ÉLECTION
n. f. du latin electio
Signifie choix fait par la voie de suffrages et, plus précisément, acte
de la libre volonté appelée à se prononcer entre deux ou plusieurs
candidats ou partis. Dans les pays à démocratie directe, en plus des
élections proprement dites, nous avons un nombre considérable de
votations sur l’abrogation, le changement ou l’introduction d’articles
constitutionnels, sur les budgets, lois et règlements, et à la suite de
l’exercice du droit d’initiative ou de référendum. Nous aurons
l’occasion l’en reparler. N’envisageons ici que les élections de
sénateurs et députés, de conseillers communaux et d’arrondissement,
auxquels viennent s’ajouter, en Suisse, dans plusieurs cantons,
l’élection également de toute la magistrature judiciaire, du
gouvernement cantonal, parfois aussi de certains emplois, sans compter
l’élection des administrateurs de biens de communiers ou de bourgeoisie.
L’élection devrait nous donner l’administration des plus dignes,
capables et compétents ; or, c’est précisément le contraire qui arrive
le plus souvent. A remarquer avant tout que les élus ne le sont pas
uniquement pour s’occuper de telle ou telle branche qu’ils peuvent
connaître, plus ou moins bien, mais pour décider d’une foule d’affaires
dont ils n’ont qu’une vague connaissance. Cela suffirait à condamner le
système électoral, même en dehors des marchandages et tripotages dont
s’accompagne toute élection. Afin d’échapper au danger du règne de
l’incompétence, une élection ne devrait se faire que pour la gérance
bien déterminée d’une seule chose, et par ceux-là seuls qui sont.
occupés et en connaissent le fonctionnement et les améliorations
désirables. Personne n’oserait se présenter pour travailler comme
maçon, cordonnier, typographe, etc., sans avoir fait un apprentissage
correspondant, tandis que tout le monde n’hésite pas à s’improviser
législateur et administrateur en toute matière, sans aucune
préparation. Nous comprenons fort bien qu’il puisse y avoir nécessité
de confier un mandat bien déterminé pour un but qui le soit aussi par
une assemblée de compétents. Mais il est absurde de remettre à quelques
individus des pouvoirs pour tout l’ensemble de la chose publique. Le
mal est quelque peu atténué par l’existence d’une bureaucratie, qui, à
défaut de véritable science, a tout de même l’expérience de la routine
et par le fait que dès qu’il s’agit de réalisation, les compétents sont
interrogés, mais ces derniers ne s’en trouvent pas moins placés en
sous-ordres vis-à-vis des incompétents. La solution anarchique qui,
évidemment, présuppose avant tout la fin de l’opposition des intérêts
privés à l’intérêt public par un ordre de choses où chacun recherchant
son bien-être particulier, contribue au bien-être général, consistera à
appliquer dans le domaine social ce qui se fait dans le domaine
scientifique. Tous ceux qui s’adonnent à une science donnée poursuivent
par la libre recherche et la libre expérimentation, leurs découvertes
et applications, visant toujours à de nouveaux perfectionnements.
Ceux-ci réalisés, il n’y a nullement besoin d’une force policière pour
les imposer. Chacun se hâte de les appliquer à son tour et en même
temps d’y faire des améliorations éventuelles. Par cette méthode
l’humanité a déjà accompli des progrès merveilleux, sans nul besoin de
procéder à des élections. Chacun s’est élu lui-même par son
intelligence, son dévouement, son travail, par une lutte opiniâtre
parfois contre d’anciens préjugés ou des intérêts inavouables.
L’administration de la chose publique, dans toutes ses multiples
branches, est aussi question de science.
Les intérêts de classe et de parti font que souvent celle-ci n’y joue
pas le premier rôle, et c’est pour cela qu’au milieu de la civilisation
moderne, le retour aux pires tyrannies du passé est toujours possible.
Les élections n’ont vraiment rien de scientifique, voilà ce que
devraient se dire tous les votards d’un socialisme qui se prétend tel.
L. BERTONI.
* * *
ÉLECTION
Action de choisir, d’élire quelqu’un par
voie de suffrage. L’élection d’un député ; les élections municipales ;
les élections sénatoriales, etc., etc...
