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DIPLOMATIE n. f.

Anciennement, la diplomatie était l'art de déchiffrer les chartes et les diplômes ; mais, depuis le XVème siècle, elle est devenue une science qui consiste à négocier les « intérêts » respectifs des Etats et des Gouvernements entre eux, et les qualités les plus indispensables à l'exercice et à la pratique de cette science sont : le mensonge, la fourberie, l'adresse et la ruse ; qualités, comme on le voit, toutes bourgeoises et dont se glorifient les diplomates, honorés de posséder de telles vertus.

Pour le peuple, la diplomatie puise sa source dans le « droit » international et a pour but ou pour objet la tranquillité, la sûreté, la quiétude des nations, et le rôle du diplomate est de rechercher les moyens susceptibles de régler pacifiquement les conflits qui pourraient menacer la paix existante entre diverses nations dont les intérêts sont opposés.

La réalité est toute autre, et M. Georges Louis, ancien ambassadeur de France à Petrograd, dans son étude sur les responsabilités de la guerre, éditée chez Rieder sous le titre: « Les Carnets de Georges Louis » nous éclaire lumineusement sur ce qu'est la diplomatie.

Nous initiant sur les relations diplomatiques de Poincaré et de Sazonoff, il écrit : « Après avoir lu le Livre bleu d'Avril sur la crise européenne, on sent que Poincaré et Sazonoff se sont dit : « Ce qui importe ce n'est pas d'éviter la guerre, c'est de nous donner l'air d'avoir tout fait pour l'éviter » ».

Ces mots, cette formule, sous la plume d'un diplomate éminent, sont symboliques. Et, en effet, le rôle de la diplomatie n'est pas d'éviter les conflits, mais d'en cacher les causes déterminantes au peuple, et de couvrir de son manteau les véritables responsables.

Il est des individus qui ne combattent pas, qui ne critiquent pas la diplomatie en soi, la considérant comme utile, nécessaire, indispensable même à la vie des nations, et qui estiment que, si elle n'était pas secrète, si ses travaux s'effectuaient en plein jour, sous le contrôle du peuple, son rôle ne pourrait être que bienfaisant. Pauvres fous! La diplomatie peut-elle ne pas être secrète, et le contrôle populaire peut-il être une garantie? La démocratie, qui est le gouvernement du peuple, est une manifestation suffisante de la souveraineté populaire, et il n'y a plus que les naïfs ou les coquins pour croire que sa volonté est respectée.

Nous avons dit que les qualités essentielles du diplomate sont la ruse, le mensonge et la fourberie ; par conséquent, la partie n'est pas égale car, sur ce terrain-là, le peuple est toujours et sera toujours roulé.

La diplomatie est l'action de dissimuler, et on ne peut donc, en vérité, demander qu'elle ne soit pas secrète ; si elle ne l'était pas, ce ne serait pas de la diplomatie.

Est-il besoin de rechercher bien loin dans le passé pour trouver des exemples frappants de ruse diplomatique? Qui donc, de nos jours, ignore la finesse avec laquelle le célèbre Bismarck procéda à la veille de la guerre de 1870 ?

La France, comme l'Allemagne, voulaient la guerre et, lorsque nous disons la France et l'Allemagne, nous entendons, non pas le peuple qui n'aspirait qu'à la paix, mais les gouvernements respectifs de ces deux pays ; et pour laisser au gouvernement français toute la responsabilité de la déclaration de l'état de guerre, Bismarck n'hésita pas à falsifier des télégrammes diplomatiques, ce qui mit le comble à sa puissance, la fourberie étant un facteur de succès en diplomatie.

D'autre part, les événements, beaucoup plus récents qui précédèrent la grande guerre de 1914, et qui nous sont connus aujourd'hui, nous fixent définitivement sur le jeu de la diplomatie et des diplomates. Nous allons citer certains faits qui démontrent amplement la ruse déployée par les diplomates et l’ombre dans laquelle ils agissent.

Empruntons le témoignage suivant à M. Stéphane Lauzanne, qui ne peut être suspecté de sympathie pour les contempteurs de l'ordre bourgeois.

« Je me souviens, dit-il, le 31 juillet 1914, avoir déjeuné dans une maison amie, avec M. Aristide Briand que M. René Viviani avait accompagné jusqu'à la porte en auto ».

