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EGALITE n. f.

Lorsque les chefs bourgeois de la grande révolution de 1789 ont mis ce mot dans la trilogie républicaine, ils connaissaient bien les aspirations des profondes masses populaires luttant pour leur affranchissement. De même, dans la récente révolution russe, lorsque les chefs bolchevicks ont pris comme mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets », ils ne faisaient que traduire dans les mots ce que le peuple en révolte était en train d'accomplir dans les faits.

Que pouvaient, en effet, demander de plus, le serf courbé sous le joug des grands et petits seigneurs, l'ouvrier déjà exploité par la bourgeoisie naissante et tous les meurt-de-faim rivés à leur boulet de misère et à leur chaîne d'esclavage, sous l'arrogance et la domination des maîtres du jour?

Egalité! Mais cela voulait dire pour eux la fin de leur sujétion et de leur servitude, la fin de leur esclavage et de leur misère. Ils allaient être enfin les égaux de ceux qui, jusque-là, avaient vécu de leur sueur en les écrasant de leur mépris. Ils auraient enfin les mêmes droits, les mêmes possibilités de vie, la même liberté que ceux qui les avaient toujours asservis et pressurés. Ils pourraient enfin manger quand ils auraient faim, se reposer quand ils seraient fatigués. Ils ne seraient plus astreints à travailler au-dessus de leurs forces pour nourrir dans le luxe et l'opulence le seigneur et le curé. Ils allaient pouvoir eux aussi prendre part au banquet de la vie et du bonheur! On comprend alors aisément que les sans-culottes aient pu s'enthousiasmer pour obtenir cette égalité. Et on comprend aussi facilement que ceux qui voulaient rester les chefs de la révolution, pour endiguer à temps le flot populaire, aient été contraints d'inscrire ce mot en tête de leur constitution afin de pouvoir plus facilement escamoter la chose.

Quant à ceux qui, avec Marat et Babeuf, ne se laissèrent pas tromper par les mots et voulurent pousser la révolution jusqu'à ce qu'elle ait réalisé cette égalité non seulement dans les mots mais dans les faits, jusqu'à ce qu'elle ait implanté ce sentiment d'égalité dans la vie économique et sociale, dans les moyens de vivre et de jouir de l'existence, leur voix fut vite étouffée par la réaction et la répression que permit le relâchement de l'activité révolutionnaire des masses profondes du peuple, fatiguées déjà de l'effort fourni, et confiantes dans les promesses que faisaient miroiter les grands mots de la devise Républicaine. Hélas, ces trois mots qu'on lit encore sur les murs des mairies, des casernes, des hôpitaux et des prisons ne devaient servir que de paravent à un régime se contentant de remplacer la domination d'une classe par celle d'une autre classe -­ ou plutôt de réaliser à peu près la fusion de ces deux classes : noblesse et bourgeoisie (car la bourgeoisie prise fort les titres de noblesse et la noblesse ne dédaigne pas du tout les dividendes que procure le régime bourgeois) - sur l'exploitation des sans-propriétés qui allaient devenir ce qu'on appelle aujourd'hui le prolétariat.

Il n'en pouvait être autrement, car aucun gouvernement d'aucun Etat ne peut et ne pourra jamais réaliser l'égalité réelle, l'égalité sociale, l'égalité complète entre les êtres humains. Le principe d'égalité est essentiellement contraire au principe gouvernemental et étatiste. Qui dit : Etat, gouvernement, dit : hiérarchie ; et là où il y a hiérarchie il ne peut y avoir égalité. On peut même dire que ce principe d'égalité est essentiellement anarchiste. Il signifie que, considérés au point de vue social, tous les être humains ont le même droit à la vie et au bonheur et par conséquent à tout ce qui procure la vie et le bonheur, un égal droit de manger à sa faim des aliments sains et réconfortants, de se loger confortablement, de se vêtir, de circuler, d'aller et venir librement, un égal droit de puiser aux sources de la production ce qui leur est nécessaire ou utile pour vivre. Le rôle de l'organisation sociale doit être précisément de permettre à chacun de lui assurer la même possibilité de satisfaire tous ses besoins et de jouir de l'existence sous toutes ses formes.

