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DETTE PUBLIQUE n. f. (du latin debitum, chose due ; ce mot s'écrivait autrefois debte)

La dette est le contraire de la créance et l'on donne le nom de dette publique à celle contractée par les gouvernements afin de subvenir aux besoins de l'Etat.

Lorsque les impôts directs et indirects qui forment l'ensemble des ressources de la nation, ne sont pas suffisants pour couvrir les frais et les dépenses d'un gouvernement, celui-ci lance un emprunt, remboursable en un nombre d'années déterminées à l'avance, et paye à ses créanciers un intérêt fixe dont le taux varie en raison directe de la confiance inspirée par la situation des finances gouvernementales.

Mathématiquement, à mesure qu'augmentent les besoins de l'Etat et que grossit son déficit, la confiance baisse et ses emprunts se couvrent plus difficilement ; c'est alors que les gouvernements élèvent le taux de l'intérêt. Avant la guerre de 1914, la France trouvait de l'argent en payant à ses créanciers un intérêt de 3 à 3,5 % ; mais, de nos jours, vu la situation déficitaire, il est obligé pour trouver des créanciers d'offrir un intérêt variant entre 6 et 7 %. On peut prétendre que le taux élevé de l'intérêt exigé par les prêteurs, a pour cause unique, la concurrence des entreprises privées qui offrent à leurs créanciers de précieux avantages et qu'en conséquence ceux qui possèdent quelques capitaux aiment mieux les placer dans le commerce et l'industrie que dans les fonds d'Etat. Il n'y a là qu'une part de vérité et plus particulièrement en ce qui concerne la France, pays « du bas de laine » où, d'ordinaire, le petit propriétaire, le paysan, l'employé ou l'ouvrier ayant réalisé quelques économies, préfèrent faire un placement de « père de famille », c'est-à-dire de toute sécurité, que de se lancer dans des aventures spéculatives, et être soumis aux aléas, aux incertitudes, aux fluctuations des affaires industrielles et commerciales.

Déjà avant la guerre, l'entreprise privée offrait à ses créanciers des avantages supérieurs à l'emprunt d'Etat, ce qui n'empêchait pas la population d'offrir son argent aux gouvernements, en se contentant d'un intérêt modique ; il faut donc en conclure que si, à présent, l'argent déserte les caisses de l'Etat, c'est qu' aux yeux des créanciers, l'Etat n'offre plus les garanties du passé. Nous verrons plus loin en étudiant la situation du Trésor français, que le créancier n'a pas tout à fait tort.

En France, la dette publique se compose : de la rente perpétuelle, désignée ordinairement sous le nom de dette consolidée ; des rentes viagères et des pensions. En ce qui concerne la rente perpétuelle, l'Etat ne rembourse jamais le capital mais verse éternellement l'intérêt de la somme qui lui a été remise. Exemple : l'Etat vend de la rente à raison de 5 %, c'est-à-dire, qu'en échange de 100 francs, il remet à son acheteur un titre de rente qui permettra à ce dernier de toucher chaque année une somme de cinq francs. Naturellement, ce titre de rente est remis par son détenteur à ses héritiers qui, à leur tour, touchent l'intérêt de la somme donnée et transmettent également le titre à leurs héritiers. Et cela peut durer indéfiniment. Nous avons dit que l'Etat ne rachetait pas sa rente, et lorsqu’ un « rentier » veut se débarrasser de son titre il est obligé de trouver un acquéreur et de le vendre en Bourse par l'intermédiaire d'un agent de change. Il se produit alors ce fait : le titre est soumis aux variations de l'offre et de la demande : s'il y a peu de vendeurs et quantité d'acheteurs, la valeur du titre monte ; si c'est le contraire qui se produit, sa valeur baisse. Dans le premier cas le vendeur revend, 110, 120, etc., ce qu'il a payé 100 francs ; dans le second, il subit une perte sèche.

A côté de cette rente perpétuelle que l'Etat est obligé de payer à ses créanciers et qui grève, et grèvera indéfiniment son budget, il y a la rente viagère et les pensions qui s'éteignent par le décès des titulaires. Si, considérée dans le temps, cette dette est moins lourde à l'Etat, par contre le taux de l'intérêt est généralement plus élevé, car le titulaire de cette rente sacrifie à l'intérêt tout son capital et son titre n'est, naturellement, pas transmissible à ses héritiers. Cela revient à dire, que la dette de l'Etat envers son créancier s'éteint à la mort de ce dernier.

