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ECONOMIE n. f. (du grec oikos, maison et nomos, loi)

L'économie est le produit de l'épargne, ce que l'on soustrait de son revenu, du fruit de son travail. Avoir de l'économie. « C'est le travail qui chasse la misère et non l'économie. L'économie est le jugement appliqué aux consommations » a écrit J.-B. Say. Cela dépend comment on l'entend ; car, en réalité, le travail organisé tel qu'il l'est actuellement n'arrête pas la misère, qui pénètre malgré tout dans le foyer plébéien. Du reste il serait vraiment difficile au travailleur de faire des économies : l'exploitation qu'il subit lui permettant tout juste de vivre au jour le jour. L'économie chez le travailleur ne pourrait être vraiment que le fruit de l'avarice ou de privations encore plus grandes que celles qui lui sont imposées.

L'économie domestique est une qualité dont n'est pas dépourvue la femme du peuple, obligée par la force des choses de régler sagement ses dépenses et d'avoir de l'ordre dans la conduite de sa maison ou de son ménage. Cela nous fait sourire lorsque nous lisons à la troisième ou quatrième page des grands journaux bourgeois, les conseils d'économie domestique que donne quelque vieille bourgeoise en mal de copie et vivant probablement grassement de ses revenus. La ménagère qui n'a pour subvenir aux besoins d'une famille, que le modeste salaire de son compagnon, n'a, en vérité, que faire de ces conseils, et sait mieux que quiconque comment elle peut et doit s'arranger. Quant à faire des économies, il ne faut pas qu'elle y songe ; elle se considère déjà comme heureuse lorsque la maladie ne pénètre pas dans le foyer, venant troubler la quiétude relative dans laquelle s'écoule la vie de sa petite famille.

« La richesse et la fortune, disent certains, sont le produit de l'épargne et de l'économie ». Nous savons ce que vaut une telle affirmation, et ceux qui la propagent seraient bien embarrassés de donner des preuves à l'appui de leur assertion. Où est-il donc ce pays rêvé, ce pays heureux, cet Eden où le travailleur a la possibilité de vivre et d'épargner une partie de son salaire? Il n'existe pas évidemment, c'est un royaume des cieux pour les pauvres d'esprit. Non, la richesse n'est pas le fruit du travail et de l'économie, elle est le fruit de l'oisiveté et de l'expropriation ; elle est le produit du vol et de la rapine, elle est la conséquence du travail de la majorité au profit de la minorité. Si économie est synonyme d'ordre, eh bien ce n'est pas au peuple qu'il faut prêcher l'économie, mais à ceux qui le dirigent, qui le gouvernent, et qui pataugent en plein dans le désordre.

En toute sincérité et sans aucun parti-pris, peut-on qualifier d'ordonnée, l'économie politique et sociale des sociétés modernes? Si l'économie politique est « la science qui traite de la production, de la répartition des richesses, et l'économie sociale, la science de l'ensemble des lois qui régissent la société et ses intérêts », on peut dire que l'économie politique et sociale actuelle a fait totalement faillite et qu'en conséquence elle est condamnable.

Qu'est-ce que l'économie politique et sociale, ou plutôt que devrait-elle être? Une science qui étudie les phénomènes découlant des transactions entre les hommes ; qui tient compte des besoins et des aspirations de la collectivité et de l'individu, et qui permette de maintenir l'ordre, au sein de la grande Cité commune que pourrait être l'humanité. Or, une telle science ne peut être féconde qu'à l'unique condition d'être à l'abri de toute autorité officielle, et débarrassée de tout parasitisme gouvernemental. C’est tout le contraire qui reproduit dans l'économie politique et sociale moderne, et c'est au pouvoir central, au gouvernement que l’on confie la tâche économique d'assurer la prospérité de la nation et, par extension, du monde entier. Les exemples sont trop nombreux pour qu'il nous soit utile d'insister sur le rôle que joue un gouvernement. Dans l'entreprise qui lui est confiée et qu'il a la charge de mener à bien, il n'y a qu'une sorte d'intérêts qui le préoccupe, et ce sont ceux du capitalisme ; comment pourrait-il alors travailler utilement à satisfaire aux besoins de la collectivité ? Toute l'économie politique et sociale moderne est basée sur des principes faux et erronés et c'est pourquoi elle ne donne que des résultats négatifs.