31 juillet 1914! Le jour où l'Allemagne lança son ordre de mobilisation, le jour où, en fait, elle décréta la guerre! On pense si les convives interrogèrent M. Briand. Il savait, lui! Il venait de causer avec le chef du gouvernement qui savait, qui devait savoir. Et j'entends encore M. Briand nous dire, de sa voix aux sonorités traînantes : « Ce que je sais bien, c'est que les Allemands ne nous déclareront pas la guerre. Ce ne sont pas des idiots! Ils ont eu dix occasions meilleures que celle-ci pour nous attaquer, dix occasions où ils n'auraient pas trouvé les alliés aussi solidement unis. Ils raisonnent, les Allemands. Ils ne sont pas fous... Je vous dis qu'ils ne feront pas la guerre... »

Et Stéphane Lauzanne ajoute:

« 31 juillet 1914. Voilà ce que l'on savait dans les milieux où l'on sait ... »

M. Stephane Lauzanne, en bon journaliste bourgeois qui se respecte, prend ses lecteurs pour des imbéciles, car il ne fera admettre à aucun homme qui raisonne tant soit peu, que M. Briand ne savait pas ; mais si M. Briand savait, il y avait intérêt à ce que le peuple ignorât ce qui se tramait dans les coulisses diplomatiques. Le 31 au matin, le Gouvernement français savait que la guerre était inévitable puisque, dans la nuit du 30 au 31, l'ordre de mobilisation avait été affiché en Russie, et que M. Paléologue, l'ambassadeur de France, en avait averti son gouvernement. Cela est tellement certain, que le 10 septembre 1914, la revue française le « Correspondant » publiait le journal d'un officier français mobilisé à Saint-Pétersbourg, dont nous extrayons ce passage :

Vendredi 31 juillet, le matin.

« La mobilisation russe est un fait accompli. Le manifeste du tsar a été affiché cette nuit. Je vais à l'ambassade de France... Je trouve l'ambassadeur fort occupé. M. Paléologue paraît tout à fait certain de la guerre et s'en réjouit presque en songeant que la situation est la plus favorable que l'on ait jamais pu espérer. »

« Déjeuner, chez Cubat, je cause avec des officiers. Aucun ne cache sa joie de la guerre prochaine. »

En outre, M. Paléologue, le 31 juillet 1914, au matin, déclarait à l'ambassadeur de Belgique : « La mobilisation russe est générale. En ce qui concerne la France, elle ne m'a pas encore été notifiée, mais on ne peut pas en douter ». Et si l'on ajoute à cela ce passage ci-dessous, puisé dans les mémoires de l'Ambassadeur de France à Pétrograd, et portant la date du 31 mars 1915, on est totalement fixé sur le rôle de la diplomatie :

« Nous avons pris les armes, écrivait l'Ambassadeur, parce que la ruine de la Serbie aurait consacré l'hégémonie des puissances germaniques, mais nous ne nous battons pas pour réaliser les chimères du slavisme. Le sacrifice de Constantinople est déjà suffisant ».

On ne peut avouer avec plus de cynisme que la guerre de 1914 était voulue, recherchée, préméditée, que, seul, le prétexte manquait et qu'il appartenait à la diplomatie de le trouver.

Le meurtre de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo, par l'étudiant serbe Garilo Prinzep, fut une occasion inespérée de déclencher le carnage et la diplomatie, en cette affaire, interpréta son rôle de façon admirable, c'est-à-dire qu'elle se dépassa en abjection. Tout eût pu s'arranger si les diplomates n'étaient pas les vils serviteurs du capitalisme et si la diplomatie était autre chose qu'une institution au service du Capital. Mais le Capital, représenté au Pouvoir par M. Poincaré et ses hommes, voulait la guerre, et il la prépara avec la complicité de la diplomatie.

Le 16 janvier 1914, le Baron Guillaume, ministre de Belgique à Paris, écrivait à son Gouvernement : « Ce sont, en fait, MM. Poincaré, Delcassé, Millerand et leurs amis qui ont inventé et poursuivi la politique nationaliste, cocardière et chauvine dont nous avons constaté la renaissance. C'est un grand danger pour l'Europe et la Belgique. J'y vois le plus grand péril qui menace aujourd'hui la paix de l'Europe ».