A cette rente viagère et perpétuelle il faut ajouter la rente amortissable. Pour inspirer confiance à ses prêteurs éventuels, l'Etat émet parfois de la rente, qu'elle s'engage à racheter dans un laps de temps déterminé. A la date fixée le créancier de l'Etat est en droit de réclamer le remboursement de sa créance, mais il n'a d'autre ressource, s'il veut s'en débarrasser avant la date fixée, que de la vendre en Bourse, en se livrant à la même opération que s'il s'agissait de rente perpétuelle ou consolidée. Ces dettes que nous énonçons ci-dessus, qu'il est convenu d'appeler « dettes à long terme », et dont nous donnons le montant plus loin, ne sont pas les seules. Il y a également la dette flottante, qui s'accroît, méthodiquement, mathématiquement et dont le remboursement peut être exigé presque immédiatement par les créanciers de l'Etat.

Lorsque pour faire face à ses dépenses un gouvernement a compté sur les recettes normales et autorisées et que ses espérances ne se sont pas réalisées, il émet des bons du Trésor qu'il s'engage à rembourser dans un temps relativement bref. Cette masse flottante se renouvelle donc sans discontinuer, car l'Etat emprunte continuellement pour faire face à ses échéances, et a recours à « Pierre lorsqu'il lui faut rembourser Paul ». En temps normal le renouvellement indispensable de la « masse flottante » s'effectue assez facilement, mais il arrive fatalement un moment où ce petit jeu doit s'interrompre et où la difficulté apparaît insurmontable. C'est ce qui se produisit en Allemagne en 1923 et en France en 1926. L'Etat est alors acculé à la faillite.

En étudiant la situation financière de la France, nous nous rendrons compte facilement des « bienfaits » engendrés par le désordre capitaliste.

La dette publique de la France se divise en dette intérieure et dette extérieure. Nous allons étudier, d'abord qu'elle était au 30 avril 1925 la dette intérieure, nous verrons ensuite qu'elle est sa dette extérieure.

Les Fonds d'Etat en circulation à la date ci-dessus indiquée se répartissaient ainsi :

Rentes, 3, 4, 5 et 6% (perpétuelles) ...........Fr. 96.202.116.000

Rentes 3 ; 3,5 et 5 % (amortissables) ..............14.458.715.000

Bons du Trésor 3 et 5 ans…………................. 8.190.963.000

Bons du Trésor 3, 6 et 20 ans………............... 9.981.756.000

Obligations de la Défense Nationale .................1.910.877.000

Bons de la Défense Nationale…….............… 53.229.285.000

Bons du Trésor…………………..............…… 2.364.732.000

TOTAL :………………………...........…Fr. 186.338.444.000

Sur cette somme formidable de 187 milliards de francs, 96 milliards, transformés en rente perpétuelle n'auront pas à être remboursés par l'Etat, mais par contre l'Etat sera tenu de verser indéfiniment aux porteurs de titres l'intérêt fixé à l'émission ; et une somme de 90 milliards est amortissable, c'est-à-dire qu'en sus de l'intérêt l'Etat a pris l'engagement de rembourser dans un temps déterminé le capital qui lui fut avancé ; et, s'il n'a pas d'argent, il ne peut rendre ce qu'il doit qu'à la condition d'emprunter à nouveau et c'est ce qui explique que la dette publique augmente de jour en jour, de semaine en semaine, d'année en année.

D'autre part, si l'Etat peut gagner du temps et ne rembourser que dans un temps très lointain l'argent qui lui a été prêté, il est cependant obligé de payer périodiquement, et régulièrement s'il ne veut pas perdre son crédit, les coupons représentant l'intérêt des sommes dont il est débiteur.