D'autre part, la plupart des économistes furent et sont des livresques, qui ne touchent le peuple, le vrai, que de très loin et sont, par conséquent, incapables d'en connaître les besoins. Sans contester la valeur de leurs travaux, surtout au point de vue de la production, et tout en tenant compte de l'apport de leurs recherches, qui compose petit à petit le bagage intellectuel de l'humanité, c'est surtout sur le terrain social que leur économie se manifeste inopérante ; c'est qu'elle ne repose pas sur des bases solides, et que tous les économistes ou presque furent des réformateurs et non des destructeurs d'abord et des constructeurs ensuite.

Turgot, par exemple, fut un grand administrateur et un éminent économiste. Nous ne pousserons pas le ridicule jusqu'à lui reprocher de n'avoir pas été anarchiste. Ce fut pour son temps un homme de progrès. Intendant à Limoges, puis ministre des Finances de Louis XVI, il avait rêvé de grandes réformes et désiré mettre un peu d'ordre dans les caisses du roi de France. Adversaire de la routine - devant laquelle du reste il se brisa - il voulut établir la liberté du commerce et de l'industrie, abolir les corvées par tout le royaume, supprimer les abus de la féodalité…, etc. Ses projets étaient imbus d'une certaine indépendance, et cependant il ne put les réaliser, justement parce que toute son économie politique et sociale reposait sur « la réforme ». Ce qu'il ne put faire, lui, la Révolution française le fit à peine dix ans après sa mort. Le peuple moins instruit, moins éduqué, sut imposer par la violence, ce qui provoqua la disgrâce de Turgot, et pourtant il est probable que Turgot, baron de l'Aulne, noble par naissance, eût s'il avait vécu, soutenu et défendu la monarchie contre le peuple révolutionnaire.

Et c'est l'erreur grave de tous les économistes de chercher à vouloir confondre et associer les intérêts d'une collectivité alors que cette collectivité est séparée à sa base et est appelée à se diviser de plus en plus. Ce fut l'erreur de tous les économistes du passé et c'est encore l'erreur d'un des plus sérieux des économistes modernes : M. Charles Gide.

De nos jours plus que jamais l'économie politique et sociale du monde est dans le marasme. Les conflits sr succèdent ; on leur trouve une solution provisoire, momentanée, mais ils éclatent ensuite avec plus de violence et de ténacité. La guerre entre le travail et le capital devient de plus en plus intense, plus brutale, plus terrible et naturellement, en connaissant les causes, les économistes, cherchent les remèdes. L'unique remède susceptible d'assurer la paix sociale, ils le rejettent avec dédain, bien que toutes les méthodes basées sur le réformisme aient définitivement échoué à leur application. Afin de calmer l'effervescence populaire on lui propose, de temps à autre, certaines modifications dans l'exploitation qu'il subit et c'est ainsi que, dans certaines industries, le travailleur a une participation aux bénéfices, qu'il lui est alloué une somme supplémentaire en raison de ses charges de famille, que se sont créées des coopératives de consommation et de production, etc., etc... Tous ces moyens sont restés et resteront inefficaces et ne peuvent qu'asservir le travailleur et le river un peu plus fortement à sa chaîne.