Si la bêtise et la passion qui président aux diverses élections
n’étaient pas des facteurs d’asservissement et de domination sociale,
il nous faudrait rire de ces transports collectifs qui, à dates
déterminées, soulèvent les foules. D’apparence, pour l’homme qui
regarde, une élection peut sembler un vaudeville de premier ordre,
monté par un metteur en scène plein de génie ; mais pour celui qui
raisonne, qui ne s’arrête pas à la surface des choses, mais qui veut
les pénétrer, c’est une terrible tragédie.
Les élections approchent. Et un vent de folie souffle au-dessus des
hommes. Pendant quatre ans - si ce sont des élections législatives - la
population est restée calme et tranquille ; pendant quatre ans,
l’électeur jouissant de ses droits civiques et politiques s’est tenu à
l’écart de tout ce qui se passait dans le pays ; il est resté sourd à
tout les appels de ceux qui s’intéressent sincèrement à son sort ; mais
les élections approchent, et tout à coup, comme mû par un ressort, il
se souvient qu’il est le maître ; que rien ne se fait sans lui ; qu’il
est le peuple souverain, qu’il fait des lois qu’il ignore, et sa valeur
le gonfle d’orgueil.
Les élections approchent, et les murs se couvrent de placards
multicolores, sur lesquels le candidat, les candidats, offrent et
promettent à leurs électeurs un avenir plein de bonheur et de
jouissance.
La foire électorale est ouverte. Les adversaires se mesurent, et nous
nous garderons bien de rappeler toutes les insanités, toutes les
ignominies, toutes les insultes, toutes les injures que se lancent
mutuellement les nombreux candidats. C’est l’étalage le plus répugnant,
le plus infâme, le plus honteux de toutes les bassesses et de toutes
les tares individuelles. Ça ne fait rien. C’est parmi ces hommes, qui
n’hésitent pas à étaler leurs vices, que l’électeur doit choisir son
représentant.
La place est bonne, car en dehors de la rétribution qui n’arrive
certainement pas à payer les frais occasionnés par une élection, il y a
les petits avantages cachés. N’est-ce pas un élu socialiste, du Conseil
municipal de Paris, qui déclarait qu’un conseiller qui ne gagnait pas
cent mille francs par an était un imbécile ? Que doit alors gagner un
député ? La place étant bonne, on comprend que la bataille soit chaude.
L’électeur oubliant tout ce qu’il a souffert depuis des années,
oubliant toutes les promesses qui lui furent faites précédemment et qui
ne furent pas tenues - naturellement - se pâme devant l’éloquence de
son candidat préféré. Il écoute avec avidité les paroles mensongères
que lui débite son pantin, et alors que durant quatre ans il a vécu
relativement en bonne harmonie avec son voisin, ce dernier devient tout
à coup un ennemi parce qu’il entend porter ses suffrages sur le nom
d’un autre forban.
Avec la diffamation, la corruption est un des plus puissants facteurs
de réussite, aussi ne se gêne-t-on pas pour en user en période
électorale. La sincérité n’a pas d’importance et n’entre même pas en
jeu, et moins l’on est sincère, plus on a de chance de triompher. Tous
les moyens sont bons et les consciences s’achètent comme une vile
marchandise.
Et cela est logique ; car qu’est-ce, en réalité, une élection, sinon
une bataille que se livrent des colporteurs qui représentent des
maisons différentes. L’idée, la doctrine ne sont que des paravents
derrière lesquels se cachent des appétits, et le candidat n’est jamais
qu’un homme de paille au service d’une entreprise commerciale,
industrielle ou financière. C’est cela que l’électeur ne veut pas
admettre.
Arrive le jour du suffrage. Fier du rôle qu’il remplit, l’électeur va
voter et attend dans la fièvre le résultat de son geste. I1 est dans la
même situation que le spectateur qui, n’ayant pas joué, attend sur un
champ de course l’arrivée du gagnant. Que peut lui importer que ce soit
l’un ou l’autre qui arrive le premier, que ce soit le rouge ou le noir
qui franchisse le poteau, puisqu’il ne peut pas gagner ? Mystère.
