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DEVOIR verbe (du latin debere ; autrefois on écrivait debvoir)

Avoir des dettes ; il me doit cent francs et je me dois de les lui réclamer! Etre obligé à quelque chose ; je dois rendre visite à cette personne ; nous devons des égards à toute personne sincère et respectable ; les jeunes gens doivent s'instruire et s'éduquer s'ils veulent se rendre utiles dans la vie! Proverbe : « Fais ce que tu dois, advienne que pourras. Va où tu peux, meurs où tu dois ».

Accompagné d'un autre verbe, devoir présente différents sens. Intention, projet : je dois aller demain faire ce travail. Probabilité : Le capitalisme doit disparaître, si les hommes veulent vivre fraternellement. Certitude : Quoi que l'on puise faire, chaque être humain doit mourir!

S'emploie substantivement à la troisième personne de l'indicatif en comptabilité : tenir ses comptes par doit et avoir!!!

Etre obligé envers soi-même : « Si je dois tant d'égards à tout ce qui m'environne, ne m'en dois-je point aussi quelques-uns à moi-même? » (J.-J. Rousseau).

DEVOIR n. m. 

« Ce à quoi l'on est obligé »

Telle est la définition que le Larousse nous donne du devoir. En termes clairs, cela veut dire que le devoir est une contrainte.

S'il est vrai que le devoir est la limite du droit, que c'est le respect du droit d'autrui, il faudrait donc pour bien définir le devoir, déterminer ce qu'est le droit. Or, à nos yeux il n'y a qu'un droit, un droit inné : c'est celui de vivre ; et il en découle que tous ceux qui s'opposent à la vie de l'individu, que tous ceux qui empiètent sur le patrimoine moral, intellectuel, économique et social de son semblable, nuisent ou s'opposent à son évolution et à son épanouissement manquent à leurs devoirs.

Le « devoir », au sens bourgeois du mot, ne se présente pas sous cet aspect, et c'est pourquoi, nous le considérons comme une abstraction qui divise l'humanité en deux parties, la première étant composée des dupes courbés sous le joug des fripons qui composent la seconde. Il est de fait que les fripons, par la naïveté et la bêtise humaines, sont les plus forts, et ce sont eux qui, depuis les temps les plus reculés, perpétuent la servitude des esclaves, des pauvres et des opprimés. Ce sont eux qui créent, qui inventent des devoirs auxquels sont astreints des millions d'individus. Obéir à la loi est un devoir. Mourir pour la patrie est un autre devoir, et ce qu'il y a de terrifiant, c'est qu'à travers les âges il s'est toujours trouvé des savants et des poètes pour chanter le devoir.

En un mot, devoir est synonyme d'obéir ; et, comme obéir suppose un maître, le devoir tel que le conçoivent les moralistes n'est pas un facteur d'évolution et de liberté, mais bel et bien un facteur d'asservissement et de recul.

Le devoir de l'écolier est d'écouter son maître, son professeur, qui sait tout, qui dit tout et qui ne se trompe jamais. Je connais un enfant à qui l'on donna un jour, dans une école supérieure, comme sujet de composition : « Vous vous arrêtez devant un magasin et en voyant la diversité des marchandises, vous pensez à l'utilité du commerce et au bien-être qu'il procure à l'humanité. Exprimez vos sensations et vos pensées ». L'enfant vint me trouver pour l'aider dans son travail, et je restai embarrassé. Que pouvais-je lui dire, sinon une chose qui lui eût valu une sévère réprimande de son professeur? J'évoquai en moi-même tous les méfaits du commerce, tout le mal qu'il fait, toutes les bassesses de ceux qui s'y livrent, tous les crimes monstrueux dont il fut la cause, et toutes les guerres qu'il engendre encore en notre siècle de soi-disant civilisation. Je pensai que si, selon Raynal, le devoir « peut être défini, l'obligation rigoureuse de faire ce qui convient à la Société », alors 1e commerce était contraire à tous les devoirs puisqu'il était une source de richesse et d'opulence pour les uns et de souffrances et de misères pour les autres.

Le petit écolier n'a pas fait, en ce sens, sa composition. Moi aussi j'ai manqué à mon « devoir ». Je n'ai pas eu le courage de l'exposer aux foudres de son maître et aux risées de ses petits camarades qui ont du devoir une conception commune, générale et qui n'en n'auraient pas comprise une autre. Il est bon de se souvenir et de se répéter cette pensée profonde de Guyau : « Si un tigre croyait, en sauvant la vie d'un de ses semblables, travailler à l'avènement du bien universel, il se tromperait peut-être ». Comme le tigre du philosophe, le maître d'école s'imagine peut-être travailler pour le bien-être de l'humanité en enseignant aux enfants une erreur qui est la base de tout le vice social et qui entrave la marche en avant de la civilisation. Il croit remplir son « devoir », et il le remplit en vérité, mais, hélas! Ce n'est qu'un lent travail de corruption intellectuelle, qui consiste à préparer la jeunesse à l'accomplissement d'un nombre incalculable de « devoirs » qui leur feront oublier leur droit le plus élémentaire : le droit à la vie.

