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DISCIPLINE n. f. (du latin disciplina, enseignement; de disco, j'enseigne)

La discipline est l'ensemble des règlements qui régissent certains corps et devant lesquels sont obligés de se soumettre, sous peine de sanction, tous les individus. Telle est la définition que l'on peut donner de la discipline, en ce qui concerne les sociétés organisées selon les principes de l'autoritarisme.

La discipline est donc une contrainte et, selon l'importance des institutions où elle s'exerce, elle est plus ou moins sévère. Naturellement, comme dans tout ce qui découle de l'autorité, il y a ceux qui en bénéficient et ceux qui en souffrent. Ceux qui en bénéficient sont ceux qui l'imposent, ceux qui en souffrent sont ceux qui la subissent. « La discipline scolaire, la discipline ecclésiastique, la discipline militaire, la discipline de la magistrature » etc., etc.

L'homme est une victime de la « discipline », il est pris entre ses griffes dès sa plus tendre enfance, dès son plus jeune âge. C'est à l'école qu'elle commence à peser sur ses frêles épaules, et son poids augmente avec les années. Il est évident que l'enfant a besoin d'être conduit, orienté, qu'il est un petit animal inéduqué et qu'il est bon de lui enseigner certaines règles et de réfréner parfois ses instincts naturels. Toutefois, il ne nous apparaît pas que la discipline scolaire puisse atteindre le but qu'elle poursuit, c'est-à-dire : donner à l'écolier, qui sera demain un homme, un enseignement lui permettant d'acquérir de l'ordre et de la méthode, qualités indispensables à la bonne harmonie des sociétés.

La discipline scolaire s'adresse moins à l'intelligence de l'enfant qu'à ses sentiments de crainte et de frayeur et, s'il se courbe devant elle, ce n'est pas qu'il en reconnaisse l'utilité, mais parce qu'il a peur des sanctions qui pourraient résulter de ses infractions.

Par conséquent, l'ordre, le calme qui existent dans une classe ne sont qu'apparents, superficiels et, si l'on pouvait plonger dans le jeune cerveau des élèves, on s'apercevrait bien vite du travail nocif de la discipline.

L'erreur particulièrement profonde de la discipline scolaire est de s'adresser à la collectivité, sans tenir compte du tempérament, de la personnalité des individus qui la composent. « Qu'importe, dira-t-on, puisque les résultats sont obtenus ». Et c'est justement là que l'erreur se corse. Le but - à nos yeux, tout au moins - de l'école, est de faire de l'enfant un homme ; de lui faire comprendre la différence qui existe entre une action utile à la collectivité, à la vie de laquelle il participera bientôt, et une action qui lui est néfaste ; de lui faire distinguer, en s'adressant à sa raison, à son intelligence, le « bien » du « mal », le beau du laid, et de frapper son imagination par des exemples susceptibles d'éveiller en lui l'amour de son prochain et le désir vivace de ne pas nuire à son semblable.

Or, l'école moderne ne remplit pas ce rôle et, loin d'être, pour leurs élèves, de grands frères expérimentés, les maîtres, les professeurs, sont plutôt des caporaux chargés de faire respecter une discipline qui se traduit par des punitions donnant naissance, non seulement à un sentiment de terreur, mais aussi de haine.

Dans certaines écoles anglaises, les infractions à la discipline sont sévèrement réprimées et l'on assiste parfois au pénible spectacle d'un jeune homme de 15 ou 18 ans fouetté pour n'avoir pas respecté les règlements auxquels il était soumis. Quelles influences bienveillantes peuvent avoir de tels procédés? Aucune, bien au contraire. L'enfant est un terrain vierge qu'il faut savoir cultiver. Ce n'est pas par la brutalité, par la force, par la violence que l'on peut arriver à en faire un homme digne de ce nom, c'est-à-dire qui, dans l'avenir, aidera son prochain à gravir le rude chemin de la civilisation. Au lieu de répondre aux incartades de la jeunesse par des sanctions ridicules et arbitraires, enseignons-lui plutôt à se respecter, à s'instruire, et l'on détruira ainsi les germes mauvais dont elle a hérité et qui ne disparaîtront que si nous voulons sincèrement ne pas faire de nos enfants ce que nous sommes nous-mêmes : des esclaves. (Voir : Education.)