Dans la société actuelle qui s'impose à l'individu, qui l'embrigade à sa naissance - sans lui demander avis d'ailleurs - et ne le laisse en paix qu'après sa mort, comment peut-on admettre, sans être soulevé par la révolte, qu'il soit dit à l'un : « Tu jouiras de toutes les richesses produites ou à produire sans jamais avoir à travailler, tu n'auras qu'à commander ce que tu voudras pour le voir de suite exécuter » et à l'autre : « Tu travailleras du matin au soir et d'un bout de l'année à l'autre, du commencement à la fin de ta vie ; tu obéiras aux ordres qui te seront donnés sans avoir à les discuter ni même à les comprendre, et tu n'auras droit, pour vivre, qu'à ce que le riche, ton employeur, voudra bien te donner »? Celui qui se trouve ainsi repoussé du banquet de la vie par une société marâtre qui l'incorpore et le conserve de force dans ses rangs n’a-t-il pas le droit, je dirai mieux : le devoir, de se rebeller et de répondre ainsi à cette société : « Je ne te dois rien, tu m'as pris dans tes griffes pour me torturer tant qu'il te plaise de me tuer, mais je ne veux rien te donner et dès aujourd'hui je te déclare une guerre acharnée. Ce sera entre nous une lutte à mort, car je ne veux pas être ton esclave. L'un de nous succombera. Je tomberai peut-être, d'autres tomberont après moi, mais il viendra bien un jour où sous les coups répétés des compagnons, ta vieille carcasse laissera s'échapper l'attirail de torture qu'elle renferme dans ses institutions scélérates, et où nous pourrons enfin instaurer sur tes ruines un milieu social où tous les individus connaîtront l'égalité! » Car logiquement aucune société ne peut exister, sans appeler la révolte de l'individu conscient de lui-même, si elle n'est pas basée sur l'égalité réelle, si elle ne réalise pas l'égalité économique et sociale de ses composants. Si l'égalité est violée au détriment d'un de ses membres, celui-ci ne peut que demeurer en état de révolte jusqu'à ce qu'elle soit rétablie.

Cependant, dans la société capitaliste actuelle où, suivant l'énergique expression de Sébastien Faure, les uns crèvent de faim pendant que les autres crèvent d'indigestion, on ose encore nous parler d'égalité sur les bancs de l'école ; les professions de foi des candidats à la députation sont assaisonnées de ce grand mot, ainsi que de tant d'autres d'ailleurs, qui servent, comme lui, à dorer la pilule et à faire prendre des vessies pour des lanternes ; nos gouvernants ne manquent pas, dans leurs discours, de s'en réclamer ; mais chaque fois qu'un malheureux, las de souffrir des iniquités sociales qui s'acharnent sur lui pour l'empêcher de vivre, essaie de rétablir un peu cette égalité à son profit en prenant sur la part des riches, on a vite fait de l'arrêter et de le mettre en prison en lui rappelant, ironiquement sans doute, que la loi est la même pour tous et que tous les hommes sont égaux devant elle.