Pour l'année 1924, l'Etat français a payé, aux détenteurs des fonds d'Etat, à titre d'intérêt, une somme de 10 milliards de francs, prélevée sur son budget et dont nous donnons ci-dessous le décompte :

Rente 3, 4, 5 et 6 % (perpétuelle) ................Fr .4 .882.667.810

Rente 3 ; 3,5 et 5 % (amortissable) ........................664.920.141

Bons du Trésor 3 et 5 ans…………..................... 493.927.780

Bons du Trésor, 3, 6 et 20 ans….....................…. 604.951.000

Obligations de la Défense Nationale ......................96.045.056

Bons de la Défense Nationale……................... 2.507.099.323

Bons du Trésor…………………...................…. 106.412.940

TOTAL :………………………...........…....... 9.356.024.050



En conséquence, si nous supposons- ce qui est peu probable - que cette partie de la dette intérieure, contractée vis-à-vis des créanciers habitant la France, n'augmente pas, il est cependant indispensable que l'Etat français sorte chaque année de ses caisses une somme de 10 milliards pour payer les intérêts des sommes investies dans les fonds d'Etat.

La France a une population de 40 millions d'habitants. Si nous tenons compte des enfants, des vieillards ct des infirmes, on peut dire qu'il n'y a en réalité que 30 millions d'habitants qui soient susceptibles de venir en aide à l'Etat et de subvenir à ses besoins.

Il faut donc, uniquement pour payer l'intérêt des fonds d'Etat, que chacun de ces trente millions d'habitants, verse annuellement, sous forme d'impôts directs ou indirects, une somme de 300 francs. Le capital restera toujours dû, naturellement.

Et cela n'est qu'une partie de la dette intérieure, qui dans son ensemble se répartissait comme suit à la date du 30 avril 1925.

Dette à long terme (ministère des Finances)     Fr. 144.152.494.500

Dette à long terme  (autres ministères)……........Fr. 11.099.774.500

Dette  à court terme……………………….........Fr. 44.274.769.000

Dette  flottante portant intérêt .............................Fr. 81.966.759.000

Dette à long terme  sans intérêts…………….…...Fr. 4.679.897.000

TOTAL………................................….....…... Fr. 286.173.694.000

La dette intérieure de la France s'élevait donc au 30 avril 1925 à DEUX CENT QUATRE-VINGT-SIX MILLIARDS DE FRANCS, et ce n'est pas seulement 300 Fr., par conséquent, que chaque adulte devrait payer pour satisfaire aux exigences des créanciers, mais bel et bien 450 francs par an.

Mais, à la dette intérieure il convient d'ajouter maintenant la dette extérieure, ce qui nous donnera le chiffre total de la dette française ou dette dite publique.

Avant de nous livrer à cette opération il convient de signaler qu'au mois de décembre 1913, la dette totale de la France n'était, en chiffres ronds, que de 33 milliards de francs, et que si elle s'est élevée à des sommes aussi fabuleuses, en un laps de temps relativement restreint, c'est que la guerre est venue engloutir non seulement des millions d'hommes, mais aussi des fortunes. Pendant quatre ans et demi des millions ont été évaporés, et si le peuple a consenti à faire une guerre qui coûta si cher, il est appelé aujourd'hui à en payer les frais.

Etudions maintenant la dette extérieure de la France.

Si nous calculons le dollar à trente francs et la livre sterling à 150 (ils étaient respectivement à 36 et 170 au mois de septembre 1926), nous obtenons les chiffres suivants.

La dette de la France envers les Etats-Unis se décompose ainsi :

Fonds avancés par le Trésor (capital seul) ...Fr. 87.995.145.480

Matériel de guerre …………………….......…. 12.220.234.410

Prêts directs au Gouvernement français :

1920………………………………..............…. 2.422.416.000

1921……………………………….............….. 2.107.617.000

1924……………………………….............….. 2.953.485.000

Reste dû sur :

Emprunts anglo-français…………….......................... 415.500

Emprunts 5,5 % ..................................................... 63.300.000

TOTAL……………............................… Fr. 107.762.613.390

Nous disons donc que la dette de la France à l'Amérique s'élève, intérêts arriérés et à venir non compris, à 108 milliards de francs.

Examinons maintenant la dette de la France à l'Angleterre, toujours à la date du 30 avril 1925 :

Bons du Trésor remis au Trésor britannique

joints aux intérêts composés……….......... Fr. 105.674.200.000

Matériel de guerre .............................................. 1.008.910.350

Bons du Trésor émis en Grande-Bretagne….....… 660.000.000

Bons du Trésor émis à la Banque d'Angleterre.. 7.050.000.000

TOTAL ………………..................……. Fr. 114.393.110.350

La dette de la France à l'Angleterre est donc en chiffres ronds, de cent quinze milliards de francs.

