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DÎME n. f. (du latin decima, dixième partie d'une chose)

La dîme était, avant 89, la partie des récoltes que les paysans étaient obligés de céder à l'église ou aux seigneurs, et cette redevance s'élevait approximativement à la dixième partie de la terre imposée. Elle fut abolie par la grande révolution française, ou tout au moins elle changea de nom et de forme, car, si, de nos jours, l'impôt se perçoit sous une apparence moins brutale, ce dernier est une dîme qui est prélevée directement ou indirectement par le capital sur le producteur.

La dîme se divisait en plusieurs catégories ; il y avait d'abord la dîme ecclésiastique, qui fut, à son origine, volontaire, mais fut rendue obligatoire par l'empereur Charlemagne, en 794, pour n'être supprimée qu'en 1789. La dîme seigneuriale était celle prélevée au profit de la noblesse, et la dîme royale, allait remplir les coffres du monarque. Ces diverses sortes de dîmes se subdivisaient à leur tour en dîmes réelles, personnelles et mixtes.

Les dîmes réelles, les plus importantes, étaient celles perçues sur les produits comme le blé, le vin, le bois, les légumes, etc... , les dîmes personnelles étaient prélevées sur le travail, l'industrie, le négoce, la chasse, la pêche, et les dîmes mixtes étaient celles qui provenaient en partie de l'industrie et en partie de la terre.

En un mot, la dîme était la contribution obligatoire du peuple à qui l'on imposait toutes les charges de l'État, et l'entretien de toute l'armée de parasites composée par les gens d'église ou de « noblesse ».

On conçoit que la perception de la dîme ne s'effectuait pas sans soulever la protestation du peuple, dont les champs étaient fréquemment ravagés par les guerres, et qui, la plupart du temps, n'arrivait pas à produire suffisamment pour ses propres besoins. Mais, l'église qui, à travers l'histoire, n'a jamais eu d'autre but que d'assurer aux puissants et aux riches le bien-être et les jouissances, usait de son autorité et de son influence pour soumettre le pauvre paysan pressuré ; c'est ainsi, par exemple, que le concile de Chalons ordonna que « tous ceux qui, après de fréquentes admonitions et prières, auraient négligé de donner la dîme au prêtre, seraient excommuniés ». En une époque, où l'ignorance était profonde dans le peuple, on comprend de suite ce que représentait cette menace. L'église n'alla-t-elle pas jusqu'à stipuler que la dîme était un droit divin ; et y a-t-il vraiment lieu de s'étonner lorsque l'on sait qu'aussi loin que nous puissions plonger dans le passé, Dieu ne fut qu'un moyen employé par les maîtres pour asservir les esclaves.

Voltaire, dans une de ses études sur la dîme, nous conte cette aventure, puisée dans le Talmud de Babylone : « Une veuve n'avait qu'une brebis ; elle voulut la tondre ; Aaron vient, qui prend la laine pour lui ; elle m'appartient, dit-il, selon la loi : Tu donneras les prémices de ta laine à Dieu. La veuve implore la protection de Coré. Coré va trouver Aaron. Ses prières sont inutiles ; Aaron répond que par la loi, la laine est à lui. Coré donne quelque argent à la femme, et s'en retourne plein d'indignation. Quelque temps après, la brebis fait un agneau; Aaron vient et s'empare de l'agneau. La veuve vient encore pleurer auprès de Coré, qui veut en vain fléchir Aaron. Le grand prêtre lui répond : « Il est écrit dans la loi : Tout mâle premier né de ton troupeau appartiendra à ton Dieu. » Il mangea l'agneau et Coré s'en alla en fureur. La veuve, au désespoir, tue sa brebis. Aaron arrive encore ; il en prend l'épaule et le ventre ; Coré veut encore se plaindre. Aaron lui répond : « Il est écrit : Tu donneras l'épaule et le ventre aux prêtres. » La veuve, ne pouvant plus contenir sa douleur, dit anathème à sa brebis. Aaron, alors, dit à la veuve : « Il est écrit : Tout ce qui sera anathème dans Israël sera à toi. » Et il emporta la brebis tout entière. Et Voltaire de conclure : « Ce qui n'est pas si plaisant, mais fort singulier, c'est que, dans un procès entre le clergé de Reims et les bourgeois, cet exemple, tiré du Talmud, fut cité par l'avocat des citoyens. Gaulmin assure qu'il en fut témoin. Cependant, on peut leur répondre que les décimateurs ne prennent pas tout au peuple ; Les commis des fermes ne le souffriraient pas. Chacun partage, rois et prêtres, le bien du pauvre peuple, auquel il ne reste rien » (Voltaire).

Cependant, malgré sa puissance, I'Église ne fut pas toujours capable d'arrêter l'élan de colère du peuple, tyrannisé, torturé, volé, brutalisé, par la noblesse de robe ou d'épée, soutenue dans toutes ses actions par le clergé, qui bénéficiait du brigandage et de la terreur qui s'exerçaient sur la population.

« La faim fait sortir le loup du bois » dit un vieux proverbe, et les habitants de la campagne, à certaines époques, acculés à la misère la plus noire, n'eurent d'autres ressources que de sortir de leur passivité et de se révolter contre ceux qui étaient la cause de leurs souffrances.

