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DILETTANTISME

Dilettante est un mot italien qui signifie « amateur » et il fut, à l'origine, appliqué spécialement aux amateurs de musique, et surtout de musique italienne. Le dilettantisme était donc l'amour passionné de la musique italienne, et n'était pas pris en mauvaise part.

De nos jours, le mot dilettantisme a une signification beaucoup plus étendue et sert à marquer le caractère de celui qui s'occupe d'une chose superficiellement, en amateur, sans être profondément attaché à cette chose.

Les dilettantes sont nombreux et pénètrent partout ; il y en a en peinture, en littérature, en musique et aussi en politique ; ces derniers sont les plus dangereux, car on peut les considérer comme les parasites d'un mouvement.

En politique, le dilettante est dangereux ; non pas qu'il soit un mauvais garçon cherchant à nuire à ses compagnons ou à les trahir, mais parce que ses opinions sont à fleur de peau et que, d'ordinaire, il ne veut, en aucun cas, sacrifier sa quiétude et sa tranquillité pour les soutenir et les défendre. En politique - et nous n'employons pas le mot politique au sens péjoratif - il ne faut pas agir en amateur, mais aller jusqu'au bout de ses idées. Quand on participe à un mouvement et plus particulièrement lorsque celui-ci est un mouvement d'avant-garde, il ne s'agit pas de le faire en guise de divertissement et de se dérober quand le moment est venu de prêter son action, de la joindre à celle de ses camarades. Agir ainsi, c'est commettre une indélicatesse vis-à-vis des compagnons qui comptaient sur une force et qui voient celle-ci leur échapper. C'est pour cette raison que le dilettante est dangereux.

Il y a, malheureusement, quantité de gens qui, par inconscience ou indifférence, ne se rendent pas compte de la portée de leurs gestes et de leurs actions, et de la répercussion qu'ils peuvent avoir, et c'est pourquoi on rencontre tant d'individus qui se réclament d'une idée ou d'une autre, par dilettantisme, parce que cela pose ou sonne bien à l'oreille.

Il fut un temps où l'on se disait anarchiste par snobisme, où il était bien porté de faire montre d'une certaine indépendance, et les cercles bourgeois accouchaient d'un nombre incalculable de jeunes Anarchistes : des dilettantes, qui s'évanouirent avec une rapidité vertigineuse lorsqu'il devint dangereux de se réclamer de l'Anarchisme.

Méfions-nous donc des dilettantes, on ne peut compter sur eux. S'il est permis de faire du dilettantisme, en sport, en littérature, etc…, le mouvement social n'est pas un amusement mais une chose sérieuse, qui a besoin d'hommes d'action, réfléchis et sincères, et non pas de dilettantes avides de discussion et à la recherche de gymnastique cérébrale ou de spéculation intellectuelle.

DILETTANTISME n. m. (du mot italien : dilettante)

Le dilettantisme est le goût prononcé pour un art ou un genre d'activité auquel on s'intéresse avec passion, sans toutefois le pratiquer. Le dilettante, par son caractère, s'apparente à l'amateur, mais avec quelque chose de plus intellectuel, élégant et raffiné.

Le mot dilettante ne servait guère à désigner, à l'origine, que les amateurs de musique, mondains et désœuvrés. A présent, par extension, ce qualificatif s'applique à tous les gens qui, dans le domaine de la philosophie, des beaux-arts, de la littérature, ou même de l'action sociale, se comportent de façon analogue.

Il est des dilettantes de la religion, de la charité, de la politique ; voire de la révolution prolétarienne.

L'écrivain Joris Karl Huysmans, qui a laissé une œuvre unique, et fut un des plus remarquables et des plus consciencieux littérateurs de la fin du XIXème siècle, fut un dilettante du mysticisme catholique. Plus artiste que philosophe, ayant en horreur la plupart des milieux où se complaisaient ses contemporains, il fut séduit par l'art admirable des cathédrales et des chants liturgiques, la sérénité des cloîtres, jusqu'à se croire touché de la grâce divine et se réfugier, pour un temps, chez les Trappistes. Mais, tout en faisant l'éloge de ces derniers, et déclarant envier la sainteté de leur existence, il ne tarda pas à retourner à ses habitudes. Son héros Durtal - que l'on devine n'être que lui-même - avoue honnêtement que l'agitation de Paris ne lui paraît point, en fin de compte, sans saveur, et qu'il est trop attaché à l' indépendance de sa plume et à la fumée des cigarettes, pour se contraindre définitivement à la vie monastique. Il passe sous silence l'attrait des jolies filles, mais on croit comprendre que cette omission n'est pas le fait du dédain.

Lors de la période héroïque de l'anarchisme, de 1890 à 1894, la série des attentats perpétrés par des hommes d'une audace extraordinaire, agissant seuls, et revendiquant hautement devant les juges leurs responsabilités, eut le don d'enthousiasmer nombre de poètes, plus épris de la noble attitude des terroristes que de leurs objectifs de transformation sociale, et qui exaltèrent l'insurrection, moins par amour de la classe ouvrière que par haine des laideurs bourgeoises.

