Accueil


DICTATEUR n. m. (du latin dictator, provenant de dictare, dicter, imposer, commander)

Les premiers hommes qui portèrent ce titre furent des magistrats romains qu'on investissait d'un pouvoir absolu dans les périodes troublées. Ils étaient nommés pour une période assez courte, six mois généralement, et leur dictature expirait avec les circonstances qui l'avaient déterminée. Le dictateur était une sorte de monarque temporel, jouissant de l'autorité absolue, toutes les autres autorités s'inclinant devant la sienne.

Au début, les dictateurs étaient proposés par le Sénat et nommés par le peuple, mais peu à peu le rôle du peuple fut diminué, puis supprimé, et les dictateurs ne représentèrent plus guère que l'aristocratie patricienne. Ils devaient, au bout d'un certain temps, faire place aux empereurs romains.

C'est d'ailleurs l'histoire de tous les dictateurs, dans tous les pays et à toutes les époques. Nommés pour résoudre des situations difficiles, pour écraser les ennemis de l'extérieur et de l'intérieur, ils reconstituent à leur profit l'autorité. Maîtres des diverses institutions autoritaires : armée, police, justice, administration, ils finissent par s'en servir pour exterminer leurs ennemis personnels, tous ceux qui pourraient menacer leur position élevée.

Les adversaires de l'idée anarchiste nous disent souvent que l'homme n'est pas parfait, qu'il a des défauts et des vices, et qu'il ne peut par conséquent vivre sans une autorité. C'est un reproche que nous pourrions retourner à ceux qui rêvent de dictature. Précisément parce que l'homme n'est pas parfait, si l'on a le malheur de lui confier l'autorité absolue, on peut être certain à l'avance qu'il l'utilisera pour des fins personnelles, dans son intérêt particulier, pour supprimer toute opposition, fût-elle la plus justifiée, à son autorité.

Il faut lire les belles pages d'Anatole France, dans « Les Dieux ont soif », pour saisir toute la nocivité de cette autorité sans aucun contrôle : des hommes profitant de leur situation pour s'enrichir, se venger, contraindre les femmes à les subir, etc., etc…

Chaque fois qu'un pays embarrassé s'est laissé imposer une dictature, il s'en est repenti amèrement.

La révolution française de 89-93 a fait aussi cette expérience. Un Robespierre, rêvant d'instaurer sa dictature personnelle, a fait couper sans pitié les têtes de tous ses adversaires. Il ne guillotinait pas que les hommes, mais aussi la révolution. Les meilleurs éléments révolutionnaires abattus, le peuple dégoûté et terrorisé, la réaction n'eut plus grande besogne à accomplir pour revenir au pouvoir : le dictateur lui avait préparé la voie.

Qu'on jette un coup d'œil dans l'histoire, et l'on s'apercevra de cette vérité indiscutable : quand un pays en révolution tourne ses yeux du côté d'un ou de quelques dictateurs, la révolution peut être considérée comme ayant vécu et la réaction revient vite.

Le titre de dictateur n'est qu'un euphémisme pour tromper les peuples. En fait, un dictateur est un monarque absolu, tyrannique, régnant par la terreur, irresponsable, échappant à tout contrôle, écrasant toute critique.

Un peuple dont la servilité peut lui faire accepter le gouvernement des dictateurs, est mûr pour un régime d'autorité absolue, et ne tarde pas à retomber dans l'esclavage.

Le langage populaire, qui est souvent l'expression du bon sens, ne s'y est point trompé. Dictateur est un mot presque toujours jeté comme une insulte. Il est l'équivalent d'individu autoritaire, brutal, tyrannique, tracassier, se mettant au-dessus de tout et de tout le monde.

Comme les Etats, les groupements ont souvent leur personnage voulant jouer le rôle de dictateur, désireux de gouverner sans rendre de compte à personne, finissant par confondre leur individu et l'organisation, et par faire passer pour des attaques à l'organisation toute critique de leurs faits, gestes ou paroles. Généralement, lorsqu'un groupement quelconque tombe dans cette mentalité, les adhérents finissent par se désintéresser de tout ; le groupement n'est plus qu'une chose personnelle et finit fatalement par disparaître.



- Georges BASTIEN