Et le 10 mai 1914, à propos du voyage de Poincaré en Russie, il écrivait : « Il y a envoyé récemment Delcassé, auquel il a confié la mission de chercher, par tous les moyens, à exalter les bienfaits de l'alliance franco-russe et à amener le grand empire à accentuer ses préparatifs militaires ».

Comme l'on comprend bien, alors, que, lorsque débarquant à Dunkerque, le 29 juillet 1914, à midi, le sénateur Trystram lui posa cette question :

« Pensez-vous, M. le Président, que la guerre pourra être évitée? » Poincaré répondit: « Ce serait, grand dommage, jamais nous ne retrouverions conditions meilleures ».

Qui donc dénoncera les agissements de la diplomatie internationale? Qui donc arrachera le bandeau qui couvre les yeux du peuple? Personne. Capital, Diplomatie, Gouvernement, trois têtes sous le même bonnet, exercent leur puissance dans tous les domaines ; la presse est muselée, elle est achetée, et ce n'est qu'accidentellement que l'on arrive à savoir quelque chose. La vénalité, la corruption de la presse est aujourd'hui le secret de polichinelle, mais pourtant, nous croyons utile de publier, malgré sa longueur, le document qui va suivre et qui démontre, de manière indiscutable, la collusion de la presse et de la diplomatie.

C'est à la « Bonne Guerre» que nous devons la publication de ce pacte qui fut conclu en avril 1920, au nom de la grande presse française, par MM. Roëls, rédacteur en chef des services extérieurs du « Temps », Charles Rivet et Tavernier, courriers diplomatiques de ce même journal. Voici ce pacte :

1° L'accord qui intervient, valable de mai 1920 il juin 1921, comprend :

1) les journaux : Le Matin, Le Journal, L'Echo de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L'Information, Le Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, la France Libre.

2) les agences : L’Information, Radio et Agence des Balkans, cette dernière comme minimum pour la cessation d'insertions de dépêches hostiles à la Bulgarie.

2° Le matériel devra être remis par Sofia ou ses représentants, soit directement aux rédactions, soit à M. Roëls, suivant les cas. Les questions d'organisation, c'est-à-dire de répartition de ce matériel et des formes diverses que peut affecter son insertion dans les organes précités (c'est-à-dire : dépêches, notes, articles, lettres de correspondants, interviews, réponses), sont à définir sur place à Paris, entre M. Roëls ou son représentant pour les questions balkaniques, M. Tavernier et l'agent désigné par le gouvernement bulgare pour le service de presse en France ;

3° Les organes précités s'engagent à insérer les télégrammes d'agence relatifs à la Bulgarie, qui leur parviendront par le canal de Radio ou de l'Information ;

4° L'agence L'Information sera représentée à Sofia par un correspondant français désigné par elle, qui fera le service de dépêches pour l'agence et un service de lettres pour le journal, L'agence Radio aura un représentant, préférablement bulgare, choisi par le Gouvernement qui se bornera à transmettre à son agence les notes ou dépêches d'informations à lui, remises par le bureau de presse du ministère des Affaires étrangères de Sofia ;

5° Le Temps enverra en Bulgarie un correspondant français qui sera chargé :

a) D'un service télégraphique : b) d'un service de lettres ;

6° Le Petit Parisien sera représenté également, mais soit par un journaliste bulgare, soit par un français déjà établi. Ce sera au Gouvernement bulgare à 1e rechercher et à le désigner. De même pour le représentant de Radio ;

7° La gratuité télégraphique est accordée dès mise en vigueur de l'agrément par le Gouvernement bulgare aux agences L'Information et Radio et au journal Le Temps. De plus, les frais d'entretien à Sofia, des correspondants du Petit Parisien et des deux agences, seront assurés, pour la majeure partie du moins, par le Gouvernement bulgare ;

8° Il est entendu que, par ces divers moyens, un service continu d'informations bulgares, venues de la source même et non plus dénaturées par des adversaires, sera assuré dans les organes ci-dessus désignés et principalement dans Le Temps ;