La discipline ecclésiastique repose sur les décisions et les Canons des conciles ainsi que sur les décrets des papes et des princes de l'église. Est-il besoin de souligner que tous les règlements, toutes les lois religieuses édictées pour déterminer la conduite commune des individus n'ont d'autres buts que de protéger le puissant et le riche des révoltes possibles du faible et du pauvre?

Il est heureux que, de nos jours, l'Eglise ne puisse plus, dans certains pays, entre autres la France, exercer des sanctions contre ceux qui ne se soumettent pas à sa discipline, car elle se distingua, dans le passé, par sa barbarie et sa cruauté. A présent, son prestige a disparu et elle n'exerce plus qu'une puissance occulte de laquelle il faut pourtant se méfier.

On ne peut cependant oublier les crimes dont elle se rendit coupable et l'Inquisition qui régna en maîtresse sur le monde, et plus particulièrement sur l'Espagne, où les bûchers allumés par Torquemada - qui pour son compte personnel a un actif de 120.000 victimes - ne s'éteignirent qu'au XIXe siècle, illustre les bienfaits de la discipline ecclésiastique.

Les premiers inquisiteurs avaient le droit de citer tout hérétique, de l'excommunier, d'accorder des indulgences à tous princes qui extermineraient les condamnés, de réconcilier à l'église, de taxer les pénitents et de recevoir d'eux, en argent, une caution de leur repentir. Nul n'a le droit d'ignorer aujourd'hui les ravages causés par l'Eglise, tout l'odieux de cette discipline déployée pour consolider les privilèges des seigneurs et du clergé, et qui coûta tant de vies humaines sacrifiées pour forger les chaînes de l'esclavage. Et cette discipline terrible était telle qu'elle donna son nom à un fouet composé de cordelettes et de petites chaînes, et l'on vit au XIe siècle des bandes composées de plusieurs milliers d'imbéciles qui parcouraient les villes en se donnant la « discipline », croyant par ces actes ridicules racheter leurs péchés et ceux des autres.

Ces coutumes sont enfouies dans la nuit du passé, et il faut espérer que jamais plus, dans nos pays occidentaux, nous ne serons assujettis à la discipline de l'église.

Hélas! La discipline militaire a survécu à la discipline ecclésiastique et, de gré ou de force, par la bêtise, par la lâcheté humaines, nous y sommes tous astreints.

« La discipline fait la force des armées » et, à l'armée, discipline est synonyme d'obéissance, de soumission, de respect aux ordres du chef, quels que soient ces ordres et quelles qu'en soient les conséquences.

On a dit sur l'armée tout ce qui pouvait en être dit et si ce n'était que l'on connaisse son rôle, sa discipline nous paraîtrait comique. Notre Molière moderne, Georges Courteline, l'a ridiculisée avec un rare talent, en a souligné les travers, les mesquineries, les petitesses, et l'a marquée au fer rouge de l'ironie. Mais l'ironie n'a tué ni l'armée ni la discipline. C'est que l'armée est la force sur laquelle se repose le capitalisme, et c'est pourquoi elle exige pour tous ceux qui forment ses cadres, qu'ils abandonnent toute personnalité pour devenir des automates animés par un cerveau extérieur, dont les ordres sont infaillibles et indiscutables.

Malheur à celui qui ayant franchi les murs de la caserne, se permet encore d'être un homme! Avec le costume civil qu'il quitte, il doit se dépouiller de tout ce qu'il sait, de tout ce qu'il connaît, de tout ce qu'il a appris à l'expérience de la vie. Il doit faire le vide en son crâne comme en son cœur, il ne doit plus être lui-même, mais la millionième partie d'un tout, d'un corps immense, d'un corps sans âme, sans idée, sans pensée, qui tourne à droite ou à gauche, lorsqu'on le lui dit, qui mange et qui boit, non pas lorsqu'il a faim ou soif, mais lorsqu'on le lui permet, qui dort lorsqu'un autre le veut bien ; un corps qui n'est qu'un objet semblable au jouet mécanique que l'on donne à un enfant.

Ainsi le veut la discipline militaire, pour que le soldat exécute sans protester les actes criminels qu'il est appelé à accomplir.