« L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir », a dit Corneille, et l'honneur militaire est l'un des plus sacrés. Mourir sur un champ de bataille c'est mourir sur un champ d'honneur, et le devoir de l'homme est de se faire tuer lorsque la « Patrie » est en danger. La Patrie ? Le Devoir? Deux abstractions qui se confondent, qui se soutiennent, qui sont les piliers sur lesquels repose tout l'organisme social et qui sont aussi malfaisantes l'une que l'autre.

Comment peut-il se trouver des êtres assez naïfs, assez aveugles, pour croire au « devoir » militaire? Car, enfin, que les riches, que les puissants, que les heureux de ce monde défendent, fût-ce au prix de leur vie, les privilèges malhonnêtement acquis par eux ou par leurs ancêtres, rien de plus normal ; mais que de pauvres bougres soient assez inconscients assez déraisonnables, assez dépourvus de la plus petite parcelle de logique pour considérer comme un « devoir » de servir pour soutenir une Patrie où ils n'ont aucun droit, au sein de laquelle ils sont les éternels volés, cela dépasse toute compréhension. Et cependant on peut dire que la grande majorité des hommes sont imprégnés de ce préjugé du devoir militaire. Le peuple ne comprend pas que le devoir militaire, n'est en réalité que le « droit de mort sur les peuples » ; droit que détiennent les oppresseurs et dont ils usent chaque fois que leurs intérêts sont menacés.

Si le militarisme est une plaie sociale, s'il n'est pas indispensable à la vie des sociétés, si au contraire il est nuisible à l'existence harmonique des hommes, comment peut-on être assez stupide pour considérer comme moral le devoir militaire.

Le devoir militaire « c'est la guerre!... se battre !... égorger!... massacrer des hommes… ».

Les hommes de guerre sont les fléaux du monde. Nous luttons contre la nature, l'ignorance, contre les obstacles de toute sorte, pour rendre moins dure notre misérable vie. Des hommes, des bienfaiteurs, des savants, usent leur existence à travailler à ce qui peut aider, à ce qui peut secourir, à ce qui peut soulager leurs frères. Ils vont, acharnés à leur besogne utile, entassant les découvertes, agrandissant l'esprit humain, élargissant la science, donnant chaque jour à l'intelligence une somme de savoir nouveau, donnant chaque jour à la patrie du bien-être, de l'aisance, de la force.

La guerre arrive. En six mois, les généraux ont détruit vingt ans d'efforts, de patience et de génie ...

Qu'ont-ils fait pour prouver même un peu d'intelligence, les hommes de guerre? Rien. Qu'ont-ils inventé? Des canons et des fusils. Voilà tout.

L'inventeur de la brouette n'a-t-il pas plus fait pour l'homme par cette simple et pratique idée d'ajuster une roue à deux bâtons que l'inventeur des fortifications modernes?

Que nous reste-t-il de la Grèce? Des livres, des marbres. Est-elle grande parce qu'elle a vaincu ou parce qu'elle a produit?

Est-ce l'invasion des Perses qui l'a empêchée de tomber dans le plus hideux matérialisme?

Sont-ce les invasions des barbares qui ont sauvé Rome et l'ont régénérée?

Est-ce que Napoléon 1er a continué le grand mouvement intellectuel commencé par les philosophes à la fin du siècle dernier?

Eh bien, oui, puisque les gouvernants prennent ainsi le droit de mort sur les peuples, il n'y a rien d'étonnant à ce que les peuples prennent parfois le droit de mort sur les gouvernants.

« Ils se défendent, ils ont raison » (Guy de Maupassant).

« Ils se défendent, ils ont raison ». Ne serait-ce pas là le vrai devoir des peuples, si toutefois les peuples ont des devoirs, au lieu de se déchirer entre eux pour des causes qu'ils ignorent et qu'ils ignoreront toujours? Hélas! Les sages paroles de Maupassant et de tant d'autres ne sont pas entendues et l'on écoute plutôt d'une oreille attentive cette stupidité :

« Mourir pour la Patrie,

C'est le plus beau, le plus digne d'envie ».

Tout devoir légal est une absurdité, une contrainte, qui abaisse, avilit l'individu, et Stirner a raison lorsque, s'adressant aux hommes, il leur dit : « Vous répétez mécaniquement la question qu'on vous a soufflée : « A quoi suis-je appelé? Quel est mon devoir? » et il suffit que vous vous posiez la question, pour qu'aussitôt la réponse s'impose à vous : vous vous ordonnez ce que vous devez faire, vous vous tracez une vocation où vous vous donnez les ordres et vous vous imposez la vocation que l'Esprit a d'avance prescrit. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : « Je veux ce que je dois » » (Max Stirner, « L'Unique et sa Propriété »).