Et ce n'est pas tout. En outre de cet argent emprunté de tous côtés pour couvrir les frais de la guerre, les divers gouvernements français qui se succédèrent de 1924 à 1926, prirent divers engagements envers une certaine partie de la population, et ces engagements viennent à leur tour grossir le montant de la dette publique.

« A la fin du 1er semestre 1923 on avait versé : 63.200 millions de francs comme indemnités aux régions libérées…Les réclamations s'élevaient à 123 milliards de francs. Sur les réclamations examinées, s'élevant à 106 milliards de francs, les Commissions ont accordé environ 72 milliards d'indemnité représentant seulement 68 % du montant réclamé ».

Il reste encore à examiner des réclamations s'élevant à 17 milliards ; si nous appliquons à cette somme le pourcentage de 68 %, les indemnités accordées s'élèveraient à 11,5 milliards. La somme totale des dommages alloués (ou restant à allouer) serait de 72 milliards, plus 11,5 milliards, soit 83,5 milliards de francs. Puisque les dommages payés s'élèvent à 63,2 milliards, il reste encore à payer 20,3 milliards, sans compter l'Alsace et la Lorraine à laquelle on attribue 550 millions de francs ». (D'après le mémoire présenté à Washington, le 29 avril 1926 aux membres de la « War Debt Funding Commission », par M. Henry Bérenger, ambassadeur de France à Washington).

Nous pouvons maintenant récapituler:

Dette intérieure…………........................... Fr. 286.173.694.000

Dette aux Etats-Unis........................................ 107.762.613.390

Dette à la Grande-Bretagne ..............................114.393.110.350

Régions libérées…………................................. 20.000.000.000

Dus à divers Etats…….................................….. 10.000.000.000

TOTAL …………..................................... Fr. 538.329.417.740

La dette publique de la France, d'après les chiffras officiels, s'élevait donc, à la date du 30 avril 1925, à la somme de CINQ CENT QUARANTE MILLIARDS DE FRANCS.

Il faut encore ajouter à cette somme les intérêts dus aux Etats-Unis, pour le principal de notre dette et qui se chiffraient au 15 juin 1925 par 26.430.000.000 de francs, ce qui remonte le total de la dette à 570 milliards, et à 600 milliards si l'on ajoute également les intérêts dus à l'Angleterre.

A mesure que les capacités de payement d’une puissance s'affaiblissent, ses créanciers deviennent plus pressants, et réclament leurs créances, et l'Etat débiteur est mis en demeure de régler ses dettes ou tout au moins de prendre des arrangements avec ses créanciers. Nous avons dit que l'Etat n'avait d'autre alternative pour se libérer de sa dette que de faire pression sur la population pour en obtenir les ressources nécessaires. Pourtant il arrive un moment où le poids des impôts directs ou indirects est si élevé, qu'il devient impossible à un Gouvernement de les percevoir. La population mise à sec ne peut plus rien donner et le problème devient alors insoluble.

C'est le cas dans lequel se trouve la France en cette année 1926. Les difficultés qu'elle éprouve pour faire face à ses engagements sont insurmontables et l'on peut dire sans crainte de se tromper que, même si par un palliatif quelconque, un Gouvernement arrivait à gagner du temps, ce ne serait que partie remise, aucune mesure, propre au régime capitaliste ne pouvant sauver l'Etat de la ruine financière, de la faillite. On en jugera par les chiffres des sommes nécessaires à l'Etat pour payer ses dettes ou simplement l'intérêt de celles-ci. Le budget de l'Etat français était en 1924, de 41.214.000.000 de francs, or, cette somme ne fut pas suffisante pour couvrir les dépenses et l'Etat fut obligé d'emprunter :

En France……………………………………….Fr 5.444.000.000

A l'Etranger………………………………...…….. 2.122.000.000

Avances de la Banque de France……………......…. 500.000.000

Emprunts émis par les soins du Crédit National ......6.860.000.000

Soit un total de près de quinze milliards de francs, et pourtant en 1924, les charges de la France n'étaient pas aussi lourdes qu'elles le sont en 1926 et qu'elles le seront dans les années qui suivront.

