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DEVOTION n. f. (du latin devotio)

Dévouement à Dieu ; attachement aux pratiques religieuses.

La dévotion a pour objet l'observation des lois prescrites par les théologiens des diverses religions, qui au cours des âges, exposèrent, expliquèrent et vulgarisèrent les dogmes définis par une autorité soi-disant infaillible.

Si la dévotion n'était que ridicule et inutile, il n'y aurait qu'à laisser les fanatiques se livrer à leurs pratiques et à leurs simagrées sans plus s'inquiéter d'eux : mais elle est un danger social et est nuisible à l'individu, comme du reste tout ce qui se rattache à l'idée de Dieu. Elle est non seulement néfaste à l'individu en soi, mais elle déteint sur tout ce qui l'entoure, et exerce une détestable influence sur toute la collectivité, qui souffre en conséquence des agissements déraisonnables des croyants.

Il est possible qu'en des temps reculés, certains actes de dévotion aient été édictés par des conducteurs d'hommes ou des savants de l'époque, en raison de la brutalité, de l'ignorance et de la bestialité des peuples ou des tribus, et on s'explique aisément aujourd'hui, pourquoi la loi judaïque par exemple exigeait des fidèles qu'ils se lavassent les mains deux fois par jour, c'est-à-dire avant de faire les prières précédant les repas, ou que, une fois l'an, à la veille de Pâques, ils nettoyassent leurs maisons du fond aux combles afin qu'il ne puisse y rester une miette de pain égarée.

La loi judaïque prescrivait de même que la femme devait au moins une fois par mois, après ses menstrues se rendre au bain, et que tous les fidèles âgés d'au moins treize ans devaient, une fois par an, jeûner durant 24 heures, et il nous apparaît que ces dévotions avaient un caractère d'hygiène et étaient inspirées dans un but pratique. Mais il semble que, de nos jours, et plus particulièrement dans nos pays occidentaux, il ne soit pas nécessaire d'obliger par une loi, les individus à se laver et à nettoyer leur maison, ou de leur apprendre qu'ils doivent de temps à autre reposer, par une certaine abstinence, les organes intérieurs de leurs corps, de même qu'ils délassent leurs bras ou leurs jambes fatigués par un travail trop rude.

Il est donc évident que si, à l'origine, les dévotions ont présenté certaine utilité, depuis longtemps elles ont été dénaturées par la religion et ne présentent plus aujourd'hui aucun sens pratique. Le dévot n'a à présent d'autre but que celui de plaire à Dieu, et d'attirer sur lui les bienfaits du Très-Haut.

Nous disons plus haut que la dévotion est néfaste à la collectivité, et il n'est pas besoin de remonter très loin dans l'histoire pour y retrouver les crimes commis par les dévots. Les autodafés, c'est-à-dire l'exécution des jugements prononcés contre les savants et les philosophes, considérés comme hérétiques par l'Inquisition, étaient considérés comme des actes de dévotion. Le massacre de la Saint-Barthélemy qui eut lieu à Paris et dans toute la France dans la nuit du 24 au 25 août 1572, d'après les ordres du roi Charles IX, fut un acte de dévotion. Plus de 200.000 personnes périrent, au nom de la religion et de Dieu, en cette nuit tragique, et le Pape Grégoire XIII eut le cynisme, en apprenant le massacre, de faire tirer le canon du château Saint-Ange en signe de réjouissance, et d'envoyer au roi meurtrier un message de reconnaissance, le félicitant pour l'acte de dévotion qu'il venait d'accomplir.

Et plus près de nous, il y a quelques années à peine, lorsque la Russie était courbée sous le joug du tsarisme, et chaque fois que, pour des raisons politiques, il fallait occuper l'esprit populaire, l'église ne se prêtait-elle pas bénévolement à l'organisation des pogroms et, sous l'obscure conduite de la prêtraille, de malheureux inconscients ne croyaient-ils pas accomplir un acte de piété et s'attirer la reconnaissance du Ciel, en persécutant de pauvres juifs qu'on leur jetait en pâture?

Et en France, pays de l'irréligion, nous assistons encore, de temps à autre, au triste spectacle de malades, se livrant sur leurs semblables à des actes de cruauté, croyant ceux-ci possédés par le diable? N'est-ce pas en 1926 qu'une poignée de déments s'emparèrent d'un prêtre et exercèrent sur lui des violences, pour faire sortir de son corps le démon dont il était possédé?

Les dévotions, sont donc manifestement pratiquées par des êtres corrompus intellectuellement, et maintiennent l'individu dans un perpétuel état d'asservissement. C'est du reste bien le rôle dévolu à la dévotion par la religion.

Dans Orpheüs, le beau livre de Salomon Reinach, sur l'histoire des religions, on fera une ample moisson des erreurs accumulées par des siècles de dévotion, et on est étonné à la lecture de cet ouvrage, si simple, si clair et si profond, à la portée de toutes les intelligences et qui devrait se trouver dans toutes les familles, qu'il y ait encore des gens assez dépourvus de bon sens, pour se livrer aux hommes d'églises, à quelque religion qu'ils appartiennent.