L'homme s'est tracé des devoirs ou plutôt on les lui a tracés et il les accomplit, le plus souvent sans protester, par crainte, par paresse ou par lâcheté. Il est imprégné d'une conception incohérente du bien et du mal et il ne s'est jamais étonné que, ce qu'il appelle le bien est justement ce qui est favorable aux riches et aux puissants, et que ce qu'il appelle le mal est ce qui peut leur être nuisible. Le devoir, pour l'homme du peuple, c'est le respect des lois, aussi instables soient-elles, c'est l'attachement à un régime qu'on lui impose, aussi arbitraire soit-il ; le devoir c'est la justice, c'est la propriété, c'est le respect de la hiérarchie, enfin c'est tout ce qui l'empêche d'être libre, et qu'il croit cependant être obligé de subir. Le fait même que le devoir est sanctionné par la justice, cette justice qui depuis des siècles s'est livrée à tous les abus imaginables, devrait ouvrir les yeux aux plus aveugles ; mais non : le peuple ne veut pas voir.

Voici des siècles et des siècles qu'il peine et qu'il souffre, voici des années et des années qu'on lui répète « qu'un homme n'est appelé » à rien ; qu'il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation » que n'en ont une plante et un animal. « La fleur qui s'épanouit n'obéit pas à une « vocation » mais elle s'efforce de jouir du monde et de le consommer tant qu'elle peut, c'est-à-dire qu'elle puise autant de sucs de la terre, autant d'air de l'éther, et autant de lumière du soleil qu'elle en peut absorber et contenir » (M. Stirner).

Malgré tout cela, le peuple reste dans son ignorance, et se maintient comme à plaisir dans la passivité et dans l'erreur.

Pour le conduire dans la vie, l'animal a l'instinct ; l'homme a l'intelligence. On prétend que la supériorité de l'homme sur la bête est la conséquence de cette intelligence qui lui permet de s'élever, de quitter le terrain purement matériel pour atteindre le sommet des joies et des plaisirs intellectuels. Si l'existence de l'homme du peuple ne doit être faite que du manger, du boire et du dormir, alors celle de l'animal lui est préférable. Autant que nous pouvons en juger, la bête n'a pas la conception du grand et du beau ; ses goûts sont primitifs, purement matériels, et elle ne souffre pas des mille choses qui frappent chaque jour notre sensibilité. Pourtant l'animal ne s'embarrasse pas de « devoirs ».

L'instinct de conservation porte tout individu à vivre, et si l'on met en face d'un chien affamé un appétissant rôti, méconnaissant les « droits » de la propriété, il s'élancera sur l'objet de sa convoitise. En cette circonstance, l'instinct du chien, l'aura poussé à un acte beaucoup plus raisonnable et plus logique que ne l'eût fait l'intelligence humaine. Une multitude d'humains croupissent dans des taudis, alors qu'il existe des palais ; une multitude de pauvres bougres crèvent littéralement de faim, alors que la terre regorge de vivres, parce que le « devoir » interdit à l'individu « intelligent» de se nourrir, de se vêtir et de se loger, sans en avoir auparavant obtenu l'autorisation de ceux qui se sont déclarés les maîtres du monde.

Ce sont tous les « devoirs » accumulés depuis des siècles d'asservissement et d'esclavage qui entravent l'évolution de l'humanité ; ce sont eux qui maintiennent les peuples dans un état d'infériorité économique et morale ; ce sont eux qui perpétuent un état de choses néfaste, à tous les points de vue, au bien-être des collectivités.

« Remplir ses devoirs » ; « manquer à ses devoirs » sont des formules que l'on prononce à tout bout de champ et en toute occasion, mais jamais ces devoirs ne sont compensés par des droits. Or, où il n'y a pas de « droits » il ne peut y avoir de « devoirs ». Nous l'avons dit plus haut, l'homme, quelle que soit la condition dans laquelle il se trouve, a un droit inné : le droit à la vie, il n'a donc qu'un « devoir » c'est celui de faire cette vie pleine de jouissance, de beauté et d'harmonie.

Il n'est pas de devoir social proprement dit. Le devoir social, collectif, disparaît devant la liberté individuelle, et la liberté n'est pas ainsi que l'affirment les adversaires de l'évolutionnisme un facteur de désordre. L'autorité, la contrainte, le « devoir », là sont les sources de tous les maux et il suffit de regarder un peu le chaos dans lequel nous nous débattons pour être fixés sur les bienfaits de la morale moderne.

Vivre et se respecter soi-même, c'est respecter autrui. Aimer la liberté pour soi, c'est l'aimer pour les autres. Refuser d'obéir et refuser de commander, c'est tout le secret du bonheur ; c'est l'unique route qui peut conduire l'homme à un peu plus de bien-être ; c'est l'unique moyen qui peut mettre fin à la tyrannie et au despotisme.

Que les opprimés se lèvent, qu'ils brisent les tables de la loi, qu'ils effacent tous les devoirs qui, depuis toujours, les maintiennent dans une sinistre infériorité et ils auront conquis ce « droit à la vie » pour lequel ils luttent depuis si longtemps.