L’électeur éprouve probablement des sensations que nous sommes
incapables de ressentir ; il est peut-être pourvu d’un sens
supplémentaire qui nous manque à nous, les profanes. Qui sait ? Bref,
il attend, chez le marchand de vin le plus souvent, car l’élection est
une occasion de beuverie, et lorsque arrive jusqu’à lui le résultat,
c’est du délire et du désappointement selon que son candidat est
vainqueur ou vaincu.
Il y a parfois match nul, alors la comédie recommence. Mais, dans les
coulisses se prépare une mise en scène particulière, car la
représentation ne peut avoir lieu que deux fois. Le scrutin de
ballottage n’est qu’une question d’argent, et ceci est si brutal qu’il
est inconcevable que l’électeur ne s’en aperçoive pas.
Supposons un candidat ayant obtenu au premier tour de scrutin un
millier de voix, un second candidat 800 et un troisième 500. Le
troisième candidat a peu de chance d’être élu au deuxième tour de
scrutin. Mais s’il favorise le second, c’est-à-dire s’il engage ses
électeurs à voter pour lui, voilà que le premier candidat arrive bon
dernier. Et on assiste à des revirements symboliques.
Tel aspirant député qui, lors de la campagne, accusait son adversaire
de tous les délits, de tous les crimes, de toutes les infamies, se
rapproche de lui au second tour et lui découvre des qualités politiques
que l’on n’aurait pas imaginé une quinzaine plus tôt. Et l’électeur
gobe tout cela, il l’accepte, il ne dit rien, il vote.
A quoi bon insister sur l’amoralité ou l’immoralité d’une élection. Il
n’y a que celui qui le veut, qui ignore les tractations auxquelles
donnent lieu les élections. Mais même au point de vue logique, en
supposant qu’une élection offre toutes les garanties d’honnêteté, le
résultat en est ridicule en soi. De nombreux exemples ont déjà été
cités, dénonçant l’erreur sur laquelle repose le principe même de ce
genre d’opérations ; ajoutons-en un à la liste déjà longue.
Le dimanche 12 décembre 1926, une élection partielle eut lieu dans le
Nord. Il s’agissait de pourvoir au remplacement de trois députés.
Quatre listes de candidats étaient en présence : la liste d’Union
nationale républicaine, la liste socialiste ; la liste communiste et la
liste des Républicains du Nord.
Or, voici les résultats dé cette élection :
Inscrits : 516.148.
Suffrages exprimés : 431.683.
Liste d’Union nationale républicaine : MM. Coquelle, 193.353 ; Carlier,
192.236 ; Coutel, 192.560. ÉLUS. .
Liste socialiste : MM. Inghels, 142.095 ; Salengro, 141.274 ; Delcour,
140.868.
Liste communiste : MM. Thorez, 65.803 ; Bonte, 65.779 ; Declerq, 65.547.
Liste des Républicains du Nord : MM. Desjardins, 30.548 ; Cellic,
30.274 ; Derenne, 30.333.
Or, si nous faisons une moyenne, nous constatons que les candidats élus
ne représentent qu’une minorité. En effet, les candidats de la liste
d’Union nationale républicaine ont obtenu une moyenne de 192.716 voix,
alors que leurs adversaires réunissent un total de suffrages donnant
une moyenne de 237.596 voix. Poussons plus loin et ne calculons que les
voix obtenues par ceux qui se réclament de la classe ouvrière, et nous
constatons que les suffrages exprimés nous donnent une moyenne de
207.121 voix ; et cependant, ce sont les 192.000 voix qui triomphent et
les 207.000 qui sont battues. Oh ! logique électorale !
Nous ne voudrions pas accuser en vain de démagogues, les chefs de
partis ouvriers qui entraînent à la foire électorale une foule de
moutons. Mais tout de même, l’exemple que nous citons ci-dessus est
symptomatique. Si l’intérêt de la classe ouvrière était le seul
sentiment qui anime les candidats, comment se fait-il que ceux du Parti
socialiste ne se soient pas effacés devant ceux du parti communiste ou
réciproquement ? Si le parlementarisme n’est pas une comédie - et c’est
ce qu’ils affirment - alors les uns et les autres ont favorisé le jeu
de la réaction en laissant pénétrer dans l’enceinte législative des
adversaires des classes travailleuses.