Dans un ouvrage qu'il fit paraître récemment, un ouvrier, H. Dubreuil, croit trouver dans ce qu'il appelle « la République industrielle » l’apaisement à tous nos maux. Son étude est digne d'intérêt, mais nous ne pensons pas cependant que là soit la solution du problème, car Dubreuil veut, lui aussi, améliorer le sort du travailleur en réformant le mode de production. « La crise économique ne peut être résolue que par le travail, mais ce travail ne peut être fécond que si l'ouvrier a sa liberté. Organisons donc le travail en « commandite d'atelier », tel qu'il existe déjà dans l'imprimerie, et la production en sera intensifiée ».

Telle est la thèse soutenue par Dubreuil qui déclare à l'appui de celle-ci : « Quiconque est né et a vécu dans les couches les plus profondes de la classe ouvrière, sait combien il est commun d'entendre affirmer qu'on aime mieux y vivre de pain et de fromage, dans une situation indépendante, que dans un bien-être relatif en travaillant « chez les autres » » .

Il est évident que la liberté dans le travail mettrait fin à bien des conflits, et si une telle formule était pratiquement matérialisable personne ne s'opposerait ­- du moins parmi les amis sincères et dévoués de la classe ouvrière - à l'application d'une telle méthode de production. Mais nous la croyons irréalisable en régime capitaliste et l'expérience nous donne raison.

Comme le démontre pourtant avec clarté Dubreuil, dans le premier chapitre de son ouvrage, le droit au travail n'existe pas dans les sociétés modernes. Ce qu'il faut ajouter, c'est qu'il n'existera jamais, qu'il ne peut pas exister, tant que subsistera une parcelle de capitalisme. Le droit au travail n'existant pas, la liberté dans le travail ne peut être que relative, subordonnée à un nombre incalculable de facteurs d'ordres économiques, sociaux et politiques, et l'économie politique capitaliste - j'appelle économie politique capitaliste, celle qui entend régler l'ordre social par voie diplomatique, c'est-à-dire en dehors de toute action révolutionnaire - ne peut trouver pour équilibrer un ordre troublé que des palliatifs temporaires et des pis aller.

Prenons un exemple : dans une petite ville du Sud-est de la France, le travail était organisé de telle façon que chacun était son propre maître. Les industriels - non pas par philanthropie, mais parce que ce mode de production leur paraissait avantageux -, avaient divisé leurs usines en un certain nombre d'ateliers qu'ils sous-louaient aux travailleurs. L'industriel fournissait l'outillage, la machinerie et le travail dont le prix était débattu à l'avance. La plus grande, la plus large liberté était permise, accordée à l'ouvrier, qui était en apparence son propre maître, venait et quittait son travail à l'heure qui lui plaisait, œuvrait selon son bon plaisir, quatre heures ou dix heures par jour et touchait à la livraison de son ouvrage le montant de la somme qui lui était due. La paix la plus absolue régnait au sein de cette communauté. Survient une catastrophe indépendante de la volonté des « ouvriers » et des patrons : la mode des cheveux courts pour les femmes. Or, dans la petite ville en question on ne fabriquait que du peigne et la nouvelle mode déclenche une perturbation sur le marché. Le manque d'ouvrage provoque l'abondance de main-d'œuvre, et l'abondance de main-d'œuvre la diminution du prix du travail ainsi que le chômage. Que devient alors la liberté du travail, alors que le droit au travail n'existe pas? Et jamais au grand jamais, un capitaliste - ce serait sa fin - ne consentira à employer de la main-d'œuvre lorsque celle-ci lui est inutile.

Lorsque le phénomène est local, il est de faible importance, mais lorsqu'il est national il provoque une énorme perturbation. Que peut l'économie politique moderne? Pas grand-chose, rien. Le protectionnisme a été condamné de longue date par tous les économistes sérieux; quant au libre échangisme, il ne donne pas et ne donnera pas les résultats que certains en attendaient. (Voir le mot : Echange libre).

Quant à ce qui concerne l'Etat, son rôle dans tous les phénomènes économiques c'est d'assurer au capitalisme le maximum de bénéfice et le minimum de pertes.