9° Il est expressément compris également que les autorités gouvernementales bulgares ne demanderont jamais que ces informations prennent un ton agressif pour une puissance amie ou alliée de la France, et revêtent le caractère d'une polémique avec telle où telle de ces puissances. Il est entendu de même que ces informations, pour conserver tout leur crédit, ne prendront pas l'allure d'une campagne systématique sans mesure comme sans prudence. Par contre, les attaques constantes contre la Bulgarie cesseront dans les organes précités, c'est-à-dire dans la plus grande partie de la presse française. Au cas où, pour une cause impossible à prévoir, une attaque se produirait, le Gouvernement bulgare serait immédiatement mis en mesure d'y répondre ;

10° Il est entendu que le Gouvernement bulgare nt demandera pas aux organes précités de soutenir une politique d'expansion au détriment de tel ou tel de ses voisins. Mais, par contre :

1) La thèse de la récupération par la Bulgarie de territoires qui sont siens, thèse définie dans les trois lettres du Président du Conseil, M. Stamboulisky, à ses collègues grec, roumain et serbe, comme:

2) La question de son accès territorial à l'Égée ;

3) La question des minorités, auront une place faite sous forme appropriée dans les organes précités.

De même les organes précités, prenant en considération que l'intérêt de la France demande le relèvement économique de la Bulgarie, réserveront une place à ce problème pour éclairer, s'il y a lieu, à son sujet, et l'opinion et la commission interalliée qui siégera à Sofia.

Enfin, dans les rubriques bibliographiques des organes précités, il sera fait mention des ouvrages bulgares désignés par Sofia.

En présence de :

E. Roêls, Ch. était Rivet, V. Ganef, N. Stoiloff.

Ce pacte complété par une note dont voici la traduction:

LÉGATION DE BULGARIE

ARCHIVES SECRÈTES PROTOCOLE

Nous, soussignés, certifions que, conformément à la dépêche N° 645 du président du Conseil, M. Stambou­lisky, en date du 17 avril, ce jour et en la présence de M. .Charles Rivet, nous avons remis au rédacteur en chef du journal Le Temps, M. Roëls, représentant le groupe de journaux suivants: Le Matin, Le Journal, L'Echo de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L'Infor­ mation, le Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, La France Libre, et les agences: Information, Radio et Agence des Balkans, le chèque N° 23.111 pour la somme de sept cent cinquante mille francs français, émis par le Comptoir National d'Escompte de Paris, par compte du ministère des Affaires étrangères de Bulgarie à la Banque de France.

Paris, le 4 mai 1920. (Signé) : B. Ganef.

38, avenue Kléber. (Signé): N. Stoiloff.

(Cachet de la Délégation bulgare à la Conférence de la Paix).

Nous pourrions multiplier la publication de documents démontrant le rôle néfaste de la diplomatie. La Russie dévoila, au lendemain de la Révolution, une certaine partie de la correspondance échangée entre les représentants des divers gouvernements d'Europe et la lecture de cette correspondance est édifiante. Mais la grande presse, en général, conserva le silence, et cela se comprend, en considérant le document que nous publions ci-dessus et qui lie les grands journaux de France au Gouvernement bulgare. Lorsque l'on sait que ce pacte, cet accord n'est pas particulier, mais, qu'en réalité, il en existe de semblables qui furent conclus avec d'autres nations, que la Presse se vend à n'importe qui, qu'elle se tait ou qu'elle parle selon que l'on paye ou que l'on ne paye pas, on est terrifié à la pensée que l'on est à la merci d'une poignée de coquins, dont l'intérêt peut déchaîner les plus terribles cataclysmes.

Nous disions, d'autre part, traitant de la concurrence (voir ce mot) : Chaque fraction du capitalisme en lutte se défend par l'intermédiaire de son Gouvernement et la concurrence de nation à nation est l'unique cause des négociations interminables qui se poursuivent depuis des années et des années. Le Capitalisme inter national cherche un terrain d'entente, et lorsque les intérêts particuliers n'ont pu se concilier autour du tapis vert de la diplomatie, alors on donne la parole au canon et c'est la guerre fratricide, criminelle, monstrueuse, qui est chargée de régler le différend.

Et, en effet, la Société est une vaste entreprise commerciale et le diplomate peut être comparé à un représentant qui cherche à vendre une marchandise le plus cher possible ou à en obtenir une autre dans les conditions les plus avantageuses. A quoi, sinon à des tractations commerciales, se livrerait toute cette armée d’agents diplomatiques, qui coûte si cher à entretenir, et dont les travaux ont, parfois, un résultat tragique?