Ce qui est particulièrement regrettable, c'est que l'homme du peuple, le paria, l'opprimé, ne soit pas, non plus, débarrassé du préjugé religieux, et qu'il se livre également à des actes de dévotion. Il est peu d'individus, même dans la classe ouvrière, qui se « marient » sans passer devant Monsieur le Curé ; ils sont peu nombreux ceux qui ne font pas baptiser leurs enfants, ou qui n'envoient pas ceux-ci au catéchisme afin de faire leur première communion. « C'est sans importance » dit-on ; et c'est une profonde erreur.

Ce sont toutes ces pratiques qui donnent encore à l'église une certaine puissance et c'est du reste la raison pour laquelle les prêtres s'attachent à attirer vers eux les petits et à leur imprimer le caractère de la dévotion.

En apprenant à servir Dieu, on se prépare à servir ses maîtres sans protester, et on forge les chaînes qui maintiennent l'humanité en un demi-esclavage. Il est faux, que la dévotion soit une innocente folie ; c'est une folie dangereuse, contre laquelle il faut lutter, pour débarrasser la civilisation d'une plaie, d'une maladie qui a fait déjà de trop nombreuses victimes.

La dévotion est tellement imprégnée en l'individu, qu'elle se manifeste même en dehors des églises spirituelles, et l'on rencontre des dévots, qui croient être libérés de tous préjugés religieux et qui cependant remplissent certains devoirs ridicules, qui leur sont conseillés par les théologiens des nouveaux dogmes et des cultes modernes. Ce sont les patriotes, les nationalistes, et aussi les travailleurs qui ont découvert un nouveau Dieu et qui ne manquent jamais de lui faire leurs dévotions. Ignorance et hypocrisie, c'est la seule définition que l'on puisse donner de la dévotion ; d'une façon comme d'une autre il faut la combattre. « Un dévot est celui, qui, sous un roi athée, serait athée ». (La Bruyère). Et, en effet, le dévot est d'ordinaire un être plat, bas, mesquin, petit, qui cache ses passions, ses vices et ses tares, sous un voile de piété.

« Ne vous fiez pas, nous dit Balzac, à la sainte humilité ni au mauvais habillement de ce prêtre directeur de conscience, qui semble se préparer toujours à la mort ; car au dedans il est tout vêtu de pourpre, il a l'ambition de quatre rois ; il a des desseins pour un autre siècle. Mais surtout défiez-vous de ces ouvriers d'iniquité, de ces hommes puissants en malice, qui lèvent au ciel des mains impures, et s'approchent des mystères, étant tout sanglants de leurs parricides. Ils sont cruels ; ils sont monstrueux ; ils sont sacrilèges et ne laissent pas d'être dévots. Leur dévotion corrige leurs gestes et reforme leurs cheveux, mais elle ne touche point à leurs passions ni à leurs vices. Ils ne gagnent rien à la fréquentation des choses saintes, que le mépris qui naît de la familiarité et de la coutume de les violer. Ils en deviennent plus hardis, méchants, et non pas plus gens de bien ; ils perdent le scrupule et ne perdent pas le mal. Tellement qu'il est à croire qu'ils ne vont pas tant à l'église pour obtenir le pardon de leurs fautes, que pour demander permission de les faire et avoir autorité de pêcher ». (Balzac, le Prince.)

Elle serait longue à décrire la liste des dévots notoires qui se signalèrent à l'histoire, par leur méchanceté, leur tyrannie et leur despotisme. Louis XI fut un dévot cruel, Charles IX a à son actif la Saint-Barthélemy, Richelieu, le cardinal rouge, ensanglanta la France et son nom est taché de tous les assassinats qu'il organisa ; Louis XIV, le roi Soleil, fut un dévot ambitieux et hautain, et ses maîtresses, ne furent pas moins abjectes qu'il ne le fut lui-même. Madame de Montespan, après avoir supplanté la La Vallière, et eu du grand roi huit enfants, après avoir trempé dans l'affaire des poisons qui défraya la chronique parisienne de 1670 à 1680, fut à son tour sacrifiée à la Maintenon, et versa dans la dévotion la plus basse, comme si la piété pouvait laver toutes les ignominies dont-elle s'était rendue coupable.

La Maintenon ne fut pas une dévote moins ambitieuse que celle à qui elle succéda. Tour à tour protestante et catholique, elle abandonna, définitivement le protestantisme, son intérêt étant intimement lié à sa ferveur. Après avoir épousé le poète Scarron, elle devint bientôt veuve, mais l'esprit de son mari lui avait été de quelque utilité, et cette femme dévote n'hésita pas à accepter d'élever les enfants adultérins de Louis XIV. C'est probablement toujours en vertu de la morale, qu'elle se livra à Louis XIV et supplanta Mme de Montespan, qui avait été sa bienfaitrice. On peut dire que Mme de Maintenon a une grande part de responsabilité dans les désastres et les infamies qui signalèrent la fin du règne de Louis XIV.

La liste pourrait s'allonger indéfiniment, mais à quoi bon ; qu'il nous suffise de conclure par ces sages paroles de La Bruyère : « Faire servir la piété à son ambition, aller à son salut par le chemin de la fortune et des dignités, c'est, du moins jusqu'à ce jour, le plus bel effort de la dévotion du temps ».

Cela n'a pas changé, et cela ne changera pas ; car c'est en cela que consiste la dévotion, et si elle n'est pas la conséquence de l'intérêt, elle est celle de la bêtise.