Tiraillé par ses créanciers extérieurs, l'Etat français prend des engagements qu'il ne sera en mesure de tenir que s'il affame sa population et encore! Cependant, cela n'a pas empêché les représentants officiels du capitalisme français de traiter avec leurs confrères américains et, par l'intermédiaire de M. Bérenger, ambassadeur de France à Washington, de conclure le fameux accord du 29 avril 1926 qui reconnaissait à l'Amérique une créance de (nous calculons le dollar à 30 francs) CENT VINGT ET UN MILLIARDS DE 'FRANCS remboursables en soixante ans, la première échéance étant prévue pour le 15 juin 1926 et s’élevant à 900 millions de francs et la dernière pour le 15 juin 1987 et s'élevant à trois milliards et demi. Ce qui revient à dire que, durant soixante ans le travailleur français devra suer 2 milliards de francs supplémentaires pour remplir les coffres-forts des banquiers américains et de leurs complices les banquiers français.

La classe ouvrière a en général une sainte horreur des chiffres et elle se désintéresse des questions financières qui agitent les cercles et les milieux politiques. C'est un grand tort ; car, à l'étude des chiffres, on s'aperçoit de la fragilité du régime capitaliste et du peu qu'il faudrait pour en ébranler les bases.

Nous avons donné plus haut l'état de la dette publique française, et nous avons fait remarquer qu'il était matériellement impossible à un gouvernement de se libérer de cette dette. Nous avons dit également que si l'Etat français ne pouvait rembourser le principal de sa dette, il était tenu à en payer les intérêts à ses créanciers. Or, il semble qu'il lui est aussi impossible de payer les intérêts que la dette elle-même et que les uniques ressources provenant des impôts directs ou indirects ne sont pas assez élevés pour faire face aux dépenses utiles et inutiles de la nation.

Pour donner à cette affirmation la force qu'il convient, nous allons rechercher quelle somme l'Etat est obligé de prélever sur le budget annuel qui lui est alloué, pour solder l'intérêt de la dette contractée :

INTERETS

A) A l'Intérieur :

Dette perpétuelle………….. 4.362.000.000

Dette à long terme……..….. 4.449.000.000

Dette flottante…………….. 3.477.000.000

Dette à court terme……..…. 1.926.000.000

Pensions civiles et militaires 5.444.000.000

B) A l'Extérieur :

Etats-Unis ................................540.000.000

Angleterre ………………… 1.200.000.000

TOTAL………………..….21.368.000.000

Soit près de 22 milliards de francs par an que n'importe quel gouvernement français sera obligé de trouver s'il veut conserver son crédit. Il faut faire remarquer que cette somme n'éteindra pas la dette publique et que si le Gouvernement tient à liquider ou à consolider sa dette extérieure, en soixante annuités, ainsi qu'il en est question, il lui faudra en outre verser en moyenne, et pendant soixante ans, toujours en calculant le dollar à 30 francs et la livre sterling à 150, environ deux milliards à l'Amérique et autant à l'Angleterre, ce qui nous donne :

Intérêts annuels à payer tant à l'Intérieur qu'à l'Extérieur 21.368.000.000

Consolidation de la dette aux Etats-Unis………………. 2.000.000.000

Consolidation de la dette à la Grande-Bretagne .............. 2.000.000.000

TOTAL………………………………………..........…25.368.000.000

Soit un total de 25 milliards de francs par an.

Est-ce tout? Non pas. Nous avons dit en nous reportant aux chiffres officiels présentés par M. Bérenger à Washington, que l'Etat français avait encore à payer une somme de 20 milliards pour ses régions libérées. Si nous supposons qu'il échelonne ses payements en une période de dix années c'est deux milliards de plus par an que les caisses du Gouvernement devront sortir.

Nous nous arrêterons ici en signalant que, dans tous les chiffres que nous donnons, nous sommes au-dessous de la vérité, et que nous n'avons pas tenu compte des dettes secondaires : des 54 millions de florins dus aux Pays-Bas, du million de livres dû à l'Egypte, des 20 millions de pesos-or dus à l'Argentine, etc., etc., et nous dirons que la France a une dette publique de 570 MIL­LIARDS DE FRIANCS et que, dans les années qui suivront celles de 1926, le peuple français devra trouver 25 milliards de francs par an pour payer l'intérêt de cette dette publique.