De quoi discutaient avant la guerre, tous ces ambassadeurs, tous ces ministres? Etait-ce du Cochon serbe ; de Constantinople que réclamait la Russie afin d'étendre son commerce extérieur ; du Traité de Francfort qui accordait à l'Allemagne certains privilèges commerciaux lui permettant d'exporter en France une grande quantité de ses produits ; de la puissance maritime anglaise, de son empire colonial, nuisibles aux intérêts du capitalisme des empires centraux? Quelles furent, et les difficultés devant lesquelles se brisa l'habileté des diplomates et les causes directes de la guerre? Les divers ouvrages diplomatiques, relatifs à toutes ces questions, et publiés par les divers gouvernements, rejettent la responsabilité sur les uns et sur les autres, mais c'est en vain que l'on chercherait dans les nombreux livres diplomatiques de toutes couleurs, une parcelle de vérité. Ce qui est vrai, ce qui ne souffre aucune contradiction, c'est que le capitalisme voulait la guerre en 1914 comme il la désirait en 1870, et que la diplomatie s'efforça d'en masquer les raisons, et d'aveugler le peuple par ses subterfuges. Comment ne serait-elle pas secrète? Comment pourrait-elle avouer, qu'elle ne se livre qu'à des tractations commerciales, industrielles, financières, au profit d'une poignée de parasites? Comment pourrait-elle reconnaître qu'elle organisa la tuerie pour que l'Alsace et la Lorraine revinssent à la France et que la Compagnie des Chemins de fer de l'Est pût hériter de tout le régime ferroviaire de ces deux départements ; que, de son côté, l'Allemagne voulait se battre, parce que le traité de Francfort prenait fin, et qu'aussi elle avait l'espérance d'affaiblir la perfide Albion et de détruire son hégémonie mondiale? Eh oui! Elle est secrète et elle restera secrète la diplomatie. Elle ne peut se montrer toute nue. Maquillée, recouverte de brocard et de soie, elle semble jolie et appétissante ; mais lorsqu'on la découvre, lorsqu'on lui retire son manteau, elle apparaît sous son vrai jour : sale et répugnante, et soulève de dégout le cœur de celui qui la regarde.

Abjecte prostituée, elle s'est vendue hier, elle se vend aujourd'hui, elle se vendra demain, elle se vendra toujours.

Ses amants sont toujours les mêmes, et c'est toujours dans le même clan qu'elle les trouve. Pour satisfaire à l'appétit insatiable du Capitalisme, elle a livré à la mort des millions d'hommes et elle recommencera encore. Que nous prépare-t-elle? Que nous réserve-t-elle ? Des carnages. Elle est en train d'organiser les tueries futures.

Elle a sacrifié hier aux maîtres de la métallurgie des milliers d'innocents, elle en sacrifiera d'autres demain aux caoutchoucs anglais ou aux pétroles américains.

Que l'on ne s'imagine pas que notre pessimisme repose sur des illusions ou sur des probabilités. C'est la brutale réalité du présent qui nous fait craindre pour l'avenir. Le monument diplomatique accouché à Versailles, loin de résoudre les divers problèmes inter-­ nationaux, n'a fait qu'envenimer les conflits qui divisent les différents capitalismes, et la Société des Nations, illustre mensonge, dont l'unique utilité est de tromper le peuple, n'est qu'un repaire où se réfugient les cuisiniers de la politique, pour préparer la sauce à laquelle nous devons être mangés.

Le 2 novembre 1921, Romain Rolland écrivait :

« L'humanité, déchirée par la guerre de cinq ans, est à la veille de guerres plus monstrueuses encore, où des millions de jeunes vies et toutes les espérances de l'avenir seraient immédiatement englouties. Si les femmes ne luttent pas avec la dernière énergie contre le fléau qui s'approche, que le sang de leurs fils retombent sur leurs têtes ; elles auront été complices du meurtre qu'elles n'auraient pas eu l'énergie d'empêcher ».

Eh bien! L’heure de l'échéance approche. Les effets pernicieux de toutes les discussions intestines auxquelles se livrent les diplomates des diverses contrées du monde, ne peuvent tarder à se faire sentir.

Nous avons dit que la diplomatie n'a d'autre but que de masquer les causes de guerre, et que les guerres sont toujours déterminées par des conflits d'intérêts commerciaux, industriels ou financiers.