Des faits semblables à celui-ci sont légion et il serait facile de les
multiplier. Mais à quoi bon, celui-ci suffit et suffira, pensons-nous,
à tous ceux qui cherchent à s’instruire et à œuvrer utilement à la
rénovation sociale. Les élections n’ont qu’un but : tromper la
population et lui faire croire qu’elle est maîtresse de ses destinées,
et la population se laisse prendre à cette glu.
Il faut avouer que le peuple souverain commence à ne plus être dupe de
tous ces simulacres et que de jour en jour, le nombre d’électeurs
diminue et que le nombre d’abstentionnistes augmente. Les partis
politiques sentent que leur autorité s’affaiblit et que bientôt le
pouvoir qu’ils exercent leur échappera totalement. C’est pourquoi
certains partis d’extrême droite ou d’extrême gauche empruntent une
tactique électorale tout à fait inattendue. De même que nous avons les
militaristes-antimilitaristes, nous avons également les
parlementaristes antiparlementaires. Il n’est plus rare, au cours d’une
campagne électorale, d’entendre des orateurs, communistes ou fascistes,
reconnaître qu’il n’y a rien à faire au Parlement, qui est un foyer de
corruption. Mais ajoutent-ils, les élections sont pour nous une
occasion de créer une agitation favorable au développement de nos idées
et aussi un moyen de nous compter et de connaître les forces dont nous
disposons.
Fort bien, et l’argument mérite qu’on s’y arrête. Proposons donc à nos
parlementaristes antiparlementaires de poursuivre leur action
électorale, mais demandons-leur de n’accepter aucun mandat et de se
refuser à siéger aux Folies-Bourbons. Ils refusent tout naturellement
en objectant que les avantages pécuniers dont bénéficient les députés
permettent à ces derniers de faire une propagande active en faveur du
parti qu’ils représentent. Lorsque l’on sait ce que coûte une élection
et ce que rapporte un mandat de député - nous ne considérons,
évidemment, que les rétributions avouées - on se rend bien vite compte
que ce dernier argument est ridicule, car les sommes fantastiques
englouties durant les périodes électorales permettraient d’entretenir
un nombre de militants propagandistes bien supérieur à celui des
députés élus par la classe ouvrière.
Une élection n’est donc qu’un trompe-l’œil, les anarchistes l’ont dit,
ils le disent encore, ils le répéteront sans cesse.
Il est vrai que les élections sont favorables à la diffusion des idées.
Les libertaires ne l’ignorent pas et en période électorale, ils sont au
premier rang dans la bataille, se dépensant afin de faire comprendre à
leurs frères de misère tout le vide de l’action parlementaire. Ils
veulent éclairer l’électeur.
« Qu’on tache d’éclairer ces hommes », dit Urbain Gohier dans « La
Révolution vient-elle ? », « de les améliorer, de les élever : ils vous
soupçonneront, vous abreuveront d’outrages », « Mais la foire
électorale ouverte, ils courent d’instinct aux charlatans les plus
vils, aux malfaiteurs les plus cyniques. La bassesse les enchante ;
plus les mensonges sont grossiers, plus avidement ils les gobent. »
Il est hélas trop vrai que la veulerie populaire lasse souvent le
militant sincère qui se brise à la tâche et se sacrifie à une cause
commune. Mais quoi, ne doit-on pas tenir compte de tout un passé
d’esclavage empêchant le travailleur de s’instruire et de s’éduquer ?
Le peuple vient à peine de s’éveiller, et si l’on jette un regard en
arrière, si l’on considère tout le chemin parcouru depuis un siècle, on
constate alors tous les progrès réalisés, toutes les transformations
accomplies, tous les avantages arrachés petit à petit à la bourgeoisie
rapace et jalouse de ses privilèges.
Bien des institutions barbares ont disparu. Les élections disparaîtront
également un jour, car malgré tout, la méfiance a pénétré déjà dans le
cerveau du travailleur, et c’est le commencement de la fin.
Poursuivons donc, anarchistes, notre œuvre, pour qu’enfin la raison
saine et pure dirige l’humanité, et qu’avec les élections disparaisse
le dernier esclave : l’électeur.