Un Etat a cependant d'autres dépenses que celles occasionnées par sa dette, et il a pour devoir d'y subvenir.

En 1913, toujours en nous servant de données officielles qui ne peuvent être démenties, 70 % du budget « demeuraient disponibles pour satisfaire aux besoins de la nation », ce qui revient à dire que ces 25 milliards que l'Etat demande par an ne représentent que 30 % de la somme qui lui est nécessaire, pour que son budget soit dans une situation identique à celle de 1913, ou :

25.000.000.000 x 100 = 83.333.333.333.33

                30

soit en chiffres ronds : 83 milliards de francs par an que le travailleur français doit verser sous forme d'impôt, s'il veut que sa situation redevienne ce qu'elle était à la veille de la guerre.

Ce n'est pas à la légère que nous prétendons que la dette publique de la France ne peut aller qu'en s'augmentant et que rien ne peut permettre à un gouvernement d'échapper à de nouveaux emprunts.

Tous les objets, toutes les matières imposables l'ont été à leur extrême limite, les denrées de première nécessité ont été taxés par les divers gouvernements qui se sont succédés depuis 1919, au point de rendre la vie presque impossible aux travailleurs, obligés de se restreindre même dans leur nourriture ; et cependant les impôts directs et indirects du pays n'ont pas fourni aux gouvernements une somme supérieure à 45 milliards de francs. Or, les gouvernements, nous l'avons démontré plus haut, ont besoin pour stabiliser l'état financier de la Nation, de 85 milliards, près du double ; où iront-ils les chercher?

Empruntant une formule chère aux politiciens socialistes, nous pourrions dire : « Il faut prendre l'argent où il se trouve », mais nous savons trop que ceux qui détiennent la richesse, entendent ne pas s'en démunir, et persistent à vouloir faire peser sur le peuple tout le poids des charges fiscales.

85 milliards d'impôts par an sont introuvables en France si l'on considère la situation des classes moyennes et des classes travailleuses. Le peuple a tout donné : son sang et son argent, et l'Etat l'a si bien compris, que durant les années antérieures à 1926, comprenant qu'il serait inutile d'essayer d'en tirer quelque chose de plus, il n'eût d'autre recours que l'emprunt pour faire face à ses dépenses.

Pour l’édification et la documentation de nos lecteurs, nous allons leur soumettre un tableau comparatif et des budgets et des emprunts de l'Etat français, entre les années 1913 et 1926 :

Années    Budgets                Emprunts

1913        5.067.000.000

1914     10.371.000.000     6.299.000.000

1915     22.120.000.000     20.708.000.000

1916     36.848.000.000     29.583.000.000

1917     44.661.000.000     35.633.000.000

1918     56.649.000.000     37.668.000.000

1919     54.956.000.000     51.331.000.000

1920     57.501.000.000     42.822.000.000

1921     46.492.000.000     31.120.000.000

1922     37.929.000.000     20.064.000.000

1923     37.929.000.000     27.761.000.000

1924     41.214.000.000     14.926.000.000

On remarquera que les emprunts de l'Etat français diminuent à dater de 1921. La raison n'est pas, comme on pourrait le croire, que les gouvernements n'ont plus besoin d'argent, mais bien au contraire qu'ils ne trouvent plus de créanciers, leur solvabilité étant douteuse : c'est à dater de ce moment que les difficultés grandissent et deviennent insurmontables.

* * *

Maintenant que nous avons établi avec un réel souci d'impartialité qu'elle est la dette publique de la France, il faut, pour que la vérité dans toute sa clarté soit respectée, avouer que la France est à son tour, créditeur de certaines sommes.

La dette publique de la France s'élève à près de 600 milliards, mais on lui doit :

La Russie……….…. 6.023.300.000

La Yougoslavie…… 1.738.566.000

La Roumanie……… 1.132.000.000

Là Grèce…………..... 537.514.000

La Pologne ……….... 895.400.000

La Tchécoslovaquie ...542.200.000

L'Italie…………….... 350.273.000

Le Portugal……......….. 9.000.000

L'Esthonie…………..... 3.500.000

La Latvie…………...... 9.000.000

La Lithuanie………..... 2.300.000

La Hongrie……….......... 800.000

L'Autriche………… 331.926.000

TOTAL……........11.375.799.000

Soit un peu plus de onze milliards de francs. Est-ce être partial que de dire, que ce ne sont pas ces onze milliards de créances qui peuvent sauver le pays de la débâcle? Ajoutons également qu'à titre de dommages de guerre, la France, dans les années qui suivront 1926, escompte récupérer de l'Allemagne quelques milliards. II ne semble cependant pas que ce soit de ce côté que puisse venir le salut.