La récente guerre du Rif, qui nous fut présentée comme une guerre de libération des peuplades africaines asservies et courbées sous l'autorité d'Abd el-Krim, ne fait pas exception à la règle. Nous savons que le triomphe du chef Hiffain eût été une source de profits pour certains groupes ou particuliers qui le commanditaient et auxquels il avait accordé de larges concessions territoriales, et que la France ne s'engagea dans l'entreprise marocaine, à la suite de différentes négociations diplomatiques avec l'Espagne, que parce que la finance française entendait exploiter à son bénéfice les richesses souterraines de la grande contrée nord-africaine.

C'est donc bien pour la possession des mines marocaines que se firent tuer des milliers et des milliers de soldats français, espagnols ou marocains, possession dont devaient hériter non pas ceux qui se faisaient ridiculement massacrer, mais leurs chefs, leurs maîtres, leurs exploiteurs.

Et c'est pourquoi nous fûmes étonnés lorsque certain parti d'avant-garde, usant de diplomatie, c'est-à-dire de mensonge, engagea le peuple à soutenir Abd el-Krim.

Les chefs de ce parti ignoraient-ils que celui qu'ils présentaient comme un héros dévoué à la grande cause « des peuples libres de se diriger et de se déterminer eux-mêmes » avait déjà livré :

A M. W. Muller: 2.000 hectares de terrain.

A M. André Teulon: 300 hectares de terrain.

A la Compagnie Maroco MineraIs: 2.635 hectares.

A M. Muller: 1.995 hectares.

A la Compagnie Internationale du Minera: 6.400 hectares.

A une Compagnie italo-hollandaise: 1.600 hectares.

Etc. ?

Non, ils ne l'ignoraient pas, mais tout parti politique est entraîné dans diverses tractations, surtout lorsqu'il représente une puissance gouvernementale, et est, en conséquence, obligé d'user de ruses, de subterfuges de diplomatie.

La guerre du Maroc n'est que le prélude de conflagrations plus sanglantes et, dans les négociations diplomatiques qui se poursuivent à travers le monde, chaque ambassadeur, chaque ministre cherche, non pas à assurer la paix, mais à choisir pour la guerre l'heure qui lui paraît la plus propice au triomphe da la fraction du capitalisme qu'il représente. Ils n'ignorent pas, les diplomates, que la guerre est inévitable ; ils sont convaincus que, de plus en plus, la situation deviendra plus critique, et qu'il faudra régler les différends dans le sang du peuple. Que leur importe après tout!

L'Amérique a besoin de caoutchouc pour son industrie automobile, mais l'industrie du caoutchouc est contrôlée dans une proportion de 75 % par le capitalisme anglais ; la France convoite les richesses métallurgiques du bassin de la Sarre, mais ce bassin appartient à l'Allemagne, qui le céda temporairement en vertu du Traité de Versailles, mais qui espère, malgré tout, en reprendre possession ; l'Italie veut la Corse et la Tunisie, mais ces contrées sont à la France, qui ne veut pas s'en séparer ; l'Angleterre a besoin de pétrole, c'est l'Amérique qui le possède et l'insatiable Albion jette les yeux sur les mines de Bakou ; et chaque pays, chaque nation, s'étudie, s'observe, se surveille, s'espionne par l’intermédiaire de ses diplomates, et cherche à affaiblir son voisin pour se jeter sur les richesses convoitées.

Afin d'assurer le succès du capitalisme qu'elle représente, la diplomatie détermine des alliances, prend des engagements, suscite des révoltes, fomente des troubles ; en un mot, elle se livre à de louches entreprises, et l'on comprend la raison pour laquelle la correspondance échangée entre un gouvernement et ses ambassadeurs nécessite un code spécial, indéchiffrable pour celui qui n'y est pas initié.

Se débarrasser de la diplomatie ou espérer qu'elle s'améliorera est une chimère tant que subsistera la forme actuelle des sociétés. La diplomatie est une branche de l'arbre capitaliste ; il est inutile de chercher à l'arracher ; comme toutes les plantes parasitaires elle repousserait avec rapidité. Il faut détruire l'arbre, il faut anéantir ses racines, afin que jamais plus il ne repousse et vienne, de son ombre, cacher les rayons lumineux de la paix et de la liberté.

- J. CHAZOFF.