« L'interventionnisme, l'intrusion de l'Etat ignorant, aveugle et brutal dans le jeu des phénomènes économiques, est une conception rétrograde, absurde, barbare », écrit Urbain Gohier, et il a raison ; mais où nous ne sommes plus d'accord, c'est lorsqu'il ajoute : « L'interventionnisme, c'est proprement le socialisme. Le mot de socialisme ne signifie rien, s'il ne désigne l'intervention de l'Etat dans tous les faits sociaux, spécialement dans les faits économiques ».

« Mais s'il y a une excuse à l'intrusion de l'Etat dans les phénomènes économiques, ce ne peut être que la nécessité de protéger les faibles, de limiter et de réprimer l'avidité des puissants, de rétablir dans l'enfer social une apparence de justice et d'humanité » (Urbain Gohier : « La Révolution vient-elle? » - Le nouveau pacte de famine).

Qu'Urbain Gohier nourrisse des illusions sur la possibilité d'un Etat indépendant et humanitaire en matière d'économie politique et sociale, nous autres anarchistes, nous sommes fixés à ce sujet et l'expérience russe nous suffit amplement pour affirmer que nous ne nous trompons pas. Nous restons convaincus que seule la disparition du capitalisme et de l'Etat peut donner naissance à une société harmonieuse, et que l'économie politique n'est qu'un tampon entre le capital et le travail, mais que ce tampon ne peut être avantageux que pour le capital.

Que faire alors? La Révolution? Mais les économistes sont des pacifistes qui ont une sainte horreur de la violence et qui voudraient que tout se passât dans le calme. Pas tant que les Anarchistes. « Nous aussi, nous avons horreur de la violence ; nous aussi, il nous répugne de verser du sang ; nous aussi, nous avons l'amour ,de la paix, de la joie et du bonheur, mais lorsqu'on a souffert de cette société, dit Jean Grave, lorsqu'on a vu les siens souffrir de la faim, mourir d'épuisement, certains scrupules disparaissent, et lorsque la force vous opprime, qu'il n'y a plus que la force comme suprême argument, ceux-là qui ne maintiennent leur tyrannie qu'à l'aide de la violence, sont mal venus de se plaindre lorsqu'elle se retourne contre eux.

Lorsque la bête est acculée, elle voit rouge, fonce sur les assaillants, renverse ce qui lui fait obstacle ; tant pis pour ceux qui se trouvent sur sa route. La responsabilité première en est à ceux qui la poussèrent au désespoir » (Jean Grave : L'Anarchie, son but, ses moyens).

Nous sommes des révolutionnaires parce que nous voulons la liberté : liberté sociale, liberté individuelle et liberté économique. Or, l'économie politique moderne ne peut nous donner satisfaction, puisqu'elle prétend rechercher un terrain d'entente entre le capital et le travail. Qu'elle poursuive ses recherches. Que les économistes bourgeois blanchissent à la tâche, qu'ils découvrent les apparences trompeuses qui retarderont peut-être l'heure de l'échéance, mais quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, la révolution viendra, entraînant avec elle le despotisme économique et la tyrannie politique. La société bourgeoise est puissante, elle a l'argent et avec l'argent tout s'achète? C'est vrai.

« Il est fort l'homme qui dispose de quelques millions ; mais il est redoutable, l'homme qui n'a pas de besoins, qui n'a pas de crainte, et qui garde une âme ferme, une pensée lucide, l'œil juste et la main prompte » (Urbain Gohier).

Tout passe ; la bourgeoisie a vécu plus qu'elle ne vivra et avec un peu de conscience, de raison et de courage, le peuple aura bientôt fait de se libérer de l'étreinte qui l'oppresse. Il pourra alors organiser son économie, librement, sans le concours des ruffians de la politique qui ne font qu'embrouiller la solution d'un problème qu'il serait si facile de résoudre.



- J. CHAZOFF.