Ah! L’égalité devant la loi ! Cela sonne bien dans les discours de ces messieurs. Mais il nous faudrait savoir où elle commence, cette égalité devant la loi. Est-ce à la naissance des individus en donnant à chacun les mêmes possibilités de vivre et de se développer? Que non pas! Ce serait trop beau. Cela pourrait peut-être permettre l'élaboration d'une société où l'exploitation de l'homme par l'homme, d'abord réduite, arriverait à disparaitre. La loi devant laquelle tous les hommes sont égaux commence par mettre d'un côté de la balance, celui du riche, tous les avantages, tout le bien-être, toute la fortune, toute l'instruction, toutes les bonnes places, toutes les faveurs. Puis, de l'autre côté, celui du pauvre, pour faire équilibre sans doute, elle met toutes les misères, toutes les douleurs, toutes les privations, tout l'abrutissement, tous les fardeaux, toute la servitude. Ayant ainsi délimité la part de chacun, elle dit alors à l'un comme à l'autre : « Allez dans la vie, vous êtes égaux, vous avez les mêmes droits. Pourvu que vous ne preniez pas la propriété d'autrui que j'ai chargé de faire respecter et que vous obéissiez à mes ordres, vous avez le droit de vous comporter entre vous comme vous l'entendrez. Trompez vos semblables pour les rouler ou soyez francs avec eux si le mensonge vous répugne, profitez de leur détresse pour les dépouiller davantage ou venez-leur en aide lorsqu'il sont dans la misère, servez-vous de votre supériorité économique pour les exploiter et les dominer ou laissez s'échapper l'occasion d'arrondir votre fortune sous prétexte d'humanité, utilisez votre ruse, votre platitude et les faiblesses des autres pour vous enrichir à leur détriment ou bien mettez votre franchise et votre dignité au-dessus de l'amour de l'argent, tout cela est à vos risques ou profits. Soyez seulement assurés que si vous conservez ou acquérez la fortune, je vous prêterai mes gendarmes pour la défendre et mes soldats pour l'arrondir. Si vous restez sans fortune ou perdez celle que vous avez, mes gendarmes vous empêcheront impitoyablement de toucher à celle des autres, même s'il ne vous reste rien pour vivre ». Voilà le point précis où commence l'égalité devant la loi!

Et la loi, devant laquelle tous les hommes sont égaux est ainsi faite que s'il plaisait au capitaliste possédant la terre, l'usine ou le logement de dire : « La terre ne sera pas cultivée, l'usine restera fermée, le logement restera vide », la terre resterait inculte, l'usine ne produirait rien, le logement serait inhabité, le travailleur ne pourrait plus travailler, il ne pourrait plus manger, ni se vêtir, et il coucherait à la belle étoile - que dis-je? Non seulement cela serait, mais cela est ; cela se voit chaque jour - sans que la loi ait à intervenir. Ou plutôt si, elle intervient, mais c'est pour arrêter le travailleur, chassé de partout, comme vagabond ou comme voleur. Et voilà le point précis où aboutit l'égalité devant la loi! Il n'en peut être autrement, car la loi n'est faite que pour consacrer et perpétuer les inégalités et les iniquités sociales (Voir Loi). Parler de l'égalité devant la loi, c'est un non sens et une hypocrisie comme de parler d'humanité pendant la guerre.

Le sentiment d'égalité sociale existe à l'état latent dans le cœur des êtres humains et les siècles d'esclavage et de servage qui ont pesé sur lui de toute leur oppression n'ont pas réussi à le tuer. C'est donc dire qu'il ne saurait disparaître. Pour s’en rendre compte il n'y a qu'à voir comment vibre la foule des opprimés lorsqu'on l'invoque devant elle, et comment se défilent ceux qui le combattent lorsqu'on leur demande de s'expliquer en public. On peut le voir encore plus sûrement si l'on éveille, sur ce sujet, le raisonnement de jeunes bambins de 8 à 10 ans sur lesquels la religion ou l'éducation familiale n'ont pas encore réussi à déformer le cœur et le cerveau. Si vous en trouvez, demandez-leur donc à qui la terre que personne n'a créée, à qui l'usine, construite et mise en œuvre par des ouvriers devraient appartenir. Demandez-leur aussi si le droit de manger à sa faim doit être concédé à tous ou à quelques-uns seulement. Raisonnez avec eux, mais sans influencer leur jugement, et vous serez stupéfaits de leurs déductions simplistes, mais qui peuvent résumer toute la question sociale. Il m'est arrivé, en discutant là-dessus avec un patron, de voir son fils âgé de 8 ans, qui n'avait certainement jamais entendu parler de la question sociale, me donner raison contre son père qui le morigéna naturellement et dut lui enlever, par la suite, l'envie de se mêler aux conversations. Il est bien évident que, plus tard, lorsque la religion, le maître d'école, la famille, ont abruti ce jeune cerveau avec les devoirs d'obéissance envers Dieu, envers les lois, envers les riches, il ne reste pas grand chose de ce sentiment et que toutes ses manifestations sont étouffées. C'est ainsi que le régime d'oppression peut durer sans que ceux qui en souffrent en silence n'aient la force de se révolter. De braves gens miséreux s'en consolent philosophiquement en disant que ceux qui les ont dépossédés et les forcent à se priver du nécessaire, n'emporteront pas leurs biens dans l'autre monde, que toutes leurs richesses ne les empêcheront pas de mourir, tout comme les autres et, ajoutent-ils : « C'est bien là que nous l'aurons l'égalité qu'on nous refuse maintenant ». De la même façon que les croyants pauvres espèrent trouver au paradis une place égale à celle des riches.

