les mêmes effets ».

On distingue, en général, le déterminisme cosmique ou physique du déterminisme psychologique ou de la volonté. Le premier a trait aux phénomènes physiques, le second aux phénomènes psychiques. Le premier est le postulat de toutes les sciences, puisqu'elles ont pour objet la recherche des lois. Et la loi (rapport invariable entre deux phénomènes) peut être recherchée à la condition seulement que l'on croie que tout phénomène est invariablement précédé, et invariablement suivi par d'autres phénomènes.

Admise cette impérieuse nécessité causale qui lie les phénomènes du monde dans chaque instant de son existence, se trouvent potentiellement contenues toutes ses phases successives, de sorte que, une intelligence infinie pourrait aisément prévoir le plus lointain futur. Huxley dit qu'une intelligence suffisante « connaissant les propriétés des molécules dont était composée la nébuleuse primitive, aurait pu prédire l'état de la faune de l'Angleterre en 1868 ».

E. Du Bois-Reymond dit qu' « on pourrait savoir dès maintenant à quelle époque l'Angleterre brûlera son dernier morceau de charbon ».

Le déterminisme psychique considère toutes les actions de l'homme déterminées par ses états antérieurs, et il n'admet pas que sa volonté puisse changer cette détermination. Les actes volontaires sont déterminés ab œterno, de manière nécessaire. Il n'y a pas de choix, mais prépondérance de la pression qui a la plus grande puissance d'impulsion.

Kant dit que, si l'on pouvait connaître toutes les impulsions qui meuvent la volonté d'un homme et prévoir toutes les occasions extérieures qui agiront sur lui, on pourrait calculer la conduite future de cet homme avec la même exactitude que celle avec laquelle on calcule une éclipse solaire ou lunaire,

On distingue plusieurs formes de déterminisme volontaire. La forme théologique considère nos actions comme un produit de l'action divine, de la grâce, de la providence. La théorie typique de ce déterminisme est celle de la prédestination. Le déterminisme intellectuel place l'action déterminative dans l'intelligence, faisant de chaque action la pure et nécessaire conséquence d'un jugement. Le déterminisme sensitif fait des sensations la cause unique des actions. Pour le déterminisme idéaliste, l'idée, en soi, absolue (acte pur) agit librement et détermine les actes humains sans aucun lien avec la matière.

Il ne faut pas confondre le déterminisme avec le fatalisme ; puisque, ici, les événements sont prédéterminés ab œterno, de manière nécessaire, par un agent extérieur, tandis que, là, le pouvoir est placé dans l'agent même. Dans le fatalisme, la nature est soumise à une nécessité transcendante ; dans le déterminisme cette nécessité est immanente. Naguère, encore, le déterminisme scientifique était seulement mécanique (le conséquent est déterminé par ses antécédents et l'ensemble par ses parties) ; maintenant, le déterminisme finaliste (instauré par Claude-Bernard) dont la formule est : « l'ensemble détermine ses parties et le conséquent ses antécédents », commence à avoir des partisans. Ce dernier déterminisme est appliqué, que je sache, seulement ou spécialement, au domaine biologique. ­



- C. BERNERI.



BIBLIOGRAPHIE. - Cl. Bernard, Introduction à l'étude de physiologie, 1865; Fouillée, La liberté et le déterminisme, 1873 ; A. Hamon, Déterminisme et responsabilité, 1898 ; A. Lalande, Note sur l'indétermination, « Revue de métaphysique » 1900, page 94 ; J. Pétrone, I limiti del determinismo scientifico, 1900 ; R. Ardigo, La morale dei positivisti, 1892, pages 118 et suiv. ; Fonsegrive, Essai sur le libre arbitre, sa théorie et son histoire, 1889.


DETERMINISME ECONOMIQUE (Voir : Matérialisme historique).