Leur état d'esprit se retrouve et se résume en cette phrase de Laurent Tailhade - qui, pourtant, paya parfois de sa personne - « Qu'importe la mort des vagues humanités, si le geste est beau! ».

Mais la Révolution grandiose sur laquelle on comptait ne se produisit point. Et quand les esthètes se trouvèrent en présence de l'œuvre patiente des Bourses du Travail, et des magasins d'épicerie de la Coopération, parmi la triste foule des exploités, ils s'en allèrent un à un, ils reprirent goût aux forêts ombreuses et aux belles étoffes.

Il en est de même pour beaucoup d'admirateurs du métier des armes, qui se sentent très sincèrement l'âme valeureuse, et seraient prêts à donner leur vie, lorsqu'ils contemplent des régiments à la parade, marchant musique en tête et tous étendards déployés, mais ne tiendraient pas quinze jours dans une caserne, sans être découragés par l'ennui morne que l'on y respire, par les relents de pieds douteux, de rogatons et de vieux cuir que l'on y flaire en permanence.

Le dilettante n'est pas à confondre avec le snob. Ce dernier n'a d'autre aspiration que de suivre la mode et de paraître ainsi à la page, même lorsqu'en secret il l'apprécie peu. Le dilettante, au contraire, ne dédaigne point le paradoxe, et ce à quoi il s'attache il l'aime vraiment, quoique d'une façon un peu trop légère et superficielle.

On dit souvent que des gens ont les défauts de leurs qualités. La réciproque est vraie. On peut dire que le dilettantisme a les qualités de ses défauts. S'il ne compte à son actif ni la puissance de travail, ni la vocation du sacrifice, ni même l'énergie qui permet un effort régulier, il a pour lui fréquemment trois mérites non négligeables : la franchise poussée jusqu'au cynisme ; la modestie portée jusqu'au dénigrement de soi ; et le désintéressement tout court. Un nombre impressionnant d'hommes d'action ne seraient même pas, en effet, des dilettantes du but qu'ils poursuivent, s'ils n'étaient poussés dans la voie qu'ils ont adoptée par ces deux grands facteurs d'énergie : l'orgueil et l'intérêt.

Ce n'est ni dans l'hypocrisie, ni dans la vénalité, qu'il faut chercher l'origine du dilettantisme, mais bien plutôt dans l'indolence contemplative, résultat fréquent de l'aisance assurée, et dans cette indécision, ce scepticisme briseur de vaillance qui, avec un tempérament d'artiste, prompt à l'emballement, mais rebelle aux tâches prolongées et rebutantes, est souvent l'apanage des intellectuels.

Pour faire œuvre sociale, au mépris de sa vie et de sa liberté, il faut une foi ardente. Il n'est pas très surprenant que puissent se trouver, jusque dans les milieux révolutionnaires, de simples sympathisants qui, tout en approuvant la révolte des miséreux et la philosophie dont elle se réclame, conservent néanmoins trop de doutes sur les résultats immédiats que l'on en peut attendre pour être capables d'autre chose que d'une contribution d'amitié à la tâche commune.

Les dilettantes non douteux n'aiment guère que l'on use de ce terme à leur adresse, parce qu'il comporte toujours quelque dédain. Ceux qui se font gloire d'être des dilettantes ne le sont le plus souvent qu'en apparence. La philanthropie bourgeoise et le cabotinage politique ont si fréquemment pincé de la guitare humanitaire pour des entreprises qui n'avaient rien le généreux ; tant de pédants insupportables se sont ridiculisés avec d'excessives prétentions, que des méticuleux, impatientés, en arrivent à éprouver quelque pudeur à emprunter leur langage.

Zo d'Axa, qui fut l'animateur du premier journal « L'Endehors », en 1892, et l'un des plus verveux pamphlétaires de l'époque héroïque, se définissait lui-même : « Celui que rien n'enrôle et qu'une impulsive nature guide seule...». Il déclarait mépriser toute étiquette, même celle d'anarchiste, et se préoccuper assez peu du plan qu'adopterait la société future. Il prétendait ne batailler que pour la joie d'exprimer librement ses aspirations et ses rancœurs. Au cours d'un article, il évoqua ce que pourraient être ses derniers instants si, condamné à mort, il était conduit à l'aube devant la guillotine. Et il concluait, en annonçant qu'il s'abstiendrait de crier : Vive... quoi que ce fût. Il se contenterait de savourer la dernière bouffée de sa cigarette!

Mais Zo d'Axa subit avec bonne humeur et courage l'emprisonnement et les persécutions. Et lorsque, ayant écrit tout ce qu'il avait à faire connaître, il se retira, prématurément peut-être, de la lutte sociale, c'est qu'il préférait briser sa plume plutôt que de la faire servir à une médiocre prose, ou de la vendre pour trente deniers.



- Jean MARESTAN