Mais si cette notion d'égalité devant la mort peut satisfaire de malheureux résignés - de même que le suicide, pour ceux qui ne peuvent plus vivre en respectant la propriété d'autrui, peut être une façon de se libérer de la misère - elle ne saurait empêcher de sentir la criante iniquité qui écrase les êtres humains assoiffés de vie et qui réclament leur place au soleil. La nature, d'ailleurs, qui nous met tous égaux devant la mort, ne nous met-elle pas tous égaux devant la vie, quoi qu'en disent les défenseurs des aberrations sociales? N'avons-nous pas tous également besoin d'air, de nourriture, de vêtements, de logement, etc.? Ce n'est pas la nature qui limite ou grandit nos besoins suivant notre position sociale. Elle ne dit pas à l'un : « Tu vivras sans manger », ni à l'autre : « Tu mangeras la part de dix ». Mais au pauvre comme au riche elle ordonne de manger à leur faim sous peine de dépérir et de mourir, de se vêtir sous peine de grelotter de froid et de geler, de se reposer lorsqu'ils sont fatigués sous peine de surmenage, d'abrutissement et de mort prématurée, etc., etc. Et s'il en est qui sont arrivés, par suite des conditions sociales, à se créer une quantité de besoins factices, anormaux, antihygiéniques, des besoins de lucre et d'orgueil que d'autres n'ont pas (voir Besoins), ce n'est pas la nature qui les leur a donnés, mais la société. Ce n'est pas la nature qui a donné à l'ivrogne le besoin de s'enivrer, ni à l'ambitieux le besoin de dominer. Donc, comme le but de toute société rationnelle n'est, ne doit être que de faciliter à chacun de ses membres la satisfaction de ses besoins rationnels, elle doit reconnaître pour tous le même droit à la satisfaction de ces besoins, le même droit à la vie et au bonheur. Nous ne pouvons nous contenter de cette lugubre consolation de résignés et d'esclaves qui attendent l'égalité devant la mort, mais nous proclamons bien haut l'égalité devant la vie. Nous ne voulons admettre comme règles que les limites naturelles des besoins de chacun.

Parmi ceux qui acceptent sans mot dire les inégalités sociales actuelles, il n'yen a plus guère qui le font par admiration, par une reconnaissance de véritable supériorité pour ceux qui commandent, exploitent et dirigent ici-bas. Beaucoup reconnaissent qu'une grande partie de ceux qui s'enrichissent en écrasant les autres sont de véritables crétins ou de sinistres bandits. Mais ils les saluent cependant bien bas soit pour s'attirer leurs faveurs ou pour éviter leur ressentiment et leur vindicte, pour conserver une maigre place, pour ne pas se créer d'ennuis ou encore pour... faire comme tout le monde. Et il y a aussi, il faut bien le dire, ceux qui tout en comprenant les mauvais effets des inégalités sociales, les acceptent et même les défendent avec l'espoir d'arriver à en être les profiteurs et, pire encore, avec la satisfaction de penser que d'autres en souffrent plus qu'eux. Ils trouvent une compensation à faire peser sur d'autres le fardeau des iniquités qu'ils subissent eux-mêmes. Et c'est parce que, dans le régime actuel, il y a une infinité de degrés et d'échelons dans les conditions de vie créés par les inégalités sociales que ce régime est si difficile à jeter bas et à remplacer par une organisation qui permettrait à chacun de jouir complètement de la vie. Les classes possédantes et dirigeantes s'entendent à merveille pour créer et entretenir chez les classes spoliées et exploitées des différences d'exploitation, des inégalités de condition de façon à maintenir la division parmi celles-ci. Dans la classe ouvrière, par exemple, il existe autant de catégories de salaires que de catégories d'ouvriers. Les salaires varient avec chaque corporation, et dans chaque corporation, ils varient encore avec chaque spécialité (ou avec chaque classe, chez les fonctionnaires). Cela est peut-être la plus grande cause d'asservissement de la classe ouvrière, mais celle-ci ne le comprend pas encore suffisamment, et dans ses revendications elle ne fait pas assez entrer ce principe en ligne de compte. Elle ne réclame pas des salaires uniformes pour l'ouvrier qualifié et pour le manœuvre, pour l'intellectuel et le manuel, etc., etc. La lutte engagée dans ce sens indiquerait une mentalité nouvelle, elle la ferait naître au besoin, cette mentalité, elle indiquerait une solidarité plus grande chez les exploités et permettrait d'envisager à brève échéance la fin des iniquités que nous subissons. Comment, en effet, réclamer pour les travailleurs et les spoliés, les mêmes conditions de vie, les mêmes possibilités, les mêmes avantages sociaux que pour les profiteurs si, entre eux, ces travailleurs ne se reconnaissent pas déjà ces mêmes droits, s'ils reconnaissent à un ouvrier qualifié le droit à une vie plus large qu'au manœuvre qui n'a souvent commis d'autre crime que d'avoir eu une jeunesse plus malheureuse, s'ils reconnaissent à l'ouvrier de telle profession une possibilité de vie deux fois, trois fois plus grande qu'à celui d'une autre profession moins favorisée, mais autant, quelquefois plus utile?