Et si, malgré le costume militaire, le cœur continue à battre et le cerveau à penser, alors, la sanction est là, menaçante, et s'abat terriblement sur la victime.

Peut-on mieux faire pour donner une image de la discipline militaire, que de citer l'aventure récente survenue à trois officiers espagnols?

C'était en 1924. L'Espagne était courbée sous le joug de l'aventurier Primo de Rivera, mais de l'autre côté des Pyrénées, des hommes jeunes, nobles et courageux avaient juré de délivrer le pays du tyran et de son roi. Ils partirent un soir, avec au cœur l'espérance de déclencher la révolution, et de donner à l'Espagne un régime plus conforme aux aspirations de la population. Ils traversèrent la montagne, et s'attaquèrent à des forces tellement supérieures, que tout leur courage ne put suffire, et que leur action fut inutile. Ils furent vaincus. Léonidas et ses 300 Spartiates pouvaient-ils arrêter et triompher de l’armée de Xerxès? Leur petite armée à eux fut dispersée ; certains moururent dans la batai1le, les autres se perdirent dans la montagne.

Cependant, cette tentative ne fut pas sans soulever l'émotion et la terreur de la réaction espagnole qui demanda à son digne représentant de déférer à la justice les coupables de ce « coup de main ». De coupables on n'en avait pas, il fallait en trouver, et l'on arrêta trois jeunes gens, connus pour leurs idées syndicalistes ; mais qui niaient avoir participé à cette action révolutionnaire.

Ils furent pourtant renvoyés devant un Conseil de guerre, composé de trois officiers. On sait le peu d'indulgence des juges civils à l'égard des révolutionnaires, mais on peut dire que d'ordinaire les peines infligées par ces derniers sont relativement douces, si on les compare à celles que distribuent les juges militaires. Les magistrats siégeant à ce conseil de guerre étaient donc peu disposés en faveur des inculpés ; cependant, devant l'absence totale de preuve, il leur fut impossible de condamner ; ils acquittèrent.

Ces officiers ne connaissaient-ils pas les lois intangibles de la discipline qui ordonnent d'exécuter sans discuter, sans écouter le cœur et la conscience, les actes décidés par les autorités supérieures? Pour n'avoir pas condamné des innocents, ils furent condamnés eux-mêmes à être enfermés dans une forteresse, et les malheureux acquittés furent renvoyés devant d'autres magistrats qui punirent de la peine de mort, et devant le bourreau qui garrotta. Telle est la discipline militaire. Et encore, dans le fait que nous citons ci-dessus, ce sont des officiers qui se trouvent être les victimes de cette institution cruelle qu'est l'armée, mais lorsqu'il s'agit de simples soldats, les peines encourues sont terribles.

Dans notre douce république, en cette année de grâce 1927, malgré toutes les campagnes entreprises contre les conseils de guerre et contre les bagnes militaires où croupissent et meurent des milliers de jeunes gens dont le seul crime est d'avoir eu un jour un légitime geste de révolte contre la discipline, ces lieux maudits subsistent encore, sans qu'il soit possible d'­ espérer pour un avenir prochain leur suppression.

Que de crimes sont commis au nom de cette discipline qui est un facteur de désordre, de gabegie, de corruption et de dégénérescence! Les révolutionnaires sont partisans, eux, de la discipline : les anarchistes la considèrent comme indispensable à la vie en commun des individus. Ils savent qu'aucun groupement, qu'aucune organisation, qu'aucun travail, qu'aucune action ne sont possibles sans discipline.

Mais notre discipline n'est pas la vôtre. Elle ne repose pas sur l'autorité, sur la bêtise et sur l'arbitraire, mais sur la logique. Elle est librement consentie. Etant l'œuvre de l'intelligence, elle n'est pas une contrainte. Elle n'oblige personne à se courber devant elle, elle n'use pas de sanction, elle est libre en un mot et est constituée par l'engagement pris par chacun de respecter une décision prise en commun.

Voilà ce que doit être et ce que sera la discipline, lorsque les hommes, en ayant assez d'être des esclaves ou des serfs, briseront les chaînes qui les tiennent attachés aux institutions criminelles, derniers vestiges d'un passé d'horreur qui ne se perpétue que par la veulerie et l'ignorance des masses populaires. 

- J. CHAZOFF.