La Jacquerie, qui eut lieu au xve siècle, fut un de ces formidables mouvements qui éclatèrent en France, en raison des ravages exercés par les seigneurs. Non seulement le peuple était obligé de payer les frais des combats que se livrait la noblesse, mais le plus souvent le campagnard n'avait même pas la possibilité de semer et de récolter. Les hommes d'armes détruisaient tout sur leur passage, et le paysan, que, par dérision, on appelait Jacques Bonhomme, se réfugiait sous la terre avec sa famille, d'où la faim le dénichait, cependant que la noblesse faisait ripaille, après avoir raflé toutes les maigres ressources de la paysannerie.

« Cependant », dit Michelet, la souffrance exalta enfin ces vilains qui se laissaient frapper ; le jour de la vengeance arriva, et les paysans payèrent à leurs seigneurs un arriéré de plusieurs siècles. En 1358, le 28 mai, les habitants de quelques villages des environs de Clermont, en Beauvoisis, s'assemblèrent et firent le serment de détruire tous les nobles de France. Ils prirent pour chef un paysan nommé Guillaume Caillet ou Jacques Bonhomme. Armés seulement de bâtons ferrés, ils forcèrent un château voisin, et massacrèrent le châtelain, sa femme et ses enfants. Ce fût le signal de l'insurrection et des massacres. Tous les paysans prirent leurs couteaux, leurs cognées, leurs socs de charrues, coupèrent des bâtons dans les bois pour en faire des piques, et coururent sus aux nobles, assaillant ces châteaux devant lesquels ils avaient si longtemps tremblé, les emportant d'assaut, tuant tout ce qu'ils y trouvaient, et y mettant le feu. En peu de jours, l'insurrection se répandit dans tous les sens comme l'incendie qui court sur une campagne couverte d'herbes sèches. Nulle part, les nobles n'essayaient de se défendre » (Michelet).

Il serait inexact de prétendre que la dîme, l'impôt, le prélèvement effectué par le riche sur le pauvre, fut la cause unique de la Jacquerie ; l'arrogance, le mépris du noble pour le manant joua également un rôle dans la révolte paysanne du xve siècle, mais il est certain que c'est surtout la misère qui détermina le paysan à s'insurger, et que cette misère était consécutive à la grosse part que le prêtre et le seigneur exigeaient du paysan.

Même la « Fronde » qui, de 1643 à 1653, divisa la France en deux camps, et qui ne fut, à l'origine, qu'un complot organisé par une certaine partie de la noblesse contre le cardinal Mazarin, ne rencontra la sympathie populaire que grâce au mécontentement soulevé par les nouveaux impôts rendus nécessaires par les nombreuses guerres présentes et passées.

Lorsque l'on analyse les divers mouvements de révolte populaire, on remarque qu'à la base de tous ces mouvements, il y a la misère, et que peu d'insurrections ou de révolutions ont été provoquées par des causes purement morales. Il est vrai que tout s'enchaîne et que la misère du peuple entraîne les gouvernements à user d'autorité, par crainte de soulèvement, et qu'en conséquence, lorsqu'elle n'est pas un facteur de révolte, elle est une source de bassesse et d'esclavage.

On peut donc dire, sans craindre de se tromper, que toute révolution, quelles qu'en soient les apparences, ont pour cause directe l'état misérable de la population, et que cet état est déterminé par la dîme, ou si nous aimons mieux, l'impôt direct ou indirect, que prélevait hier le seigneur, et que prélève aujourd'hui le gouvernement, ce qui est sensiblement pareil.

Nous avons vu que, si la grande révolution française a rencontré l'accueil pressant de la paysannerie et du peuple, c'est qu'ils étaient courbés sous le poids des, impôts et que leur dénuement était terrible. Plus près de nous, la Révolution russe, est un autre exemple, celles d'Italie et d'Allemagne peuvent également nous servir d'enseignement.

Nous disons plus haut que la dîme et l'impôt sont deux choses identiques ; et, en effet, si la dîme était une redevance qui se payait en nature, sa suppression tient surtout à ce que les formes actuelles de société ne permettent pas de tels procédés, et que l'Impôt payé en monnaie facilite le travail administratif de l'État. Mais, en réalité, le résultat est le même, et c'est en vain, si nous prenons la France en exemple, que nous chercherions un produit sur lequel l'État, le Gouvernement ne prélèvent pas une certaine partie de sa valeur. Toutes les marchandises, quelles que soient leur nécessité ou leur utilité, sont imposées. Il fut un temps, où la Gabelle, ce fameux impôt sur le sel, souleva la protestation et l'indignation du populaire. Aujourd'hui, le blé, le sucre, le sel, la viande, le café, tous les produits enfin, sont soumis à une certaine taxe qui varie selon les besoins de l'État, et il coule de source que si ces taxes sont payées directement par le commerçant, ce dernier ne manque jamais, en augmentant le prix de sa marchandise, de se faire rembourser par le consommateur. C'est donc le consommateur qui paye la dîme.

On trouvera plus loin, au mot « Impôt », les diverses formes de contributions auxquelles sont soumises les populations modernes, et nous verrons que nous n'avons rien à envier à nos ancêtres ; que nous sommes, comme eux, écorchés par de nouveaux seigneurs, qui, s'ils ont changé de noms, n'en sont pas moins rapaces, et entendent continuer à vivre sur le dos du commun.

Le peuple a payé la dîme, il s'en est libéré par la Révolution ; il paye l'impôt, il ne s'en libérera que par la Révolution. Encore faut-il que cette révolution soit complète ; car, inachevée, elle donnera naissance à de nouvelles erreurs, et changera le nom des choses sans en changer le fond. Or, c'est au fond qu'il faut s'attaquer, c'est lui qu'il faut détruire si nous voulons voir disparaître ce qui fit et fait encore le malheur de l'humanité.