Certes, des revendications posées dans ce sens seraient dures à obtenir et les patrons ne céderaient pas de sitôt, mais le fait de les poser serait déjà un grand pas en avant et resserrerait considérablement les liens de la solidarité ouvrière.

Il reste encore beaucoup à faire pour que le peuple arrive à comprendre le véritable sens que doit avoir le mot égalité. Il porte ce sentiment dans ses instincts, il vibre quand on lui en parle, mais il ne sait pas encore se représenter sa portée sociale. S'il connaît ce mot, il ne comprend pas tout ce qu'il doit permettre de réaliser. Les siècles d'asservissement qu'il a subis lui ont tellement inculqué l'idée de soumission, de résignation, de dégradation, de renoncement à sa personnalité, qu'il doute de lui lorsqu'il se compare à ses maîtres, qu'il doute qu'il puisse être vraiment autant que l'un quelconque d'entre eux. Ceux-ci lui en imposent trop par leur richesse, leur morgue, leur orgueil, leur train de vie, leurs beaux habits, leur luxe, leurs châteaux. Il aime l'égalité, mais ne peut arriver à la concevoir entière, complète, totale. Comme une lumière trop vive pour lui, il ne peut en supporter l'éclat. Il ne peut encore en voyant un riche, un chef, un maître, un gouvernant, se pénétrer à fond de cette idée : « Je suis autant que cet homme, il n'est pas plus que moi! » Cela dépasse ses capacités actuelles, malgré qu'il lui vienne parfois cette réflexion : « Et pourtant cet homme est fait de chair et d'os comme moi, il est soumis aux mêmes lois naturelles, etc. ». Mais il lui manque la force nécessaire pour se dresser face à face et lui dire : « Tu n'es pas plus que moi! J'ai autant que toi droit à la vie! »

Développons chez tous les asservis, les opprimés, le sentiment d'égalité devant la vie, d'égalité devant le buffet, faisons-leur prendre conscience de leur personnalité, élevons leur dignité, incitons-les à ne plus se courber, à ne plus s'humilier devant l'arrogance des grands ; il viendra un jour où ils se redresseront, ils s'apercevront alors immédiatement que, comme l'a si bien dit La Boétie, les riches et les maîtres ne sont grands que lorsque les pauvres et les opprimés se mettent à genoux devant eux. Le sentiment d'égalité fera alors un tel progrès dans leur cerveau qu'il deviendra une force agissante irrésistible et permettra de faire table rase de la société actuelle et de toutes ses misères, pour instaurer enfin le régime égalitaire où tous les êtres humains pourront jouir pleinement de l'existence.



- E. COTTE