* * *

Quelle conclusion est-il possible de donner à cet exposé? On reproche fréquemment aux éléments révolutionnaires et plus particulièrement aux communistes libertaires, de critiquer, de s'attaquer à des institutions, de détruire idéologiquement toute l'économie sociale moderne, mais de ne pas apporter de remèdes aux maux dont souffre la société.

Nous avons dit et nous ne pouvons que répéter qu'il n'y a aucun remède à puiser dans les formes d'organisations élaborées sur le capital. Le capital est la source même des maux, et c'est à lui qu'il faut s'attaquer si nous voulons tous guérir.

L'on conçoit que des hommes qui bénéficient du régime capitaliste cherchent à lui sauver la vie ; mais que des êtres qui en souffrent, qui en ont reconnu les vices, les tares, les erreurs, se refusent à se joindre à ceux qui le combattent, cela est incompréhensible.

Nous avons brossé rapidement la situation de la France, qui sera demain celle de l'Angleterre, de l'Italie, de l'Espagne, etc.… Même l'Amérique qui semble si bien assise sur ses monceaux d'or, n'échappera pas un jour à la débâcle et à la ruine. Les causes indirectes de cette débâcle peuvent ou pourront être différentes de celles qui affaiblissent la nation française, mais les causes directes seront les mêmes; c'est le capital qui se désagrègera.

Le capitalisme a à son service des économistes compétents en matière financière ; ils se sont attelés à 1a besogne, ils ont cherché tous les moyens possibles et imaginables, pour sortir le capitalisme français de l'ornière. Ils n'ont rien trouvé ; ils ne trouveront rien, car il 'n'y a rien, En désespoir de cause, ils ont accouché cette monstruosité que la cause initiale des difficultés financières de l'Etat français, était la journée de huit heures, et que si le travailleur consentait à augmenter sa production, la situation de la nation s'améliorerait.

Le travailleur français, comme celui du monde entier du reste, a été entraîné contre son gré dans le cataclysme qui ensanglanta le monde de 1914 à 1918. C'est lui qui a le plus souffert, c'est lui qui a le plus donné ; et affaibli, saigné, il a réintégré son foyer, convaincu qu'il s'était battu en vain, et que le « droit et 1a liberté » n'était qu'une formule propre à le tromper et à le sacrifier à la soif des grands potentats du commerce et de l'industrie.

Il ne travaille que huit heures, et pas toujours encore ; mais loin d'améliorer le sort de la nation et son sort propre, les plus longues journées de travail auraient pour conséquence le chômage et par extension la misère. Nous avons tout près de nous l'exemple de l'Angleterre et de son million et demi de chômeurs, qui, depuis des années, sont à la recherche d'une situation. Et puis est-ce au peuple de fournir les moyens de relever le crédit de l'Etat? Avant 1914, tant bien que mal, le budget familial était bouclé avec le salaire modeste du père de famille. Tant bien que mal également le budget de l'Etat suffisait aux dépenses de la Nation.

Ce n'est pas le travailleur qui a voulu la guerre. Le prolétariat, qu'il soit allemand, français ou anglais, avait un profond désir de quiétude et de paix. Ce n'est pas le travailleur qui a contracté les milliards de dettes que le capitalisme mondial entend maintenant lui faire payer. Il ne payera pas, il ne peut pas payer. Que ceux sur qui pèse la lourde responsabilité de la boucherie, que ceux qui ont avec désinvolture emprunté des milliards pour fournir de la nourriture aux canons et aux fusils, que ceux qui ont à leur actif le crime affreux qui coûta la vie à des millions d'êtres humains, s'arrangent ; qu'ils cherchent et qu'ils trouvent ; ou alors qu'ils tremblent, car la dette publique, leur dette, s'éteindra dans la Révolution.



- J. CHAZOFF.